Le Laurier SanglantCalmann-Lévy, éditeurs (p. 177-180).

LA BLANCHE DÉESSE




1916.



En ce temps où l’on souffre, où l’on pleure, où l’on tue,
Où tout est violence, outrage et cruauté,
Je voudrais qu’on sculptât une noble statue

En ton honneur, ô Charité !


Je voudrais qu’en un lieu paisible et solitaire,
Sous un beau ciel dont rien n’aurait terni l’azur,
Un lieu tout de repos, de calme et de mystère,

Elle dressât son marbre pur.


Un voile agiterait sa très lente caresse
Sur ton front sans nuage, et tu tendrais les mains
En un geste de noble et sincère tendresse

Vers les pauvres humains.


Ils viendraient te conter leur tristesse éternelle,
Leur misérable plainte et leurs tourments secrets ;
Et dans un même élan d’amitié fraternelle

Tu les réunirais…


Tu leur dirais : « Enfants ! ce siècle encor barbare
Ne réalise pas ce que vous rêviez tous…
Mais, pour ceux qui naîtront, l’avenir se prépare

Plus clément et plus doux.


Peut-être, moins lointains qu’on ne le pourrait craindre,
Des jours viendront, des jours appelés ardemment,
Où les hommes heureux enfin, pourront s’étreindre

D’un même embrassement !


Où la paix régnera sur la terre charmée ;
Où la guerre aux bras durs et par le sang rougis
Jettera les tronçons de sa torche enflammée

Dans les flots assagis ;


Où, déroulant le fil doré des heures calmes,
Lasse d’avoir souffert et gémi si longtemps,
L’Humanité pourra s’éveiller sous les palmes

D’un éternel printemps ;


Où, sous le sceptre noble et chaste de l’Idée,
Chacun pourra jouir, loin des rudes combats,
De la félicité la plus grande accordée

Aux passants d’ici-bas ;


Où la Justice intègre et jamais asservie
Fêtera le plus digne et non pas le plus fort ;
Où le bonheur d’aimer embaumera la vie

Et fleurira la mort…


Enfants ! sachez attendre et d’une âme sereine !
Ces temps obscurs encor rayonneront un jour…
Supportez l’injustice et tolérez la haine

En songeant à l’amour ! »



Pour apaiser les maux par la guerre farouche
En ces heures de deuil partout accumulés,
Ô déesse ! voilà ce que dirait ta bouche

Aux hommes assemblés…


C’est pourquoi je voudrais qu’en ce siècle où l’on tue,
Où tout est violence, outrage et cruauté,
On dressât pour ta gloire une noble statue,

Blanche déesse, ô Charité !