Le Livre des mères et des enfants/I/L’aumône

L’AUMÔNE.

Il avait plu tout le jour ; c’était l’été, c’était dimanche. Le balcon était mouillé, la rue humide, et la promenade interdite aux enfants.

Tout à coup Hyacinthe, la sœur de Prosper, qui regardait au travers les carreaux d’une large fenêtre, vit se découper au fond d’un nuage blanc, le premier cercle d’or d’une lune nouvelle.

— Oh ! vois, maman, que la lune est fine ! dit-elle.

— On pourrait sortir à présent, répartit son frère, car la rue est balayée comme le ciel.

— Il est trop tard, dit leur mère.

— Quoi, maman, pas même jusqu’au pâtissier.

— En effet, répondit-elle en souriant, il est là en face comme pour vous tendre les bras. Tiens, Prosper, va lui offrir cette jolie pièce blanche, nous verrons ce qu’elle te vaudra.

— Une brioche ! maman, grosse comme ma tête, tu vas voir ! il franchit en trois bonds l’escalier, et sa sœur le suivit joyeuse et timide jusqu’à la porte on elle attendit comme on attend son frère, et une brioche.

Prosper revint mais les mains vides. Tandis qu’Hyacinthe et lui chuchotaient au pied de l’escalier, n’osant plus remonter sans leur souper friand, la mère se penchait sur la rampe, prête à serrer son fils dans ses bras, car voici ce qu’elle avait vu de la grande fenêtre du balcon :

Un pauvre barrait la porte du pâtissier. Il était vieux, il était nègre, et il était aveugle ! pitié ! toutes les brioches disparurent de la terre aux yeux de l’enfant charitable. Il s’arrêta devant lui, en tournant le dos au riant pâtissier et voyant que le nègre n’avait plus de regard pour comprendre le sien, il lui glissa doucement sa petite pièce dans la main et lui dit :

— Prends garde ! monsieur le pauvre ! cette pièce vaut une brioche de quinze sous. Le nègre tressaillit de joie.

La mère de Prosper sentit ses yeux se mouiller. Mais à la réflexion, elle ne parut pas se douter de l’embarras des enfants et ne parla plus de la brioche. Ils se couchèrent bien soulagés tous deux, s’étant contentés pour leur souper dans l’ombre, d’un morceau de pain, toujours de bon goût, quand il est assaisonné par une bonne action.

Le lendemain, un beau soleil revint consoler le balcon et toute la ville, comme pour une fête.

Le déjeuner s’apprête, on entoure la table, tout devait être bon, on avait faim. Mais, ô redoublement de surprise et d’appétit ! deux énormes brioches apparaissent comme si elles perçaient ce ciel, et qu’elles fussent arrivées toutes chaudes sous une aile d’ange. C’était un très-beau spectacle !

— Oh ! d’où viennent-elles ! d’où viennent-elles, maman !

— C’est le bon nègre qui te les envoie, mon fils, dit la mère en souriant. Tu ne sais pas comme le pauvre est riche dans ses prières ; car, c’est Dieu qui se charge de payer pour lui.