Le Jardin des dieux/Sous l’œil des hublots/Opium

Le Jardin des dieuxEugène Fasquelle (p. 250-252).



OPIUM



Ô caravane du thé,
De l’ivoire et de la soie,
Laisse enfin que je m’assoie
Sur tes coussins enchantés,

Et donne à ce cœur plus sombre
Que le vieux monde croulant
Ton opium étincelant
Qui revêt d’or même l’ombre.


Comme tu viendras à bout
De ma peine européenne
Avec la pipe d’ébène
Et la pipe de bambou,

Flûtes pour les soirs obliques
Où tout écœure et fait mal,
Ô beau remède animal,
Trouvaille diabolique !

Oh ! dans tes brûlants tombeaux
Tendus de pourpre et de cuivre,
La chair, comme elle s’enivre
De tes chants tristes, si beaux,

Musique obscure et profonde
Qui, dans ses enchantements,
Enveloppe infiniment
La tristesse du vieux monde.


Aussi, l’Opium, ai-je fait
Avec tes flûtes magiques
Un orgue mélancolique
— Bouddah régnant au buffet —

Dont je veux sous les étoiles
Tirer des airs inouïs,
Ô toi dont n’auront joui
Néron ni Sardanapale !