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XXIII

MENACE





Savez-vous, messieurs les enfants,
Savez-vous à quoi je m’expose,
Quand je vous gâte en vers, en prose,
Même un peu, quand je vous défends,
Sans vous peindre toujours en rose ?

Tous les vieux oncles d’autrefois,
Plus d’une maman fort gentille,
Tous les pédants, — il en fourmille, —
M’accusent de saper les lois
De l’État et de la famille.

On me dit : « Vous parlez trop d’eux ;
Vous les vantez, les chantez même !
L’orgueil viendra, défaut suprême.

C’est un plaisir bien hasardeux
De trop leur montrer qu’on les aime.

Jadis, par un moyen très sûr,
On se faisait toujours comprendre,
Le fouet… on ne veut plus l’entendre !
Il faut que le père soit dur
Pour que le fils ait le cœur tendre. »

Puis on énumère sans fin
De longs exemples que j’abrège.
Les Grecs, les Romains et que sais-je ?
Le fouet à monsieur le dauphin
Et mon affreux temps de collège.

J’ai souffert, c’est la vérité,
Et du jeûne et de la férule
Dans cette prison ridicule.
J’en suis sorti pâle, éreinté,
On y rendrait poussif Hercule.

Cet antre noir, ces pions méchants
Sont mortels à toute âme honnête.
On risque au moins d’en rester bête…
C’est quand j’eus pris la clef des champs
Que le bon Dieu me fit poète.

N’allez pas conclure, étourdis,
Qu’on peut, sous le toit de son père,
Désobéir et ne rien faire…
Retenez bien ce que je dis,
Je vais devenir très sévère :


Je vous ai gâtés, j’en ai peur ;
Mais je n’en suis pas responsable,
Et je dirai, si l’on m’accable :
J’ai trop écouté ce trompeur,
Mon ami Stahl ! le vrai coupable.

Son mauvais exemple a fait loi ;
Mais il sait tout ce que j’en pense.
Il a trop prêché l’indulgence ;
Il m’a rendu bon malgré moi,
Ce cher enjôleur de l’enfance.

Donc, travaillez et soyez doux,
Sinon… Je prendrai du courage !
Stahl même à vous punir s’engage,
Stahl n’écrira plus rien pour vous…
Qu’on se le dise, et qu’on soit sage !


1879.