Le Jardin des dieux/Poèmes pour Jézabel/Vieille Juive

Le Jardin des dieuxEugène Fasquelle (p. 102-104).
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VIEILLE JUIVE



Paon violet, paon taciturne, lourde juive,
Au milieu des parfums, des roses et des fards,
       Dis-moi, faut-il que je te suive
Pour revoir Athalie au fond de tes miroirs ?

Visage impérieux où dans l’œil faux qui brûle
J’ai vu Loth s’éloigner de ses filles de sel
Et Gomorrhe en ruine au fond du crépuscule
Et tout ce que réprouve un opprobre éternel !


Une mélancolie affreuse et sans mémoire
Stagne aux plis de ce front couleur de parchemin
Où je ne sais quelle âpre et fatidique main
A durement gravé des secrets de grimoire.

Voici les jours sans pain, voici les nuits sans toit,
Voici ta courbature, ô race tant cinglée
Quand si loin de Sion tu roulais devant toi
       Des siècles de knout et d’onglée !

Ô charte douloureuse où s’étalent sans fin
Tous les crachats subis, toutes les hontes bues,
Le bagne, le ghetto, la chiourme, la faim
Et la répulsion des viandes défendues !

Je vois au coin des yeux où du feu s’attisa
La volonté tenace éterniser sa veille
Et, sans espoir, danser dans sa robe vermeille
       Salomé devant Spinosa !


Allons, sous ton foulard luisant qui colle aux tempes
       Comme une autre peau sur ta peau,
Ô vieille que Goya sous l’or fumeux des lampes
Eût mêlée à ses nains comme un riche crapaud,

Pustuleuse, accroupie ainsi sous la cuirasse
       De ton gorgerin trop brodé,
Livre-moi longuement ce visage, — ridé
Comme le monde immense où chemine ta race !