Le Laurier noir/III/Les Amants

Société de la Revue Le Feu (p. 65-66).

LES AMANTS


Un moment d’accalmie au plus grand soir d’orage
Leur permet, sous la pluie et dans l’obscurité,
De partager la nuit avec un paysage
Fait d’ardente promesse et de chaude clarté.

Entre l’ombre et le sang, ils vont vers ces maîtresses
Dont la grâce onctueuse et les bras langoureux,
Dans les premiers combats livrés par leur jeunesse,
Furent les ennemis qu’ils aimèrent le mieux.


Vers les parfums secrets des chambres odorantes,
Sur la natte de soie où couche le plaisir,
Malgré le vent meurtrier, ils jettent, éclatantes,
Leurs lèvres, et leurs dents déchirent leur désir.

C’est pour défendre aussi ces élans et ces haines,
La divine souffrance et les enlacements,
Pour leurs cris dans la joie et leurs pleurs dans la peine,
Que ces hommes, dont le plus chaste est un amant,

La tunique en lambeaux et le fusil en joue,
Battus comme un rocher par les vagues du sort,
Restent, depuis des mois, accroupis dans la boue
Et vivent dans des champs labourés par la mort.