Le Jardin des chimères/Les ailes de la Chimère

Perrin et Cie (p. 64-67).

SCÈNE VI


Un lieu d’immobilité et de silence. — À l’horizon, des glaciers transparents et bleus dressent sur le ciel pâle leurs cimes géométriques aux arêtes vives. Au premier plan, un amas de rochers noirs qui s’écroulent en un chaos surhumain. Nul souffle de vent. Nulle forme de vie végétale : dans l’espace infini, les montagnes de neiges prennent un aspect de mirage.

Icare, vêtu d’une longue tunique, coiffé du pétase et s’appuyant sur un bâton, s’avance péniblement à travers les rochers. Il s’arrête à l’entrée d’une caverne dans l’ombre de laquelle apparaît, imprécise et flamboyante, la Chimère ailée. La voix du monstre au visage de vierge résonne avec une sonorité limpide dans l’air glacé des sommets.


LA CHIMÈRE.


Qui t’a guidé vers moi ?

ICARE.


Qui t’a guidé vers moi ? L’Amour.


LA CHIMÈRE.


Qui t’a guidé vers moi ? L’Amour.Par quelle route ?


ICARE.


J’ai marché dans la nuit de l’angoisse et du doute.


LA CHIMÈRE.


Sais-tu quel est mon nom ?


ICARE.


Sais-tu quel est mon nom ? Chimère.


LA CHIMÈRE.


Sais-tu quel est mon nom ? Chimère.Et toi ?


ICARE.


Sais-tu quel est mon nom ? Chimère. Et toi ? Désir.


LA CHIMÈRE.


Qu’attends-tu ?


ICARE.


Qu’attends-tu ? La Victoire.


LA CHIMÈRE.


Qu’attends-tu ? La Victoire.Oses-tu me saisir ?
Redoute ma morsure et mes serres cruelles.


ICARE.


Je ne crains pas la Mort.


LA CHIMÈRE.


Je ne crains pas la Mort.Et que veux-tu ?


ICARE.


Je ne crains pas la Mort. Et que veux-tu ? Tes ailes.