Le Laurier noir/III/Lever du jour en Lorraine

Société de la Revue Le Feu (p. 23-27).



III



LEVER DU JOUR EN LORRAINE


L’espace de la nuit m’a séparé des villes
Et c’est sur leur sommeil que mes yeux se sont clos.
Le train s’est enfoncé dans la terre fertile
          Des batailles et des tombeaux.

Dans l’horizon noué par de petites gares,
Le jour descend l’échelle onduleuse des cieux.
L’odeur du bois mouillé dont mes lèvres se parent
          Réveille mon cœur anxieux.


Sur la vitre embuée un visage se pose
De champs déserts, d’arbres vêtus de manteaux roux ;
La Lorraine portant ses mirabelles roses
          Se jette, tremblante, à mon cou.

« Ô ma sœur, courageuse, éternelle et sanglante,
Ai-je dit au pays que j’avais dans les bras,
Ton épée, aiguisée à la meule éclatante
          Qui tourne sur tous les combats,

Laisse à mon jeune amour sa chaude confiance.
Avec sérénité j’entre dans ta maison,
Car ta douleur est une armure sur la France
          Et ta gloire est son horizon. »

Le matin effeuillait de discrètes lumières
Sur la ligne de la Moselle et des côteaux ;
Des wagons emportaient vers le seuil des frontières
          La vaillance comme un troupeau.

Je dis encor à la Lorraine, mon hôtesse :
« Que ton corps est couvert d’invisibles rayons !
Jeanne de Domrémy reste ta forteresse
          Et la colline de Sion,


Bouclier de soleil, étoile au front tragique,
Cathédrale de l’Est, ex-voto des soldats,
A toujours sur ses flancs la grande ombre celtique
          De la déesse Rosmertha. »

Le train continuait une route incertaine,
L’automne se couchait sur des reflets d’acier
Et j’entendais le pas du cheval de Turenne
          Entre la boue et les lauriers.