Le Livre d’esquisses/Les Écrivains anglais et l’Amérique

LES ÉCRIVAINS ANGLAIS ET L’AMÉRIQUE.


Je crois voir dans mon esprit une noble et puissante nation se levant comme un homme robuste après le sommeil et secouant ses boucles invincibles ; je crois la voir, comme un aigle, revêtant son héroïque jeunesse et allumant ses yeux éblouis aux pleins rayons d’un soleil de midi.
Milton, sur la liberté de la presse.


C’est avec un sentiment de profond regret que j’observe l’animosité littéraire qui croît chaque jour entre l’Angleterre et l’Amérique. Une grande curiosité a été récemment excitée au sujet des États-Unis, et la presse anglaise a enfanté bien des volumes de voyages à travers la République ; mais ils semblent faits pour répandre l’erreur plutôt que la vérité, et ils ont si bien réussi, que, malgré les rapports constants qui existent entre les deux nations, il n’y a pas de peuple sur lequel la grande masse du public anglais ait des notions plus erronées, contre lequel elle nourrisse de plus nombreux préjugés.

Les voyageurs anglais sont les meilleurs et les pires voyageurs du monde. Quand il n’entre en jeu aucune considération d’amour-propre ou d’intérêt, personne ne peut les égaler pour la profondeur philosophique de leurs aperçus sur la société, pour la fidélité, le pittoresque des descriptions d’objets extérieurs ; mais l’intérêt ou la réputation de leur pays en viennent-ils aux prises avec ceux d’un autre, ils vont à l’extrême opposé, ils oublient leur probité, leur candeur habituelles pour donner cours à leur humeur chagrine et s’abandonner à un mesquin esprit de sarcasme.

Il suit de là que plus est éloignée la contrée qu’ils décrivent, plus est honnête et fidèle la relation qu’ils en font. J’aurais la foi la plus entière dans la description que me ferait un Anglais des régions situées au delà des cataractes du Nil, d’îles inconnues dans la mer Jaune, de l’intérieur de l’Inde, ou de tout autre pays que d’autres voyageurs pourraient être tentés de nous peindre avec les couleurs de leur imagination ; mais ce n’est qu’avec défiance que j’accueillerais son rapport concernant ses voisins immédiats et ces nations avec lesquelles il se trouve avoir des relations très-fréquentes. Je veux bien me confier à sa probité, mais je ne veux pas partager ses préjugés.

Ç’a été aussi le lot exclusif de notre pays d’être visité par la pire espèce de voyageurs anglais. Tandis que des hommes d’une trempe philosophique, à l’esprit cultivé, ont été envoyés d’Angleterre pour explorer les pôles, pour pénétrer dans les déserts, pour étudier les mœurs et les coutumes de nations barbares, avec lesquelles elle ne peut avoir des rapports permanents de profit ou de plaisir, c’est au marchand en déconfiture, à l’aventurier faiseur de projets, à l’ouvrier errant, à l’agent de Manchester et de Birmingham, qu’il a été donné d’être ses oracles en ce qui touche l’Amérique. C’est à des sources semblables qu’elle se plaît à puiser ses informations sur un pays qui se trouve dans un singulier état de développement moral et physique ; un pays où s’accomplit maintenant une des plus grandes expériences politiques que présente l’histoire du monde, et qui offre à l’homme d’État et au philosophe le sujet d’étude le plus profond et le plus sérieux.

Que de tels hommes fassent de l’Amérique un rapport entaché de prévention, rien de moins surprenant : les sujets de contemplation qu’elle présente sont trop vastes ; trop élevés pour leur intelligence. Le caractère national est encore dans un état de fermentation ; il peut avoir son écume et son sédiment, mais les éléments en sont sains et de bonne nature ; il a déjà fourni la preuve de ses puissantes et généreuses qualités, et, somme toute, promet de se réduire en quelque chose de réellement excellent. Mais les causes qui travaillent à lui imprimer la force et la noblesse, les marques qu’il donne chaque jour d’admirables propriétés, sont entièrement perdues pour ces observateurs à vue courte, qui ne sont affectés que par les petites aspérités résultant de la situation présente. Ils ne sont capables de juger que de la surface des choses ; de celles qui viennent à se trouver en contact avec leurs intérêts privés, leurs plaisirs personnels. Il leur manque quelques-unes de ces chaudes commodités, quelques-uns de ces éléments de bien-être mesquin qui sont l’apanage d’une vieille société, d’une civilisation raffinée, d’un pays trop peuplé, où les rangs des travailleurs utiles sont encombrés, où beaucoup gagnent péniblement et servilement leur pain à étudier jusqu’aux caprices des appétits et de l’amour de soi-même. Ces petites jouissances, cependant, pèsent énormément dans l’appréciation des esprits étroits ; ils ne voient pas ou ne veulent pas reconnaître qu’elles sont plus que contre-balancées chez nous par de grands bienfaits universellement répandus.

Peut-être ont-ils été déçus dans quelque déraisonnable espoir de fortune soudaine. Ils s’étaient peut-être peint l’Amérique comme un Eldorado, où l’or et l’argent abondaient, dont les habitants étaient dépourvus de sagacité ; où ils devaient devenir merveilleusement et soudainement riches, d’une façon imprévue, mais certainement aisée. La même faiblesse d’esprit qui enfante les espoirs absurdes produit l’irritation quand le désappointement arrive. Les personnes de ce caractère s’aigrissent alors contre le pays quand elles s’aperçoivent que, comme partout ailleurs, un homme y doit semer avant de pouvoir récolter ; qu’il faut arriver à la fortune par l’industrie et le talent ; lutter contre les difficultés qu’offre partout la nature, et triompher de la finesse d’un peuple intelligent et oseur.

Peut-être aussi que, par suite d’une mauvaise entente ou d’une mauvaise direction de l’hospitalité, ou de ce vif penchant à réjouir, à fêter les étrangers, qui domine mes concitoyens, ils peuvent avoir, été traités en Amérique avec un respect auquel ils n’étaient pas accoutumés ; et qu’ayant été toute leur vie habitués à se considérer comme au-dessous de la sphère de la bonne société, élevés dans un sentiment servile d’infériorité, ils deviennent arrogants à la moindre marque de politesse : ils attribuent à la bassesse des autres leur propre élévation, et méprisent une société où il n’y a pas de distinctions artificielles, où le hasard peut faire d’individus tels qu’eux-mêmes des hommes d’importance.

On pouvait supposer, toutefois, que des renseignements puisés à de telles sources, sur un sujet où la vérité est si désirable, ne seraient accueillis qu’avec réserve par les censeurs de la presse ; que les motifs de ces hommes, leur véracité, les occasions qu’ils ont eues de s’informer et d’observer, leurs capacités pour juger bien, seraient rigoureusement examinés avant que leur témoignage fût admis contre une nation alliée, quand il devait avoir une si effrayante portée. C’est précisément le contraire qui est cependant arrivé, et l’on y trouve un exemple frappant de l’inconséquence humaine. Rien ne peut surpasser la vigilance avec laquelle les critiques anglais rechercheront jusqu’à quel point on peut croire un voyageur qui publie la description de quelque pays lointain et, comparativement parlant, sans importance. Avec quelle minutie confronteront-ils les toisés d’une pyramide ou les signalements d’une ruine ; avec quelle sévérité censureront-ils la moindre inexactitude qui se sera glissée dans ces travaux, qui s’appliquent à des choses purement curieuses ! Mais ils accueilleront avec transport, avec une foi robuste, les exposés grossièrement faux de mauvais, d’obscurs écrivains, concernant un pays avec lequel leur propre pays se trouve avoir les rapports les plus importants et les plus délicats. Que dis-je ? de ces livres apocryphes ils feront des textes sacrés, qu’ils commenteront avec une ardeur et un talent dignes d’une cause plus généreuse.

Je ne m’arrêterai pas cependant sur un sujet aussi pénible, aussi rebattu ; je n’aurais même pas attiré sur lui l’attention si mes concitoyens n’y avaient pris visiblement un intérêt qu’il ne méritait point, et si je n’avais pas craint qu’il produisît sur le sentiment national certains effets pernicieux. Nous attachons trop d’importance à ces attaques. Elles ne peuvent nous porter un préjudice réel. Le tissu de calomnies dont on a essayé de nous envelopper est comme une toile d’araignée dont on aurait entouré les membres d’un enfant géant. Notre pays le rompt incessamment. Les faussetés tombent d’elles-mêmes les unes après les autres. Nous n’avons qu’à continuer à vivre et chaque jour nous vivrons tout un volume de réfutations. Tous les écrivains de l’Angleterre coalisés, si l’on pouvait supposer un instant que leurs grands esprits descendissent à un complot si méprisable, ne pourraient pas celer l’extension rapide de notre importance, notre incomparable prospérité. Ils ne pourraient pas celer que cela tient, non-seulement à des causes physiques et locales, mais aussi à des causes morales : — à la liberté politique, à la diffusion universelle du savoir, à l’ascendant de bons principes moraux et religieux, toutes choses qui donnent de la force et une énergie soutenue au caractère d’un peuple, et qui, dans le fait, ont été les fondements aussi merveilleux qu’incontestés de leur propre puissance, de leur propre gloire nationale.

Mais pourquoi sommes-nous si douloureusement sensibles aux calomnies de l’Angleterre ? Pourquoi nous laissons-nous affecter ainsi par le mépris qu’elle a essayé de déverser sur nous ? Ce n’est pas dans l’opinion de l’Angleterre seule que vit l’honneur, que la réputation prend sa source. Le monde est grand ; c’est l’arbitre de la renommée d’une nation. De ses mille regards il contemple les actes d’une nation, et c’est d’après leur témoignage collectif que s’établit la gloire nationale ou l’ignominie nationale.

Aussi, pour nous, est-il, en somme, de peu d’importance que l’Angleterre nous rende justice ou non ; ce l’est peut-être de beaucoup plus pour elle même. Elle verse goutte à goutte la colère et le ressentiment dans le sein d’une jeune nation : ils croîtront de son accroissement et se fortifieront de sa force. S’il est vrai que dans l’Amérique elle doive, comme quelques-uns de ses écrivains s’efforcent de le lui persuader, trouver dans l’avenir une envieuse rivale, une formidable ennemie, elle peut rendre grâce à ces mêmes écrivains, car ils ont excité la rivalité, provoqué l’inimitié. Chacun sait quelle est de nos jours l’influence de la littérature, comme elle envahit tout, comme elle gouverne les opinions et les passions humaines. Les débats du sabre n’ont qu’un temps, les blessures qu’il fait n’attaquent que la chair, et les hommes généreux mettent leur orgueil à les pardonner, à les oublier ; mais les calomnies tracées par la plume vont jusqu’au cœur ; elles s’enveniment d’autant plus que ce sont de plus nobles esprits qui en sont les victimes ; elles restent toujours présentes à l’imagination, et nous rendent d’une sensibilité morbide pour le plus léger froissement. Ce n’est que bien rarement qu’un acte ouvert produit les hostilités entre deux nations ; il existe le plus communément une jalousie, un mauvais vouloir qui datent de plus loin, une prédisposition à prendre offense. Remontez aux causes et vous trouverez que très-souvent ils ont leur source dans les productions malfaisantes d’écrivains mercenaires, qui, bien à l’abri dans leurs cabinets, et pour un pain ignominieux, mûrissent et font circuler le poison qui doit embraser les généreux et les braves.

Je n’attache pas à ce point plus d’importance qu’il ne faut, car il s’applique rigoureusement à notre cas particulier. Il n’est pas de nation que la presse gouverne d’une façon plus despotique que le peuple américain, car l’instruction est si répandue parmi les classes les plus pauvres que de chaque individu elle fait un lecteur. Rien n’est publié en Angleterre au sujet de notre pays qui n’y circule dans tous les sens. Il n’est pas une calomnie tombée d’une plume anglaise, pas un indigne sarcasme échappé à un politique anglais, qui n’aille glacer la sympathie, ajouter à la masse de ressentiment latent. Mais, ayant en son pouvoir, il en est ainsi de l’Angleterre, la source d’où découle la littérature de la langue, combien il lui est facile et comme c’est vraiment son devoir d’en faire un canal de sentiments courtois et magnanimes — un ruisseau où les deux nations pourraient se rencontrer et boire en paix, animées d’une mutuelle bienveillance ! Si, cependant, elle persistait à en faire jaillir des ondes d’amertume, le temps peut venir où elle pourra déplorer son imprudence. L’amitié de l’Amérique peut n’être aujourd’hui que de très-peu d’importance pour elle ; mais les destinées futures de ce pays n’admettent pas le doute ; il plane sur celles de l’Angleterre quelques ombres d’incertitude. Survienne alors pour elle le jour du malheur, qu’elle soit atteinte par une de ces catastrophes dont les empires les plus glorieux ne furent pas exempts, et elle pourra jeter sur le passé un regard plein de regrets, se repentir d’avoir été assez infatuée pour rejeter loin d’elle une nation qu’elle aurait pu serrer contre son sein, et fait fuir ainsi la seule chance qu’elle eût d’avoir de véritables amis au delà des limites de son empire.

L’opinion générale, en Angleterre, est que les habitants des États-Unis sont ennemis de la mère-patrie. C’est une de ces erreurs qui ont été propagées avec soin par des écrivains qui avaient leur but. Il y a sans doute beaucoup d’hostilité politique, et généralement beaucoup d’amertume causée par l’illibéralité de la presse anglaise ; mais, collectivement parlant, les préjugés de la nation sont visiblement en faveur de l’Angleterre. Il fut même un temps où, dans mainte partie de l’Union, on en était arrivé à un degré de superstition absurde : le seul nom d’Anglais était un titre assuré à la confiance et à l’hospitalité de toutes les familles, et fut trop souvent un débouché momentané pour l’indignité comme pour l’ingratitude. Partout, dans ce pays, il y avait je ne sais quel enthousiasme qui se liait à l’idée de l’Angleterre. Nous la regardions avec un sentiment pieux de tendresse et de vénération, comme la terre de nos ancêtres — l’auguste dépôt des monuments et des antiquités de notre race — le lieu de naissance et le mausolée des sages et des héros de l’histoire de nos pères. Après notre propre pays, il n’en était pas dont la gloire nous fût plus chère — pas dont nous fussions plus désireux de posséder l’estime — pas pour lequel nos cœurs battissent plus fort, notre sang coulât plus chaud ; et, pendant la dernière guerre, toutes les fois que des sentiments de bienveillance eurent la moindre occasion de percer, les âmes généreuses de notre pays se firent un bonheur de montrer qu’au milieu des hostilités elles veillaient sur l’étincelle où se rallumerait dans l’avenir le foyer de l’amitié.

Tout cela doit-il avoir un terme ? Est-ce que ces liens d’or des douces sympathies, si rares entre nations, seront brisés pour toujours ? — Peut-être est-ce pour le mieux. — Cela dissipera peut-être une illusion qui aurait pu nous maintenir dans un vasselage mental ; qui aurait pu venir, à l’occasion, heurter nos véritables intérêts, empêcher la croissance d’un légitime amour-propre national ; mais il est pénible de se dégager du lien sympathique ! et puis il est des sentiments qui vous sont plus chers que l’intérêt, — qui vous étreignent le cœur encore plus que l’orgueil, — qui nous feront encore jeter en arrière un œil de regret alors que nous fuirons loin, loin du toit paternel, et déplorer l’obstination de la mère qui repousse les caresses de son enfant.

Quelque imprévoyante, quelque injudicieuse cependant que puisse être la conduite de l’Angleterre dans ce système de diffamation, de notre part les récriminations seraient également blâmables. Je ne parle pas d’une vive et noble défense de notre pays, ni d’un châtiment exemplaire à l’adresse de ses calomniateurs ; — mais je fais allusion à cette tendance à user de représailles pour user de représailles, à rendre sarcasme pour sarcasme, à souffler les préjugés, qui semble se répandre de tous côtés parmi nos écrivains. Mettons-nous surtout en garde contre un semblable penchant, car ce serait aggraver le mal au lieu d’arriver au redressement des torts. Il n’est rien qui soit aussi facile, aussi séduisant, que de rendre outrage pour outrage et sarcasme pour sarcasme ; mais c’est une lutte méprisable et sans utilité : c’est la ressource d’un esprit malade qui s’agite et parvient à l’irritation plutôt qu’il ne s’échauffe et s’indigne. Si l’Angleterre veut bien permettre aux mesquines jalousies de métier, ou bien aux animosités implacables de la politique, de corrompre l’intégrité de sa presse et d’empoisonner la source de l’opinion publique, gardons-nous de suivre son exemple. Elle peut croire qu’il est de son intérêt de répandre l’erreur et d’engendrer l’antipathie, que cela doit arrêter l’émigration ; nous n’avons aucun but de cette sorte à poursuivre. Nous n’avons pas non plus des instincts de jalousie nationale à satisfaire, — car jusqu’ici, dans toutes nos rivalités avec l’Angleterre, c’est nous qui l’emportons, qui nous élevons. Nous ne pourrions donc avoir d’autre dessein que celui d’assouvir notre ressentiment — pur esprit de représailles, qui serait même impuissant. Car nos répliques n’étant jamais publiées en Angleterre, elles n’atteignent pas leur but ; mais elles entretiennent une humeur chagrine et dolente parmi nos écrivains ; elles aigrissent les douces eaux de notre jeune littérature ; elles mêlent des ronces et des épines à ses fleurs. Ce qu’il y a de pis, c’est qu’elles circulent dans notre propre pays, et que partout où elles produisent de l’effet elles excitent de virulents préjugés nationaux. C’est ce dernier malheur qu’il faut surtout détourner. Gouvernés entièrement comme nous le sommes par l’opinion publique, nous devons apporter le plus grand soin à préserver de toute atteinte la pureté de l’esprit public. La puissance, c’est le savoir, et le savoir c’est la vérité : d’où il suit que quiconque propage sciemment un préjugé sape de propos délibéré les fondements de la puissance de son pays.

Les membres d’une république, plus que tous autres hommes, doivent être sincères, exempts de passions. Ils sont, individuellement, des portions de l’esprit souverain, de la volonté souveraine, et doivent pouvoir aborder toutes les questions d’intérêt national calmes et l’esprit libre de tous préjugés. D’après la nature particulière de nos rapports avec l’Angleterre, nous devons avoir plus fréquemment avec elle qu’avec toute autre nation des questions d’un caractère épineux et délicat, questions qui touchent aux sentiments les plus déliés et les plus excitables ; et comme, lorsqu’il s’agit de les résoudre, les mesures prises par la nation doivent, en définitive, être déterminées par le sentiment populaire, nous ne pouvons être trop soigneusement attentifs à le purifier de toute passion et de tout préjugé secrets.

Ouvrant aussi, comme nous le faisons, un asile aux étrangers qui viennent de toutes les parties du monde, nous devons les accueillir tous avec impartialité. Nous devons mettre notre orgueil à prouver qu’il est au moins une nation exempte d’antipathies nationales, non-seulement exerçant l’hospitalité d’une façon ouverte, mais donnant encore des marques de cette courtoisie plus noble et plus rare qui naît de la libéralité d’opinion.

Qu’avons-nous à faire avec les préjugés nationaux ? Ce sont les maladies invétérées des vieux peuples, contractées dans des siècles de rudesse et d’ignorance, alors que les nations se connaissaient à peine les unes les autres et jetaient au delà de leurs frontières des regards soupçonneux et hostiles. Nous, au contraire, nous sommes nés à l’existence nationale dans un siècle de lumière et de philosophie, où les différentes parties du monde habitable et les branches diverses de la famille humaine ont été étudiées sans relâche et mises en rapport les unes avec les autres ; et nous répudions les avantages de notre naissance si nous ne secouons les préjugés nationaux, comme nous le ferions pour les superstitions locales du vieux monde.

Mais surtout ne permettons pas que des sentiments de colère nous influencent au point de ne vouloir pas apercevoir ce qu’il y a de réellement excellent, de réellement aimable dans le caractère anglais. Nous sommes un peuple jeune, et nécessairement un peuple imitateur : il faut que nous tirions en grande partie nos exemples et nos modèles des nations existantes de l’Europe. Or il n’est pas de contrée qui soit plus digne de notre étude que l’Angleterre. L’esprit de sa constitution est éminemment analogue à l’esprit de la nôtre. Les mœurs de ses habitants — leur activité intellectuelle — leur liberté d’opinion — leur manière de voir sur ces sujets qui touchent aux intérêts les plus chers, aux jouissances les plus sacrées de la vie privée, sont toutes homogènes au caractère américain, et, dans le fait, sont toutes intrinséquement excellentes : car c’est dans le sentiment moral de la nation que reposent les solides fondements de la prospérité anglaise ; et, bien que le dessus de l’édifice puisse avoir été usé par le temps, ou avoir disparu sous les abus, il faut qu’il y ait quelque chose de bien ferme dans sa base, de bien admirable dans ses matériaux, de bien stable dans sa structure, pour qu’il soit, sans être ébranlé, resté si longtemps debout au milieu des tempêtes du monde.

Que nos écrivains mettent donc leur orgueil à repousser tous sentiments d’irritation, à dédaigner de rendre aux auteurs anglais illibéralité pour illibéralité ; qu’ils parlent de la nation anglaise sans préjugé, avec une constante ingénuité. On nous reproche la superstition aveugle avec laquelle quelques-uns de nos concitoyens admirent et imitent tout ce qui est anglais, uniquement parce que c’est anglais ; signalons cependant avec franchise ce qui est réellement digne d’approbation. Nous aurons alors devant les yeux l’Angleterre comme un livre de renseignements où nous pouvons puiser sans cesse, où sont enregistrées de saines déductions, fruit de bien des siècles d’expérience ; et c’est ainsi qu’en évitant les erreurs et les absurdités qui pourraient s’être glissées dans les feuillets, nous pourrons en tirer de précieuses maximes de sagesse pratique qui serviront à fortifier et orner notre caractère national.