Le Livre des mères et des enfants/I/Le petit oiseleur

LE PETIT OISELEUR.

la mère.

Vous voilà bien riant, mon amour ! quelle joie !
Comme un petit chasseur, traînez-vous quelque proie ?
Sous ce fragile osier cachez-vous un trésor ?

l’enfant.

C’est un oiseau du ciel il a des plumes d’or.

Il reposait son vol au bord de la fontaine ;
J’ai retenu tong-temps mes pas et mon haleine :
Quand il a secoué son plumage plein d’eau,
J’ai saisi ses ailes mouillées,
Et le voilà blotti dans les fleurs effeuillées.
Regardez qu’il est bien, ma mère, et qu’il est beau !

la mère.

Oui, je l’entends gémir.

l’enfant.

Oui, je l’entends gémir.Non, mère, c’est qu’il chante.

la mère.

Vous croyez, mon amour ? Sa chanson est touchante.

l’enfant.

Je crois qu’il est content puisqu’il est dans les fleurs
Il les aime. Son nid est sous l’amandier rose,
Cet arbre au fruit de lait que la fontaine arrose ;
C’est là qu’il dérobait ses brillantes couleurs.

la mère.

Y demeurait-il seul ?

l’enfant.

Y demeurait-il seul ? Ses enfants sont au gîte ;
C’était pour les revoir qu’il se baignait si vite.
Mais je n’ai point de peur, ils ne sauraient bouger ;
Ils n’ont pas une plume et n’ont rien à manger.

la mère.

Que vont-ils devenir ?

l’enfant.

Que vont-ils devenirJ’agrandirai la cage ;
J’en ferai dans l’hiver un semblant de bocage ;
Et j’aurai mille oiseaux qui chanteront toujours.
Que de musiciens pour amuser mes jours !
Quel bonheur de nourrir tant de joyeux esclaves !
À peine ils sentiront leurs légères entraves.
Ô ma mère, j’y cours.

la mère.

Ô ma mère, j’y coursArrêtez… il fait nuit ;
Quelque chose de triste entoure ce réduit ;
Restez ! de noirs soldats les farouches cohortes
Au coucher du soleil ont assailli nos portes.

Ne vous éloignez pas, ne quittez plus mon sein ;
De vous saisir peut-être ils avaient le dessein.

l’enfant.

Des soldats ? et beaucoup, ma mère ? et pour me prendre ?

la mère.

Vous, charme de ma vie, et pour ne plus vous rendre.

l’enfant.

Que feront-ils de moi ?

la mère.

Que feront-ils de moiQui le sait ? un captif,
Un orphelin, peut-être un prisonnier plaintif.

l’enfant.

Sauvez-moi !

la mère.

Sauvez-moiPriez Dieu, c’est en lui que j’espère,
Loin de nous les cruels emmènent votre père,
Ce père, si content quand ils vous embrassait,
Ce gardien de vos jours et qui les nourrissait.

l’enfant.

Mon père prisonnier !

la mère.

Mon père prisonnierC’est le roi qui l’ordonne.

l’enfant.

Qu’est-ce qu’un roi ?

la mère.

Qu’est-ce qu’un roiPuissant par l’amour ou l’effroi,
Un maître s’il punit, presque un dieu s’il pardonne.

l’enfant.

Ah ! laissez-moi sortir je veux parler au roi,
Mon père va mourir !

la mère.

Mon père va mourirEh quoi ! si jeune encore,
Savez-vous si l’on meurt loin de ceux qu’on adore ?
Qu’arraché de son toit votre appui va souffrir ?
Que sans la liberté l’on n’a plus qu’à mourir ?
Savez-vous qu’en prison la vie est bien amère ?

l’enfant.

Oui, nous mourrons sans vous, et vous mourrez, ma mère.
Mais ce roi si méchant, qui l’a mis en courroux ?

la mère.

Le roi n’est ni méchant ni cruel plus que vous,
Mon fils. Las de ses jeux, il vient troubler les nôtres ;
Libre, il a des captifs : n’avez-vous pas les vôtres ?
Dans une chambre étroite il vous renfermera.
Mais vous serez content, car il vous nourrira,
Pourquoi de vos sanglots déchirez-vous mon ame ?
Est-ce à vous, cher coupable, à murmurer le blâme ?
Nous sommes des oiseaux dans ses cages plongés.
Pourquoi de son plaisir serions-nous affligés,
Si, dans ses jeux de roi qu’on a faits légitimes,
De lumière et d’air pur il prive ses victimes ?
Où courez-vous ?

l’enfant.

Où courez-vousDe l’air ! de l’air au prisonnier !
Qu’il respire, ma mère, et qu’il vole, et qu’il vive !

Oiseau ! des malheureux que n’es-tu le dernier !
Je ne veux point d’esclave.

la mère.

Je ne veux point d’esclaveÔ clémence naïve !
Embrassez-moi, mon fils, vous m’arrachez des pleurs :
Soyez libre vous-même, et calmez vos douleurs.
Quoi ! jusque dans mes bras votre frayeur palpite !…
Ah ! le cœur de l’oiseau palpitait-il moins vite,
Quand votre instinct cruel empêcha son essor !
Enfant, sans vos chagrins quel eut été son sort ?
Vous ravissiez l’époux à l’épouse éperdue ;
Elle eût traîné sa plainte, et Dieu l’eut entendue !
Et les petits tout nus, glacés dans votre main,
Auraient péri de froid, de langueur et de faim.

l’enfant.

Ah ! je n’y songeais pas !

la mère.

Ah ! je n’y songeais pasMaintenant tout respire ;
Tout se calme et s’endort.

l’enfant.

Tout se calme et s’endortEt mon père ?

la mère.

Tout se calme et s’endort. Et mon pèreIl soupire,
Comme l’oiseau du ciel un moment arrêté ;
Mais Dieu, qui voit partout, veille à sa liberté.

l’enfant.

Le roi le voudra-t-il ? nous rendra-t-il mon père ?

la mère.

Oui, mon fils, oui, mon bien, maintenant je l’espère ;
Oui, s’il a des enfants comme les miens chéris,
Des jeunes suppliants il accueille les cris.
Un père a dans le cœur je ne sais quoi de tendre ;
Toutes les voix d’enfant savent s’y faire entendre.

l’enfant.

Je veux le voir. Venez ! conduisez-moi vers lui.

la mère.

Oui, mon amour, demain.

l’enfant.

Oui, mon amour, demainPas demain, aujourd’hui.

la mère.

Quoi ! votre chère enfance à cette heure exposée ?…

l’enfant.

Je veux montrer au roi cette cage brisée ;
Je lui dirai : Voyez ! je fus méchant aussi ;
Je ne le suis plus, Dieu merci !
Au captif innocent j’ai rendu la volée,
Et sa famille consolée
À cette heure est au nid plus heureuse que nous !
Le même arbre en ses fleurs les couvre et les rassemble :
Chaque famille ainsi doit s’endormir ensemble,
Et nous venons chercher mon père à vos genoux,

la mère.

Écoutez !… par l’appui de quelque voix divine,
On dirait que le roi vous plaint et vous devine ;
Car voici votre père, il a tout entendu :
Enfant, Dieu vous absout, puisqu’il nous est rendu.