Le Jardin du Silence et la Ville du Roy/IV/J’ai vu, dans mon jardin…

G. Oudin & Cie (p. 159-162).



XV


J’ai vu, dans mon jardin, la reine provençale.
            L’automne harmonieux
Caressait de clarté son cœur et ses mains pâles,
            Sa tendresse et ses yeux.

Des rayons de soleil dansaient comme des pages
            Autour des trois coussins
Contre la soie desquels s’effondrait son visage
            Si chèrement humain.


J’ai dit : « Ces buis, ces pins, ces cyprès, cette source
            Que vous aimez déjà
Ne m’appartiennent plus. Reprenez votre course,
            Ne vous arrêtez pas.

Ne mêlez votre ardeur, fille de la jeunesse,
            Au triste enchantement
De faire d’un jardin un ami qui vous laisse
            Ne fusse qu’un moment.

C’est pour toujours que m’abandonne la terrasse
            Où vous vous reposez,
Pour toujours que la vie de ce petit espace
            De moi doit s’effacer.

Ne cueillez pas de souvenirs ; que votre bouche
            Au lieu de respirer,
Insulte le bonheur que mon âme farouche
            Voulait encor serrer.

N’aimez pas cette allée où l’ombre et le silence
            Se sont tant refletés.
N’aimez pas, croyez m’en, ô reine de Provence,
            Ma vaine royauté.


Que vous resterait-il puisque rien ne me reste,
            Sinon cette douleur
D’être plus dépouillé ? Ne faites pas le geste
            De rassurer mon cœur.

S’il est d’autres jardins vaudront-ils dans leurs branches,
            Dans leur courbe et leur buis,
Dans leurs parfums d’étés et leurs fontaines blanches
            Ma peine d’aujourd’hui ?

Peut-on recommencer, à chaque paysage,
            Un éternel roman ?
Peut-on recommencer à vouloir davantage
            Que son beau dénuement ?

Je serai, dans les fleurs prochaines, cette morte
            En robe de satin
Qui sourit au tombeau vers lequel on la porte,
            La morte sans destin.

Vous viendrez me revoir. Votre paresse encore
            — Dans un décor moins doux —
Trouvera les coussins que votre tête adore.
            Je chanterai pour vous.


Je chanterai, car mon orgueil est une armure
            Sur laquelle le vent
Peut essayer sa force et ses cris. Mes blessures
            Vivent secrètement.

Je vous prendrai la main et nous irons ensemble
            Dans l’heureuse saison.
Vous me direz tout bas : « Cette maison ressemble
            À l’ancienne maison. »

Je ne vous croirai pas mais feindrai de vous croire,
            Sachant que mon amour,
Dans le jardin nouveau, restera la fleur noire
            Qui s’effeuille toujours. »


Aix-en-Provence, 1911-1912.