Le Jardin des chimères/L'essor

Perrin et Cie (p. 71-73).

SCÈNE PREMIÈRE


Un promontoire de rochers assaillis par les vagues. — Sur le plus haut sommet, Icare se dresse, la tête rejetée en arrière, les bras tendus, soulevé déjà par le vent de mer qui grandit et qui gonfle les ailes fabuleuses. Tour à tour bleues comme le ciel, rouges comme le feu, pourpres comme le crépuscule et fulgurantes comme l’éclair, leurs couleurs s’allument, se croisent, s’éteignent et se raniment dans l’éclatante lumière du matin.

Icare parle. — La voix du Vainqueur de la Chimère résonne avec une allégresse triomphale dans le fracas des flots qui se brisent et la rumeur des vagues qui déferlent.


ICARE.


Je te salue, Animateur !
Dieu qui parcours les espaces immenses,

Et toujours recommences
Ta course infatigable, éternel conducteur
De tes chevaux au pied sonore !
Toi qu’on adore
Et qu’on bénit !…
Qui, dans l’obscurité de l’abîme infini,
Allumes la riante aurore !
toi qui répands la gaîté
Et l’espérance sur ta route,
Prends-moi ! Je m’élance, emporté
Vainqueur de la Chimère et triomphant du doute,
Dans ta clarté…
Je te vois ! Tes rayons m’inondent !
L’azur flamboie à mes yeux éblouis !
Soutiens-moi dans l’Éther où tu soutiens les mondes
Sous ton regard épanouis !
Prends-moi ! Je viens. Accueille ma prière
Et laisse-moi
Dans le ruissellement des ondes de lumière,
Monter, arriver jusqu’à toi !
Le vent couvre ma voix de sa voix triomphale !…
Écoute-moi !… Que la rafale

Me soulève assez haut dans l’essor frémissant
De ces ailes de flamme,
Pour que je sente, ô Roi, se consumer mon âme
Dans ton brasier resplendissant !…