Le Laurier SanglantCalmann-Lévy, éditeurs (p. 181-184).


PETIT SOLDAT…




Janvier 1916.


Petit soldat, pauvre blessé,
Qui, mal guéri de ta blessure,
Vas par la ville, l’air lassé,
Et la démarche pas bien sûre ;
Toi qui faisais le coup de feu,
Hier encore, avec « le sourire »,
Petit soldat, arrête un peu,

Que l’on t’admire !


Tu n’as pas le « grand chic », pourtant :
Ton uniforme est très malade,

Et ton pied s’avance en boitant
Quand tu les mènes en balade.
Mais nous aimons de ton œil bleu
La flamme ardente et résolue…
Petit soldat, arrête un peu

Qu’on te salue !


Es-tu de Paris ?… du Poitou ?…
De Normandie ou de Provence ?
Tu peux venir de n’importe où…
Nous te chérissons à l’avance.
Tu combats pour ce triple enjeu :
Liberté, bon droit et justice…
Petit soldat, arrête un peu,

Qu’on te bénisse !


Dans les revers, dans les succès,
Contre une fureur assassine
Tu défends le vieux sol français
Où le passé nous enracine.

Tes pères l’ont fait, vertubleu !
Et tout bon chien chasse de race :
Petit soldat, arrête un peu,

Que l’on t’embrasse !



Et sitôt qu’il fut embrassé
D’une paternelle accolade,
Voilà le cher petit blessé
Qui reprend sa lente balade.
Il retourne au front d’ici peu,
Nous a-t-il dit, et « ça lui tarde » :
Petit soldat, mon bon « p’tit fieu »,

Que Dieu te garde !