Le Laurier noir/IV/Élégie à Paul Fiolle

Société de la Revue Le Feu (p. 75-78).

ÉLÉGIE À PAUL FIOLLE


Ta mort, mon noble ami, comme tu l’as choisie
Et comme tu voulus qu’elle te ressemblât !
Ton ardeur étouffait dans les murs de la vie,
Des ailes se mouvaient quand tu tendais les bras.

L’éternité des dieux, cette sombre maîtresse,
Penchait son corps d’airain et de fécondité
Sur le lit trop étroit où ta vaste jeunesse
Forgeait à coups pressés ton immortalité.


Des remparts d’Herbécourt ayant franchi la porte,
Le laurier sur le front et la grenade au poing,
Tu montas à l’assaut et rejoignis l’escorte
Des messagers français qui ne reviennent point…

Maintenant dans ton ombre, ou mieux dans ta lumière,
Refoulant les sanglots de la vaine pitié,
Je reprends gravement les routes de la terre,
Qui s’ouvrent sur les champs de l’heureuse amitié.

Je marche à ton côté comme à côté d’un astre
Vers les quais alanguis où s’appuient les vaisseaux,
Et le vent de la mer sur les cris du désastre
Jette des souvenirs, des fleurs et des rameaux.

Le port est frémissant du sommeil des tartanes,
Le chœur des mariniers rêve dans l’entrepont,
La romantique voix de la nuit courtisane
Te pare, te conduit, te nomme, te confond.

Elle ne sait encor, la belle magicienne,
Que l’enfant qui joua de ses lourds colliers d’or
Ne s’accoudera plus à la rampe athénienne
Dont Puget, après Dieu, cisela le décor.


Que cette volupté, dans sa sainte ignorance,
T’offre de diadème, ô jeune conquérant !
Ces vaisseaux, ces appels, ces hymnes, ce silence,
C’est la latinité qui reconnaît son sang.

Marchons encor. Je veux oublier le voyage
Qui dresse sur mes yeux l’espace et l’avenir
Et, très humainement, penché sur ton visage
Croire que, déjà mort, tu ne pourras mourir.

Vois, la lune est levée sur le monde des îles,
La mer cerne d’azur la coupe de Gyptis,
Ton corps n’est pas couvert de ténèbre et d’argile,
Sur ta bouche est l’amour et dans ta main le lys.

Tu vis, tu vis, tu vis ! Les pêcheurs dans les barques,
Les clochers dans le ciel te montrent le matin
Que l’Orient, ce grand berger, conduit et parque
Dans le golfe des dieux méditerranéens.

Les vierges t’ont tressé la couronne d’acanthe
Et te portent le vin dans l’amphore de grès ;
Sous ce feuillage clair, mets ta tête vaillante
Et bois ce pur raisin que Cérès préparait.


Je suis agenouillé dans l’éclat de la stèle
Et mon cœur attentif ne s’en sépare pas.
Ô mon ami, ta gloire est une citadelle
Dont je serre l’écho tragique dans mes bras !