Le Jardin du Silence et la Ville du Roy/IV/Automne, jeune dieu…
XIII
Automne, jeune dieu à la robe dorée,
Je te retrouve encor.
Des mêmes dahlias ta tête est couronnée.
Toujours ton même corps,
Toujours ta même odeur, toujours ta même gloire,
Toujours tes mêmes bras !
J’ai beau de mes années gravir le promontoire,
Seul tu ne vieillis pas.
Je change de pays, tu me suis de ta course.
Rien de ton long destin
N’est affligé de deuil, et tu restes la source
Quand je suis le bassin.
Voyageur ennivré de mille paysages
Je voudrais, comme à Dieu,
Te cacher, sous des fleurs, la route du voyage.
Puis-je tromper tes yeux ?
L’aurore des chemins et le poids des distances
Sont trop greffés en moi.
Regarde donc, automne ! À ma lointaine enfanée
La cendre fait un toit.
Que de jours, que de nuits, j’ai cru, dans ma pensée,
Pouvoir te ressembler !
La roue de mon orgueil s’est maintenant brisée ;
Mon rêve est envolé.
Quel regret tisserai-je et quelle jalousie,
Puisqu’il me faut savoir
Qu’une raison se renouvelle quand la vie
Ne va que jusqu’au soir ?
Automne, tu n’es plus l’aîné. La mort nous classe
Et j’en suis le plus près.
Des siècles passeront. Tu garderas l’espace,
Moi j’aurai le cyprès.
En attendant le jour des fiançailles brunes
De la terre et des os,
Jeune dieu qui mordant les feuilles une à une
Les jette autour de l’eau,
Jeune dieu dont la flûte est taillée dans la vigne
Et la pomme de pin,
Jeune dieu dont les mains trop rouges égratignent
Les branches du jardin,
Jeune dieu sois encor l’ami de ma tendresse.
Laisse croire à mon cœur
Que l’amour n’est au fond que le plaisir qui dresse
Un mélange d’odeurs.
Ainsi de n’avoir pas l’inutile courage
De ma fidélité,
Je prendrai de ce parc et de ce paysage
La multiple beauté.
Jamais emprisonné, le repos de mes ailes
Se renouvellera.
Je ne me donnerai que pour la joie cruelle
De désunir mes bras.