Le Livre des mille nuits et une nuit/Tome 09/Les Trois souhaits

Anonyme
Traduction par Joseph-Charles Mardrus.
Éditions de la Revue Blanche (Tome 9p. 64-66).


LES TROIS SOUHAITS


Il m’est revenu, ô Roi fortuné, qu’un certain homme aux bonnes intentions avait passé toute sa vie dans l’attente de la nuit miraculeuse que promet le Livre aux Croyants doués de foi ardente, cette nuit nommée la Nuit des Possibilités de la Toute-Puissance, où l’homme pieux voit se réaliser ses moindres désirs. Or, une nuit des dernières nuits du mois de Ramadân, cet homme, après avoir jeûné strictement toute la journée, se sentit soudain vivifié des grâces divines, et il appela son épouse et lui dit : « Écoute-moi, femme ! Je me sens ce soir en état de pureté devant l’Éternel, et sûrement cette nuit va être pour moi la Nuit des Possibilités de la Toute-Puissance. Comme tous mes vœux et souhaits seront sûrement exaucés par le Rétributeur, je t’appelle pour te consulter auparavant sur les demandes qu’il me faut faire, car je te sais de bon conseil, et souvent tes avis m’ont été profitables. Inspire-moi donc les souhaits à formuler ! » L’épouse répondit : « Ô homme, à combien de souhaits as-tu droit ? » Il dit : « À trois ! » Elle dit : « Commence alors par exposer à Allah le premier des trois désirs. Tu sais que la perfection de l’homme et ses délices résident dans sa virilité, et que l’homme ne peut être parfait s’il est chaste, eunuque ou impuissant. Par conséquent, plus le zebb de l’homme est considérable, plus sa virilité est grande et le fait s’acheminer dans la voie de la perfection. Prosterne-toi donc humblement devant la face du Très-Haut, et dis : « Ô Bienfaiteur, ô Généreux, fais grossir mon zebb jusqu’à la magnificence ! » Et l’homme se prosterna et, tournant ses paumes vers le ciel, dit : « Ô Bienfaiteur, ô Généreux, fais grossir mon zebb jusqu’à la magnificence ! »

Or, à peine ce désir avait-il été formulé, qu’il fut exaucé, et au delà, à l’heure et à l’instant. Car aussitôt le saint homme vit son zebb se gonfler et se magnifier, tellement qu’on l’eût pris pour une calebasse reposant entre deux grosses citrouilles. Et le poids de tout cela était si considérable qu’il obligeait son propriétaire à se rasseoir quand il se levait, et à se lever quand il se couchait.

Aussi l’épouse fut si terrifiée à cette vue qu’elle s’échappait par la fuite toutes les fois que l’appelait à l’essai le saint homme. Et elle s’écriait : « Comment veux-tu que je fasse l’essai de cet outil dont le simple jet est capable de perforer les rochers d’outre en outre ? » Et le pauvre homme finit par lui dire : « Ô femme exécrable, que me faut-il faire de cela maintenant ! C’est ton œuvre, ô maudite ! » Elle répondit : « Le nom d’Allah sur moi et autour de moi ! Prie sur le Prophète, ô vieillard à l’œil vide ! Moi, par Allah ! je n’ai point besoin de tout cela, et ne t’ai point dit d’en demander autant ! Prie donc le ciel de te le diminuer ! Ce sera là ton second souhait ! »

Le saint homme leva alors les yeux au ciel et dit : « Ô Allah, je te supplie de me débarrasser de cette encombrante marchandise, et de me délivrer du tracas qu’elle me procure ! » Et aussitôt l’homme devint lisse quant à son ventre, sans plus de trace de zebb et d’œufs que s’il eût été une jeune fille impubère.

Mais cette disparition complète ne le satisfit guère, pas plus lui que son épouse, qui se mit à l’invectiver et à lui reprocher de l’avoir à jamais frustrée de son dû. Aussi la peine du saint homme fut-elle extrême ; et il dit à son épouse : « Tout cela est ta faute et vient de tes conseils insensés ! Ô femme sans jugement, moi j’avais droit à trois souhaits devant Allah, et je pouvais choisir à mon gré ce qui me plaisait le mieux des biens de ce monde et de l’autre. Et voilà que deux de mes vœux ont été déjà exaucés, mais c’est tout comme si de rien n’était. Et me voici dans une condition pire que la précédente ! Mais comme il me reste encore le droit de formuler mon troisième souhait, je vais demander à mon Seigneur de me faire réintégrer dans ce que je possédais tout à fait au commencement ! »

Et il pria son Seigneur qui exauça son vœu. Et il rentra dans ce qu’il possédait au commencement !

La morale de cette anecdote est qu’il faut se contenter de ce que l’on a.


— Puis Schahrazade dit :