XXII

DIANE





Va, mon enfant, tu fais très bien
D’être sensible et bon quand même,
Et de pleurer ce pauvre chien,
Car il faut aimer qui nous aime.

Ils sont tout près d’être méchants
Ceux qui riraient de cette larme.
Ne cache pas ces pleurs touchants ;
Ton chagrin m’émeut et me charme.

Aimons-les, ces bons animaux,
Race courageuse et gentille,
Qui souffre avec nous de nos maux
Et veille au foyer de famille.


Pour les braves cœurs de chez nous
C’est un amour héréditaire.
Ecoute, ami, sur mes genoux,
Cette histoire de ton grand-père :

Ils étaient quatre enfants joyeux,
Très gâtés, disait le vulgaire :
Car jadis, chez nos bons aïeux,
Les plus tendres ne gâtaient guère.

Mais votre aïeule, en vérité,
Commença le nouveau système ;
Mon père était enfant gâté,
Je le fus, vous l’êtes de même.

Je ne m’en plains pas, jusqu’ici ;
Oh non, mes bien-aimés ! j’espère
Que vous serez tous, Dieu merci,
Enfants gâtés… comme mon père.

Donc, au scandale des voisins,
Dans sa douceur intelligente,
Pour les gros péchés enfantins
Ma grand’mère était indulgente.

Mais des crimes renouvelés
Il fallait bien faire justice ;
Et dans ces âges reculés,
Tu sais quel était le supplice ?

Les pleurs étaient de nul secours.
Mais, si grave que fût l’offense,

Le cher coupable avait toujours
Un allié pour sa défense.

Diane était son joli nom ;
Ce n’était pas une marquise,
Une duchesse au pied mignon…
C’était une levrette grise.

De très loin, dès le premier cri,
Elle devinait tout, bien vite ;
Et vers le compagnon chéri
La voilà qui se précipite.

On veut l’écarter, vains efforts !
Elle revient, dix fois chassée,
Et de son gentil petit corps
Couvrant… la place menacée,

Elle est là, tremblant, gémissant ;
Si bien que le juge équitable,
De peur de frapper l’innocent,
Renonce à punir le coupable.

C’est ainsi que du châtiment,
L’amie intrépide et constante,
Diane, a cent fois, gentiment,
Sauvé grand-père, oncle et grand’tante.

Et c’est pourquoi, dans la maison,
Nous sommes tous amis des bêtes ;
Le chien et le petit garçon
Y vivent en amours parfaites.


Pleure donc le pauvre Pataud ;
J’en fais presque autant pour mon compte.
Il était laid, — mince défaut ;
Il était bon, pleure sans honte.

Mais, pour te suivre au loin, parmi
Les prés, les bois de la montagne,
Il te faut un nouvel ami,
Et je te cherche une compagne.

J’obtiendrai peut-être, ô douceur !
Celle qu’à rêver je m’obstine,
La fille, ou la nièce, ou la sœur
Du cher Fido de Lamartine.

Elle aura de grands et doux yeux,
La souplesse d’une liane,
Le poil gris d’un velours soyeux,
Et tu la nommeras… Diane.


Décembre 1875.