Le Jardin des dieux/Poèmes pour Jézabel/Au balcon

Le Jardin des dieuxEugène Fasquelle (p. 105-107).



AU BALCON



Au balcon où son peignoir flambe
Elle médite entre ses bras
Et sous le bas sa longue jambe
A la souplesse du cobra.

Il n’y a que moi qui connaisse
Le malaise de sa beauté
Et ce qu’exhale sa jeunesse
De puissant et de détesté.


Quand, si sensuelle, elle marche,
Harmonieuse infiniment,
Je vois la danse devant l’arche
Dérouler son balancement.

Mais c’est surtout sous les hauts peignes,
Son crâne de petit vautour
Qui, coiffé de siècles, m’enseigne
Un étrange, un terrible amour.

Ô visage où le nez qui s’arque
Isole des yeux pleins de nuit
Où sans doute, le vieux Tétrarque
Tant de fois noya son ennui !

Dans l’ombre où je la vois, subite,
En lourds bracelets s’accoudant
La luxure éternelle habite
Sous la voûte des yeux ardents.


Et si son pied souple tressaille
Et se balance et se suspend,
La mule aux luisantes écailles
Effile un museau de serpent…

À son balcon elle médite,
Plus belle encore, infiniment
D’être convoitée et maudite,
Et je la déteste en l’aimant !

Elle est juive et femme, elle rêve
Qu’elle a plus trahi que charmé.
Je vois dans ses prunelles Ève
Qui complimente Salomé.

Et la vieille ville numide
Élève encor sur l’Orient
La puissante cariatide
De ce qui trompe en souriant.