Le Livre des mille nuits et une nuit/Tome 05/Histoire de Bel-Heureux

Anonyme
Traduction par Joseph-Charles Mardrus.
Éditions de la Revue Blanche (Tome 5p. 151-198).


HISTOIRE DE BEL-HEUREUX ET
DE BELLE-HEUREUSE

On raconte — mais Allah est plus savant — qu’il y avait dans la ville de Koufa un homme qui comptait parmi les habitants les plus riches et les plus considérables et s’appelait Printemps.

Dès la première année de son mariage, le marchand Printemps sentit descendre sur sa maison la bénédiction du Très-Haut par la naissance d’un fils fort beau qui vint au monde en souriant. Aussi l’enfant fut-il nommé Bel-Heureux.

Le septième jour après la naissance de son fils, le marchand Printemps alla au souk des esclaves pour acheter une servante à son épouse. Arrivé au milieu de la place centrale, il jeta un regard circulaire sur les femmes et les jeunes garçons que l’on proposait à la vente, et il vit au milieu de l’un des groupes une esclave à la figure fort douce qui portait sur son dos, serrée dans la large ceinture, sa fillette endormie.

Le marchand Printemps alors pensa : « Allah est généreux ! » et il s’avança vers le courtier et lui demanda : « Combien cette esclave avec sa fillette ? » Le courtier répondit : « Cinquante dinars, ni plus ni moins ! » Printemps dit : « J’achète ! Écris le contrat, et prends l’argent. » Puis, cette formalité remplie à l’heure même, le marchand Printemps dit doucement à la jeune femme : « Suis-moi, ma fille. » Et il la conduisit à sa maison.

Lorsque la fille de son oncle vit arriver Printemps avec l’esclave, elle lui demanda : « Ô fils de l’oncle, pourquoi cette dépense vraiment inutile ; car moi, à peine relevée de mes couches, je pourrai toujours tenir ta maison comme avant ! » Le marchand Printemps répondit avec aménité : « Ô fille de l’oncle, j’ai acheté cette esclave à cause de la fillette qu’elle porte sur le dos, et que nous élèverons avec notre enfant Bel-Heureux. Et sache bien qu’à en juger parce que j’ai vu de ses traits, cette petite fille en grandissant n’aura pas son égale en beauté dans tous les pays de l’Irak, de la Perse et de l’Arabie !»

Alors l’épouse de Printemps se tourna vers l’esclave et lui demanda avec bonté : « Comment t’appelles-tu ? » Elle répondit : « On me nomme Prospérité, ô ma maîtresse ! » L’épouse du marchand fut très heureuse de ce nom et dit : « Il te sied, par Allah ! Et comment s’appelle ta fille ? » Elle répondit : « Fortune. » Alors l’épouse de Printemps, à la limite de la joie, dit : « Puisses-tu dire vrai ! Et qu’Allah, avec ta venue, fasse durer la fortune et la prospérité sur ceux qui t’ont achetée, ô figure blanche ! »

Après quoi, elle se tourna vers son époux Printemps et lui demanda : « Puisqu’il est d’usage pour les maîtres de donner un nom aux esclaves achetés, comment penses-tu appeler la petite fille ? » Printemps répondit : « À toi la préférence. » Elle répondit : « Nommons-la Belle-Heureuse ! » Printemps répondit : « Mais certainement. Je ne trouve à la chose aucun inconvénient. »

Et l’enfant, de la sorte, fut appelée Belle-Heureuse, et fut élevée avec Bel-Heureux, exactement sur le même pied. Et tous deux grandirent ensemble en augmentant tous les jours en beauté ; et Bel-Heureux appelait la fille de l’esclave : « ma sœur », et elle l’appelait : « mon frère ».

Lorsque Bel-Heureux eut atteint l’âge de cinq ans, on songea à célébrer sa circoncision. On attendit pour cela la fête de la naissance du Prophète (sur lui la prière et le salut !) afin de donner à ce rite précieux toute la manifestation de beauté qu’il comporte. Solennellement donc on fit la circoncision à Bel-Heureux qui, au lieu de pleurer, ne fut pas loin de trouver à la chose de l’agrément et qui, comme d’ailleurs en toute circonstance, souriait gentiment. Alors le cortège se forma nombreux et imposant, composé de tous les parents, amis et connaissances de Printemps et de la fille de son oncle ; puis, bannières et clarinettes en tête, il traversa toutes les rues de Koufa, et Bel-Heureux était juché sur un palanquin rouge porté par une mule richement caparaçonnée de brocart, et à ses côtés était assise la petite Belle-Heureuse qui l’éventait avec un mouchoir de soie. Derrière le palanquin suivaient les amies, les voisines et les enfants qui charmaient l’air de leurs « lu-lu-lu » de joie, cependant que le digne Printemps, dilaté à l’extrême, conduisait par la bride la mule importante et docile.

Lorsqu’on fut revenu à la maison, les invités vinrent, l’un après l’autre, faire leurs souhaits au marchand Printemps, avant de se retirer, disant : « Que la bénédiction te visite et la joie ! Puisses-tu jouir durant une longue vie de l’abondance des joies de l’âme…

— À ce moment de sa narration, Schahrazade vit apparaître le matin et se tut discrètement.

MAIS LORSQUE FUT
LA DEUX CENT TRENTE-HUITIÈME NUIT

Elle dit :

« … Puisses-tu jouir durant une longue vie de l’abondance des joies de l’âme ! »

Puis les années s’écoulèrent dans le bonheur, elles deux enfants atteignirent l’âge de douze ans.

Alors Printemps alla trouver son fils Bel-Heureux qui jouait au mari avec Belle-Heureuse et le prit à part et lui dit : « Voici, ô mon enfant, que tu viens d’avoir l’âge de douze ans, grâce à la bénédiction d’Allah ! Aussi, dès ce jour, il ne faut plus appeler Belle-Heureuse ta sœur, car je dois maintenant te dire que Belle-Heureuse est la fille de notre esclave Prospérité, bien que nous l’ayons fait élever avec toi dans le même berceau et que nous la traitions comme notre fille. De plus, il faut désormais qu’elle se couvre le visage du voile, car ta mère m’a dit que Belle-Heureuse a atteint, la semaine dernière, l’époque de sa nubilité. Aussi ta mère va-t-elle s’employer à lui trouver un époux qui deviendra pour nous un esclave dévoué. »

À ces paroles, Bel-Heureux dit à son père : « Du moment que Belle-Heureuse n’est pas ma sœur, je veux moi-même la prendre pour épouse ! » Printemps répondit : « Il faut demander la permission à ta mère. »

Alors Bel-Heureux alla trouver sa mère, et lui baisa la main et la porta à son front ; puis il lui dit : « Je désire prendre Belle-Heureuse, la fille de notre esclave Prospérité, pour épouse secrète. » Et la mère de Bel-Heureux répondit : « Belle-Heureuse t’appartient, mon enfant ! Car ton père l’avait achetée à ton nom. »

Aussitôt Bel-Heureux, fils de Printemps, courut trouver son ancienne sœur et la prit par la main et l’aima et elle l’aima, et, le soir même, ils dormirent ensemble en époux heureux.

Puis, cet état de choses ne cessant point, ils vécurent tous deux à la limite du bonheur durant encore cinq années bénies. Aussi, dans toute la ville de Koufa, il n’y avait pas d’adolescente plus belle ou plus douce ou plus délicieuse que la jeune épouse du fils de Printemps. Il n’y en avait pas non plus d’aussi instruite ou d’aussi savante. En effet, Belle-Heureuse avait consacré ses loisirs à apprendre le Koran, les sciences, la belle écriture koufique et l’écriture courante, les belles-lettres et la poésie, le jeu des instruments à cordes et à percussion. Et elle était devenue tellement habile dans l’art du chant, qu’elle savait plus de quinze modes différents de chanter et qu’elle pouvait sur un seul mot du premier vers d’une chanson prolonger pendant plusieurs heures, et même toute une nuit, des variations infinies qui ravissaient par leurs rythmes et leurs tremblements.

Aussi que de fois Bel-Heureux et son esclave Belle-Heureuse ne venaient-ils pas, aux heures chaudes, s’asseoir dans leur jardin, sur le marbre nu autour du bassin, où la fraîcheur de l’eau et de la pierre les pénétrait de délices. Là ils mangeaient des pastèques exquises à la chair fondante et légère, et des amandes et des noisettes et des grains torréfiés et salés et bien d’autres choses admirables. Et ils s’interrompaient pour respirer des roses ou des jasmins ou pour se réciter des poèmes charmants. Et c’est alors que Bel-Heureux priait son esclave de préluder ; et Belle-Heureuse prenait sa guitare aux cordes doubles dont elle savait tirer des sons à nuls autres pareils. Et tous deux chantaient des couplets alternés dont ceux-ci entre mille merveilles :

— Il pleut des fleurs et des oiseaux, adolescente ! Allons avec le vent vers la chaude Baghdad aux dômes roses !

— Non, mon émir ! Restons encore dans le jardin sous le flamboiement des palmes d’or et, les mains à la nuque, ô délice ! rêvons…

— Viens, adolescente ! Il pleut des diamants sur les feuilles bleues et la courbe des rameaux est belle sur l’azur. Lève-toi, ô légère, et secoue les gouttes furtives qui pleurent dans tes cheveux !

— Non, mon émir ! Assieds-toi là, et pose ta tête sur mes genoux. Dans mes robes enivre-toi de tout le parfum de mes seins fleuris… puis entends la douce brise qui chante ya leil !

D’autres fois les deux adolescents modulaient des vers comme ceux-ci, en s’accompagnant sur le daff seulement :

« — Je suis heureuse et légère comme une danseuse légère !

« Ralentissez vos trilles, ô lèvres sur les flûtes ; guitares sous les doigts, arrêtez-vous, pour écouter la chanson des palmiers.

« Debout sont les palmiers, comme des jeunes filles ; en sourdine ils murmurent dans la nuit claire ; et le remous de leurs chevelures mélodieuses répond à la brise musicienne.

« Ah ! je suis heureuse et légère comme une danseuse légère !

« — Épouse de pure création, ô parfumée ! aux notes de ta voix les pierres s’élèvent en dansant et viennent en ordre bâtir un édifice harmonieux.

« Que Celui qui créa la beauté de l’amour nous accorde le bonheur, épouse de pure création, ô parfumée !

« — Ô ! noir de mon œil, pour toi je vais bleuir mes paupières avec la baguette de cristal, et macérer mes mains dans la pâte du henné.

« Mes doigts te sembleront ainsi des fruits de jujubier, ou, si tu les aimes mieux, des dattes fines.

« Puis, sur l’encens délicat, je parfumerai mes seins, mon ventre et tout mon corps, afin que ma peau dans ta bouche fonde avec suavité, ô ! noir de mon œil !

Et c’est ainsi que le fils de Printemps et que la fille de Prospérité coulaient leurs soirs et leurs matins dans une vie abritée et délectable…

— À ce moment de sa narration, Schahrazade vit apparaître le matin et, discrète comme elle était, se tut.

MAIS LORSQUE FUT
LA DEUX CENT TRENTE-NEUVIÈME NUIT

Elle dit :

… dans une vie abritée et délectable.

Mais hélas ! ce qui est tracé sur le front de l’homme par les doigts d’Allah, la main de l’homme ne saurait l’effacer ; et la créature aurait des ailes qu’elle ne saurait échapper à son destin.

C’est pour cela que Bel-Heureux et Belle-Heureuse eurent à éprouver pendant un certain temps les vicissitudes du sort. Mais tout de même la bénédiction native qu’ils avaient apportée avec eux sur la terre devait les sauvegarder du malheur sans recours.

En effet, le gouverneur de la ville de Koufa au nom du khalifat avait entendu parler de la beauté de Belle-Heureuse, épouse du fils de Printemps le marchand. Et il se dit en son âme : « Il me faut absolument trouver le moyen d’enlever cette Belle-Heureuse dont on me vante les perfections et l’art dans le chant ! Ce sera un magnifique cadeau à faire à mon maître l’émir des Croyants, Abd El-Malek ben-Merouân ! »

Un jour donc le gouverneur de Koufa résolut de mettre son projet à exécution ; et, dans ce but, il fit mander près de lui une vieille femme fort rouée qui était chargée, en temps ordinaire, du recrutement et de l’instruction spéciale des jeunes esclaves. Et il lui dit : « Je te demande d’aller à la maison du marchand Printemps et de faire la connaissance de l’esclave de son fils, l’adolescente nommée Belle-Heureuse, que l’on dit si versée dans l’art du chant et si belle ! Et il faut, d’une façon ou d’une autre, que tu me l’amènes ici, car je veux l’envoyer en cadeau au khalifat Abd El-Malek. » Et la vieille répondit : « J’écoute et j’obéis ! » et s’en alla aussitôt se préparer dans ce but.

Le matin, à la première heure, elle se vêtit de bure et se passa au cou un énorme chapelet aux grains par milliers, attacha une gourde à sa ceinture, prit à la main une béquille et se dirigea à pas fatigués vers la maison de Printemps en s’arrêtant de temps à autre pour soupirer avec componction : « Louange à Allah ! Il n’y a d’autre Dieu qu’Allah ! Il n’y a de recours qu’en Allah ! Allah est le plus grand ! » Et elle ne cessa de se comporter de la sorte tout le long du chemin, à la grande édification des passants, jusqu’à ce qu’elle fût arrivée à la porte de la demeure de Printemps. Elle heurta à la porte en disant : « Allah est généreux ! Ô Donateur ! Ô Bienfaiteur ! »

Alors vint lui ouvrir le portier, qui était un vieillard respectable, serviteur ancien de Printemps. Il vit la vieille dévote et, l’ayant examinée, il ne lui trouva pas une figure empreinte de piété, au contraire ! Et de son côté il déplut fort à la vieille, qui lui jeta un regard de travers. Et le portier sentit d’instinct ce regard, et d’instinct, pour conjurer le mauvais œil, il formula mentalement : « Mes cinq doigts gauches dans ton œil droit, et mes cinq autres doigts dans ton œil gauche ! » Puis, à haute voix, il lui demanda : « Que veux-tu, ma vieille tante ? » Elle répondit : « Je suis une pauvre vieille dont le seul souci est la prière. Or, comme je vois que l’heure de la prière approche, je voudrais entrer dans cette demeure pour faire mes dévotions en ce jour saint ! » Le bon portier se rebiffa et lui dit d’un ton brusque : « Marche ! ce n’est point ici une mosquée ni un oratoire ; car c’est la maison du marchand Printemps et de son fils Bel-Heureux ! » La vieille répondit : « Je le sais bien ! Mais y a-t-il mosquée ou oratoire plus digne de la prière que la demeure bénie de Printemps et de son fils Bel-Heureux ? Sache aussi, ô toi, portier à la figure sèche, que je suis une femme connue à Damas, dans le palais de l’émir des Croyants. Et j’en suis partie pour visiter les lieux saints et prier dans tous les endroits dignes de vénération. » Mais le portier répondit : « Je veux bien que tu sois une dévote, mais ce n’est point une raison pour entrer ici. Continue ta marche en l’état de ta voie ! » Mais la vieille tint bon et insista si longtemps que le bruit de sa voix parvint aux oreilles de Bel-Heureux, qui sortit pour se rendre compte de la cause de cette altercation et entendit la vieille qui disait au portier : « Comment peut-on empêcher une femme de ma condition d’entrer dans la maison de Bel-Heureux fils de Printemps, alors que les portes les plus fermées des émirs et des grands me sont toujours larges ouvertes ? »

En entendant ces paroles, Bel-Heureux sourit, selon son habitude, et pria la vieille d’entrer. Alors la vieille le suivit et arriva avec lui dans l’appartement de Belle-Heureuse. Elle lui souhaita la paix de la façon la plus sentie, et, d’un coup d’œil, elle fut stupéfaite de sa beauté.

Lorsque Belle-Heureuse vit entrer la sainte vieille, elle se hâta de se lever en son honneur et lui rendit son salam avec respect et lui dit : « Que ta venue nous soit de bon augure, ma bonne mère ! Daigne te reposer. » Mais elle répondit : « L’heure de la prière vient d’être annoncée, ma fille. Laisse-moi prier ! » Et elle se tourna aussitôt dans la direction de la Mecque, et se mit à genoux dans l’attitude de la prière. Et elle resta ainsi jusqu’au soir, sans bouger, et personne n’osait la déranger dans une fonction si auguste. Et d’ailleurs elle-même était tellement enfoncée dans l’extase, qu’elle ne prêtait aucune attention à ce qui se passait autour d’elle.

À la fin, Belle-Heureuse s’enhardit un peu et s’approcha timidement de la sainte et lui dit d’une voix douce et respectueuse : « Ma mère, repose tes genoux, ne fût-ce qu’une heure seulement ! » La vieille répondit : « Celui qui ne fatigue pas son corps en ce monde ne peut aspirer au repos réservé aux purs et aux élus dans le futur ! » Belle-Heureuse, édifiée à l’extrême, reprit : « De grâce ! ô notre mère, honore notre table de ta présence, et consens à partager avec nous le pain et le sel. » Elle répondit : « J’ai fait vœu de jeûner, ma fille. Je ne puis manquer à mon vœu. Ne te préoccupe donc plus de moi et va rejoindre ton époux. Vous autres, qui êtes jeunes et beaux, mangez et buvez et soyez heureux… »

— À ce moment de sa narration, Schahrazade vit apparaître le matin et, discrète, se tut.

MAIS LORSQUE FUT
LA DEUX CENT QUARANTIÈME NUIT

Elle dit :

« … Vous autres, qui êtes jeunes et beaux, mangez, buvez et soyez heureux ! »

Alors Belle-Heureuse alla trouver son maître et lui dit : « Ô mon maître, je t’en prie, va conjurer cette sainte d’élire domicile désormais dans notre demeure, car son visage macéré dans la piété illuminera notre maison ! » Bel-Heureux répondit : « Sois tranquille. Je lui ai déjà fait préparer dans une chambre à elle une natte neuve et un matelas, ainsi qu’une aiguière et une cuvette. Et personne ne la dérangera. »

Quant à la vieille, elle passa toute la nuit à prier et à lire à voix haute le Koran. Puis, au lever du jour, elle se lava et alla trouver Bel-Heureux et son amie et leur dit : « Je viens prendre congé de vous autres. Qu’Allah vous ait sous sa garde ! » Mais Belle-Heureuse lui dit : « Ô notre mère, comment peux-tu nous quitter avec si peu de regret, alors que nous deux nous nous réjouissions déjà de voir notre maison pour toujours bénie par ta présence, et que nous t’avions préparé la meilleure chambre pour que tu fasses tes dévotions sans être dérangée ? » La vieille répondit : « Qu’Allah vous conserve tous deux et fasse durer sur vous ses bienfaits et ses grâces ! Du moment que la charité musulmane tient dans votre cœur une place de choix, je suis heureuse d’être abritée par votre hospitalité. Seulement je vous prierais d’avertir votre portier, qui a une figure si sèche et si peu avenante, de ne plus s’opposer à me laisser entrer ici à l’heure où je pourrais ! Je vais de ce pas visiter les lieux saints de Koufa, où je ferai des vœux à Allah pour qu’il vous rétribue selon vos mérites ; puis je reviendrai me dulcifier à votre hospitalité ! » Puis elle les quitta, alors que tous deux lui prenaient les mains et les portaient à leurs lèvres et à leur front.

Ah ! pauvre Belle-Heureuse si tu savais le motif pour lequel cette vieille de poix entrait ainsi dans ta maison, et les noirs desseins qu’elle ruminait contre ton bonheur et ta tranquillité ! Mais quelle est la créature qui peut deviner le caché et dévoiler l’avenir ?

La vieille maudite sortit donc et se dirigea vers le palais du gouverneur, et se présenta devant lui aussitôt. Alors il lui demanda : « Eh bien ! qu’as-tu fait, ô débrouilleuse des toiles d’araignée, ô subtile et sublime rouée ? » La vieille dit : « Quoi que je fasse, ô mon maître, je ne suis que ton élève et la protégée de tes regards. Voici. J’ai vu l’adolescente Belle-Heureuse, l’esclave du fils de Printemps. Le ventre de la fécondité n’a jamais modelé pareille beauté ! » Le gouverneur s’écria : « Ya Allah ! » La vieille continua : « Elle est pétrie de délices. Elle est un ruissellement continu de douceurs et de charmes ingénus ! » Le gouverneur s’écria : « Ô mon œil ! ô battement de mon cœur ! » La vieille reprit : « Que dirais-tu alors si tu entendais le timbre de sa voix plus fraîche que le bruit de l’eau sous une voûte sonore ! Que ferais-tu si tu voyais ses yeux d’antilope et leurs regards modestes ? » Il s’écria : « Je ne pourrais qu’admirer de toute mon admiration, car, je te le répète, je la destine à notre maître le khalifat. Hâte-toi donc dans la réussite ! » Elle dit : « Je te demande pour cela un délai d’un mois entier. » Et le gouverneur répondit : « Prends ce délai, mais que ce soit avec résultat ! Et chez moi tu trouveras une générosité dont tu seras satisfaite. Voici, pour commencer, mille dinars comme arrhes de ma bonne volonté ! »

Et la vieille serra les mille dinars dans sa ceinture et commença, dès ce jour, à visiter régulièrement Bel-Heureux et Belle-Heureuse dans leur demeure, et de leur côté ils lui montraient de jour en jour plus d’égards et de considération.

Or, cet état ne cessant point, la vieille devint la conseillère inséparable du logis. Elle dit donc un jour à Belle-Heureuse : « Ma fille, la fécondité n’a pas encore visité tes jeunes flancs. Veux-tu venir avec moi demander la bénédiction des saints ascètes, des cheikhs aimés d’Allah, des santons et des oualis qui sont en communication avec le Très-Haut ? Ces oualis, ma fille, me sont connus, et je sais le pouvoir immense qu’ils ont de faire des miracles et d’accomplir les choses les plus prodigieuses au nom d’Allah. Ils guérissent les aveugles et les infirmes, ressuscitent les morts, nagent dans l’air, marchent sur l’eau. Quant à la fécondation des femmes, c’est là le moindre des privilèges qu’Allah leur a accordés ! Et tu obtiendras ce résultat rien qu’en touchant le pan de leur robe ou en baisant les grains de leur chapelet ! »

À ces paroles de la vieille, Belle-Heureuse sentit en son âme s’agiter le désir de la fécondité, et dit à la vieille : « Il faut que je demande à mon maître Bel-Heureux la permission de sortir. Attendons son retour. » Mais la vieille répondit : « Avise seulement ta belle-mère, cela suffira. » Alors la jeune femme alla trouver sa belle-mère, la mère de Bel-Heureux, et lui dit : « Je te supplie par Allah, ô ma maîtresse, de m’accorder la permission de sortir avec cette sainte vieille pour aller visiter les oualis, amis d’Allah, et leur demander leur bénédiction dans leur demeure sainte. Et je te promets d’être de retour ici avant l’arrivée de mon maître Bel-Heureux. » Alors l’épouse de Printemps répondit : « Ma fille, songe à la peine de ton maître s’il rentrait et ne te trouvait pas ! Il me dirait : « Comment Belle-Heureuse a-t-elle pu sortir ainsi sans ma permission ? C’est la première fois que cela lui arrive ! »

À ce moment, la vieille intervint et dit à la mère de Bel-Heureux : « Par Allah ! nous ferons un tour rapide dans les lieux saints, et je ne la laisserai même pas s’asseoir se reposer, et je la ramènerai sans retard. » Alors la mère de Bel-Heureux consentit à la chose, mais tout de même en soupirant.

La vieille emmena donc Belle-Heureuse et la conduisit directement à un pavillon isolé, dans le jardin du palais, l’y laissa un instant seule, et courut prévenir de son arrivée le gouverneur qui se rendit aussitôt au pavillon…

— À ce moment de sa narration, Schahrazade vit apparaître le matin et, discrète, se tut.

MAIS LORSQUE FUT
LA DEUX CENT QUARANTE-UNIÈME NUIT

Elle dit :

… le gouverneur qui se rendit aussitôt au pavillon et resta interdit au seuil, tant il avait été ébloui par cette beauté.

Lorsque Belle-Heureuse vit entrer cet homme étranger, elle se hâta de se voiler le visage, et soudain elle éclata en sanglots ; et chercha des yeux une issue pour s’enfuir, mais en vain.

Alors, comme la vieille ne reparaissait point, Belle-Heureuse ne douta plus de la trahison de la maudite et se remémora certaines paroles que le bon portier lui avait dites au sujet des yeux pleins d’artifices de cette sainte.

Quant au gouverneur, une fois assuré que Belle-Heureuse était celle-là même qu’il voyait devant lui, il ressortit en fermant la porte, et alla donner quelques ordres rapides ; il écrivit une lettre au khalifat Abd El-Malek ben-Merouân, et confia la lettre et l’adolescente au chef de ses gardes en lui ordonnant de se mettre immédiatement en route pour Damas.

Alors le chef des gardes emmena de force Belle-Heureuse, la plaça sur un dromadaire rapide, se mit lui-même devant elle et, suivi de quelques esclaves, il partit en toute hâte vers Damas.

Quant à Belle-Heureuse, durant toute la route, elle se cacha la tête dans son voile et sanglota en silence, indifférente aux arrêts, aux secousses, aux haltes et aux départs. Et le chef des gardes ne put tirer d’elle un mot ni un signe, et cela jusqu’à l’arrivée à Damas.

Aussi, sans tarder, il se dirigea vers le palais de l’émir des Croyants, remit l’esclave et la lettre au chef des chambellans, prit la réponse d’agrément, et s’en retourna à Koufa comme il était venu.

Le lendemain, le khalifat entra dans le harem et apprit à son épouse et à sa sœur l’arrivée de la nouvelle esclave, en leur disant : « Le gouverneur de Koufa vient de m’envoyer en cadeau une jeune esclave ; et il m’écrit pour me dire que cette esclave, achetée par lui, est une fille de roi enlevée dans son pays par les marchands d’esclaves. » Et son épouse lui répondit : « Qu’Allah augmente ta joie et ses bienfaits ! » Et la sœur du khalifat demanda : « Comment s’appelle-t-elle ? Est-elle brune ou blanche ? » Le khalifat répondit : « Je ne l’ai pas encore vue. »

Alors la sœur du khalifat, dont le nom était Sett Zahia, s’informa de l’appartement où était l’adolescente, et alla aussitôt la voir. Elle la trouva courbée en deux, le visage brûlé par le soleil et tout en larmes : et elle était presque sans connaissance.

À cette vue, Sett Zahia, dont le cœur était tendre, fut prise de compassion et s’approcha de l’adolescente et lui demanda : « Pourquoi pleures-tu, ma sœur ? Ne sais-tu qu’ici tu es désormais en sûreté, et que la vie te sera légère et sans soucis ? Où peux-tu mieux tomber que dans le palais de l’émir des Croyants ? » À ces paroles, la fille de Prospérité leva des yeux surpris et demanda : « Mais, ô ma maîtresse, en quelle ville suis-je donc, puisque c’est ici le palais de l’émir des Croyants ? » Sett Zahia répondit : « Dans la ville de Damas. Comment ! tu ne le savais donc pas ? Et le marchand qui t’a vendue ne t’a-t-il pas avisée que c’était pour le compte du khalifat Abd El-Malek ben-Merouân ? Mais oui, ma sœur, tu es ici désormais la propriété de l’émir des Croyants, dont je suis la sœur. Sèche donc tes larmes et dis-moi ton nom. »

À ces paroles, la jeune femme ne put plus retenir les sanglots qui l’étouffaient, et murmura : « Ô ma maîtresse, dans mon pays on m’appelait Belle-Heureuse ! »

Comme elle achevait ces mots le khalifat entra. Il s’avança vers Belle-Heureuse en souriant avec bonté, s’assit à côté d’elle et lui dit : « Lève le voile de ton visage, ô jeune fille ! » Mais Belle-Heureuse, au lieu de se découvrir le visage, fut terrifiée à cette seule idée et ramena complètement l’étoffe jusqu’au-dessous de son menton, d’une main tremblante. Et le khalifat ne voulut point s’offusquer d’une action si extraordinaire et dit à Sett Zahia : « Je te confie cette jeune fille, et j’espère que dans quelques jours tu l’auras habituée à toi et encouragée et rendue moins timide. » Puis il jeta encore un regard sur Belle-Heureuse et ne put voir, hors des étoffes dont elle était étroitement drapée, que la jointure de ses fins poignets. Mais cette seule vue suffit pour la lui faire aimer à l’extrême : des poignets aussi admirablement moulés ne pouvaient appartenir qu’à une parfaite beauté ! Et il se retira.

Alors Sett Zahia emmena Belle-Heureuse et la conduisit au hammam du palais, et la revêtit après le bain de robes fort belles et piqua dans ses cheveux plusieurs rangs de perles et de pierreries ; puis elle lui tint compagnie le reste de la journée, en essayant de l’habituer à elle. Mais Belle-Heureuse, bien que fort confuse des égards que lui témoignait la sœur du khalifat, ne pouvait arriver à tarir ses larmes et ne voulait pas non plus révéler la cause de ses peines. Car elle se disait que cela ne changerait guère sa destinée. Elle garda donc pour elle seule l’acuité de sa douleur et continua à se consumer le jour et la nuit, si bien qu’au bout de peu de temps elle tomba gravement malade ; et l’on désespéra de la sauver, après avoir essayé sur elle la science des médecins les plus réputés de Damas.

Quant à Bel-Heureux, fils de Printemps, voici. Vers le soir il rentra dans sa maison et, selon son habitude, s’allongea sur le divan et appela : « Ô Belle-Heureuse ! » Mais, pour la première fois, personne ne répondit. Alors il se leva vivement et appela une seconde fois : « Ô Belle-Heureuse ! » Mais personne ne répondit. Et personne non plus n’osa entrer. Car toutes les esclaves s’étaient cachées et nulle d’entre elles n’osait bouger. Alors Bel-Heureux se dirigea vers l’appartement de sa mère, et entra précipitamment ; il trouva sa mère assise toute triste la main sur la joue, et perdue dans ses pensées. À cette vue, son inquiétude ne fit qu’augmenter et il demanda avec effroi à sa mère : « Où est Belle- Heureuse ?… »

Mais, pour toute réponse, l’épouse de Printemps fondit en larmes ; et puis elle soupira : « Qu’Allah nous protège, ô mon enfant ! Belle-Heureuse, en ton absence, est venue me demander la permission de sortir avec la vieille pour aller, m’a-t-elle dit, visiter un saint ouali qui accomplit des miracles. Et elle n’est pas encore rentrée. Ah ! mon fils, jamais mon cœur n’a été tranquille depuis l’entrée de cette vieille dans notre maison. Notre portier non plus, ce vieux serviteur fidèle qui nous a tous élevés, ne l’a jamais regardée d’un œil de paix ! J’ai toujours eu le pressentiment que cette vieille-là nous porterait malheur avec ses prières trop prolongées et ses regards si rusés ! » Mais Bel-Heureux interrompit sa mère pour demander : « Quand, exactement, Belle-Heureuse est-elle sortie ? » Elle répondit : « Ce matin, de bonne heure, après ton départ pour le souk. » Et Bel-Heureux s’écria : « Tu vois, ma mère, à quoi cela nous sert de changer nos habitudes et d’accorder à nos femmes des libertés dont elles ne savent que faire et qui ne peuvent que leur être funestes ! Ah ! ma mère, pourquoi as-tu permis à Belle-Heureuse de sortir ? Qui sait où elle a pu s’égarer, et si elle n’est pas tombée dans l’eau, et si un minaret ne l’a pas ensevelie sous sa chute ? Mais je vais courir chez le gouverneur pour l’obliger à faire immédiatement des recherches ! »

Et Bel-Heureux, hors de lui, courut au palais, et le gouverneur le reçut, sans le faire attendre, par égards pour son père Printemps qui comptait parmi les plus hauts notables de la ville. Et Bel-Heureux, sans même s’arrêter aux formules obligatoires du salam, dit au gouverneur : « Mon esclave a disparu depuis ce matin, de ma maison, en compagnie d’une vieille femme que nous avions hébergée chez nous. Je viens te prier de m’aider à la rechercher. » Le gouverneur prit un ton plein d’intérêt en répondant : « Mais certainement, mon fils ! Il n’y a rien que je ne fasse, en considération de ton digne père. Va trouver de ma part le chef de la police et expose-lui ton affaire. C’est un homme fort avisé et plein d’expédients, qui, sans aucun doute, vous trouvera l’esclave d’ici peu de jours. »

Alors Bel-Heureux courut chez le chef de la police et lui dit : « Je viens te voir de la part du gouverneur pour retrouver mon esclave qui a disparu de la maison. » Le chef de la police, assis sur le tapis, jambes croisées au-dessous de lui, souffla deux ou trois fois, et demanda : « Et avec qui est-elle partie ? » Bel-Heureux répondit : « Avec une vieille dont le signalement est tel et tel. Et, cette vieille est habillée de bure et porte au cou un chapelet aux grains par milliers. » Et le chef de la police dit : « Par Allah ! dis-moi où se trouve la vieille et j’irai tout de suite te chercher l’esclave ! »

À ces paroles, Bel-Heureux répondit : « Mais sais-je, moi, où se trouve la vieille ? Et viendrais-je ici si je savais l’endroit où elle est ? » Le chef de la police changea la position de ses jambes, les ramena sous lui en sens inverse, et dit : « Mon fils, il n’y a qu’Allah l’Omniscient pour découvrir les choses invisibles ! » Alors Bel-Heureux, irrité à l’extrême, s’écria : « Par le Prophète ! c’est toi seul que je rends responsable de la chose ! Et, s’il le faut, j’irai trouver le gouverneur et même l’émir des Croyants pour les édifier sur ton compte ! » L’autre répondit : « Tu peux aller où bon te semble ! Je n’ai pas appris la sorcellerie pour dévoiler les choses cachées ! »

Alors Bel-Heureux s’en retourna chez le gouverneur et lui dit : « Je suis allé chez le chef de la police, et il s’est passé telle et telle chose. » Et le gouverneur dit : « Ce n’est pas possible ! Holà ! gardes, allez me chercher ce fils de chien-là ! » Et lorsque ce dernier fut arrivé, le gouverneur lui dit : « Je t’ordonne de faire les recherches les plus minutieuses pour retrouver l’esclave de Bel-Heureux, fils de Printemps ! Envoie tes cavaliers dans toutes les directions ; cours toi-même et cherche partout ; mais il faut que tu la retrouves ! » Et en même temps il lui cligna de l’œil pour que rien ne fût fait ; puis il se tourna vers Bel-Heureux et lui dit : « Quant à toi, mon fils, je veux désormais que tu ne réclames l’esclave que de ma barbe ! Et si, par extraordinaire (car tout peut arriver), on ne retrouvait pas l’esclave, je te donnerais moi-même, à sa place, dix vierges de l’âge des houris, aux seins fermes, aux fesses dures et assises comme des cubes de pierre ! Et je forcerai également le chef de la police à te donner de son harem dix jeunes esclaves aussi intactes que mon œil ! Seulement tranquillise ton âme, car sache bien que le destin t’accordera toujours ce qui t’est réservé et que, d’autre part, tu n’auras jamais ce que le sort ne t’a pas destiné…

— À ce moment de sa narration, Schahrazade vit apparaître le matin et, discrète, se tut.

MAIS LORSQUE FUT
LA DEUX CENT QUARANTE-DEUXIÈME NUIT

Elle dit :

« … tu n’auras jamais ce que le sort ne t’a pas destiné ! »

Alors Bel-Heureux prit congé du gouverneur, et rentra désespéré à sa maison, après avoir erré toute la nuit à la recherche de Belle-Heureuse. Aussi le lendemain fut-il obligé de s’aliter, en proie à une faiblesse extrême et à une fièvre qui ne fit qu’augmenter de jour en jour, à mesure qu’il perdait ce qui lui restait d’espoir au sujet des recherches ordonnées par le gouverneur. Et les médecins consultés répondirent : « Son mal n’a d’autre remède que le retour de son épouse ! »

Sur ces entrefaites, arriva dans la ville de Koufa un Persan fort versé dans la médecine, l’art des drogues, la science des étoiles et du sable divinatoire. Et le marchand Printemps se hâta de le faire venir auprès de son fils. Alors le savant Persan, après avoir été traité avec les plus grands égards par Printemps, s’approcha de Bel-Heureux et lui dit : « Donne-moi la main ! » Et il lui prit la main, lui tâta le pouls pendant un bon moment, le regarda avec attention au visage, puis sourit et se tourna vers le marchand Printemps en lui disant : « Le mal de ton fils réside dans son cœur ! » Et Printemps répondit : « Par Allah ! tu dis vrai, ô médecin ! » Le savant continua : « Et ce mal a pour cause la disparition d’une personne aimée. Eh bien ! je vais vous dire, avec l’aide des puissances mystérieuses, l’endroit où se trouve actuellement cette personne ! »

Et, ayant achevé ces mots, le Persan s’accroupit, tira d’un sac un paquet de sable qu’il défit et étendit devant lui ; puis il plaça au milieu du sable cinq cailloux blancs et trois cailloux noirs, deux baguettes et un ongle de tigre, les disposa sur un plan, puis sur deux plans, puis sur trois plans, les regarda en prononçant quelques mots en langue persane, et dit : « Ô vous qui m’écoutez, sachez que la personne se trouve en ce moment à Bassra ! » Puis il se reprit et dit : « Non ! les trois fleuves que je vois là m’ont trompé. La personne se trouve en ce moment à Damas, dans un grand palais, et dans le même état de langueur que ton fils, ô illustre marchand ! »

À ces paroles, Printemps s’écria : « Et que nous faut-il faire, ô vénérable médecin ? De grâce, éclaire-nous, et tu n’auras pas à te plaindre de l’avarice de Printemps. Car, par Allah ! je te donnerai de quoi vivre dans l’opulence durant l’espace de trois vies humaines ! » Et le Persan répondit : « Tranquillisez tous deux vos âmes et que vos paupières se rafraîchissent et couvrent vos yeux sans inquiétude ! Car je me charge de réunir les deux jeunes gens, et la chose est encore plus aisée à faire que tu ne te l’imagines ! » Puis il ajouta, en s’adressant à Printemps : « Tire de ta poche quatre mille dinars ! » Et Printemps défit aussitôt sa ceinture et rangea devant le Persan quatre mille dinars et mille autres dinars. Et le Persan dit : « Maintenant qu’il y a ainsi de quoi suffire à toutes les dépenses, je vais immédiatement me mettre en route pour Damas, en emmenant ton fils avec moi ! Et, si Allah veut, nous reviendrons avec celle qu’il aime ! » Puis il se tourna vers l’adolescent étendu sur le lit et lui demanda : « Ô fils de l’honorable Printemps, quel est ton nom ? » Il répondit : « Ô Bel-Heureux ! » Le Persan dit : « Eh bien, Bel-Heureux, lève-toi, et que ton âme soit désormais sauve de toute inquiétude, car tu peux dès cet instant considérer que ton esclave t’est rendue ! » Et Bel-Heureux, mû soudain par la bonne influence du médecin, se leva et s’assit. Et le médecin continua : « Raffermis donc ton courage et ton cœur. Chasse tous les soucis. Mange, bois et dors ! Et dans une semaine, une fois tes forces revenues, je reviendrai te prendre pour faire avec toi le voyage. » Et il prit congé de Printemps et de Bel-Heureux, et s’en alla se préparer lui aussi au départ.

Alors Printemps donna à son fils cinq mille autres dinars, et lui acheta des chameaux qu’il fit charger de riches marchandises et de ces soieries de Koufa si belles de couleur, et lui donna des chevaux pour lui et pour sa suite. Puis au bout de la semaine, comme Bel-Heureux avait suivi les prescriptions du savant et s’en était admirablement trouvé, Printemps jugea que son fils pouvait sans inconvénients entreprendre le voyage de Damas. Bel-Heureux fit donc ses adieux à son père, à sa mère, à Prospérité et au portier et, accompagné des vœux que tous les bras des siens appelaient sur sa tête, il partit de Koufa avec le savant de Perse.

Or, Bel-Heureux à ce moment-là avait atteint la perfection de l’adolescence, et ses dix-sept ans avaient duveté soyeusement ses joues à l’incarnat léger : ce qui rendait ses charmes encore plus séducteurs et faisait que nul ne le pouvait regarder sans s’arrêter extatiquement. Aussi le savant de Perse ne fut pas longtemps sans éprouver l’effet délicieux des charmes de l’adolescent, et l’aima-t-il de toute son âme, en vérité, et se priva-t-il, durant tout le voyage, de toutes les commodités pour l’en faire profiter. Et de le voir content il était ravi à l’extrême…

— À ce moment de sa narration, Schahrazade vit apparaître le matin et, discrète, se tut.

MAIS LORSQUE FUT
LA DEUX CENT QUARANTE-TROISIÈME NUIT

Elle dit :

… Et de le voir content il était ravi à l’extrême. Dans ces conditions le voyage fut agréable et sans fatigue, et l’on arriva de la sorte à Damas.

Aussitôt le savant de Perse alla avec Bel-Heureux au souk principal et loua, séance tenante, une grande boutique qu’il fit remettre à neuf. Puis il fit faire des étagères élégantes tendues de velours, où il rangea en bon ordre ses flacons précieux, ses dictames, ses baumes, ses poudres, ses sirops contenus dans le cristal, ses thériaques fines conservées dans l’or pur, ses pots de faïence persane aux reflets métalliques où mûrissaient les vieilles pommades composées du suc de trois cents herbes rares ; et entre les grands flacons, les cornues et les alambics, il plaça l’astrolabe d’or.

Après quoi il se vêtit de sa robe de médecin et se coiffa de son grand turban à sept tours, puis songea à habiller Bel-Heureux qui devait lui servir d’assistant, exécuter les prescriptions, piler dans le mortier, faire les sachets et écrire les remèdes sous sa dictée. À cet effet il le vêtit, lui-même, d’une chemise de soie bleue et d’un gilet de cachemire, lui passa autour des hanches un tablier de soie rose où couraient des filets d’or, et le fit se tenir entre ses mains. Puis il lui dit : « Ô Bel-Heureux, dès ce moment il te faut m’appeler ton père, et moi je t’appellerai mon fils, sans quoi les habitants de Damas croiraient qu’il y a entre nous ce que tu comprends ! » Et Bel-Heureux répondit : « J’écoute et j’obéis ! »

Or, à peine la boutique où le Persan devait donner ses consultations eut été ouverte, que de tous côtés les habitants s’y rendirent en foule, les uns pour exposer leur cas, les autres seulement pour admirer la beauté de l’adolescent ; et tous étaient stupéfaits et charmés à la fois d’entendre Bel-Heureux converser avec le médecin dans la langue persane qu’ils ne connaissaient pas et qu’ils trouvaient délicieuse de la bouche du bel assistant. Mais ce qui porta à son extrême limite l’ébahissement des visiteurs, c’était la façon dont le médecin persan devinait les maladies.

En effet, le médecin regardait dans le blanc des yeux pendant quelques moments le malade qui avait recours à lui, puis lui présentait un grand verre de cristal et lui disait : « Pisse ! » Et le malade pissait dans le verre, et le Persan mettait le verre à hauteur de son œil et l’examinait, puis disait : « Tu as telle et telle chose ! » Et le malade toujours s’écriait : « Par Allah ! c’est la vérité ! » Ce qui faisait que tout le monde levait les bras en disant : « Ya Allah ! quel savant prodigieux ! Nous n’avons jamais ouï parler d’une chose pareille ! Comment peut-on connaître ainsi les maladies par l’urine ? »

Aussi, il ne faut point s’étonner que le médecin persan ait été réputé en quelques jours, parmi tous les notables et les gens riches, pour sa science extraordinaire, et que le bruit de tous ses prodiges soit arrivé aux oreilles mêmes du khalifat et de sa sœur El-Sett Zahia.

Donc, un jour que le médecin était assis au milieu de la boutique et dictait une ordonnance à Bel-Heureux qui était à ses côtés et tenait le calam à la main, une respectable dame, montée sur un âne à la selle de brocart rouge constellée de pierreries, s’arrêta à la porte, noua la bride de l’âne à l’anneau de cuivre qui surmontait le pommeau de la selle, puis fit signe au savant de venir l’aider à descendre. Aussitôt il se leva avec empressement, courut lui prendre la main et la fit descendre de l’âne et entrer dans la boutique, où il la pria de s’asseoir après que Bel-Heureux lui eût avancé un coussin en souriant discrètement.

Alors la dame sortit, l’ayant tiré de sa robe, un flacon rempli d’urine et demanda au Persan : « C’est bien toi, ô vénérable cheikh, qui es le médecin arrivé de l’Irak-Ajami pour faire ces cures admirables à Damas ? » Il répondit : « C’est ton esclave lui-même. » Elle dit : « Nul n’est l’esclave que d’Allah ! Sache donc, ô maître sublime de la science, que ce flacon-là contient la chose que tu comprends, et dont la propriétaire est la favorite, bien que vierge encore, de notre souverain l’émir des Croyants. Ici les médecins n’ont pu deviner la cause de la maladie qui l’a alitée dès le premier jour de son arrivée au palais. Aussi El-Sett Zahia, la sœur de notre maître, m’a envoyé vous porter ce flacon pour que vous y découvriez cette cause inconnue. »

À ces paroles, le médecin dit : « Ô ma maîtresse, il te faut me dire le nom de cette malade afin que je puisse faire mes calculs et savoir au juste l’heure la plus favorable pour lui faire boire les remèdes. » La dame répondit : « Elle s’appelle Belle-Heureuse. »

Alors le médecin se mit à tracer sur un bout de papier qu’il tenait à la main des calculs en grand nombre, les uns à l’encre rouge et les autres à l’encre verte. Puis il fit la somme des chiffres rouges et celle des chiffres verts, les additionna et dit : « Ô ma maîtresse, j’ai découvert la maladie ! C’est une affection connue sous le nom de « tremblement des éventails du cœur ». À ces paroles, la dame s’écria : « Par Allah ! c’est la vérité ! Car les éventails de son cœur tremblent si fort que nous les entendons ! » Le médecin continua : « Mais il me faut, avant de prescrire les remèdes, connaître de quel pays elle est. Cela est très important, car c’est par là que je saurai, une fois mes calculs faits, l’influence de la légèreté de l’air ou de sa pesanteur sur les éventails de son cœur. De plus, pour juger de l’état de conservation de ces éventails délicats, il me faut également savoir depuis combien de temps elle est à Damas et son âge précis ! » La dame répondit : « Elle a été élevée, parait-il, à Koufa, ville de l’Irak ; elle est âgée de seize ans, car elle est née, d’après ce qu’elle nous a dit, l’année de l’incendie du souk de Koufa. Quant à son séjour à Damas, il est de quelques semaines seulement.

— À ce moment de sa narration, Schahrazade vit apparaître le matin et se tut discrètement.

MAIS LORSQUE FUT
LA DEUX CENT QUARANTE-QUATRIÈME NUIT

Elle dit :

« … de quelques semaines seulement. »

À ces paroles, le savant de Perse dit à Bel-Heureux dont le cœur battait comme un moulin : « Mon fils prépare les remèdes tel et tel, d’après la formule d’Ibn-Sina, à l’article sept ! »

Alors la dame se tourna vers l’adolescent, qu’elle se mit à dévisager plus attentivement pour lui dire quelques moments après : « Par Allah ! ô mon enfant, la malade te ressemble fort, et son visage est aussi beau et aussi doux que le tien ! » Puis elle dit au savant : « Dis-moi, ô noble Persan, cet adolescent est-il ton fils ou ton esclave ? » Il répondit : « C’est mon fils, ô respectable, et ton esclave ! » Et la vieille dame, excessivement flattée de tous ces égards, répondit : « En vérité, je ne sais ce que je dois le plus admirer ici, de ta science, ô médecin sublime, ou de ta descendance ! » Puis elle continua à converser avec le savant, tandis que Bel-Heureux finissait de faire les petits paquets de remèdes et les mettait dans une boite où il glissait un billet et en peu de mots apprenait de la sorte à Belle-Heureuse son arrivée à Damas avec le médecin de Perse. Après quoi, il cacheta la boîte et écrivit sur le couvercle son nom et son adresse en caractères koufiques, illisibles pour les habitants de Damas, mais déchiffrables pour Belle-Heureuse qui connaissait fort bien l’écriture arabe courante aussi bien que la koufique. Et la dame prit la boîte, déposa dix dinars d’or sur l’étagère du médecin, prit congé des deux et sortit pour se rendre directement au palais où elle se hâta de monter chez la malade.

Elle la trouva les yeux à demi fermés et mouillés vers les coins de larmes, comme toujours. Elle s’approcha d’elle et lui dit : « Ah ! ma fille, puissent ces remèdes te procurer autant de bien que la vue de celui qui les a faits m’a donné de plaisir. C’est un adolescent aussi beau qu’un ange, et la boutique où il se tient est un lieu de délices ! Voici la boîte qu’il m’a donnée pour toi. » Alors Belle-Heureuse, pour ne point repousser l’offre, tendit la main, prit la boîte et jeta sur le couvercle un regard vague ; mais soudain elle changea de couleur en voyant, sur le couvercle, ces mots tracés en koufique : « Je suis Bel-Heureux, fils de Printemps de Koufa ! » Mais elle eut assez de force sur son âme pour ne pas s’évanouir ou se trahir. Et elle dit à la vieille dame, en souriant : « Alors tu dis que c’est un bel adolescent ? Comment est-il ? » Elle répondit : « Il est un tel mélange de délices qu’il m’est impossible de te le dépeindre ! Il a des yeux ! et des sourcils ! ya Allah ! mais ce qui ravit l’âme c’est un grain de beauté qu’il a sur le coin gauche de la lèvre et une fossette qui se creuse, au sourire, sur sa joue droite ! »

À ces paroles, Belle-Heureuse ne douta plus que ce ne fût là son maître bien-aimé, et elle dit à la vieille dame : « Puisqu’il en est ainsi, puisse ce visage être de bon augure ! Donne-moi les remèdes. » Et elle les prit et, en souriant, les avala en une fois. Et au même moment elle vit le billet, qu’elle ouvrit et parcourut. Alors elle sauta à bas de son lit et s’écria : « Ma bonne mère, je sens que je suis guérie. Ces remèdes sont miraculeux. Ô ! quel jour béni ! » Et la vieille s’écria : « Oui ! par Allah, c’est là une bénédiction du Très-Haut ! » Et Belle-Heureuse ajouta : « De grâce, hâte-toi de m’apporter à manger et à boire, car je me sens mourir de faim depuis près d’un mois que je ne puis toucher aux mets ! »

Alors la vieille, après avoir fait apporter à Belle-Heureuse, par les esclaves, des plateaux chargés de toutes sortes de rôtis, de fruits et de boissons, se hâta d’aller annoncer au khalifat la guérison de la jeune esclave par la science inouïe du médecin persan. Et le khalifat dit : « Va vite lui porter de ma part mille dinars ! » Et la vieille se hâta d’exécuter l’ordre, après avoir toutefois passé chez Belle-Heureuse qui lui remit également un cadeau pour le médecin dans une boîte cachetée.

Lorsque la vieille dame fut arrivée à la boutique, elle remit les mille dinars au médecin de la part du khalifat, et la boite à Bel-Heureux qui l’ouvrit et en lut le contenu. Mais alors son émotion fut telle qu’il éclata en sanglots et tomba évanoui : car Belle-Heureuse, dans un billet, lui racontait sommairement toute son aventure et son enlèvement par ordre du gouverneur et son envoi en cadeau au khalifat Abd El-Malek, à Damas.

À cette vue, la bonne vieille demanda au médecin : « Mais pourquoi donc ton fils a-t-il été pris d’évanouissement après avoir tout à coup fondu en larmes ? » Il répondit : « Comment veux-tu, ô vénérable, qu’il en soit autrement, puisque l’esclave Belle-Heureuse que j’ai guérie est la propriété même de celui que tu crois être mon fils et qui n’est autre que le fils de l’illustre marchand Printemps de Koufa ? Et notre venue à Damas n’a eu d’autre but que la recherche de la jeune Belle-Heureuse qui avait un jour disparu, enlevée par une maudite vieille aux yeux de trahison ! Aussi, ô notre mère, nous plaçons désormais en ta bienveillance notre espoir le plus cher, et nous ne doutons pas de te voir nous aider à recouvrer le plus sacré des biens ! » Puis il ajouta : « Et pour gages de notre reconnaissance, voici, pour commencer, les mille dinars du khalifat. Ils sont à toi ! Et l’avenir te démontrera, en outre, que la gratitude pour tes bienfaits a dans notre cœur une place de choix…

— À ce moment de sa narration, Schahrazade vit apparaître le matin et, discrète, se tut.

MAIS LORSQUE FUT
LA DEUX CENT QUARANTE-CINQUIÈME NUIT

Elle dit :

« … la gratitude pour tes bienfaits a dans notre cœur une place de choix ! » Alors la bonne dame se hâta d’abord d’aider le médecin à faire reprendre connaissance à Bel-Heureux évanoui, et lui dit : « Vous pouvez compter sur la ferveur de ma bonne volonté et de mon dévouement. » Et elle les quitta pour se rendre aussitôt auprès de Belle-Heureuse qu’elle trouva le visage rayonnant de joie et de santé. Elle s’approcha d’elle en souriant et lui dit : « Ma fille, pourquoi n’as-tu pas eu dès le début confiance en ta mère ? Mais aussi, que tu as eu raison de pleurer toutes les larmes de ton âme d’être séparée de ton maître, le joli et doux Bel-Heureux, fils de Printemps de Koufa ! » Et comme elle voyait la surprise de l’adolescente, elle se hâta d’ajouter : « Tu peux, ma fille, compter sur mon entière discrétion et mon maternel vouloir à ton égard. Je te jure de te réunir à ton bien-aimé, dussé-je y risquer ma vie ! Tranquillise donc ton âme et laisse la vieille agir dans ton bien, selon son savoir ! »

Elle quitta alors Belle-Heureuse, qui lui baisait les mains en pleurant de joie, et alla faire un paquet dans lequel elle mit des habits de femme, des bijoux et tous les accessoires nécessaires à un déguisement complet, et retourna à la boutique du médecin, où elle fit signe à Bel-Heureux de venir avec elle à l’écart. Alors Bel-Heureux la mena au fond de la boutique, derrière le rideau, et apprit d’elle ses projets, qu’il trouva parfaitement combinés, et se laissa guider d’après le plan qu’elle lui soumit.

La bonne dame habilla donc Bel-Heureux des habits de femme qu’elle avait apportés, et lui allongea les yeux de kohl et agrandit de noir le grain de beauté de sa joue ; puis elle lui passa des bracelets aux poignets et piqua des bijoux dans ses cheveux recouverts d’un voile de Mossoul ; et, cela fait, elle jeta un dernier coup d’œil sur sa toilette, et trouva qu’il était ravissant ainsi et de beaucoup plus beau que toutes les femmes réunies du palais du khalifat. Elle lui dit alors : « Béni soit Allah dans ses œuvres ! Maintenant, mon fils, il te faut prendre la démarche des jeunes filles encore vierges, n’avancer qu’à tout petits pas en mouvant ta hanche droite et reculant ta hanche gauche, tout en donnant de légères secousses à ta croupe, savamment. Essaie d’abord un peu ces manœuvres, avant de sortir ! »

Alors Bel-Heureux, dans la boutique, se mit à répéter les gestes en question et s’en acquitta de telle façon que la bonne dame s’écria : « Maschallah ! les femmes peuvent désormais s’abstenir de se vanter ! Quels merveilleux mouvements de croupe et quels coups de reins splendides ! Pourtant, pour que la chose soit admirable tout à fait, il faut donner à ta physionomie une expression plus langoureuse en penchant le cou un peu plus et en regardant du coin des yeux. Là ! c’est parfait ! Tu peux me suivre maintenant. » Et elle s’en alla avec lui au palais.

Lorsqu’ils furent arrivés à la porte d’entrée du pavillon réservé au harem, le chef eunuque s’avança et dit : « Aucune personne étrangère ne peut entrer sans l’ordre spécial de l’émir des Croyants. Arrière donc avec cette jeune fille, ou bien, si tu veux, entre toi seule ! » Mais la vieille dame dit : « Qu’as-tu fait de ta sagesse, ô couronne des gardiens ? Toi d’ordinaire le délice même et l’urbanité, tu prends maintenant un ton qui jure tellement avec ton aspect exquis ! Ne sais-tu, ô doué de nobles manières, que cette esclave est la propriété de Sett Zahia, la sœur de notre maître le khalifat, et que Sett Zahia, en apprenant ton manque d’égards vis-à-vis de son esclave préférée, ne manquera pas de te faire destituer et même de te faire décapiter ? Et c’est toi-même qui auras été de la sorte la cause de ton infortune ! » Puis la dame se tourna vers Bel-Heureux et lui dit : « Viens, esclave ! oublie tout à fait ce manque d’égards de notre chef, et surtout n’en dis rien à ta maîtresse ! Allons ! viens ! » Et elle le prit par la main et le fit entrer, tandis qu’il penchait sa tête câlinement de droite et de gauche en jetant un sourire des yeux au chef eunuque, qui hochait la tête.

Une fois dans la cour du harem, la dame dit à Bel-Heureux : « Mon fils, nous t’avons fait réserver une chambre à l’intérieur même du harem, et tu vas de ce pas y aller tout seul. Pour la trouver, tu vas entrer, par cette porte-ci, tu prendras la galerie qui se présentera devant toi, tu tourneras à gauche, puis à droite, et encore à droite, tu compteras ensuite cinq portes et tu ouvriras la sixième : c’est celle de la chambre qui t’est réservée et où ira te rejoindre Belle-Heureuse que je vais prévenir. Et je me chargerai alors de vous faire sortir tous deux du palais sans éveiller l’attention des gardiens et des eunuques. »

Alors Bel-Heureux entra ; dans la galerie et, dans son trouble, se trompa de côté : il tourna à droite, puis à gauche dans un corridor parallèle à l’autre, et pénétra dans la sixième chambre…

— À ce moment de sa narration, Schahrazade vit apparaître le matin et se tut discrètement.

MAIS LORSQUE FUT
LA DEUX CENT QUARANTE-SIXIÈME NUIT

— Elle dit :

… dans la sixième chambre.

Il arriva de la sorte dans une haute salle creusée en dôme léger, dont les parois étaient ornées de versets en caractères d’or qui couraient partout, entrelacés en mille lignes de perfection ; là les murs étaient tendus de soie rose, les fenêtres tamisées de fins rideaux de gaze, et le sol recouvert d’immenses tapis du Khorassân et du Cachemire ; là, sur les tabourets, étaient posées des coupes de fruits et, directement sur les tapis, s’étalaient les plateaux recouverts du foulard protecteur qui laissait deviner, à leurs formes et à leurs odeurs admirables, ces pâtisseries fameuses, délices des gosiers les plus difficiles, et que la seule Damas, parmi toutes les villes de l’Orient et de l’univers entier, savait douer de leurs si sympathiques qualités.

Or, Bel-Heureux était loin de se douter de ce que lui réservaient, dans cette salle, les puissances inconnues.

Au milieu de la salle il y avait un trône recouvert de velours, seul meuble visible ; aussi Bel-Heureux, n’osant plus reculer de peur d’être rencontré errant dans les corridors, alla s’asseoir sur le trône et attendit sa destinée.

Il était là à peine depuis quelques instants, quand un bruit de soieries parvint à ses oreilles, répercuté par la voûte, et il vit entrer, par l’une des portes latérales, une jeune femme à l’aspect royal, habillée seulement de ses vêtements d’intérieur, sans voile sur le visage ou foulard sur les cheveux ; et elle était suivie d’une petite esclave mignonne, les pieds nus, qui portait sur la tête des fleurs et tenait à la main un luth en bois de sycomore. Et cette dame n’était autre que Sett Zahia elle-même, la sœur de l’émir des Croyants.

Lorsque Sett Zahia vit cette personne voilée assise dans la salle, elle s’approcha d’elle gentiment et lui demanda : « Qui es-tu, ô étrangère que je ne connais pas ? Et pourquoi restes-tu ainsi voilée dans le harem où nul œil indiscret ne peut te voir ? » Mais Bel-Heureux, qui s’était hâté de se mettre debout, n’osa articuler un mot et prit le parti de faire le muet. Et Sett Zahia lui demanda : « Ô jeune fille aux yeux si beaux, pourquoi ne me réponds-tu pas ? Si par hasard tu es une esclave renvoyée du palais par mon frère l’émir des Croyants, hâte-toi de me le dire et j’irai intercéder en ta faveur, car il ne me refuse jamais rien. « Mais Bel-Heureux n’osa guère faire de réponse. Et Sett Zahia pensa que ce mutisme de la jeune fille avait pour cause la présence de la petite esclave qui était là, les yeux écarquillés, à regarder avec étonnement cette personne voilée et si timide. Elle lui dit donc : « Va, ma mignonne, et reste derrière la porte pour empêcher n’importe qui d’entrer dans la salle. » Et lorsque la petite fut sortie, elle vint tout près de Bel-Heureux, qui fut tenté de se serrer encore davantage dans son grand voile, et lui dit : « Dis-moi maintenant, adolescente, qui tu es, et dis-moi ton nom et le motif de ta venue dans cette salle où je suis seule à entrer avec l’émir des Croyants ? Tu peux me parler le cœur sur la main, car je te trouve charmante et tes yeux me plaisent déjà beaucoup ! Oui ! vraiment je te trouve ravissante, ma petite ! » Et Sett Zahia, qui aimait à l’extrême les vierges blanches et délicates, avant d’attendre la réponse prit la jeune fille par la taille en l’attirant à elle et porta la main à ses seins pour les caresser, tout en lui dégrafant la robe de l’autre main. Mais elle fut stupéfaite de constater que la poitrine de la jeune fille était aussi lisse que celle d’un adolescent ! Elle recula d’abord, puis se rapprocha et voulut lui soulever la robe pour voir plus clair dans l’affaire.

Lorsque Bel-Heureux vit ce mouvement, il jugea plus prudent de parler, et, prenant la main de Sett Zahia, qu’il porta à ses lèvres, il dit : « Ô ma maîtresse, je me livre entièrement à ta bonté et me mets sous ton aile en demandant ta protection ! » Sett Zahia dit : « Je te l’accorde entière. Parle. » Il dit : « Ô ma maîtresse, je ne suis point une jeune fille ; je m’appelle Bel-Heureux, fils de Printemps le Koufique. Et si je suis venu ici au risque de ma vie, c’est dans le but de revoir mon épouse Belle-heureuse, l’esclave que le gouverneur de Koufa m’a enlevée pour l’envoyer en cadeau à l’émir des Croyants. Par la vie de notre Prophète, ô ma maîtresse, aie compassion de ton esclave et de son épouse ! » Et Bel-Heureux fondit en larmes.

Mais déjà Sett Zahia avait appelé la petite esclave, et lui avait dit : « Cours vite, ma mignonne, à l’appartement de Belle-Heureuse, et dis-lui : « Ma maîtresse Zahia te demande ! » Puis elle se tourna…

— À ce moment de sa narration, Schahrazade vit apparaître le matin et se tut discrètement.

MAIS LORSQUE FUT
LA DEUX CENT QUARANTE-SEPTIÈME NUIT

Elle dit :

… Puis elle se tourna vers Bel-Heureux et lui dit : « Calme ton âme, adolescent. Il ne t’arrivera que des choses heureuses ! »

Or, durant ce temps, la bonne vieille dame était allée trouver Belle-Heureuse et lui avait dit : « Suis-moi vite, ma fille. Ton maître bien-aimé est dans la chambre que je lui ai réservée ! » Et elle la mena, pâle d’émotion, dans la chambre où elle croyait retrouver Bel-Heureux. Aussi leur douleur fut-elle très grande et leur terreur de ne le voir pas là ; et la vieille dit : « Il a dû certainement s’égarer dans les corridors ! Rentre, ma fille, dans ton appartement, pendant que je vais aller me mettre à sa recherche ! »

Et c’est alors que la petite esclave entra chez Belle-Heureuse qu’elle trouva toute tremblante et bien pâle, et lui dit : « Ô Belle-Heureuse, ma maîtresse Sett Zahia te demande ! » Alors Belle-Heureuse ne douta plus de sa perte et de celle de son bien-aimé, et suivit, en chancelant, la gentille fillette aux pieds nus.

Mais à peine était-elle entrée dans la salle, que la sœur du khalifat vint à elle, le sourire aux lèvres, lui prit la main et la conduisit à Bel-Heureux, toujours voilé, en leur disant à tous deux : « Voici le bonheur ! » Et les deux jeunes gens se reconnurent à l’instant et tombèrent évanouis dans les bras l’un de l’autre.

Alors la sœur du khalifat, aidée de la petite, les aspergea d’eau de roses, leur fit reprendre connaissance, et les laissa seuls. Puis elle rentra au bout d’une heure et les trouva assis, étroitement embrassés, et des larmes tout plein les yeux de bonheur et de gratitude pour sa bonté. Elle leur dit alors : « Il nous faut maintenant fêter votre réunion en buvant ensemble à l’éternelle durée de votre félicité ! » Et aussitôt, sur un signe, la petite esclave rieuse remplit les coupes de vin exquis et les leur présenta, lis burent, et Sett Zahia leur dit : « Comme vous vous aimez, mes enfants ! Aussi vous devez savoir des vers admirables sur l’amour et des chansons fort belles sur les amants. J’aimerais vous entendre me chanter quelque chose ! Prenez ce luth ! Et, à tour de rôle, faites résonner l’âme de son bois mélodieux ! »

Alors Bel-Heureux et Belle-Heureuse baisèrent les mains à la sœur du khalifat et, le luth accordé, ils chantèrent ces merveilleuses strophes alternées :

« — Je t’apporte des fleurs légères sous mon voile de Koufa et des fruits encore poudrés de l’or du soleil !

— Tout l’or du Soudan est sur ta peau, ô bien-aimée, les rayons du soleil sont dans tes cheveux et le velours de Damas dans tes yeux !

Me voici ! Vers toi je viens avec l’heure où les soirs tièdes sont propices !… L’air est léger, la nuit se fait soyeuse et transparente, et le murmure vient à nous des feuilles et des eaux !

Te voici, te voici, ô ma gazelle des nuits ! La ténèbre tout entière est éblouie de tes yeux. Ah ! dans tes yeux que je plonge comme l’oiseau qui s’enivre sur la mer !

Approche-toi plus près et sur mes lèvres prends leurs roses. Puis laisse-moi lentement glisser de mon calice et, de mes épaules à mes chevilles, achever pour toi d’être nue !

Oh ! bien-aimée !…

Me voici ! Le fruit secret de ma chair de lune a la forme, tu le sais, de la datte mûre. Viens !… t’apparaîtra toute la mer, la mer pleine de houle où s’enivrent les oiseaux ! »

Les dernières notes de ce chant à peine avaient-elles expiré sur les lèvres de Belle-Heureuse pâmée de bonheur, que soudain les rideaux s’écartèrent et le khalifat en personne fit son entrée dans la salle.

À sa vue, tous les trois se levèrent vivement et baisèrent la terre entre ses mains. Et le khalifat leur sourit à tous et vint s’asseoir au milieu d’eux sur le tapis, et ordonna à la petite esclave de verser le vin et d’apporter les coupes. Puis il dit : « Nous allons boire ainsi pour fêter le retour à la santé de Belle-Heureuse ! » Et il leva la coupe d’or et dit : « Pour l’amour de tes yeux, ô Belle-Heureuse ! » et il but lentement. Il déposa alors la coupe et, remarquant la présence de cette esclave voilée qu’il ne connaissait pas, il demanda à sa sœur : « Qui est donc cette jeune fille dont les traits me paraissent si beaux sous ce voile léger ? » Sett Zahia répondit : « C’est une compagne dont ne peut se séparer Belle-Heureuse ; car elle ne peut manger ni boire avec plaisir si elle ne la sent pas près d’elle ! »

Alors le khalifat écarta le voile de l’adolescent, et fut stupéfait de sa beauté ! Bel-Heureux, en effet, n’avait point encore de poils sur les joues, mais un léger duvet seulement qui mettait une ombre adorable sur sa blancheur, sans compter la goutte de musc qui souriait en beauté sur son menton.

Aussi le khalifat, ravi à l’extrême, s’écria : « Par Allah ! ô Zahia, dès ce soir je veux également prendre cette nouvelle adolescente pour concubine, et je lui réserverai, comme à Belle-Heureuse, un appartement digne de sa beauté et un train de maison comme à mon épouse légitime ! » Et Sett Zahia répondit : « Certes, ô mon frère, cette adolescente est un morceau digne de toi ! » Puis elle ajouta : « Il me vient justement à l’idée de te raconter une histoire que j’ai lue dans un livre écrit par un de nos savants. » Et le khalifat demanda : « Et quelle est cette histoire ? » Sett Zahia dit :

« Sache, ô émir des Croyants, qu’il y avait dans la ville de Koufa un adolescent nommé Bel-Heureux, fils de Printemps…

— À ce moment de sa narration, Schahrazade vit apparaître le matin et se tut discrètement.

MAIS LORSQUE FUT
LA DEUX CENT QUARANTE-HUITIÈME NUIT

Elle dit :

« … un adolescent nommé Bel-Heureux, fils de Printemps. Il était le maître d’une esclave fort belle qu’il aimait et qui l’aimait, car tous deux avaient été élevés ensemble dans le même berceau et s’étaient possédés dès les premiers temps de leur puberté. Et ils furent heureux pendant des années, jusqu’à ce qu’un jour le temps se tournât contre eux en les ravissant l’un à l’autre. Ce fut une vieille femme qui servit d’instrument de malheur au destin farouche. Elle enleva la jeune esclave et la livra au gouverneur de la ville, qui se hâta de l’envoyer en cadeau au roi de ce temps-là.

« Mais le fils de Printemps, en apprenant la disparition de celle qu’il aimait, n’eut de repos qu’il ne l’eût retrouvée dans le palais même du roi, au milieu du harem. Mais au moment même où tous deux se félicitaient de leur réunion et versaient des larmes de joie, le roi entra dans la salle où ils se trouvaient, et les surprit ensemble. Sa fureur fut à sa limite et, sans chercher à éclaircir la situation, il leur fit couper la tête, à tous deux, séance tenante !

« Or, continua Sett Zahia, comme le savant qui a écrit cette histoire ne donne pas sa conclusion sur le procédé, je voudrais, ô émir des Croyants, te demander ton avis sur l’acte de ce roi, et savoir ce que tu aurais fait à sa place, dans les mêmes conditions ! »

L’émir des Croyants, Abd El-Malek ben-Merouân, répondit sans hésiter : « Ce roi aurait dû se garder d’agir avec autant de précipitation et il aurait mieux fait de pardonner aux deux jeunes gens, et ce pour trois raisons : la première est que les deux jeunes gens s’aimaient sérieusement et depuis longtemps, la seconde est qu’ils étaient en ce moment-là les hôtes de ce roi puisqu’ils étaient dans son palais, et la troisième est qu’un roi ne doit agir qu’avec prudence et circonspection. Je conclus donc que ce roi a fait un acte indigne d’un vrai roi ! »

À ces paroles, Sett Zahia se jeta aux genoux de son frère et s’écria : « Ô commandeur des Croyants, tu viens, sans le savoir, de te juger toi-même dans l’acte futur que tu vas accomplir ! Je t’adjure par la mémoire sacrée de nos grands ancêtres et de notre auguste père l’intègre, d’être équitable dans le cas que je vais te soumettre ! » Et le khalifat, fort surpris, dit à sa sœur : « Tu peux me parler en toute confiance. Mais relève-toi ! » Et la sœur du khalifat se releva et se tourna vers les deux jeunes gens et leur dit : « Tenez-vous debout ! » Et ils se tinrent debout, et Sett Zahia dit à son frère : « Ô émir des Croyants, cette adolescente si douce et si belle, qui est couverte de ce voile, n’est autre que le jeune Bel-Heureux, fils de Printemps. Et Belle-Heureuse est celle qui fut élevée avec lui et devint plus tard son épouse ! Et son ravisseur n’est autre que ce gouverneur de Koufa, dont le nom est Ben-Youssef El-Thékafi. Il a menti dans la lettre où il te disait avoir acheté l’esclave pour dix mille dinars. Je te demande sa punition et le pardon de ces deux jeunes gens si excusables. Accorde-moi leur grâce, en te souvenant qu’ils sont tes hôtes et qu’ils sont abrités par ton ombre ! »

À ces paroles de sa sœur, le khalifat dit : « Certes ! je n’ai point pour coutume de revenir sur mes paroles.»

Puis il se tourna vers Belle-Heureuse et lui demanda : « Ô Belle-Heureuse, tu reconnais que c’est bien là ton maître Bel-Heureux ? » Elle répondit : « Tu l’as dit, ô commandeur des Croyants ! » Et le khalifat conclut : « Je vous rends l’un à l’autre ! »

Après quoi il regarda Bel-Heureux et lui demanda : « Mais peux-tu au moins me dire comment tu as pu pénétrer ici et connaître la présence de Belle-Heureuse dans mon palais ? » Bel-Heureux répondit : « Ô émir des Croyants, accorde à ton esclave quelques instants d’attention et il te racontera toute son histoire ! » Et aussitôt il mit le khalifat au courant de toute l’aventure, depuis le commencement jusqu’à la fin, sans omettre un seul détail.

Le khalifat fut extrêmement étonné et voulut voir le médecin de Perse qui avait eu une intervention si prodigieuse ; et il le nomma médecin de son palais à Damas, et le combla d’honneurs et d’égards. Puis il retint Bel-Heureux et Belle-Heureuse dans son palais, pendant sept jours et sept nuits, où il donna en leur honneur de grandes réjouissances, et les renvoya à Koufa chargés de cadeaux et d’honneurs. Et il destitua l’ancien gouverneur et nomma à sa place Printemps, père de Bel-Heureux. Et de la sorte tous vécurent à la limite du bonheur pendant une longue et délicieuse vie.

— Lorsque Schahrazade eut cessé de parler, le roi Schahriar s’écria : « Ô Schahrazade, cette histoire m’a charmé et les vers surtout m’ont exalté à l’extrême. Mais, en vérité, je suis bien surpris de n’y trouver pas les détails sur le mode d’amour que tu me faisais prévoir ! »

Et Schahrazade sourit légèrement et dit : « Ô Roi fortuné, justement ces détails promis sont dans l’Histoire de Grain-de-Beauté, que je me réserve de te raconter, si toutefois tu as encore des insomnies ! »

Et le roi Schahriar s’écria : « Que dis-tu, ô Schahrazade ? Mais, par Allah ! ne sais-tu que, même au risque de mourir d’insomnie, je veux écouter l’Histoire de Grain-de-Beauté ? Hâte-toi donc de la commencer ! »

Mais à ce moment Schahrazade vit apparaître le matin et renvoya cette histoire au lendemain.

MAIS LORSQUE FUT
LA DEUX CENT CINQUANTIÈME NUIT

Elle dit :