Le Livre des mille nuits et une nuit/Tome 06/Histoire de la docte sympathie

Anonyme
Traduction par Joseph-Charles Mardrus.
Éditions de la Revue Blanche (Tome 6p. 11-64).


HISTOIRE DE LA DOCTE SYMPATHIE


Il est raconté — mais Allah est le mieux instruit sur toutes choses — qu’il y avait à Baghdad un marchand très riche, au commerce immense. Il avait honneurs, considération, prérogatives et privilèges de toutes sortes ; mais il n’était point heureux, car Allah n’étendait pas sur lui sa bénédiction jusqu’à lui accorder un enfant, fût-il même de sexe féminin. Aussi était-il devenu vieux dans la tristesse, et voyait-il de jour en jour ses os devenir transparents et son dos se voûter, sans qu’il pût obtenir de l’une de ses nombreuses épouses un résultat consolateur. Mais un jour qu’il avait distribué de très nombreuses aumônes et visité les santons et jeûné et prié avec ferveur, il coucha avec la plus jeune de ses épouses et, cette fois, par la bonté du Très-Haut, il la rendit enceinte à l’heure et à l’instant.

Le neuvième mois, jour pour jour, l’épouse du marchand accoucha heureusement d’un enfant mâle si beau qu’il était comme un morceau de lune.

Aussi le marchand, dans sa gratitude envers le Donateur, n’oublia pas d’accomplir les vœux qu’il avait formés, et il fit de grandes largesses aux pauvres, aux veuves et aux orphelins, pendant sept jours entiers ; puis, au matin du septième jour, il songea à donner un nom à son fils, et l’appela Aboul-Hassan.

L’enfant fut porté sur les bras des nourrices et sur les bras des belles esclaves et soigné comme une chose précieuse par les femmes et les domestiques, jusqu’à ce qu’il fût d’âge à apprendre. Alors on le confia aux maîtres les plus savants, qui lui enseignèrent à lire les paroles sublimes du Korân, et lui apprirent là belle écriture, la poésie, le calcul, et surtout l’art de tirer de l’arc. Aussi son instruction dépassa-t-elle en étendue celle de sa génération et de son siècle et ce ne fut point tout !

En effet, il joignait à ces diverses connaissances un charme magicien, et il était parfaitement beau. Car voici en quels termes les poètes de son temps ont dépeint ses grâces juvéniles, la fraîcheur de ses joues, les fleurs de ses lèvres et le duvet naissant qui les ornait :

« Vois-tu sur le parterre de ses joues ces boutons de rose qui cherchent à s’entr’ouvrir, alors que le printemps est déjà passé sur les rosiers ?

« Ne t’étonnes-tu de voir fleurir encore la rose et, dans le coin ombreux des lèvres, le duvet pousser comme les violettes sous les feuilles ? »

Le jeune Aboul-Hassan fut donc la joie de son père et les délices de ses prunelles, aussi longtemps que la destinée l’avait devance fixé. Mais lorsque le vieillard sentit s’approcher le terme qui lui était échu, il fit asseoir son fils entre ses mains, un jour d’entre les jours, et lui dit : « Mon fils, voici que l’échéance est proche, et il ne me reste plus qu’à me préparer à paraître devant le Maître Souverain. Je te lègue de grands biens, beaucoup de richesses et de propriétés, des villages entiers et de belles terres et de beaux vergers, de quoi vous suffire, et au delà, à toi et aux enfants de tes enfants. Je te recommande seulement de savoir en jouir sans excès, en remerciant le Rétributeur et en vivant dans le respect qui Lui est dû ! » Puis le vieux marchand mourut de sa maladie, et Aboul-Hassan fut extrêmement affligé et, les devoirs des funérailles accomplis, il prit le deuil et s’enferma avec sa douleur.

Mais bientôt ses compagnons réussirent à le distraire et à l’arracher à ses chagrins et firent si bien qu’ils l’obligèrent à entrer au hammam se rafraîchir, puis à changer de vêtements ; et ils lui dirent pour le consoler tout à fait : « Celui qui se reproduit lui-même en des enfants comme toi ne meurt pas ! Éloigne donc la tristesse et songe à profiter de ta jeunesse et de tes biens ! »

Aussi Aboul-Hassan oublia-t-il peu à peu les conseils de son père, et finit-il par se persuader que le bonheur et la fortune étaient inusables. Dès lors, il ne cessa de satisfaire tous ses caprices, de s’adonner à tous les plaisirs, de fréquenter les chanteuses et les joueuses d’instruments, de manger tous les jours une quantité énorme de poulets, car il aimait les poulets, de se plaire à desceller les vieux pots de liqueurs enivrantes et d’entendre le cliquetis des coupes entrechoquées, de détériorer ce qu’il put détériorer, d’abîmer ce qu’il put abîmer, et de bouleverser ce qu’il put bouleverser, tant qu’à la fin il se réveillât un jour avec rien entre les mains si ce n’est lui-même ! Et, de tout ce que lui avait légué son défunt père en fait de serviteurs et de femmes, il ne lui resta plus rien qu’une seule esclave d’entre les nombreuses esclaves.

Mais encore faut-il d’avance admirer la continuité heureuse du sort qui voulut justement que ce fût la merveille même de toutes les esclaves des contrées de l’Orient et de l’Occident qui demeurât dans la maison, désormais sans lustre, du prodigue Aboul-Hassan, fils du défunt marchand.

En effet, cette esclave s’appelait Sympathie, et vraiment jamais nom n’avait mieux convenu aux qualités de celle qui le portait. L’esclave Sympathie était une adolescente aussi droite que la lettre « aleph », d’une taille proportionnée, et si mince et si délicate qu’elle pouvait défier le soleil d’allonger son ombre sur le sol ; la beauté et la fraîcheur de son visage étaient merveilleuses ; tous ses traits portaient clairement la marque de la bénédiction et du bon augure ; sa bouche paraissait scellée par le sceau de Soleïmân, comme pour garder précieusement le trésor de perles qu’elle renfermait ; ses dents étaient des colliers doubles et égaux ; les deux grenades de son sein étaient séparées par le plus charmant intervalle, et son nombril était assez creux et assez large pour contenir une once de beurre muscade. Quant à sa croupe monumentale, elle terminait à point la finesse de sa taille et laissait profondément imprimé sur les sofas et les matelas le creux formé par l’importance de son poids. Et c’est d’elle qu’il s’agissait dans ce chant du poète :

« Elle est solaire, elle est lunaire, elle est végétale telle la tige du rosier ; elle est aussi loin des couleurs de la tristesse que le soleil, la lune et la tige du rosier.

« Lorsqu’elle paraît, sa présence émeut profondément les cœurs, et lorsqu’elle s’éloigne, les cœurs restent anéantis.

« Le ciel est sur son visage ; les pelouses d’Éden, parmi lesquelles coule la source de vie, s’étendent sous sa tunique, et la lune brille sous son manteau.

« Sur son corps charmant s’harmonisent toutes les couleurs : l’incarnat des roses, l’éclatante blancheur de l’argent, le noir de la baie mûre et la couleur du sandal. Et sa beauté est si grande qu’elle la défend même contre le désir.

« Béni soit Celui qui a déployé sur elle la beauté, et heureux l’amant qui peut savourer les délices de ses paroles ! »

Telle était l’esclave Sympathie, seul trésor que possédât encore le prodigue Aboul-Hassan.

— À ce moment de sa narration, Schahrazade vit apparaître le matin et se tut discrètement.

MAIS LORSQUE FUT
LA DEUX CENT SOIXANTE-DOUZIÈME NUIT

Elle dit :

Telle était l’esclave Sympathie, seul trésor que possédât encore le prodigue Aboul-Hassan.

Donc, à cette constatation de son patrimoine dissipé sans retour, Aboul-Hassan fut plongé dans un état de désolation qui lui enleva le sommeil et l’appétit ; et il resta ainsi trois jours et trois nuits sans manger, ni boire, ni dormir, si bien que l’esclave Sympathie crut le voir mourir et résolut coûte que coûte de le sauver.

Elle se para de ses robes le plus en état d’être exhibées et de ce qui lui restait de bijoux et d’atours, et se présenta à son maître avec, sur les lèvres, un sourire de bon augure, en lui disant : « Allah va faire cesser tes tribulations par mon entremise. Pour cela, tu n’auras qu’à me conduire devant notre maître l’émir des Croyants Haroun Al-Rachid, le cinquième des descendants d’Abbas, et à lui demander de moi, comme prix de vente, dix mille dinars. S’il trouve ce prix trop élevé, dis-lui : « Ô émir des Croyants, cette adolescente vaut encore davantage, ce dont tu te rendras bien mieux compte en la mettant à l’épreuve. Alors elle haussera beaucoup à tes yeux, et tu verras qu’elle n’a point d’égale ou de rivale, et qu’elle est digne vraiment de servir notre maître le khalifat ! » Puis elle lui recommanda, en y insistant beaucoup, de bien se garder de diminuer ce prix.

Aboul-Hassan, qui jusqu’à ce moment avait négligé, par insouciance, d’observer les qualités et les talents de sa belle esclave, n’était plus guère en état d’apprécier par lui-même les mérites qui pouvaient être en elle. Il trouva seulement que l’idée n’était pas mauvaise et avait des chances de réussite. Il se leva donc sur l’heure et, emmenant derrière lui Sympathie, il la conduisit devant le khalifat, à qui il répéta les paroles qu’elle lui avait recommandé de dire.

Alors le khalifat se tourna vers elle et lui demanda : « Comment t’appelles-tu ? » Elle dit : « Je m’appelle Sympathie. » Il lui dit : « Ô Sympathie, es-tu versée dans les connaissances, et peux-tu m’énumérer le titre des diverses branches du savoir que tu as cultivées ? » Elle répondit : « Ô mon maître, j’ai étudié la syntaxe, la poésie, le droit civil et le droit canon, la musique, l’astronomie, la géométrie, l’arithmétique, la jurisprudence au point de vue des successions, et l’art de déchiffrer les grimoires et de lire les anciennes inscriptions. Je connais par cœur le Livre Sublime, et je puis le lire de sept manières différentes ; je sais exactement le nombre de ses chapitres, de ses versets, de ses divisions, de ses diverses parties, et leurs combinaisons, et combien il renferme de lignes, de mots, de lettres, de consonnes et de voyelles ; je sais au juste quels chapitres ont été inspirés et écrits à la Mecque, et quels autres ont été dictés à Médine ; je connais les lois et les dogmes, je sais les distinguer d’avec les traditions et différencier leur degré d’authenticité ; je ne suis point étrangère à la logique, à l’architecture et à la philosophie, non plus qu’à l’éloquence, au beau langage, à la rhétorique et aux règles des vers, que je sais ordonner et cadencer en n’omettant aucun tour de force dans leur construction ; je sais les faire simples et coulants, comme aussi compliqués et enchevêtrés pour le plaisir des délicats seulement ; et si j’y mets parfois des obscurités, c’est pour mieux conserver l’attention et charmer l’esprit qui arrive à en dénouer la trame subtile et fragile ; enfin j’ai appris beaucoup de choses, et j’ai retenu tout ce que j’ai appris. Avec tout cela je sais parfaitement chanter, et danser comme un oiseau, et jouer du luth et de la flûte, de même que je manie tous les instruments à cordes, et cela sur plus de cinquante modes différents. Aussi, quand je chante et que je danse, ceux-là se damnent qui me voient et m’entendent ; si, habillée et parfumée, je marche en me balançant, je tue ; si je secoue ma croupe, je renverse ; si je cligne de l’œil, je transperce ; si je secoue mes bracelets, j’aveugle ; si je touche, je donne la vie, et, si je m’éloigne, je fais mourir ! Je suis versée dans tous les arts, et j’ai poussé dans ce sens mon savoir jusqu’à des limites telles que seuls pourraient arriver à en distinguer l’horizon les très rares dont les années auraient macéré dans l’étude de la sagesse ! »

Lorsque le khalifat Haroun Al-Rachid eut entendu ces paroles, il fut étonné et charmé de trouver tant d’éloquence à la fois et de beauté, tant de savoir et de jeunesse en celle qui se tenait devant lui, les yeux respectueusement baissés. Il se tourna vers Aboul-Hassan et lui dit : « Je veux à l’instant donner les ordres pour faire venir tous les maîtres de la science, afin de mettre ton esclave à l’épreuve et de m’assurer, par un examen public et décisif, si elle est réellement aussi instruite qu’elle est belle. Au cas où elle sortirait victorieuse de l’épreuve, non seulement je te donnerais les dix mille dinars, mais je te comblerais d’honneurs pour m’avoir amené une si grande merveille. Sinon, rien n’est fait, et elle reste ta propriété ! »

Puis, séance tenante, le khalifat fit mander le plus grand savant de cette époque, Ibrahim ben-Saïar, qui avait approfondi toutes les connaissances humaines ; il fit mander aussi tous les poètes, les grammairiens, les lecteurs du Korân, les médecins, les astronomes, les philosophes, les jurisconsultes et les doctes en théologie. Et tous se hâtèrent de se rendre au palais et s’assemblèrent dans la salle de réception sans savoir pour quel motif on les convoquait.

Lorsque le khalifat leur en eut donné l’ordre, ils s’assirent tous en rond sur les tapis, alors qu’au milieu, sur un siège d’or où l’avait fait placer le khalifat, l’adolescente Sympathie se tenait, le visage recouvert d’un léger voile, et que ses yeux brillaient et ses dents souriaient de leur sourire, à travers…

— À ce moment de sa narration, Schahrazade vit apparaître le matin et, discrète, se tut.

MAIS LORSQUE FUT
LA DEUX CENT SOIXANTE-QUATORZIÈME NUIT

Elle dit :

… souriaient de leur sourire, à travers.

Quand sur cette assemblée le silence se fut établi si complet qu’on eût pu entendre le son d’une aiguille jetée sur le sol, Sympathie fit à tous un salam plein de grâce et de dignité et, d’une façon de parler exquise, en vérité, elle dit au khalifat :

« Ô émir des Croyants, ordonne ! me voici prête à répondre à toutes les questions que voudront me poser les doctes et vénérables savants, lecteurs du Korân, jurisconsultes, médecins, architectes, astronomes, géomètres, grammairiens, philosophes et poètes ! »

Alors le khalifat Haroun Al-Rachid, assis sur son trône, se tourna vers tous ceux-là et leur dit : « Je vous ai fait mander ici pour que vous examiniez cette adolescente sur ses connaissances en tant que variété et profondeur, et que vous n’épargniez rien pour mettre en valeur à la fois votre érudition et son savoir ! » Et tous les savants répondirent, en s’inclinant jusqu’à terre et en portant les mains sur leurs yeux et sur leur front : « L’ouïe et l’obéissance à Allah et à toi, ô émir des Croyants ! »

À ces paroles, l’adolescente Sympathie resta quelques instants la tête baissée, réfléchissant, puis releva le front et dit : « Ô vous tous, mes maîtres, quel est d’abord le plus versé d’entre vous dans le Korân et les traditions du Prophète ? (Sur lui la paix et la prière !) » Alors l’un des docteurs se leva, désigné par tous les doigts, et dit : « Je suis cet homme ! » Elle lui dit : « Interroge-moi donc à ta guise sur ta partie ! » Et le savant lecteur du Korân demanda :

« Ô jeune fille, du moment que tu as étudié à fond le saint Livre d’Allah, tu dois connaître le nombre de chapitres, de mots et de lettres qu’il renferme et les préceptes de notre foi ! Dis-moi donc, pour commencer, quel est ton Seigneur, quel est ton Prophète, quel est ton Imam, quelle est ton orientation, quelle est ta règle de vie, quel est ton guide dans les chemins, et quels sont tes frères ? »

Elle répondit : « Allah est mon Seigneur ; Môhammad (sur lui la prière et la paix !) est mon Prophète ; le Korân est ma loi, il est donc mon Imam ; la Kâaba, la maison d’Allah élevée par Abraham à la Mecque, est mon orientation ; l’exemple de notre saint Prophète est ma règle de vie ; la Sunna, recueil des traditions, est mon guide dans les chemins ; et tous les Croyants sont mes frères ! »

Le savant reprit, alors que le khalifat commençait à s’émerveiller de la netteté et de la précision de ces réponses dans la bouche d’une si gentille jeune fille :

« Dis-moi ! comment sais-tu qu’il y a un Dieu ? »

Elle répondit : « Par la raison ! »

Il demanda : « Qu’est-ce que la raison ? »

Elle dit : « La raison est un don double : il est inné et il est acquis. La raison innée est celle qu’Allah a placée dans le cœur de ceux de ses serviteurs qu’il a élus, afin de les faire marcher dans la voie de la vérité. Et la raison acquise est celle qui est, chez l’homme bien doué, le fruit de l’éducation et d’un labeur constant. »

Il reprit : « C’est excellent ! Mais où est le siège de la raison ? »

Elle répondit : « Dans notre cœur ! Et c’est de là que ses inspirations s’élèvent vers notre cerveau pour y établir domicile. »

Il dit : « Parfaitement ! Mais peux-tu me dire comment tu as appris à connaître le Prophète ? (Sur lui la prière et la paix !) »

Elle répondit : « Par la lecture du Livre d’Allah, par les sentences y incluses, par les preuves et les témoignages de cette mission divine ! »

Il dit : « C’est excellent ! Mais peux-tu me dire quels sont les devoirs indispensables de notre religion ? »

Elle répondit : « Il y a cinq devoirs indispensables dans notre religion : la profession de foi « Il n’y a de Dieu qu’Allah, et Môhammad est l’envoyé d’Allah ! » ; la prière ; l’aumône ; le jeûne du mois de Ramadan ; le pèlerinage à la Mecque, quand on peut le faire. »

Il demanda : « Quels sont les actes pies les plus méritoires ? »

Elle répondit : « Ils sont au nombre de six : la prière ; l’aumône ; le jeûne ; le pèlerinage ; la lutte contre les mauvais instincts et les choses illicites, et enfin la guerre sainte ! »

Il dit : « Que c’est bien répondu ! Mais dans quel but fais-tu la prière ? »

Elle répliqua : « Simplement pour offrir au Seigneur l’hommage de mon adoration, célébrer ses louanges et élever mon esprit vers les régions sereines ! »

Il s’écria : « Ya Allah ! que cette réponse est excellente ! Mais la prière ne suppose-t-elle pas au préalable des préparatifs indispensables ? »

Elle répondit : « Certes ! Il faut se purifier entièrement le corps par les ablutions rituelles, se vêtir d’habits qui n’aient pas l’indice d’une saleté, choisir un lieu propre et net pour s’y tenir, bien garantir la partie du corps comprise entre le nombril et les genoux, avoir des intentions pures et se tourner vers la Kâaba, dans la direction de la Mecque sainte ! »

« Quelle est la valeur de la prière ? »

« Elle est le soutien de la foi, dont elle est la base ! »

« Quels sont les fruits de la prière ? Quelle en est l’utilité ? »

« La prière vraiment belle n’a point d’utilité terrestre. Elle est simplement le lien spirituel entre la créature et son Seigneur ! Elle peut produire dix fruits immatériels et d’autant plus beaux : elle éclaire le cœur, elle illumine le visage, elle plaît au Très-Clément, elle excite la fureur du Malin, elle attire la miséricorde, elle éloigne les maléfices, elle préserve du mal, elle préserve contre les entreprises des ennemis, elle consolide l’esprit qui chancelle et rapproche l’esclave de son Maître ! »

« Quelle est la clef de la prière ? Et quelle est la clef de cette clef ? »

« La clef de la prière, c’est l’ablution, et la clef de l’ablution, c’est la formule initiale : « Au nom d’Allah le Clément-sans-bornes, le Miséricordieux ! »

« Quelles sont les prescriptions à suivre dans l’ablution ? »

« D’après le rite orthodoxe de l’imam El-Schafiy ben-Idris, il y en a six : l’intention bien arrêtée de se purifier en vue simplement d’être agréable au Créateur ; l’ablution d’abord du visage ; l’ablution des mains jusqu’au coude ; le frottement d’une partie de la tête ; l’ablution des pieds, y compris les talons, jusqu’aux chevilles, et un ordre strict dans l’accomplissement de ces actes divers. Or, cet ordre suppose l’observance de douze conditions bien précises, à savoir :

« D’abord prononcer la formule initiale : « Au nom d’Allah ! » ; se laver les paumes des mains avant que de les plonger dans le vase ; se rincer la bouche ; se laver les narines en prenant l’eau dans le creux de la main et en la reniflant ; se frotter toute la tête et se frotter les oreilles à l’extérieur et à l’intérieur avec une nouvelle eau ; se peigner la barbe avec les doigts ; se tordre les doigts et les orteils en les faisant craquer ; placer le pied droit devant le pied gauche ; répéter trois fois chaque ablution ; prononcer après chaque ablution l’acte de foi ; et enfin, une fois les ablutions terminées, réciter en outre cette formule pieuse : « Ô mon Dieu ! compte-moi au nombre des repentants, des purs et fidèles serviteurs ! Louanges à mon Dieu ! Je confesse qu’il n’y a de Dieu que Toi seul ! C’est Toi mon refuge ; c’est de Toi que, plein de repentir, j’implore le pardon de mes fautes ! Amîn ! »

« C’est cette formule, en effet, que le Prophète (sur lui la prière et la paix) nous a bien recommandé de réciter, en disant : « J’ouvrirai toutes grandes à qui la récitera les huit portes d’Éden ; et il pourra entrer par la porte qui lui plaira ! »

Le savant dit : « Cela est répondu avec excellence, en vérité ! Mais que font les anges et les démons auprès de celui qui fait ses ablutions ? »

Sympathie répondit : « Lorsque l’homme se prépare à faire ses ablutions, les anges viennent se tenir à sa droite et les diables à sa gauche ; mais aussitôt qu’il prononce la formule initiale : « Au nom d’Allah ! » les diables prennent la fuite, et les anges s’approchent de lui en déployant sur sa tête un pavillon de lumière, de forme carrée, dont ils soutiennent les quatre coins ; et ils chantent les louanges d’Allah et implorent le pardon des péchés de cet homme. Mais, s’il oublie d’invoquer le nom d’Allah ou s’il cesse de le prononcer, les diables reviennent…

— À ce moment de sa narration, Schahrazade vit apparaître le matin et, discrète, se tut.

MAIS LORSQUE FUT
LA DEUX CENT SOIXANTE-QUINZIÈME NUIT

Elle dit :

»… les diables reviennent en foule et font tous leurs efforts pour jeter le trouble dans son âme, lui suggérer le doute et refroidir son esprit et sa ferveur !

« Il est obligatoire, pour l’homme qui fait ses ablutions, de faire couler l’eau sur tout son corps, sur tous ses poils, apparents ou secrets, et sur ses membres sexuels, de se bien frotter toutes les parties et de ne se laver les pieds qu’en dernier lieu ! »

Le savant dit : « Bien répondu ! Peux-tu maintenant me dire quels sont les usages à suivre dans l’ablution nommée tayamum ? »

Elle répondit : « L’ablution nommée tayamum est la purification avec le sable et la poussière. Cette ablution se fait dans les sept cas suivants, établis par les usages conformes à la pratique du Prophète. Et elle se fait suivant les quatre indications prévues par l’enseignement direct du Livre.

« Les sept cas qui permettent cette ablution sont : le manque d’eau ; la peur d’épuiser la provision d’eau ; le besoin de cette eau pour la boisson ; la crainte d’en perdre une partie en la transportant ; les maladies qui craignent l’usage de l’eau ; les fractures qui demandent le repos pour se consolider ; les blessures qu’on ne doit pas toucher.

« Quant aux quatre conditions nécessaires pour accomplir cette ablution avec le sable et la poussière, ce sont : d’abord être de bonne foi ; ensuite prendre le sable ou la poussière avec les mains et faire le geste de s’en frotter le visage ; puis faire le geste de s’en frotter les bras jusqu’aux coudes ; et s’essuyer les mains.

« Deux pratiques sont également recommandables, parce que conformes à la Sunna : commencer l’ablution par la formule invocatoire : « Au nom d’Allah ! » et faire l’ablution de toutes les parties droites du corps avant les parties gauches. »

Le savant dit : « C’est fort bien ! Mais, pour revenir à la prière, peux-tu me dire comment on doit l’accomplir, et quels actes elle comporte ? »

Elle reprit : « Les actes requis pour faire la prière constituent autant de colonnes qui la soutiennent. Ces colonnes de la prière sont : premièrement la bonne intention ; secondement la formule du Takbir, qui consiste à prononcer ces mots : « Allah est le plus grand ! » ; troisièmement réciter la Fatiha, qui est le chapitre qui ouvre le Korân ; quatrièmement se prosterner la face contre terre ; cinquièmement se relever ; sixièmement faire la profession de foi ; septièmement s’asseoir sur les talons ; huitièmement faire des vœux pour le Prophète, en disant : « Que sur lui soient la prière et la paix d’Allah ! » ; neuvièmement être toujours dans la même intention pure.

« D’autres conditions d’une bonne prière sont seulement tirées de la Sunna, à savoir : lever les deux bras, les paumes tournées en haut, dans la direction de la Mecque ; réciter encore une fois la Fatiha ; réciter un autre chapitre du Korân, par exemple la Sourate de la Vache ; prononcer diverses autres formules pieuses, et terminer par les vœux sur notre prophète Môhammad. (Sur lui la prière et la paix !) »

Le savant dit : « En vérité, cela est répondu parfaitement ! Peux-tu maintenant me dire comment on doit s’acquitter de la dîme de l’aumône ? »

Elle répondit : « On peut s’acquitter de la dîme de l’aumône de quatorze manières : en or ; en argent ; en chameaux ; en vaches ; en moutons ; en blé ; en orge ; en millet ; en maïs ; en fèves ; en pois chiches ; en riz ; en raisins secs et en dattes.

« Pour ce qui est de l’or, si l’on n’a qu’une somme inférieure à vingt drachmes d’or de la Mecque, on n’a point de dîme à payer ; au-dessus de cette somme, on donne le trois pour cent. Il en est de même pour l’argent, toutes proportions gardées.

« Pour ce qui est du bétail, celui qui possède cinq chameaux paie un mouton ; celui qui possède vingt-cinq chameaux en donne un comme dîme, et ainsi de suite, toutes proportions gardées.

« Pour ce qui est des moutons et des agneaux, on en donne un sur quarante. Et ainsi de suite pour tout le reste. »

Le savant dit : « Parfait ! Parle-moi maintenant du jeûne ! »

Sympathie répondit : « Le jeûne c’est l’abstinence du manger, du boire et des jouissances sexuelles, pendant la journée, jusqu’au coucher du soleil, durant le mois de Ramadan, aussitôt qu’on aperçoit la nouvelle lune. Il est recommandable de s’abstenir également, pendant le jeûne, de tout vain discours et de toute lecture autre que celle du Korân. »

Le savant demanda : « Mais n’y a-t-il point certaines choses qui, à première vue, paraîtraient rendre inefficace le jeûne, mais qui, selon l’enseignement du Livre, n’enlèvent en réalité rien à sa valeur ? »

Elle répondit : « Il y a, en effet, des choses qui ne rendent point le jeûne inefficace. Ce sont : les pommades, les baumes et les onguents ; le kohl pour les yeux et les collyres ; la poussière du chemin ; l’action d’avaler la salive ; les éjaculations nocturnes ou diurnes involontaires de la semence virile ; les regards jetés sur une femme étrangère non musulmane ; la saignée et les ventouses simples ou scarifiées. Ce sont là toutes choses qui n’enlèvent rien à l’efficacité du jeûne. »

Le savant dit : « C’est excellent ! Et la retraite spirituelle, qu’en penses-tu ? »

Elle dit : « La retraite spirituelle est un séjour de longue durée que l’on fait dans une mosquée, sans jamais en sortir que pour satisfaire un besoin, et en renonçant au commerce avec les femmes et à l’usage de la parole. Elle est simplement recommandée par la Sunna, mais n’est point une obligation dogmatique. »

Le savant dit : « Excellent ! Je désire maintenant t’entendre me parler du pèlerinage ! »

Elle répondit : « Le pèlerinage à la Mecque ou hadj est un devoir que tout musulman doit accomplir au moins une fois en sa vie, quand il a atteint l’âge de raison. Pour l’accomplir, diverses conditions sont à observer. On doit se revêtir du manteau de pèlerin ou ihram, se garder d’avoir commerce avec les femmes, de se raser les poils, de se couper les ongles et de se couvrir la tête et le visage. D’autres prescriptions sont également faites par la Sunna. »

Le savant dit : « C’est fort bien ! mais passons à la guerre sainte ! »

Elle répondit : « La guerre sainte est celle que l’on fait contre les infidèles quand l’Islam est en danger. On ne doit la faire que pour se défendre, et jamais on ne doit prendre l’offensive. Aussitôt que le Croyant est en armes il doit marcher sur l’infidèle sans jamais revenir sur ses pas ! »

Le savant demanda : « Peux-tu me donner quelques détails sur la vente et l’achat ? »

Sympathie répondit : « Dans la vente et l’achat, on doit être libre des deux côtés et dresser, dans les cas importants, un acte de consentement et d’acceptation.

« Mais il y a certaines choses dont la Sunna prohibe la vente ou l’achat. Ainsi, par exemple…

— À ce moment de sa narration, Schahrazade vit apparaître le matin et, discrète, se tut.

MAIS LORSQUE FUT
LA DEUX CENT SOIXANTE-DIX-SEPTIÈME NUIT

Elle dit :

« … Ainsi, par exemple, il est expressément défendu d’échanger des dattes sèches contre des dattes fraîches, des figues sèches contre des figues fraîches, de la viande séchée et salée contre de la viande fraîche, du beurre salé contre du beurre frais, et, d’une manière générale, toutes les provisions fraîches contre les anciennes et les sèches, quand elles sont de la même espèce. »

Lorsque le savant commentateur du Livre eut entendu ces réponses de Sympathie, il ne put s’empêcher de penser qu’elle en savait autant que lui et ne voulut pas s’avouer impuissant à la prendre en défaut. Il résolut donc de lui poser des questions plus subtiles et lui demanda :

« Que signifie linguistiquement le mot ablution ? »

Elle répondit : « Se débarrasser par le lavage de toutes impuretés internes ou externes. »

Il demanda : « Que signifie le mot jeûner ? »

Elle dit : « S’abstenir. »

Il demanda : « Que signifie le mot donner ? »

Elle dit : « S’enrichir. »

Il demanda : « Et aller en pèlerinage ? »

Elle répondit : « Atteindre le but. »

Il demanda : « Et faire la guerre ? »

Elle dit : « Se défendre. »

À ces paroles, le savant se leva debout sur ses pieds et s’écria : « En vérité, mes questions et mes arguments sont à court ! Cette esclave est étonnante de savoir et de clarté, ô émir des Croyants ! »

Mais Sympathie sourit légèrement et l’interrompit : « Je voudrais, lui dit-elle, te poser à mon tour une question. Peux-tu, ô savant lecteur, me dire quelles sont les bases de l’Islam ? »

Il réfléchit un instant et dit : « Elles sont au nombre de quatre : la foi éclairée par la saine raison ; la droiture ; la connaissance de ses devoirs et de ses droits stricts et la discrétion ; l’accomplissement des engagements pris. »

Elle reprit : « Permets-moi de te poser encore une question ! Si tu n’arrives pas à la résoudre, j’aurai le droit de t’arracher ton manteau distinctif de savant lecteur du Livre ! »

Il dit : « J’accepte ! Pose la question, ô esclave ! »

Elle demanda : « Quelles sont les branches de l’Islam ? »

Le savant resta un temps à réfléchir et finalement ne sut que répondre.

Alors le khalifat lui-même parla et dit à Sympathie : « Réponds toi-même à la question, et le manteau de ce savant t’appartient ! »

Sympathie s’inclina et répondit : « Les rameaux de l’Islam sont au nombre de vingt : l’observance stricte de l’enseignement du Livre ; se conformer aux traditions et à l’enseignement oral de notre saint Prophète ; ne jamais commettre d’injustice ; manger les aliments permis ; ne jamais manger les aliments défendus ; punir les malfaiteurs, pour ne point voir augmenter la malice des méchants par suite de l’indulgence des bons ; se repentir de ses fautes ; approfondir l’étude de la religion ; faire du bien à ses ennemis ; être modeste dans sa vie ; secourir les serviteurs d’Allah ; fuir toute innovation et tout changement ; déployer du courage dans l’adversité et de la force dans les épreuves ; pardonner quand on est fort et qu’on est puissant ; patienter dans le malheur ; connaître Allah Très-Haut ; connaître le Prophète (sur lui la prière et la paix !) ; résister aux suggestions du Malin ; résister à ses passions et aux mauvais instincts de son âme ; se vouer entièrement au service d’Allah en toute confiance et en toute soumission ! »

Lorsque le khalifat Haroun Al-Rachid eut entendu cette réponse, il ordonna d’arracher immédiatement le manteau du savant et de le donner à Sympathie : ce qui fut aussitôt exécuté, à la confusion du savant, qui sortit de la salle, la tête basse.

Alors un second savant se leva, qui était réputé pour sa subtilité dans les connaissances théologiques, et que tous les yeux désignaient à l’honneur d’interroger l’adolescente. Il se tourna vers Sympathie et lui dit :

« Je ne te poserai, ô esclave, que de brèves questions et en petit nombre. Peux-tu d’abord me dire quels sont les devoirs à observer pendant les repas ? »

Elle répondit : « On doit d’abord se laver les mains, invoquer le nom d’Allah et lui rendre des actions de grâces. On s’assied ensuite sur la hanche gauche, on se sert pour manger du pouce et des deux premiers doigts seulement, on ne prend que de petites bouchées, on mâche bien le morceau et on ne doit pas regarder son voisin de crainte de le gêner ou de lui couper l’appétit. »

Le savant demanda : « Peux-tu me dire maintenant, ô esclave, ce que c’est que quelque chose, la moitié de quelque chose, et moins que quelque chose ? »

Elle répondit sans hésiter : « Le Croyant c’est quelque chose, l’hypocrite est la moitié de quelque chose, et l’infidèle est moins que quelque chose ! »

Il reprit : « Cela est exact ! Dis-moi ! Où se trouve la foi ? »

Elle répondit : « La foi habite dans quatre endroits : dans le cœur, dans la tête, dans la langue et dans les membres. De la sorte, la force du cœur consiste dans la joie, la force de la tête dans la connaissance de la vérité, la force de la langue dans la sincérité et la force des autres membres dans la soumission ! »

Il demanda : « Combien y a-t-il de cœurs ? »

« Il y en a plusieurs : le cœur du croyant qui est un cœur pur et sain ; le cœur de l’infidèle, cœur complètement opposé au premier…

— À ce moment de sa narration, Schahrazade vit apparaître le matin et, discrète, se tut.

MAIS LORSQUE FUT
LA DEUX CENT SOIXANTE-DIX-HUITIÈME NUIT

Elle dit :

»… le cœur de l’infidèle, cœur complètement opposé au premier ; le cœur attaché aux choses de la terre et le cœur attaché aux joies spirituelles ; il y a le cœur dominé par les passions ou par la haine ou par l’avarice ; il y a le cœur lâche, le cœur brûlé d’amour, le cœur gonflé d’orgueil ; puis il y a le cœur éclairé, comme celui des compagnons de notre saint Prophète, et il y a enfin le cœur de notre saint Prophète lui-même, cœur de l’Élu ! »

Lorsque le savant théologien eut entendu cette réponse, il s’écria : « Mon approbation t’est acquise, ô esclave ! »

Alors la belle Sympathie regarda le khalifat et dit : « Ô commandeur des Croyants, permets-moi de poser à mon tour une seule question à mon examinateur et de lui prendre son manteau s’il ne peut répondre ! » Et, le consentement accordé, elle demanda au savant :

« Peux-tu me dire, ô vénérable cheikh, quel est le devoir qui doit être rempli avant tous les devoirs bien qu’il n’en soit pas le plus important ? »

À cette question, le savant ne sut que dire, et l’adolescente se hâta de lui enlever son manteau et fit elle-même cette réponse :

« C’est le devoir de l’ablution ; car il est formellement prescrit de se purifier avant d’accomplir le moindre des devoirs religieux et avant tous les actes prévus par le Livre et la Sunna ! »

Après quoi Sympathie se tourna vers l’assemblée et l’interrogea d’un regard circulaire auquel répondit l’un des savants qui était un des hommes les plus célèbres du siècle et qui n’avait point son égal dans la connaissance du Korân. Il se leva et dit à Sympathie :

« Ô jeune fille pleine de spiritualité et de parfums charmants, peux-tu, puisque tu connais le Livre d’Allah, nous donner un échantillon de la précision de ton savoir ? »

Elle répondit :

« Le Korân est composé de cent quatorze sourates ou chapitres, dont soixante-dix ont été dictés à la Mecque et quarante-quatre à Médine.

« Il est divisé en six cent vingt-une divisions, appelées « aschar », et en six mille deux cent trente-six versets,

« Il renferme soixante-dix-neuf mille quatre cent trente-neuf mots, et trois cent vingt-trois mille six cent soixante-dix lettres, à chacune desquelles sont attachées dix vertus spéciales.

« On y trouve cité le nom de vingt-cinq prophètes : Adam, Nouh, Ibrahim, Ismaïl, Isaac, Yâcoub, Youssef, El-Yosh, Younés, Loth, Saleh, Houd, Schoaïb, Daoud, Soleïmân, Zoul-Kefel, Edris, Elias, Yahia, Zacharia, Ayoub, Moussa, Haroun, Issa [Jésus] et Môhammad. (Sur eux tous la prière et la paix !)

« On y trouve le nom de neuf oiseaux ou animaux ailés : le moustique, l’abeille, la mouche, la huppe, le corbeau, la sauterelle, la fourmi, l’oiseau ababil, et l’oiseau d’Issa (sur lui la prière et la paix !) qui n’est autre que la chauve-souris. »

Le cheikh dit : « Ta précision est merveilleuse. Aussi je voudrais savoir de toi quel est le verset où notre saint Prophète juge les infidèles ? »

Elle répondit : « C’est le verset où se trouvent ces paroles : « Les juifs disent que les chrétiens sont dans l’erreur et les chrétiens affirment que les juifs ignorent la vérité. Or, sachez que des deux côtés ils ont raison dans cette affirmation ! »

Lorsque le cheikh eut entendu ces paroles, il se déclara fort satisfait, mais voulut l’interroger encore.

Il lui demanda donc :

« Comment le Korân est-il venu sur terre du ciel. Est-il descendu tout complet, copié sur les tables qui sont gardées au ciel, ou bien est-il descendu en plusieurs fois ? »

Elle répondit : « C’est l’ange Gabriel qui, sur l’ordre du Maître de l’univers, l’a apporté à notre prophète Môhammad, le prince des envoyés d’Allah, et cela par versets, selon les circonstances, durant l’espace de vingt années. »

Il demanda : « Quels sont les compagnons du Prophète qui ont pris soin de rassembler tous les versets épars du Korân ? »

Elle dit : « Ils sont quatre : Abi ben-Kâab, Zeïd ben-Tabet, Abou-Obeïda ben-Al-Djerrah et Othman ben-Affân. (Qu’Allah les ait tous quatre dans ses bonnes grâces !) »

Il demanda :

« Quels sont ceux qui nous ont transmis et enseigné la vraie manière de lire le Korân ? »

Elle répondit : « Ils sont quatre : Abdallah ben-Mâssoud, Abi ben-Kâab, Moaz ben-Djabal et Salem ben-Abdallah. »

Il demanda : « À quelle occasion est descendu du ciel le verset suivant : « Ô Croyants, ne vous privez point des jouissances terrestres dans toute leur plénitude ! »

Elle répondit : « C’est lorsque quelques compagnons, voulant pousser plus loin qu’il ne fallait la spiritualité, eurent résolu de se châtrer et de porter des habits de crin…

— À ce moment de sa narration, Schahrazade vit apparaître le matin et se tut discrètement.

MAIS LORSQUE FUT
LA DEUX CENT SOIXANTE-DIX-NEUVIÈME NUIT

Elle dit :

« … eurent résolu de se châtrer et de porter des habits de crin. »

Lorsque le savant eut entendu ces réponses de Sympathie, il ne put s’empêcher de s’écrier : « Je témoigne, ô émir des Croyants, que cette jeune fille est inégalable de savoir ! »

Alors Sympathie demanda la permission de poser une question au cheikh et lui dit :

« Peux-tu me dire quel est le verset du Korân qui renferme vingt-trois fois la lettre kaf, quel est celui qui renferme seize fois la lettre mim et quel est celui qui renferme cent quarante fois la lettre aïn ? »

Le savant resta la bouche ouverte sans pouvoir faire la moindre citation ; et Sympathie, après lui avoir pris son manteau, se hâta d’indiquer elle-même les versets demandés, à la stupéfaction générale des assistants.

Alors du milieu de l’assemblée se leva un médecin réputé pour l’étendue de ses connaissances et qui avait composé des livres fort estimés. Il se tourna vers Sympathie et lui dit :

« Tu as parlé excellemment sur les choses spirituelles, il est temps de s’occuper du corps. Explique-nous, ô belle esclave, le corps de l’homme, sa formation, ses nerfs, ses os et ses vertèbres, et pourquoi Adam fut appelé Adam ! »

Elle répondit : « Le nom d’Adam vient du mot arabe adim qui signifie la peau, la surface de la terre, et fut donné au premier homme qui avait été créé avec une masse de terre formée du terrain de diverses parties du monde. En effet, la tête d’Adam fut formée avec la terre de l’Orient, sa poitrine avec la terre de la Kâaba, et ses pieds avec la terre de l’Occident.

« Allah composa le corps en y ménageant sept portes d’entrée et deux portes de sortie : les deux yeux, les deux oreilles, les deux narines et la bouche, et, de l’autre côté, un devant et un anus.

« Ensuite le Créateur, pour donner un tempérament à Adam, réunit en lui les quatre éléments : l’eau, la terre, le feu et l’air. De la sorte, le tempérament bilieux eut la nature du feu, qui est chaud et sec ; le tempérament nerveux eut la nature de la terre, qui est sèche ; le lymphatique eut la nature de l’eau, qui est froide et humide ; et le sanguin, la nature de l’air, qui est chaud et sec.

« Après quoi Allah acheva de constituer le corps humain. Il y mit trois cent soixante conduits et deux cent quarante os. Il lui donna trois instincts : l’instinct de la vie, l’instinct de la reproduction et l’instinct de l’appétit. Ensuite il lui mit un cœur, une rate, des poumons, six tripes, un foie, deux reins, une cervelle, deux œufs, un nerf et une peau. Il le dota de cinq sens guidés par sept esprits vitaux. Quant à l’ordre des organes, Allah posa le cœur à gauche, dans la poitrine, et au-dessous de lui l’estomac, les poumons pour servir d’éventails au cœur, le foie à droite pour servir de garde au cœur, et l’entrelacement des intestins, et l’articulation des côtes.

« Pour ce qui est de la tête, elle est composée de quarante-huit os ; quant à la poitrine, elle contient vingt-quatre côtes chez l’homme et vingt-cinq chez la femme : cette côte supplémentaire se trouve à droite, et sert à renfermer l’enfant dans le ventre de sa mère et à le soutenir en l’entourant. »

Le savant médecin ne put réprimer sa surprise, puis ajouta : « Peux-tu maintenant nous parler des signes des maladies ? »

Elle répondit : « Les signes des maladies sont extérieurs et intérieurs, et servent à faire connaître le genre de la maladie et son degré de gravité.

« L’homme habile dans son art sait, en effet, deviner le mal rien qu’en prenant le pouls du malade : de la sorte il constate le degré de sécheresse, de chaleur, de raideur, de froid et d’humidité ; il sait également qu’un homme qui a des yeux jaunes doit avoir le foie malade, qu’un autre qui a le dos courbé doit avoir les poumons gravement atteints d’inflammation.

« Quant aux signes intérieurs qui guident l’observation du médecin, ce sont : les vomissements, les douleurs, les œdèmes, les excréments et les urines. »

Il demanda : « Quelles sont les causes du mal de tête ? »

Elle répondit : « Le mal de tête est dû principalement à la nourriture, quand on en fait entrer dans l’estomac avant que les premiers aliments ne soient digérés ; il est également dû à des repas faits quand la faim n’existe pas. C’est la gourmandise qui est la cause de toutes les maladies qui ravagent la terre. Celui qui veut prolonger sa vie doit donc pratiquer la sobriété et, de plus, se lever de bonne heure, éviter les veilles, ne pas faire d’excès de femmes, ne pas abuser de la saignée ou des scarifications, et enfin surveiller son ventre. Pour cela, il doit diviser son ventre en trois parties, qu’il remplira l’une de nourriture, l’autre d’eau et la troisième de rien du tout, afin de la laisser libre pour la respiration, et que l’âme puisse s’y loger. Il en sera de même pour l’intestin, dont la longueur est de dix-huit empans. »

Il demanda : « Quels sont les symptômes de l’ictère ? »

Elle répondit : « L’ictère, qui est la jaunisse fébrile, est caractérisé par le teint jaune, l’amertume de la bouche, les vertiges, la fréquence du pouls, les vomissements et le dégoût des femmes. Celui qui en est atteint est sous le coup de graves accidents, tels que les ulcères de l’intestin, la pleurésie, l’hydropisie et les œdèmes, ainsi que la mélancolie à forme grave qui, en affaiblissant le corps, peut provoquer le cancer et la lèpre. »

Il dit : « C’est parfait ! Mais comment divise-t-on la médecine ? »

Elle répondit : « On la divise en deux parties : l’étude des maladies et l’étude des remèdes. »

Il dit : « Je vois que ta science ne laisse rien à désirer. Mais peux-tu me dire quelle est la meilleure eau ? »

Elle répondit : « C’est l’eau pure et fraîche contenue dans un vase poreux frotté de quelque excellent parfum ou simplement parfumé aux vapeurs d’encens. On ne doit la boire que bien après le repas. On évitera ainsi toutes sortes de malaises et on mettra en pratique cette parole du Prophète (sur lui la prière et la paix !) qui a dit : « L’estomac est le réceptacle de toutes les maladies, la constipation la cause de toutes les maladies, et l’hygiène le principe de tous les remèdes. »

Il demanda : « Quel est le mets excellent entre tous ? »

Elle répondit : « C’est celui qui est préparé par la main d’une femme, qui n’a pas coûté trop de préparatifs et qui est mangé d’un cœur content. Le mets appelé « tharid » est certainement le plus délicieux de tous les mets, car le Prophète (sur lui la prière et la paix !) a dit : « Le tharid est de beaucoup le meilleur des mets, comme Aïscha est la plus vertueuse des femmes ! »

Il demanda : « Que penses-tu des fruits ? »

Elle dit : « C’est, avec la viande de mouton, la nourriture la plus saine. Mais il n’en faut plus manger quand la saison est passée. »

Il demanda : « Parle-nous du vin ! »

— À ce moment de sa narration, Schahrazade vit apparaître le matin et se tut discrètement.

MAIS LORSQUE FUT
LA DEUX CENT QUATRE-VINGTIÈME NUIT

Elle dit :

Sympathie répondit : « Comment peux-tu m’interroger sur le vin, alors que le Livre est si explicite à ce sujet ? Malgré ses nombreuses vertus, il est défendu, parce qu’il trouble la raison et échauffe les humeurs. Le vin et le jeu de hasard sont deux choses que le Croyant doit éviter sous peine des pires calamités ! »

Il dit : « Ta réponse est sage. Peux-tu maintenant nous parler de la saignée ? »

Elle répondit : « La saignée est nécessaire à toutes les personnes qui ont trop de sang. On doit la pratiquer à jeun, dans une journée de printemps sans nuages, ni vent, ni pluie. Quand ce jour tombe un mardi, la saignée produit ses meilleurs effets, surtout si ce jour est le dix-septième du mois. En vérité, il n’y a rien qui soit aussi bon que la saignée pour la tête, les yeux et le sang. Mais rien n’est pire que la saignée si on la pratique pendant les grandes chaleurs ou les grands froids, si, en même temps, on mange des choses salées ou acides et que ce soit un mercredi ou un samedi. »

Le savant réfléchit un instant et dit : « Jusqu’ici tu as répondu parfaitement, mais je veux encore te poser une question capitale qui nous démontrera si ton savoir s’étend à toutes les choses essentielles à la vie. Peux-tu donc nous parler clairement de la copulation ? »

Lorsque la jeune fille eut entendu cette question, elle rougit et baissa la tête : ce qui fit croire au khalifat qu’elle était incapable d’y répondre. Mais elle ne tarda pas à relever la tête et, se tournant vers le khalifat, lui dit : « Par Allah, ô émir des Croyants, mon silence ne doit point être attribué à mon ignorance de cette question dont la réponse se trouve sur le bout de ma langue et refuse de sortir de mes lèvres par égard pour notre maître le khalifat ! » Mais il lui dit : « J’aurais un plaisir extrême à entendre cette réponse de ta bouche. Sois donc sans crainte, et parle clairement ! » Alors la docte Sympathie dit :

« La copulation est l’acte qui unit sexuellement l’homme à la femme. C’est une chose excellente, et, nombreuse sont ses bienfaits et ses vertus. La copulation allège le corps et soulage l’esprit, éloigne la mélancolie, tempère la chaleur de la passion, attire l’amour, contente le cœur, console de l’absence, et fait recouvrer le sommeil perdu. Il s’agit là, bien entendu, de la copulation d’un homme avec une femme jeune, mais c’est tout autre chose si la femme est vieille, car alors il n’y a pas de méfait que cet acte ne puisse engendrer. Copuler avec une vieille femme, c’est s’exposer à des maux sans nombre dont, entre autres, le mal des yeux, le mal des reins, le mal des cuisses et le mal du dos. En un mot, c’est affreux ! Il faut donc s’en garer avec soin comme d’un poison sans remède. De préférence il faut choisir pour cet acte une femme experte, qui comprenne d’un coup d’œil, qui parle avec les pieds et les mains et qui dispense son propriétaire d’avoir un jardin et des parterres de fleurs !

« Toute copulation complète est suivie d’humidité. Cette humidité est produite chez la femme par l’émotion que ressentent ses parties honorables, et chez l’homme par le suc que sécrètent ses deux œufs. Ce suc suit un chemin fort compliqué. En effet, l’homme possède une grosse veine qui donne naissance à toutes les autres veines. Le sang qui arrose toutes ces veines, au nombre de trois cent soixante, finit par se canaliser en un tuyau qui aboutit à l’œuf gauche. Dans cet œuf gauche le sang, à force de tourner, finit par se clarifier et se transformer en un liquide blanc qui s’épaissit grâce à la chaleur de l’œuf et dont l’odeur rappelle celle du lait de palmes…

— À ce moment de sa narration, Schahrazade vit apparaître le matin et, discrète, se tut.

MAIS LORSQUE FUT
LA DEUX CENT QUATRE-VINGT-DEUXIÈME NUIT

Elle dit :

« … un liquide blanc qui s’épaissit grâce à la chaleur de l’œuf et dont l’odeur rappelle celle du lait de palmes. »

Le savant s’écria : « Que c’est répondu avec sagacité ! Mais j’ai encore deux questions à te poser, et ce sera tout. Peux-tu me dire quel est l’être vivant qui ne vit qu’emprisonné et qui meurt sitôt qji’il respire l’air libre ? Et quels sont les meilleurs fruits ? »

Elle répondit : « Le premier, c’est le poisson ; et les seconds, sont le cédrat et la grenade ! »

Lorsque le médecin eut entendu toutes ces réponses de la belle Sympathie, il ne put s’empêcher de s’avouer incapable de la prendre en défaut de science, et voulut regagner sa place. Mais Sympathie l’en empêcha d’un signe et lui dit : « Il faut qu’à mon tour je te pose une question :

« Peux-tu me dire, ô savant, quelle est la chose qui est ronde comme la terre et se loge dans un œil, qui tantôt se sépare de cet œil et tantôt y pénètre, qui copule sans organe mâle, qui se sépare de sa compagne durant la nuit pour s’enlacer à elle durant le jour, et qui élit domicile habituellement aux extrémités ? »

À cette question, le savant eut beau se tourmenter l’esprit, il ne sut que répondre, et Sympathie, après lui avoir pris son manteau, sur l’invitation du khalifat, répondit elle-même : « C’est le bouton et la boutonnière ! »

Après quoi, d’entre les vénérables cheikhs un astronome se leva, qui était le plus fameux de tous les astronomes du royaume et que la belle Sympathie regarda en souriant, sûre d’avance qu’il trouverait ses yeux plus embarrassants que toutes les étoiles des cieux.

L’astronome vint donc s’asseoir devant l’adolescente et, après le préambule d’usage, lui demanda :

« D’où se lève le soleil et où va-t-il lorsqu’il disparaît ? »

Elle répondit : « Sache que le soleil se lève des sources de l’orient et disparaît dans les sources de l’occident. Ces sources sont au nombre de cent quatre-vingts. Le soleil est le sultan du jour, comme la lune est la sultane des nuits. Et Allah a dit dans le Livre : « C’est moi qui ai donné au soleil sa lumière et à la lune son éclat et qui leur ai assigné des places ordonnées, afin de vous permettre de connaître le calcul des jours et des années. C’est moi qui ai fixé une limite à la course des astres et défendu à la lune de jamais atteindre le soleil comme à la nuit de dépasser le jour ! De la sorte le jour et la nuit, les ténèbres et la lumière, sans jamais mêler leur essence, s’identifient continuellement ! »

Le savant astronome s’écria : « Quelle réponse merveilleuse de précision ! Mais, ô adolescente, peux-tu nous parler des autres astres et nous dire leurs bonnes ou mauvaises influences ? »

Elle répondit : « Si je devais parler de tous les autres astres, il faudrait y consacrer bien plus d’une séance. Je n’en dirai donc que peu de mots. Outre le soleil et la lune, il y a cinq autres planètes qui sont : Outared [Mercure], El-Zohrat [Vénus], El-Merrikh [Mars] El-Mouschtari [Jupiter] et Zôhal [Saturne].

« La Lune, froide et humide, de bonne influence, a pour séjour le Cancer, pour apogée le Taureau, pour inclinaison le Scorpion, et pour périgée le Capricorne.

« La planète Saturne, froide et sèche, d’influence maligne, a pour séjour le Capricorne et le Verseau, son apogée est la Balance, son inclinaison le Bélier, et son périgée le Capricorne et le Lion.

« Jupiter, d’influence bénigne, est chaud et humide et a pour séjour le Poisson et le Collier, pour apogée le Cancer, pour inclinaison le Capricorne, et pour périgée les Gémeaux et le Lion.

« Vénus, tempérée, d’influence bénigne, a pour séjour le Taureau, pour apogée les Poissons, pour inclinaison la Balance et pour périgée le Bélier et le Scorpion.

« Mercure, d’influence tantôt bénigne tantôt maligne, a pour séjour les Gémeaux, pour apogée la Vierge ; pour inclinaison les Poissons, pour périgée le Taureau.

« Mars enfin, chaud et humide, d’influence maligne, a pour séjour le Bélier, pour apogée le Capricorne, pour inclinaison le Cancer et pour périgée la Balance. »

Lorsque l’astronome eut entendu cette réponse, il admira fort la profondeur des connaissances de la jeune Sympathie. Il voulut pourtant essayer de la troubler par une question plus difficile et lui demanda :

« Ô adolescente, penses-tu que nous aurons de la pluie ce mois-ci ? »

À cette question, la docte Sympathie baissa la tête et réfléchit longuement : ce qui fit supposer au khalifat qu’elle se reconnaissait incapable d’y répondre. Mais bientôt elle releva la tête et dit au khalifat : « Ô émir des Croyants, je ne parlerai guère à moins d’une permission spéciale de dire toute ma pensée ! » Le khalifat, étonné, dit : « Tu as la permission ! » Elle dit : « Alors, ô émir des Croyants, je te prie de me prêter un instant ton sabre pour que je coupe la tête à cet astronome qui n’est qu’un esprit fort et un mécréant ! »

À ces paroles, le khalifat et tous les savants de l’assemblée ne purent s’empêcher de rire. Mais Sympathie continua : « En effet, sache, ô toi l’astronome, qu’il y a cinq choses qu’Allah seul connaît : l’heure de la mort, la tombée de la pluie, le sexe de l’enfant dans le sein de sa mère, les événements du lendemain et l’endroit où chacun devra mourir ! »

L’astronome sourit et lui dit : « Ma question ne t’a été posée que pour t’éprouver. Peux-tu, et ainsi nous ne nous éloignerons point trop du sujet, nous dire l’influence des astres sur les jours de la semaine ? »

Elle répondit : « Le dimanche est le jour consacré au soleil. Quand l’année commence un dimanche, c’est signe que les peuples auront beaucoup à souffrir de la tyrannie et des vexations de leurs sultans, de leurs rois et de leurs gouverneurs, qu’il y aura de la sécheresse, que les lentilles surtout ne pousseront guère, que les raisins tourneront et qu’il y aura des combats féroces entre les rois. Mais en tout cela Allah est encore plus savant !

« Le lundi est jour consacré à la lune. Quand l’année commence par un lundi, c’est de bon augure. Il y aura des pluies abondantes, beaucoup de grain et de raisin ; mais il y aura de la peste, et, en outre, le lin ne poussera pas et le coton sera mauvais ; de plus, la moitié du bétail mourra frappée d’épidémie. Mais Allah est plus savant !

« Le mardi, jour consacré à Mars, peut commencer l’année. Alors les grands et les puissants seront frappés de mort, les grains hausseront de prix, il y aura peu de pluie, peu de poisson, le miel sera à bon compte, les lentilles se vendront pour rien, les grains de lin seront d’un prix très élevé, il y aura une excellente récolte d’orge. Mais beaucoup de sang sera versé, et il y aura une épidémie chez les ânes, dont le prix haussera à l’extrême. Mais Allah est plus savant !

« Le mercredi est le jour de Mercure. Lorsque l’année commence le mercredi, c’est signe de grandes tueries sur mer, de beaucoup de journées d’orage et d’éclairs, de cherté des grains et de prix élevé des radis et des oignons, sans compter une épidémie qui frappera les petits enfants. Mais Allah est plus savant !

» Le jeudi est le jour consacré à Jupiter. Il est, s’il ouvre l’année, l’indice de la concorde entre les peuples, de la justice chez les gouverneurs et les vizirs, de l’intégrité chez les kâdis, et de grands bienfaits sur l’humanité, entre autres choses l’abondance des pluies, des fruits, des grains, du coton, du lin, du miel, du raisin et du poisson. Mais Allah est plus savant !

« Le vendredi est le jour consacré à Vénus. S’il ouvre l’année, c’est signe que la rosée sera abondante, le printemps fort beau, mais il naîtra une quantité énorme d’enfants des deux sexes, et il y aura beaucoup de concombres, de pastèques, de courges, d’aubergines et de tomates, et aussi des topinambours. Mais Allah est plus savant !

« Le samedi enfin est le jour de Saturne. Malheur à l’année qui commence ce jour-là ! Malheur à cette année ! Il y aura une avarice générale du ciel et de la terre, la famine succédera à la guerre, les maladies à la famine, et les habitants de l’Égypte et de la Syrie jetteront les hauts cris sous l’oppression qui les tiendra et la tyrannie des gouverneurs ! Mais Allah est plus savant ! »

Lorsque l’astronome eut entendu cette réponse il s’écria : « Que tout cela est admirablement répondu ! Mais peux-tu nous dire encore le point ou l’étage du ciel où sont suspendues les sept planètes ? »

Sympathie répondit : « Certainement ! La planète Saturne est suspendue exactement au septième ciel ; Jupiter est suspendu au sixième ciel ; Mars au cinquième ; le Soleil au quatrième ; Vénus au troisième ; Mercure au second ; et la Lune au premier ciel ! »

Puis Sympathie ajouta : « À mon tour maintenant de t’interroger…

— À ce moment de sa narration, Schahrazade vit apparaître le matin et, discrète, se tut.

MAIS LORSQUE FUT
LA DEUX CENT QUATRE-VINGT-QUATRIÈME NUIT

Elle dit :

« … À mon tour maintenant de t’interroger ! Quelles sont les trois classes d’étoiles ? »

Le savant eut beau réfléchir et lever les yeux au ciel, il ne put se tirer d’embarras. Alors Sympathie, après lui avoir arraché son manteau, répondit elle-même à sa propre question :

« Les étoiles sont divisées en trois classes suivant leur destination : les unes sont suspendues à la voûte céleste, comme des flambeaux, et servent à éclairer la terre ; les autres sont situées dans l’air, par une suspension invisible, et servent à éclairer les mers ; et les étoiles de la troisième catégorie sont mobiles à volonté entre les doigts d’Allah : on les voit filer pendant la nuit, et elles servent alors à lapider et punir les démons qui veulent enfreindre les ordres du Très-Haut ! »

À ces paroles, l’astronome s’avoua de beaucoup inférieur en connaissances à la belle adolescente et se retira de la salle. Alors, sur l’ordre du khalifat, un philosophe lui succéda qui vint se placer devant Sympathie et lui demanda :

« Peux-tu nous parler de l’infidélité et nous dire si elle naît avec l’homme ? »

Elle répondit : « Là-dessus je veux te répondre par les paroles mêmes de notre Prophète (sur lui la prière et la paix !) qui a dit : « L’infidélité circule parmi les fils d’Adam comme le sang circule dans les veines, aussitôt qu’ils se laissent aller à blasphémer la terre et les fruits de la terre et les heures de la terre. Le plus grand crime est le blasphème contre le temps et le monde : car le temps, c’est Dieu même, et le monde est fait par Dieu ! »

Le philosophe s’écria : « Ces paroles sont sublimes et définitives ! Dis-moi maintenant quelles sont les cinq créatures d’Allah qui ont bu et mangé sans qu’il soit sorti quelque chose soit de leur corps, soit de leur ventre, soit de leur dos ! »

Elle répondit : « Ces cinq créatures sont : Adam, Siméon, le dromadaire de Saleh, le bélier d’Ismaël et l’oiseau que vit le saint Aboubekr dans la caverne ! »

Il lui dit : « Parfait ! Dis-moi encore quelles sont les cinq créatures du paradis qui ne sont ni hommes, ni génies, ni anges ! »

Elle répondit : « Ce sont : le loup de Jacob, le chien des sept dormants, l’âne d’El-Azir, le dromadaire de Saleh et la mule Daldal de notre saint Prophète. (Sur lui la prière et la paix !) »

Il demanda : « Peux-tu me dire quel est l’homme dont la prière ne se faisait ni dans le ciel ni sur la terre ? »

Elle répondit : « C’est Soleïmân, qui faisait sa prière sur un tapis suspendu en l’air, entre le ciel et la terre ! »

Il dit : « Explique-moi le fait suivant : un homme regarde le matin une esclave, et aussitôt il commet une action illicite ; il regarde cette même esclave à midi, et la chose devient licite ; il la regarde dans l’après-midi, et de nouveau la chose devient illicite ; au coucher du soleil il lui est permis de la regarder ; la nuit cela lui est défendu, et au matin il peut parfaitement s’approcher d’elle en toute liberté ! Peux-tu m’expliquer comment des circonstances aussi différentes peuvent se succéder si rapidement en un jour et une nuit ? »

Elle répondit : « L’explication est aisée ! Un homme jette ses regards le matin sur une esclave qui n’est point la sienne, et, d’après le Livre, cela est illicite. Mais à midi il l’achète, et alors il peut tant qu’il veut la regarder et en faire son plaisir ; dans l’après-midi, pour une raison ou une autre, il lui rend la liberté, et aussitôt il n’a plus le droit de jeter les yeux sur elle. Mais, au coucher du soleil, il l’épouse, et tout lui devient licite ; la nuit, il juge à propos de divorcer d’avec elle, et ne peut plus s’en approcher ; mais, le matin, il la reprend pour épouse, après les cérémonies d’usage, et peut alors renouer ses relations avec elle ! »

Le philosophe dit : « C’est juste ! Peux-tu me dire quel est le tombeau qui s’est mis à se mouvoir avec celui qu’il contenait ? »

Elle répondit : « C’est la baleine qui a englouti le prophète Jonas dans son ventre ! »

Il demanda : « Quelle est la vallée que le soleil n’éclaira qu’une seule fois et qu’il n’éclairera jamais plus, jusqu’au jour de la Résurrection ? »

Elle répondit : « C’est la vallée que forma la baguette de Moïse en fendant la mer pour laisser passer son peuple en fuite ! »

Il demanda : « Quelle est la première queue qui ait traîné sur le sol ? »

Elle répondit : « C’est la queue de la robe d’Agar, mère d’Ismaël, quand elle balaya la terre devant Sarah ! »

Il demanda : « Quelle est la chose qui respire sans être animée ? »

Elle répondit : « C’est le matin ! Car il est dit dans le Livre : « Lorsque le matin respire… »

Il dit : « Dis-moi ce que tu peux, concernant le problème que voici : une troupe de pigeons s’abat sur un arbre ; les uns se perchent sur les branches supérieures, et les autres sur les branches du bas. Les pigeons qui occupent la cime de l’arbre disent à ceux du bas : « Si l’un de vous se joint à nous, notre troupe sera double de la vôtre, mais si l’un de nous descend vers vous, vous nous égalerez en nombre. Combien y avait-il de pigeons ? »

Elle répondit : « Il y avait douze pigeons en tout. En effet, il y en avait sept sur la cime de l’arbre et cinq sur les branches du bas. Si l’un des pigeons du bas s’était joint à ceux du haut, le nombre de ces derniers se serait trouvé porté à huit, qui est le double de quatre ; mais si l’un de ceux du haut était descendu vers ceux du bas, ils eussent été six des deux côtés. Mais Allah est plus savant ! »

Lorsque le philosophe eut entendu ces diverses réponses, il craignit que l’adolescente ne l’interrogeât, et, comme il tenait à son manteau, il se hâta de prendre la fuite et de disparaître.

C’est alors que se leva l’homme le plus savant du siècle, le sage Ibrahim ben-Saïar qui vint prendre la place du philosophe et dit à la belle Sympathie : « Je veux croire que d’avance tu t’avoues vaincue, et qu’il est inutile de t’interroger davantage ! »

Elle répondit : « Ô vénérable savant, je te conseille d’envoyer chercher d’autres habits que ceux que tu portes, puisque dans quelques instants je dois te les enlever ! »

Le savant dit : « Nous allons bien voir ! Quelles sont les cinq choses que créa le Très-Haut avant Adam ? »

Elle répondit : « L’eau, la terre, la lumière, les ténèbres et le feu ! »

Il demanda : « Quelles sont les œuvres formées par les mains mêmes de la Toute-Puissance, alors que toutes les autres choses ont été créées par le simple effet de sa volonté ? »

Elle répondit : « Le Trône, l’Arbre du Paradis, l’Éden et Adam ! Oui, ces quatre choses ont été formées par les mains mêmes d’Allah, tandis que pour créer toutes les autres choses. Il dit : « Qu’elles soient ! » et elles furent ! »

Il demanda : « Quel est ton père dans l’Islam et quel est le père de ton père ? »

Elle répondit : « Mon père dans l’Islam est Môhammad (sur lui la prière et la paix !), et le père de Môhammad est Abraham, l’ami d’Allah ! »

« En quoi consiste la foi de l’Islam ? »

« Dans la simple profession de foi : « La ilah ill’Allah, oua Môhammad rassoul Allah ! »

« Quelle est la chose qui a commencé par être en bois et qui a fini par avoir la vie ? »

« C’est la verge que jeta Moïse et qui fut transformée en serpent. C’est cette même verge qui pouvait, suivant les cas, se transformer, une fois enfoncée dans le sol, soit en un arbre fruitier, soit en un grand arbre touffu pour garantir Moïse de l’ardeur du soleil, soit en un chien énorme qui veillait à la garde du troupeau durant la nuit. »

« Peux-tu me dire quelle est la femme qui a été engendrée par un homme, sans avoir été portée dans le sein d’une mère, et quel est l’homme qui fut engendré par une femme sans le concours d’un père ? »

« C’est Ève, qui naquit d’Adam, et c’est Jésus qui naquit de Marie ! »

Le savant continua…

— À ce moment de sa narration, Schahrazade vit apparaître le matin et, discrète, se tut.

MAIS LORSQUE FUT
LA DEUX CENT QUATRE-VINGT-SIXIÈME NUIT

Elle dit :

… Le savant continua : « Parle-moi des diverses sortes de feux ! »

Elle répondit : « Il y a le feu qui mange et qui ne boit pas : c’est le feu du monde ; le feu qui mange et qui boit : c’est le feu de l’enfer ; le feu qui boit et ne mange point : c’est le feu du soleil ; enfin le feu qui ne mange ni ne boit : c’est le feu de la lune ! »

« Quel est le mot de cette énigme : « Lorsque je bois, l’éloquence coule de mes lèvres ; et je marche et je parle sans faire de bruit. Et pourtant, en dépit de ces qualités, je ne suis guère dans les honneurs, pendant ma vie ; et après ma mort on ne me regrette pas davantage ! »

Elle répondit : « C’est la plume ! »

Et le mot de cette autre énigme : « Je suis oiseau, mais n’ai ni chair, ni sang, ni plumes, ni duvet ; on me mange rôti ou bouilli ou tel que je suis, et il est bien difficile de savoir si je suis vivant ou mort ; quant à ma couleur, elle est d’argent et d’or ! »

Elle répondit : « En vérité, c’est trop de mots pour me faire connaître qu’il s’agit simplement d’un œuf. Tâche donc de me demander quelque chose de plus ardu ! »

Il demanda : « Combien de paroles, en tout, Allah a-t-il dit à Moïse ? »

Elle répondit : « Allah a dit exactement à Moïse mille cinq cent quinze mots ! »

Il demanda : « Quelle est l’origine de la création ? »

Elle dit : « Allah a tiré Adam de la boue desséchée ; la boue fut formée avec de l’écume ; l’écume fut tirée de la mer ; la mer, des ténèbres ; les ténèbres, de la lumière ; la lumière, d’un monstre marin ; le monstre marin, d’un rubis ; le rubis, d’un rocher ; le rocher, de l’eau ; et l’eau fut créée par la parole toute-puissante : « Qu’elle soit ! »

Et le mot de cette autre énigme : « Je mange, sans avoir ni bouche ni ventre, et me nourris d’arbres et d’animaux. Les aliments seuls attisent en moi la vie, alors que toute boisson me tue ! »

« C’est le feu ! »

« Et le mot de cette énigme : « Ce sont deux amis qui n’ont jamais éprouvé de jouissance, bien qu’ils passent toutes leurs nuits dans les bras l’un de l’autre. Ce sont eux les gardiens de la maison et ils ne se séparent qu’avec le matin ! »

« Ce sont les deux battants d’une porte ! »

Quelle est la signification de ceci : « Je traîne toujours de longues queues derrière moi ; j’ai une oreille pour ne point entendre, et je fais des habits pour n’en porter jamais ! »

« C’est l’aiguille ! »

« Quelle est la longueur et la largeur du pont Sirat ? »

« La longueur du pont Sirat, sur lequel doivent passer tous les hommes au jour de la Résurrection, est de trois mille ans de chemin, mille pour le monter mille pour traverser son horizontalité et mille pour le descendre. Il est plus aigu que le tranchant d’un glaive et plus mince qu’un cheveu ! »

Il demanda : « Peux-tu maintenant me dire combien de fois le Prophète (sur lui la prière et la paix !) a le droit d’intercéder pour chaque croyant ? »

Elle répondit : « Trois fois, ni plus ni moins ! »

« Quel est le premier qui ait embrassé la foi de l’Islam ? »

« C’est Aboubekr ! »

« Mais alors ne crois-tu pas qu’Ali ait été musulman avant Aboubekr ? »

« Ali, par la grâce du Très-Haut, n’a jamais été idolâtre ; car dès l’âge de sept ans Allah l’a mis dans la voie droite et a éclairé son cœur en le dotant de la foi de Môhammad (sur lui la prière et la paix !)

« Oui ! mais je voudrais bien savoir qui des deux est le plus grand en mérites, à tes yeux, Ali ou Abbas ? »

À cette question fort insidieuse, Sympathie s’aperçut que le savant cherchait à tirer d’elle une réponse compromettante ; car, en accordant la prééminence à Ali, gendre du Prophète, elle déplairait au khalifat qui était le descendant d’Abbas, oncle de Môhammad. (Sur lui la prière et la paix !) Elle se mit d’abord à rougir, puis à pâlir, et, après un instant de réflexion, elle répondit :

« Sache, ô Ibrahim, qu’il n’y a aucune prééminence entre deux qui ont chacun un mérite excellent ! »

Lorsque le khalifat eut entendu cette réponse, il fut à la limite de l’enthousiasme et, se levant debout sur ses deux pieds, s’écria : « Par le Seigneur de la Kâaba ! quelle réponse admirable, ô Sympathie ! »

Mais le savant continua : « Peux-tu me dire de quoi il s’agit dans cette énigme : « Elle est svelte et tendre et de goût délicieux ; elle est droite comme la lance, mais n’a point de fer aigu ; elle est utile dans sa douceur, et se mange volontiers le soir, au mois de Ramadan ! »

Elle répondit : « C’est la canne à sucre ! »

Il dit : « J’ai encore quelques questions à t’adresser, et vais le faire rapidement. Peux-tu donc me dire, sans trop de mots : Qui est plus doux que le miel ? Qui est plus tranchant que le glaive ? Qui est plus rapide dans ses effets que le poison ? Quelle est la jouissance d’un instant ? Quel est le bonheur qui dure trois jours ? Quel est le jour le plus heureux ? Quelle est la joie d’une semaine ? Quelle est la dette que même le méchant ne peut s’empêcher de payer ? Quel est le supplice qui nous suit jusqu’au tombeau ? Quelle est la joie du cœur ? Quelle est la souffrance de l’esprit ? Quelle est la désolation de la vie ? Quel est le mal qui n’a point de remède ? Quelle est la honte qui ne peut s’effacer ? Quel est l’animal qui vit dans les endroits déserts et habite loin des villes, qui fuit l’homme, et qui réunit la forme et la nature de sept bêtes ? »

Elle répondit : « Avant de parler, je veux auparavant que tu me livres ton manteau ! »

Alors le khalifat Haroun Al-Rachid dit à Sympathie : « Tu as certainement raison. Mais peut-être vaudrait-il mieux, eu égard à son âge, que tu répondisses d’abord à ses questions ? »

Elle dit : « L’amour des enfants est plus doux que le miel ! La langue est plus tranchante que le glaive ! Le mauvais œil est plus rapide que le poison ! La jouissance de l’amour ne dure qu’un instant ! Le bonheur de trois jours est celui qu’éprouve le mari lors des époques mensuelles de son épouse, puisqu’il prend du repos ! Le jour le plus heureux est celui du gain dans une affaire ! La joie qui dure une semaine est celle de la noce ! La dette que toute personne doit payer, c’est la mort ! La mauvaise conduite des enfants est la peine qui nous suit jusqu’au tombeau ! La joie du cœur, c’est la femme soumise à son époux ! La souffrance de l’esprit, c’est un mauvais serviteur ! La pauvreté est la désolation de la vie. Le mauvais caractère est le mal sans remède ! La honte ineffaçable, c’est le déshonneur d’une fille. Quant à l’animal qui vit dans les endroits déserts et déteste l’homme, c’est la sauterelle, car elle réunit la forme et la nature de sept bêtes : elle a, en effet, la tête du cheval, le cou du taureau, les ailes de l’aigle, les pieds du chameau, la queue du serpent, le ventre du scorpion et les cornes de la gazelle ! »

Devant tant de sagacité et tant de savoir, le khalifat Haroun Al-Rachid fut édifié à l’extrême et ordonna au savant Ibrahim ben-Saïar de donner son manteau à l’adolescente. Le savant, après avoir livré son manteau, leva sa main droite et témoigna publiquement que l’adolescente l’avait dépassé en connaissances et qu’elle était la merveille du siècle.

Alors le khalifat demanda à Sympathie : « Sais-tu jouer des instruments d’harmonie et chanter en les accompagnant ? » Elle répondit : « Mais certainement ! » Aussitôt il fit apporter un luth dans un étui de satin rouge terminé par un gland de soie jaune et fermé avec une agrafe d’or. Sympathie tira le luth de l’étui, et y trouva ces vers gravés tout autour en caractères entrelacés et fleuris :

« J’étais encore un rameau vert et déjà les oiseaux amoureux m’apprenaient les chansons !

« Maintenant, sur les genoux des jeunes filles, je résonne sous les doigts et chante comme les oiseaux ! »

Alors elle l’appuya contre elle, se pencha comme une mère sur son nourrisson, en tira des accords sur douze modes différents et, au milieu du ravissement général, elle chanta d’une voix qui résonna dans tous les cœurs et arracha des larmes émues de tous les yeux.

Quand elle eut fini, le khalifat se leva debout sur ses deux pieds et s’écria : « Qu’Allah augmente en toi ses dons, ô Sympathie, et qu’il ait en sa miséricorde ceux qui ont été tes maîtres et ceux qui t’ont donné le jour ! » Et, séance tenante, il fit compter dix mille dinars d’or, en cent sacs, à Aboul-Hassan, et dit à Sympathie : « Dis-moi, ô merveilleuse adolescente, préfères-tu entrer dans mon harem et avoir un palais et un train de maison à toi seule, ou bien retourner avec ce jeune homme, ton ancien maître ? »

À ces paroles, Sympathie embrassa la terre entre les mains du khalifat…

— À ce moment de sa narration, Schahrazade vit apparaître le matin et, discrète, se tut.

MAIS LORSQUE FUT
LA DEUX CENT QUATRE-VINGT-SEPTIÈME NUIT

Elle dit :

… Sympathie embrassa la terre entre les mains du khalifat et répondit : « Qu’Allah répande ses grâces sur notre maître le khalifat ! Mais son esclave souhaite retourner dans la maison de son ancien maître ! »

Le khalifat, loin de se montrer offensé de cette préférence, acquiesça immédiatement à sa demande, lui fit verser, en cadeau, cinq autres mille dinars, et lui dit : « Puisses-tu âtre aussi experte en amour que tu l’es en connaissances spirituelles ! » Puis il voulut encore mettre le comble à sa magnificence en nommant Aboul-Hassan à un haut emploi au palais ; et il l’admit au nombre de ses favoris les plus intimes. Puis il leva la séance.

Alors Sympathie, lourde des manteaux des savants, et Aboul-Hassan, chargé des sacs remplis des dinars d’or, sortirent tous deux de la salle, suivis par tous ceux de l’assemblée qui, tout en s’émerveillant de ce qu’ils venaient de voir et d’entendre, levaient les bras et s’écriaient : « Où y a-t-il dans le monde une générosité pareille à celle des descendants d’Abbas ? »


— Telles sont, ô Roi fortuné, continua Schahrazade, les paroles que la docte Sympathie dit au milieu de l’assemblée des savants et qui, transmises par les annales du règne, servent depuis à faire l’instruction de toute femme musulmane. »

Puis Schahrazade, voyant que le roi Schahriar fronçait déjà les sourcils et réfléchissait d’une façon inquiétante, se hâta d’aborder les Aventures du Poète Abou-Nowas, et commença tout de suite le récit, tandis que la petite Doniazade, à moitié somnolente, se réveillait soudain en sursaut, en entendant prononcer le nom d’Abou-Nowas, et s’apprêtait, les yeux élargis d’attente, à écouter de toutes ses oreilles.