II

LE PARLEMENTARISME

ET L’ÉVOLUTION DES PARTIS


Dans les Lettres sur le Japon, qu’il a écrites, en 1889, pour le « Pioneer », d’Allahabad, Rudyard Kipling raille les Japonais, au sujet de leur Constitution. Il rapporte, sur un ton sarcastique, l’entretien qu’il eut avec le directeur de l’Opinion Publique, un organe de Tokio.

— Vous prenez votre Constitution très au sérieux, n’est-ce pas ? lui dit-il ironiquement.

— Oh ! oui, nous parlons tous politique, maintenant ! confessa le journaliste nippon.

Dans une autre lettre, le fameux auteur anglais nous explique qu’il eut été ingénieux de créer une entente internationale, — sous la présidence de la Grande-Bretagne, bien entendu — afin de protéger l’intégrité des territoires japonais et pour que les sujets du mikado, débarrassés de tout souci politique, aient l’entière faculté de s’adonner à leurs occupations artistiques.

Les Japonais avaient déjà d’autres ambitions, en 1889 ! Ils ont montré, depuis cette époque, qu’ils étaient capables, tout en cultivant les arts traditionnels, de devenir une puissance mondiale. Cette constitution dont se moquait Rudyard Kipling, ils l’ont maintenue et ils en ont perfectionné les rouages. Sans doute, la politique ne leur a pas réservé que d’agréables surprises. Ils ont vu se produire d’immorales combinaisons, éclater de retentissants scandales, se multiplier des crises qui ont jeté le trouble dans les esprits. Leur éducation politique et parlementaire leur a fait subir un certain nombre d’épreuves. En trente-six ans, n’a-t-on pas compté cinquante et une sessions par suite des nombreuses dissolu tions de la Diète et des convocations extraordinaires ? Et nous ne sommes pas au bout des opérations politiques de ce genre : la sagesse parlementaire et le fonctionnement des droits constitutionnels ne s’acquièrent que grâce à une assez longue tradition libérale.

Or, le Japon vivait dans un état de féodalité, il y a seulement soixante-quinze ans ! Les clans qui, naguère, gouvernaient le pays, ont été les premiers à s’adapter au nouveau système et à en retirer les profits immédiats. Encore aujourd’hui, leur puissance subsiste et ils sont loin d’avoir abdiqué devant les courants populaires qui ne sont pas disciplinés par des leaders suffisamment habiles ou ne possédant point une autorité assez décisive. Mais, en dépit de tous ces tâtonnements et à travers toutes les embûches, l’esprit public se forme ; les aspirations, d’abord confuses, de Ja masse deviennent plus claires ; le désir de progrès, qui anime le pays entier, finit par percer et par imposer des solutions plus équitables.

Si, en 1889 — au moment où fut octroyée la Constitution d’Empire, comportant le régime parlementaire à deux degrés — cette innovation correspondait plutôt à une simple imitation des institutions étrangères, en 1927 — alors que débute l’Ère de la Paix Resplendissante — le Japon ressent le besoin de se moderniser davantage, de pousser plus loin ses expériences, en un mot : de se démocratiser. Nous avons constaté que le monarque lui-même, touché par l’esprit nouveau, se posait en réformateur. La colère du peuple — même aux heures les plus rudes, avons-nous dit aussi — ne s’est point encore tournée contre le pouvoir impérial. Elle s’est attaquée au régime des clans, au pouvoir accaparé par une oligarchie s’appuyant sur les grandes familles seigneuriales de l’Ouest et du Sud qui ont, au siècle dernier, renversé le shogun Tokugawa pour aboutir à la Restauration de 1869 et qui ont, depuis lors, estimé que le premier rôle dans l’État devait indéfiniment leur être réservé.

Des entraîneurs d’hommes, des visionnaires généreux, des lutteurs impénitents — comme Itagaki ou Okuma — se sont dressés contre cet accaparement et ont aidé à saper l’influence des clans. Mais qu’on ne s’y trompe pas ! Une fois promulguée la Constitution de 1889, radicaux, réformistes, constitutionnels sont restés trop souvent, sous des étiquettes diverses, les serviteurs des intérêts bureaucratiques, militaires ou aristocratiques. Nous avons vu tournoyer, à partir de 1889, des poussières de partis dont les chefs se disputaient le pouvoir et ses faveurs plus qu’ils ne combattaient pour des principes déterminés. Ces groupements en continuelle recomposition n’ont pris que lentement de la consistance. À l’heure présente, ils sont encore soumis à bien des fluctuations et à bien des modifications. Pourtant, après avoir vécu plutôt en marge de la nation, le Parlement s’identifie avec elle, il en devient peu à peu le moteur, et son action sera, désormais, prépondérante.

Notons un fait matériel mais qui, néanmoins, prouve que le Japon tient à cette institution, et que les représentants japonais n’aiment point le chômage forcé : c’est la promptitude avec laquelle ont été réédifiées la Chambre et le Sénat après un incendie qui les détruisit en octobre 1926. Trois équipes s’étaient partagé la besogne. I] a suffi de 70 jours et de 10 millions de yens (environs 120 millions de francs) pour réaliser ce tour de force. Il est vrai que les nouveaux édifices sont en planches et recouverts en tôles de zinc, en attendant que soit terminé, vers 1932, le splendide Gijidô de granit et de béton armé qui s’achève sur les hauteurs de Kojimachi.

Cet intérêt pour le Parlement est surtout dû au développement de l’instruction dans toutes les classes de la société. Voici qu’apparait, entre autres, une classe moyenne considérable, ayant conscience de sa valeur, égale aux classes correspondantes des nations d’Occident. Industriels, commerçants, avocats, professeurs, médecins, journalistes, ingénieurs, financiers, tous ceux qui sont passés par les écoles et les universités, tous ceux qui forment l’élite, tous ceux qui réfléchissent aux problèmes du jour se lancent dans la mêlée. Ils se substituent aux politiciens de carrière et aux créatures des clans. Ils prétendent qu’ils sont assez grands pour intervenir directement dans les affaires publiques, si bien que les vieilles équipes politiques finiront par être renouvelées et rajeunies. En outre, l’extension du suffrage universel contribuera à cette renaissance, car la porte est par là largement ouverte aux artisans, aux travailleurs des villes et aux paysans de la rizière. Il faut s’attendre à une refonte graduelle des partis avec ces éléments neufs et à une transformation sérieuse de la vie parlementaire.

L’homme qui a préparé cela est, comme il arrive souvent dans l’histoire, un aristocrate éclairé, le vicomte Kato Tomosaburo, décédé en août 1923 à l’âge de 62 ans, après une carrière extraordinairement bien remplie. Kato fut, d’abord, marin. Il se trouvait aux côtés de l’amiral Togo, en qualité de chef d’État-major de la flotte, au moment de la victoire de Tsoushima, en 1905. Ce n’est que dix ans plus tard, sous la présidence d’Okuma, qu’il entra dans la politique active en devenant ministre de la marine. Il garda son portefeuille dans les Cabinets qui se succédèrent avec le maréchal Terauchi, avec M. Hara. Ce fut lui qui eut la charge, après le Traité de Versailles, de doter le Japon des forces navales en rapport avec l’activité mondiale qui devait se déployer dans le Pacifique. Ce fut lui qui établit le programme connu sous le nom de Hachi Hachi Kwantaï, propre à maintenir le pays sur un pied de puissante égalité avec les États-Unis et la Grande-Bretagne. Ce programme formidable entrait à peine en exécution quand survint la grande crise économique de 1920-1921. Alors, apparurent avec plus de relief, les conséquences financières, politiques et sociales de tous les bouleversements qui, pendant cinq ans, avaient déréglé la production universelle.

Le reconstructeur de la marine japonaise se vit dans l’obligation, à la Conférence de Washington (décembre 1921 — mars 1922), de renoncer au magnifique plan qu’il avait conçu. Il aperçut les résultats probables de cette course aux armements : les difficultés intérieures croissantes sous la montée démocratique, les tragiques éventualités du lendemain à l’extérieur en présence de la dénonciation de l’alliance anglo-japonaise et devant l’impérialisme de plus en plus irritable des États-Unis. L’amiral Kato eut la fermeté d’âme et la prudence politique de sacrifier une partie des ambitions navales du Japon et de ses propres ambitions. Il donna à la paix des gages absolus. Il admit les clauses qui consacraient, sur mer, l’infériorité de son pays vis-à-vis de l’Amérique et de la Grande-Bretagne. L’Amiral Kato, au cœur droit et juste, n’avait qu’une parole. Il signa, et il exécuta.

Quand il revint à Tokio, après ces laborieuses négociations, il fut accueilli avec une respectueuse ferveur par tous ceux qui comprenaient qu’en marquant ainsi la volonté pacifique de l’Empire du Soleil Levant aux yeux de l’univers, il avait remporté une belle victoire, une victoire dont les bénéfices, pour ne pas être acquis à coups de canon, n’en étaient pas moins certains, puisqu’on avait éloigné les chances de guerre.

Les nationalistes nippons, au contraire, commencèrent à murmurer et à critiquer cette politique qu’ils qualifiaient de politique d’abandon. Quand, à quelques mois de là, l’Amiral Kato rendit le Chan-toung à la Chine, les murmures se transformèrent en violentes protestations. Il y eut même des manifestations dans la rue contre le chef qui, sans hésitation ni faiblesse, risquait toute sa popularité pour engager le Japon à des concessions qu’il estimait indispensables. Mais ce personnage, si frêle d’apparence, si menu si délicat, avait les yeux fixés sur le nouvel idéal. Il n’est pas douteux que les intrigues des clans réactionnaires, que les manœuvres dirigées contre lui l’aiguillèrent plus délibérément encore sur la voie qu’il avait choisie en politique extérieure et l’invitèrent à plus de radicalisme dans les réformes qu’il se proposait d’effectuer à l’intérieur :

Cette impulsion donnée par l’Amiral Kato à la politique générale devait être fortement accentuée dans la suite par les élections du 19 mai 1924 qui — bien que pratiquées selon l’ancien système — allaient inviter la Diète à prendre des mesures plus audacieuses.

Quelle évolution, en effet, de 1920 à 1924 !

La consultation de 1920 avait amené à la Chambre 460 députés sur lesquels le Seiyu-Kwaï (fondé naguère par le prince Ito) en avait 280, le Kensei-Kwaï (créé par le prince Katsura en 1911 et dont faisait partie le vicomte Kato) 105, le Kaku-shin-Club (ou club des Progressistes réformistes, organisé par les leaders Inukai et Ozaki Yukio), 55. Le reste était dispersé et sans grande importance.

Cette répartition devait être révisée par l’action du cabinet Kiyoura, cabinet de conservation qui essaya d’esquiver les réformes, de brider l’élan populaire, de dégager la politique des influences modernes pour la ramener au centralisme bureaucratique. Le vicomte Kiyoura, bien qu’ancien instituteur de village, n’avait d’admiration que pour les hommes de la Restauration. Il s’était élevé par son travail au sommet de la hiérarchie administrative, et il n’admettait que le principe d’autorité. Appelé au gouvernement par le régent, le 6 janvier 1924, il commença par dédaigner la Chambre des Députés et par choisir tous ses collaborateurs dans la Chambre Haute. Ce fut une belle levée de boucliers ! Les sénateurs, y compris leur président (pourtant prince Tokougawa et descendant direct des Shoguns), protestèrent presque autant que les représentants de la Diète.

Puis, le vicomte Kiyoura, dans l’espoir d’obtenir une majorité, débaucha une partie des députés du Seiyu-Kwaï, miné par des querelles intestines. Ainsi fut formé un nouveau groupement, le Seiyu-honto (les vrais amis du gouvernement). Devant cette défection, le président du Seiyu-Kwaï, le vicomte Takahashi Korekiyo, renonça à son titre de vicomte et à la pairie afin de briguer un mandat populaire et de bien marquer son hostilité contre un gouvernement de bureaucrates et d’aristocrates. Il conclut une alliance avec le Kensei-Kwaï et avec le Kakushin-Club, qui réunit tous ceux qui se considéraient comme les protecteurs de la Constitution. C’est ce que l’on a appelé le Cartel japonais, le Cartel qui joua le 10 mai 1924, le Cartel qui balaya le vicomte Kiyoura et qui permit au vicomte Kato Komei[1] de s’attaquer, une fois président du Conseil, à ces problèmes essentiels : réforme électorale, réforme de la Chambre Haute, réforme administrative, réduction et réorganisation de l’armée de terre. Après la victoire du Cartel, trois partis dominaient le Parlement nippon : le Kensei-Kwaï (164 membres), après absorption du Kakushin-Club ; le Seiyu-Honto (90 membres), et le Seiyu-Kwaï (160 membres).

Le vicomte Kato ayant formé son Cabinet, le 11 juin 1924, réussit, dans les mois qui suivirent, à faire passer son projet de suffrage universel qui donne le droit de vote à tous les Japonais mâles au-dessus de 25 ans. Du coup, le corps électoral a été porté à douze millions d’inscrits, alors que, précédemment, on n’en comptait que deux millions et demi, soit 4 % de la population.

Quant au Sénat, composé de 19 princes du sang, de pairs héréditaires pour plus de la moitié de ses membres, de représentants de l’Empereur et de citoyens payant le plus d’impôts fonciers, il a été élargi. Le vicomte Kato n’a pas osé mener la lutte à fond et enlever le droit de veto à la Chambre Haute qui possède des ramifications dans toutes les classes dirigeantes et qui se rattache, de la sorte, à toutes les puissances, avérées ou occultes du pays. Il s’est borné à enlever la majorité aux pairs héréditaires et à accroître le pouvoir de désignation de l’Empereur, c’est-à-dire du ministère.

Enfin, les réformateurs sont parvenus, malgré l’opposition des clans militaires et après des polémiques vraiment épiques, à réduire les dépenses du ministère de la guerre et à introduire un peu plus d’esprit libéral dans le corps des officiers.

Telle a été, dans l’ensemble, l’œuvre du cartel démocratique, œuvre qui marque un stade considérable dans l’évolution de la politique nipponne.

M. Wakatsuki, qui succéda, le 28 janvier 1926, au vicomte Kato, continua sa politique au milieu des discordes des partis en perpétuelle réorganisation. Il nous est impossible de décrire ces dosages de groupes et ces amalgames qui font passer la majorité tantôt du Kensei-Kwaï au Seiyu-Kwaï, tantôt du Seiyu-Kwai au Kensei-Kwaï, ou bien de noter les apports du Seiyu-Honto à l’un ou l’autre groupe. Cela varie selon l’opportunité de la politique qui reflète encore trop l’action des intérêts situés hors du Parlement.

Le fait le plus intéressant à signaler sous ce ministère a été le premier essai de suffrage universel, tenté le 3 septembre de cette même année 1926, à Hamamatsu, sous préfecture du département de Shizuoka, sur la grande voie du Tokaido, qui relie Tokio à Kyoto. Il s’agissait du renouvellement du Conseil municipal administrant une cité de 60 000 habitants. D’après la nouvelle loi, 16 041 citoyens étaient appelés à voter.

Hamamatsu est une ville qui comprend des propriétaires fonciers, des agriculteurs, des commerçants, mais aussi des artisans et des ouvriers qui travaillent dans diverses usines, notamment des fabriques de coton. Comment allaient se comporter tous ces éléments ?

La campagne électorale, qui ne provoqua aucun incident regrettable, fut suivie avec enthousiasme. Sans doute, l’aiguillon de la curiosité y était-il pour quelque chose. Tout de même, les électeurs nippons apportèrent beaucoup de sérieux dans la discussion de leurs affaires municipales. Sur les 16 041 inscrits, 13 864 exergèrent leur droit, ce qui prouve bien leur intérêt profond pour la chose publique.

À côté des vieux partis, le jeune parti travailliste, s’appuyant sur la Fédération générale des travailleurs ruraux et urbains, fit bonne contenance. Les résultats de la lutte acharnée qu’ils se livrèrent jusqu’à l’ouverture du scrutin furent les suivants : sur 36 conseillers municipaux à élire, 13 anciens furent réélus et 23 nouveaux. Dans l’ensemble, les deux partis Kensei et Seiyu-Kwaï conservèrent le même nombre d’élus, c’est-à-dire 11 et 9. Le parti conservateur Seiyu-Honto en perdit 3 et en obtint 7 ; le parti indépendant en récolta également 7. Enfin, le parti travailliste, qui présentait 6 candidats seulement, réussit à en faire élire 4.

Cela promet pour les élections législatives lorsque le système électoral fonctionnera en grand.

À la suite de complications, financières n’ayant rien de commun avec la politique générale du Gouvernement, le Cabinet Wakatsuki a été remplacé, le 19 avril 1927, par un Ministère présidé par le général Tanaka, ex-généralissime et représentant le clan de Nagato, qui est celui de l’armée. Son chef suprême est le prince Saionji, dernier des Genrô, âgé de 84 ans, mais conseiller très écouté du trône. Le général Tanaka qui se trouve, de ce fait, appelé à diriger la consultation nationale de 1928, n’a pas le même esprit que le vicomte Kato en politique intérieure ni en politique extérieure, tant en raison de ses origines que de son tempérament. Nous pourrions assister à un certain redressement nationaliste du Japon. Des remous se produisent déjà dans les groupes parlementaires et des fusions et confusions supplémentaires seront une fois de plus inévitables. Mais là n’est point la question. Tous les regards sont tournés vers le proche avenir. Ce n’est pas tant du côté de la Diète qu’il convient de regarder que du côté du peuple japonais dont, malgré les intrigues des clans et la pression de puissants intérêts, l’âme s’éveille et attend du réconfort. Il a des inquiétudes et il a besoin de stabilité morale, de stabilité économique et politique. C’est la raison pour laquelle nous assistons à une floraison inouïe d’associations, de clubs, de sociétés d’études, non seulement dans la jeunesse lettrée, mais encore dans les milieux les plus humbles.

— Tout le monde parle politique au Japon, disait à Rudyard Kipling, le directeur de l’Opinion Publique. On en parle encore bien plus en 1927 qu’en 1889 ! On se réunit, on se consulte, on se syndique. Je lisais dernièrement, dans un journal de Kyoto, que les directeurs du célèbre Temple de Nishi Hongwanji, qui rayonne sur dix mille temples de même doctrine, avaient décidé de prendre une part active à la prochaine campagne électorale. Ils ont publié une brochure : Politique et Religion, dans laquelle ils exposent leurs vues sur la moralité qui doit guider les électeurs. Les bonzes, appartenant à la congrégation du Nishi Hongwanji, feront des conférences et soutiendront les candidats désignés par leurs supérieurs. Cinq cents orateurs ont été désignés par participer aux joutes électorales.

Les ouvriers, les paysans, les travailleurs de toute catégorie sont sollicités d’entrer dans les organisations électorales en formation. Les femmes s’agitent, elles aussi.

Les élections aux Conseils généraux, qui ont eu lieu à la fin de septembre 1927, ont encore permis aux différents partis de s’entraîner un peu en vue du grand renouvellement parlementaire de 1928. Sur 1 480 sièges à fournir, 714 sont revenus au parti Seiyu-Kwaï, qui détient le pouvoir ; 990 au parti Kensei-Kwaï, qui, allié au Seiyu-Honto, est devenu le nouveau parti Min-sei-to. Les indépendants ont obtenu 162 sièges. Quelques partis isolés, une quinzaine. Enfin, les trois groupes prolétariens réunis n’ont réussi à faire passer que 28 de leurs candidats. On a beaucoup moins voté que lors de l’élection municipale d’Hamamatsu. Sans doute, les électeurs nouveaux sont-ils plus embarrassés pour faire leur choix lorsqu’on propose à leur attention des problèmes généraux que lorsqu’on excite leur intérêt local. Mais ils prendront rapidement conscience de leurs droits, ils ne tarderont pas à être entraînés par les leaders qui stimulent leur pensée et qui les initient à la politique. Leur apprentissage se perfectionnera dans les mois qui précéderont les élections législatives.

C’est une sorte de printemps politique que traverse le Japon, un printemps qui grise certaines cervelles, qui en exaspère d’autres, qui exerce son influence sur tout le monde. Que sera la moisson ? Le bon grain l’emportera-t-il sur le mauvais, la désillusion sera-t-elle plus forte que la joie des résultats forcément relatifs de cette vaste épreuve ? Je pense que ce mouvement d’émancipation aura d’heureux effets. Il contient trop d’espérances pour que quelque chose d’essentiel n’en sorte pas. Le rythme démocratique pourra maintenant subir des à-coups et des retards. On ne le détruira pas parce qu’il correspond trop au désir de toute une humanité nouvelle.

  1. Il ne faut pas confondre l’amiral Kato Tomosaburo dont nous venons de signaler les services un peu plus haut avec le vicomte Kato Komei, diplomate de carrière, devenu le chef du Kensei-Kwaï qui tira, au moins en partie, les conséquences de la victoire électorale du 19 mai 1924. Les deux Kato ont eu chacun leur heure dans la direction de l’évolution démocratique japonaise.