Baudinière (p. 125-141).

VII

ÉMIGRATION ET COLONISATION


M. Kiyoshi Kawakami a posé, au début de 1927, dans la Revue des Nations, le problème de l’expansion japonaise sous une forme très modérée, qui n’exclut pas une argumentation énergique. Il a étudié les rapports avec les États-Unis et la situation créée par la fermeture des portes anglo-saxonnes. Aussi bien, malgré les déceptions subies, l’écrivain nippon ne croit pas que son pays se lancera dans des aventures guerrières pour imposer au Nouveau-Monde l’excédent de sa population.

« Le Japon, dit-il, n’hésiterait pas à livrer une guerre défensive chez lui ou dans ses alentours immédiats, mais envoyer une expédition à travers le Pacifique, pour résoudre le problème de l’immigration, jamais ! »

En revanche, M. Kiyoshi Kawakami réclame la liberté de s’étendre « quelque part ailleurs, et logiquement dans l’Asie Orientale ». C’est une nécessité économique vitale qui, d’après lui, pousse le Japon à s’épanouir de ce côté, car ses habitants se trouvent de plus en plus à l’étroit sur le territoire national. En tous cas, s’ils y demeurent, il faut les nourrir.

— « Le Japon, nous explique M. Kawakami, est forcé de chercher les moyens de son expansion économique par tous les procédés pacifiques. S’il n’y parvient pas, ou si les puissances, sous un prétexte ou sous un autre, bloquent la route à ce légitime et pacifique désir, son destin ne peut être que la stagnation, la famine et la déchéance. Le Japon ne peut, bien entendu, accepter ce sort. La race qui le peuple est virile, vigoureuse et prévoyante ».

Comment donc pratiquer cette expansion pacifique et empêcher des débordements capables de provoquer des conflits armés ? On devine que les dirigeants de l’Empire ne cessent d’y penser. Examinons d’abord les chiffres qui s’imposent à l’attention générale et qui ont leur éloquence. D’après le dernier recensement, terminé le 1er octobre 1925, le Japon proprement dit (la Corée et Formose étant exclus de ces statistiques), compte 59 736 704 âmes. Il vient au troisième rang des nations les plus peuplées, après les États-Unis (105 710 620 âmes) et l’Allemagne (62 475 872 âmes). En cinq ans, sa population s’est accrue de 3 773 651 unités, c’est-à-dire 6,7 %. Cela représente une augmentation moyenne de 750 000 individus par an. Les chiffres les plus récents montrent que cette moyenne tend à grossir puisque 941 000 naissances ont été enregistrées en 1926. Il est à noter que la population mâle dépasse la population féminine, de façon appréciable. Sur les 59 736 704 habitants recensés, on trouve 30 012 820 hommes et 29 723 884 femmes, soit un excédent de 288 936 en faveur des premiers. Il y a 101 hommes pour 100 femmes. Le même phénomène ne s’observe qu’aux États-Unis, au Canada et en Suède. Dans les autres pays, l’élément féminin domine. Au point de vue de la densité moyenne, on évalue à 157 habitants par kilomètre carré. Mais il ne faut pas oublier que le Japon est, en grande partie, composé de roches volcaniques et de terres impropres à toute culture. La densité réelle de la population atteint, dans certaines provinces, 929 habitants par kilomètre carré, soit deux fois et demi de plus que la Belgique, trois fois plus que l’Italie, quatre fois plus que l’Angleterre, cinq fois plus que l’Allemagne. Le Japon détient le record[1].

Avec Formose et la Corée, l’agglomération totale atteint le chiffre de 84 millions et demi d’habitants. Or, pour nourrir tout ce monde, il faut environ 148 millions d’hectolitres de riz, par an. L’Empire ne produit pas cela, et il est, en conséquence, obligé d’en importer une proportion qui peut varier, selon les récoltes, de 3 à 6 %. En 1925, ces importations ont coûté 120 millions de yens.

Le gouvernement de Tokio a projeté un système de production intensive à Formose, en Corée et dans le Hokkaïdo. Toutefois, il faut du temps, — au moins dix ou quinze ans — pour que ce système porte ses fruits et, en attendant, l’industrialisation croissante du pays amène les gens dans les villes au détriment des campagnes. Osaka a dépassé les deux millions d’âmes ; Tokio en comprend 1 995 303 ; Nagoya, 768 560 ; Kyoto, 679 976 ; Kobé, 644 212 ; Yokohama, 405 888, etc.

Il n’y a que trois solutions pour éviter les éclatements de cette population, si elle continue à augmenter selon un pareil rythme : l’application du malthusianisme, l’émigration pratiquée au besoin par la force (comme l’indique en dernier recours M. Kawakami), ou, enfin, une organisation telle de la production et une mise en valeur si complète des ressources coloniales, que l’on obtienne de quoi subvenir aux besoins de tous.

Le malthusianisme ne fera jamais assez d’adeptes, au Pays du Soleil Levant, pour arrêter le flot montant de l’humanité nipponne. Cette méthode répugne à la moralité populaire.

Le second procédé mène tout droit à la guerre, et nous avons observé, déjà, que les tendances pacifistes et démocratiques dominaient le Japon d’aujourd’hui.

C’est la troisième solution qui, pour le moment, fixe l’attention des autorités publiques. Comme naguère en France, le conseillait Guizot, elles disent : « Enrichissez-vous, produisez, et vous aurez de quoi satisfaire votre faim et votre soif ».

Cela permet de saisir la politique d’expansion économique et la politique coloniale qui est actuellement poursuivie. Les Japonais, ayant acquis une situation privilégiée en Mandchourie, grâce au traité de 1905, ont d’abord tenté la colonisation agricole du pays et poussé leurs affaires en Mongolie. Ils y ont dépensé des sommes considérables en se servant de l’instrument de pénétration que leur offrait le chemin de fer de la Mandchourie du Sud. Ils s’étaient imaginé qu’ils arriveraient à dominer politiquement ces provinces — qui comptent 22 millions de Chinois — et à les assimiler. Mais ils se sont heurtés à des difficultés sans nombre. Ils ont installé 200 000 colons. Cependant, la pratique leur a démontré que ces colons s’acclimataient difficilement, qu’ils ne pouvaient lutter contre le bas prix de la main-d’œuvre chinoise pour les besognes rurales, qu’ils ne parvenaient pas à s’imposer à une population indigène dont les habitudes séculaires et l’inertie foncière ne se pliaient pas à leurs règles. Ils ont compris que la Mandchourie ne serait pas pour eux un déversoir d’hommes, mais simplement une terre d’expériences économiques, un vaste marché absorbant leurs marchandises, une source de richesses variées, à condition de ne pas s’imposer brutalement aux Chinois. Ceux-ci doivent être amenés progressivement à une collaboration intéressée sans que soit heurté le sentiment national. Cette évolution de la tactique japonaise a été nettement marquée ces temps derniers. Les hommes d’État de Tokio ont renoncé à l’allure conquérante du début pour se consacrer à l’œuvre de la mise en valeur de la Mandchourie, qui forme, avec la Mongolie du Sud, un territoire aux ressources infinies et qui se complètent. Ils ne songent plus qu’à installer là des bases industrielles et commerciales qui leur assureront dans l’avenir une prédominance matérielle indiscutable.

C’est, à l’heure présente, un capital de près de deux milliards de yen qui a été consacré à la Madchourie, dont 800 millions de yens ont été absorbés rien que par la Compagnie du Chemin de Fer de la Mandchourie du Sud, puissamment soutenue par le gouvernement japonais. Lorsque le chemin de fer fut repris aux Russes, il n’existait qu’une seule voie de Port-Arthur à Chang-Choung. Le réseau, maintenant complété, doublé jusqu’à Chang-Choung, perfectionné de toutes manières, comprend 694 milles en exploitation. De Dairen, il monte vers le Nord, à Moukden, rejoint la ligne qui se dirige sur Pékin, se rattache ensuite, à Ssupinkaï, à la ligne de Taonan, atteint Chang-Choung, où il se relie à la Compagnie des Chemins de Fer de l’Est chinois. Avec la ligne de Moukden à Antoung et les lignes auxiliaires, il constitue un vaste système de communications en relation avec les lignes asiatiques, qui sont elles-mêmes en rapport avec les chemins de fer menant vers le continent européen. À Dairen, les Japonais ont établi des ateliers, des forges, des entrepôts considérables. De là partent aussi des bateaux qui font le service jusqu’à Changhaï. C’est encore la tête de ligne qui dessert Hong-Kong et Canton avec escale à Chefoo et Tsingtao.

Le port de Dairen a naturellement été agrandi et bien outillé. Il est actuellement le second de la Chine, venant après Changhaï. L’exploitation des mines de Fushun, Yentai, Chatzuyao et de celles de Shihpeihing et de Toachiatun a été poussée activement. De même, les mines de fer d’Anzan et les aciéries du même nom ont reçu, depuis 1916, une forte impulsion. À Moukden, les Japonais ont transformé la ville, fondé des usines d’électricité et de gaz, modernisé les moyens de transports, créé une cité où l’on trouve toutes les commodités occidentales.

Dans la zone du chemin de fer mandchourien, ne vivaient, naguère, que quelques milliers de Chinois. Ceux-ci approchent aujourd’hui du million. Ils sont de plus en plus attirés par les avantages que procure l’entreprise japonaise. En 1924, s’est formée une association pour le développement du coton en Mandchourie. Des usines cotonnières ont été construites à Moukden, à Liao-Yang, ainsi que plusieurs filatures de soie. D’autres industries connaîtront certainement avant peu, la prospérité : industries de la laine, pelleteries, cuirs, fabriques de colle. Les produits forestiers seront également traités : scieries mécaniques, bois de construction, fabriques de pâte à papier et d’allumettes, sont assurés de beaux développements. Enfin, dans les industries minières, les prospections promettent des bénéfices non noins importants. Les Japonais, après avoir travaille au petit bonheur, en croyant facile la conquête de la Mandchourie, reviennent, cette fois, à la charge avec méthode. Ils profitent des leçons infligées par quelques rudes faillites. S’ils s’arment de persévérance — et chacun sait qu’ils n’en manquent point — et si, malgré les crises économiques récentes, ils étendent leurs avantages, ils obtiendront en Mandchourie une situation économique dont les profits seront incalculables, Toutefois, leur pénétration, quoique pacifique, commence à se heurter à une violente agitation entretenue par le nationalisme chinois. Les Soviets — cela va de soi — l’encouragent secrètement. L’attitude des autorités chinoises de cette province pourrait bien susciter des conflits aigus un jour ou l’autre.

Ces réserves faites, il n’y a qu’à regarder l’œuvre des Japonais en Corée et à Formose, pour se convaincre qu’ils sont, lorsqu’ils s’y appliquent, des administrateurs remarquables. Un financier anglais, M. Georges S. Sale, qui connaît à fond l’Extrême-Orient, a proclamé son admiration au retour d’un voyage récent à travers les régions soumises à la règle nipponne protégées par l’Empire.

— « La Corée, a-t-il dit, est une contrée où la main-d’œuvre est abondante et bon marché. L’agriculture, les forêts, les mines, les entreprises hydro-électriques, et cent autres que les Japonais ont à peine amorcées, en font un pays de grand avenir pour le Japon. La Mandchourie, de son côté, m’a encore plus étonné. Il y a là, au point de vue culture, d’immenses possibilités, à peine utilisées le long de cette dalle voie du Sud-Mandchourie que les Japonais entretiennent de main de maître. Le monde occidental, peu familiarisé avec ces régions lointaines, ne sait pas ce qu’il doit de reconnaissance au Japon, pour avoir maintenu en paix ces provinces si malheureuses au temps où elles étaient abandonnées au fonctionnarisme chinois !

« Quant à Formose, la transformation accomplie par les Japonais est tout simplement prodigieuse, lorsqu’on pense qu’il y a trente ans à peine, cette île ne produisait à peu près rien. Il faut la voir pour y croire.

« Aussi bien, après être rentré à Tokio et après avoir synthétisé mes impressions, il m’a semblé qu’on ne saurait mieux comparer le Japon économique qu’à une maison à quatre étages, dont les fondations et les deux premiers étages ont été érigés prudemment et les deux derniers étages ont été élevés avec trop de hâte et avec des matériaux mal choisis. Ces deux derniers étages sont l’œuvre du temps de guerre, anormal lui-même comme ce qu’il a produit. Voilà pourquoi, quand soufflent les typhons et que la terre tremble, la superstructure se lézarde, tombe même, en faisant des victimes, tandis que les fondements et les étages inférieurs ne bougent pas.

« Tel m’apparaît le Japon d’aujourd’hui avec, en réserve, les superbes jardins de Corée, de Formose et de Mandchourie, entretenus avec un soin jaloux. ».

C’est, précisément, ce qui a été bâti avec trop de hâte que les Japonais restaurent à présent ou même reconstruisent de fond en comble sur un nouveau plan.

Au début, ils eurent la main lourde en Corée. La répression du mouvement de 1919 fut opérée sans ménagements. Depuis, l’opinion s’est répandue que les fonctionnaires impériaux gouvernaient selon des principes tyranniques. Il convient de réviser ce jugement et de ne pas s’en tenir qu’à des incidents douloureux si l’on veut parler de l’œuvre acomplie par les Japonais, au Pays du Matin Calme. C’est un budget de 210 millions de yens qui est, chaque année, consacré à ses progrès intellectuels et matériels. Prenons les écoles publiques. En 1918, on en comptait 466. Aujourd’hui, 990. La population des divers établissements d’enseignement, voici vingt ans, ne dépassait pas une centaine de mille d’élèves. En 1924, elle approchait de 600 000. Des écoles pratiques d’industrie et d’agriculture ont été instituées ; une université a été ouverte à Séoul. La Justice a été de beaucoup améliorée, et les prisons, qui étaient parmi les plus horribles de l’Extrême-Orient, réformées. L’hygiène moderne a été introduite. D’autre faits parlent d’eux-mêmes : le rendement agricole de la Corée est, actuellement, cinq fois ce qu’il était au moment de l’annexion, en 1910. Un enquêteur américain, peu suspect de japonophilie, M. Alleyne Ireland, vient d’écrire un livre The New Korea, pour démontrer que l’administration impériale nipponne est au moins aussi libérale que l’administration anglaise, française ou américaine, dans les colonies. Le bilan des Japonais, affirme-t-il, est à leur honneur, quand on le compare à celui des autres peuples : « Pour une ombre d’indépendance politique perdue, les Coréens ont obtenu des avantages matériels considérables et ils ont vu, dans tous les domaines, leur horizon s’élargir ».

Les partisans de l’indépendance intégrale en Corée me sont plus très nombreux. Mais ceux qui visent à plus de liberté aperçoivent deux solutions : la première serait l’union avec le Japon et une représentation coréenne à la Diète pour que les intérêts du pays y soient défendus à égalité avec ceux des autres provinces de l’Empire ; la seconde consisterait dans l’octroi d’un self-governement. La Corée deviendrait, dans ce cas, un dominion dans les limites de l’Empire. L’une ou l’autre de ces solutions ne paraît pas devoir être adoptée avant un assez long temps. Toutefois, ces projets montrent que l’élite coréenne a évolué vers l’idée de collaboration avec les Japonais et qu’elle n’est plus réfractaire, comme par le passé à ce rapprochement. L’amiral Saïto, qui a gouverné le pays dans des circonstances difficiles, a beaucoup aidé à ce revirement. En 1920, le Prince Yi, héritier de l’Empereur de Corée (qui fut obligé de céder ses droits au Mikado), a épousé la princesse Masako Nashimoto appartenant à la famille impériale japonaise[2]. Cet événement a paru symbolique à beaucoup de vieilles familles coréennes et a désarmé quelques rancunes. On a considéré cette union comme le symbole d’une politique nouvelle et, en effet, c’est surtout depuis cette époque que les Japonais ont redoublé d’efforts pour hâter les progrès de la Corée.

En améliorant ainsi les conditions de la vie, l’Empire protecteur a créé un nouveau problème, car la population coréenne, qui restait stationnaire, avant sa tutelle, augmente chaque année de cent mille individus environ. De là, un mouvement d’émigration. Le Japon ne reçoit chez lui que les travailleurs qui peuvent justifier d’un engagement ou de recommandations écrites de la part de certaines entreprises. Il dirige plutôt l’excédent coréen vers la Mamdchourie et les autres provinces de l’Est chinois. C’est pour cela que 150 000 Coréens vivent dans la province de Moukden ; 500 000 dans celle de Ki-lin et 180 000 environ dans le Priamorski sibérien. Ces émigrants, généralement indolents, fournissent néanmoins des sujets intéressants qui s’adaptent aisément aux conditions des pays où ils trouvent refuge. Mais ils ne sont pas toujours très bien traités, surtout par les Chinois de Mandchourie.

À Formose, le gouvernement japonais a suivi également une politique réaliste. Près de 60 % de la population (qui comprend 3 millions d’individus) s’adonne aux travaux de l’agriculture. C’est de ce côté que le Japon a exercé son esprit de perfectionnement, pour mettre les indigènes au courant de méthodes moins primitives que celles qu’ils employaient depuis des siècles. Il existe, à Formose, une classe d’insulaires à peine civilisés — do-ban. — Il y a aussi de nombreux métis sinoformosiens et, enfin, quelques centaines de mille de descendants chinois. Ces derniers sont les plus évolués et les plus riches. Les Japonais ont fortement encouragé, en plus de la culture du riz, celle de la canne à sucre, qui donne d’excellents résultats, du thé et des fruits. Ils ont, également, développé la pêche, l’élevage, les exploitations forestières.

Formose, comme tout le reste de l’Asie, a été touché par le souffle des idées nouvelles. Certains de ses enfants ne se contentent plus des avantages économiques qui leur ont été de la sorte offerts par le Japon. Un parti de « Jeunes Formosiens » est né. Ce sont d’anciens étudiants, revenus principalement de Chine ou des écoles de Tokio, et qui, groupés en une société patriotique, réclament l’indépendance et même un Parlement. Une délégation de novateurs s’est rendue, à l’automne 1926, auprès des autorités de Tokio, pour leur soumettre un memorandum résumant leurs revendications. Le gouvernement japonais ne s’en est pas ému. Formose demeurera longtemps encore sous la direction japonaise. La masse de la population est loin d’être mûre pour une action politique raisonnée et pour se passer de la tutelle du Japon.

Puisque le Japon se borne à intensifier ainsi son action coloniale sans écouler en Mandchourie, es que en Corée ou à Formose, le trop-plein de sa population, puisque l’Australie, le Canada, les États-Unis lui sont fermés, où envoie-t-il ses émigrants ? On est frappé, en consultant les statistiques, de ce fait que quelques milliers seulement de sujets nippons quittent, chaque année, leur patrie. C’est en Amérique du Sud qu’ils se rendent de préférence. Voici quel était, au 1er octobre 1924, le nombre de ces colons fixés à l’étranger :

Brésil
41 774
Argentine
2 383
Pérou
9 864
Chili
581
Bolivie
716
Paraguay et Uruguay
15
Mexique
3 310
Philippines
8 390
Indes orientales hollandaises
4 161
Straits Settlements
4 935

On voit que, pour une population qui augmente d’un million d’individus par an, la proportion de ceux qui s’expatrient est extrêmement faible. Le Brésil occupe la première place parmi les pays qui accueillent les Japonais. Ceux-ci se fixent de préférence dans l’État de Sao Paulo ou de Santa Fé. Un correspondant de la New York Tribune, M. Neville O’Neill, s’est rendu, à la fin de 1924, dans la petite colonie d’Iguape où les immigrants jaunes se sont organisés.

« Ce centre, exclusivement japonais, nous rapporte le journaliste américain, compte près de 12 000 âmes. Le gouvernement brésilien, désireux de voir la culture du riz se développer sur cette côte de l’État de Sao Paulo, lui a octroyé une concession de 12 millions d’acres d’un terrain de choix. Le succès a dépassé toutes les espérances. Et si le Brésil peut maintenant exporter de grosses quantités de riz, c’est de là qu’il les tire.

« En outre, les colons japonais se sont adonnés à la culture du thé, qui était en train de disparaître du Brésil.

« La colonie d’Iguape est tellement un coin de terre japonaise que nombre de Brésiliens ignorent jusqu’à son existence. Peu d’étrangers y pénètrent. Les Japonais y ont leur journaux, leurs écoles et sont presque tous aisés. Mais il y a place pour de nouveaux arrivants de la mère patrie et la culture du riz dans ces parages offre encore des possibilités indéfinies.

« Il ne faudrait cependant pas s’imaginer que tous les émigrants japonais sont voués à la culture du riz et du thé. On compte parmi eux une quinzaine de mille individus, dont la plupart sont domestiques dans les meilleures familles du pays. Leurs services sont très appréciés ».

Toujours d’après le même reporter, on commence à s’inquiéter, au Brésil, de cet afflux des Asiatiques. En dépit de la bienveillance passablement intéressée qu’on y témoigne aux Japonais, il semble bien que l’on préférerait l’immigration des gens de race latine. Aussi a-t-on déjà suggéré l’idée de transplanter les travailleurs nippons dans la vallée de l’Amazone, dont le climat est très dur pour les Blancs.

Pour parer à ces critiques qui les représentent comme peu assimilables et qui les opposent aux individus des autres races, les Japonais se sont entendus avec les autorités catholiques. Une œuvre d’évangélisation, dirigée par les Jésuites de Tokio, a pour but de convertir les futurs immigrants avant leur départ de la terre natale. Une autre mission est installée au Brésil pour les recevoir, compléter leur éducation et les aider dans leurs entreprises, une fois qu’ils sont parvenus dans leur nouvelle patrie. C’est à raison de 6 000 à 7 000 par an que les Japonais débarquent maintenant aux États-Unis du Brésil qui ont tant besoin de main-d’œuvre.

Avec le Mexique, le Gouvernement de Tokio a signé, en octobre 1924, un traité de commerce et de navigation et il a obtenu des facilités pour ses immigrants. Même politique en ce qui concerne les relations avec le Pérou. Le premier traité de commerce, datant de mars 1894, avait été dénoncé par le Pérou le 11 octobre 1922. Après une période de pourparlers, qui ne dura pas moins d’un an, durant laquelle le précédent traité fut prorogé, un nouveau traité fut finalement élaboré et signé le 30 septembre 1924. Il est en tout semblable au traité que le Japon a précédemment conclu avec la République de l’Équateur. Les sujets des deux parties contractantes sont mis sur un pied absolu d’égalité pour les droits de séjour, de voyage, de trafic, etc… Aucune différence n’est faite entre Japonais et Européens ou Américains. Le traité est valable pour cinq ans. Il peut être dénoncé par l’un des deux pays contractants avec un préavis d’un an. Ces dispositions ont été agréables aux Japonais, ne serait-ce que pour des raisons d’amour-propre.

La question générale de l’immigration, qu’ils considèrent comme une question internationale, n’est pas résolue par toutes ces conventions de détail. Ils n’en parlent pas autant qu’ils y pensent. Ils attendent. Il serait futile de supposer qu’un problème de cette envergure ne se réveillera pas et ne s’imposera pas à l’attention du monde. Pour le moment — l’époque ne s’y prêtant point politiquement — on se contente, au Japon, de solutions provisoires, et on le laisse sommeiller.

  1. Les statistiques de 1927 attestent que le rythme de l’accroissement de la population japonaise s’accélère très sensiblement. Le Japon proprement dit a largement dépassé le 62 millions et la population totale de l’Empire le 84e million d’âmes. Il y a maintenant plus d’un million de naissances en excédent chaque année.
  2. Le couple princier a présidé à Paris, avec beaucoup de grâce, le 12 octobre 1927, la cérémonie de la pose de la première pierre de l’Institut japonais dans la Cité Universitaire du parc Montsouris.