Le Jardin du Silence et la Ville du Roy/IV/Pour que mon souvenir…

G. Oudin & Cie (p. 133-134).



V


Pour que mon souvenir passe la porte sombre
Que fermera sur lui la lourde éternité,
Pour que mon nom demeure et que vive mon ombre,
Je veux dans cette plaine, où l’amour m’a porté,

Planter un jeune pin qui croîtra chaque année.
Ainsi le laboureur au retour des travaux
Sous ses aiguilles d’or reposant sa journée,
Ainsi le berger Pan qui taille son roseau,


Ainsi l’oiseau du ciel et l’agnelet docile,
Ainsi l’écureuil blond se dérobant au jour
Béniront mon orgueil qui dressa cet asile
Et le vénéreront en en faisant le tour.

Si le temps, plus qu’à moi, vous accorde de grâce,
Si vous viviez tandis que je ne verrai plus,
Vous viendrez, ma Diane aux jeunes dents voraces,
Rôder près de cet arbre odorant et perdu.

Fiévreusement, vous embrasserez sa résine
Croyant qu’elle sera le destin de mes pleurs
Et la plaine onduleuse au couchant des collines
Verra sur le pin noir se greffer une fleur.