Le Laurier noir/IV/Élégie à Paul Drouot

Société de la Revue Le Feu (p. 67-70).



IV



ÉLÉGIE À PAUL DROUOT


Si mon jardin d’automne entouré de lauriers
Peut, de son harmonie, couronner votre tête,
Permettez, Paul Drouot, que ce soir je m’arrête,
Votre livre à la main, dans le parc effeuillé.
La voix du souvenir fait trembler le silence,
Votre ancienne pensée monte comme un jet d’eau,
Entre la terre et Dieu je sens votre présence,
La cendre est dispersée et vide est le tombeau.
Mes doigts, pieusement, désenlacent les pages.
Vos chants ont le parfum de ces mûres sauvages

Dont l’éclat langoureux répand, en s’écrasant,
Sur la bouche enivrée, une goutte de sang.
Ô comme votre mort ressemble à votre vie !
Dans l’espace creusé par la houle ennemie,
Dans votre éternité vous gardez sur les mains
Tous les reflets d’amour serrés dans ce jardin.
C’est la vigne et le lys qui sont vos immortelles.
Drouot, malgré l’orage et la douleur fidèle,
Malgré la boue offerte au creux du chemin nu,
Malgré ce que je sais, malgré ce que j’ai vu,
Je ne puis vous imaginer qu’en la lumière
D’un manteau ruisselant de rubis et de lierre,
Pareil aux jeunes dieux que Vénus, au matin,
Fait danser sur un lit de grappes de raisins.