Le Gouvernement de la défense nationale/03

Le Gouvernement de la défense nationale
Revue des Deux Mondes4e période, tome 136 (p. 241-276).
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LE
GOUVERNEMENT DE LA DÉFENSE NATIONALE

III.[1]
LES PREMIÈRES FAUTES


I

Le 4 septembre, la situation était d’une simplicité effrayante.

400 000 Allemands occupaient l’Alsace, la Lorraine, les Ardennes et la Champagne. Près de 700 000 remplissaient les dépôts et les places fortes de l’Allemagne, prêts à renforcer l’armée d’invasion. Ce million d’hommes, qui avaient pour la plupart fait campagne, était conduit par une noblesse guerrière, savante et unie, encadré par une élite démocratique de sous-officiers expérimentés, pourvu de tout ce qui peut accroître la force des troupes et diminuer leurs souffrances. Après un immense effort et d’extraordinaires succès, l’instrument forgé par la patience laborieuse de la Prusse paraissait encore intact.

La France n’avait plus d’armée. Des 450 000 soldats qui, au début de la lutte, formaient l’armée active, c’est-à-dire toute la force militaire, 50 000 étaient restés sur les premiers champs de bataille, 100 000 avaient été faits prisonniers autour de Sedan, 170 000 étaient bloqués sous Metz, 80 000 servaient de garnison aux places assiégées ou menacées, et à l’Algérie. Seul, le corps de Vinoy, qu’un ordre de Mac-Mahon avait retenu à Mézières, sur le bord de l’abîme, et quelques troupes, surtout de cavalerie et d’artillerie, qui s’étaient échappées de Sedan, gardaient encore la liberté de fuir, et, poursuivis par les vainqueurs, faisaient, au nombre de 35 000 hommes, retraite sur la capitale. Si l’on ajoute quatre régimens qu’on pouvait ramener d’Algérie, et à peu près 200 hommes qu’on pouvait encore tirer, en l’épuisant, de chaque dépôt de France, le total des soldats que l’armée active était capable de mettre en ligne ne dépassait pas 70 000 hommes. Le reste des Français valides, inscrits ou non sur les listes de la garde mobile et de la garde nationale, était étranger à toute instruction militaire.

Les armes n’étaient pas plus prêtes que les soldats. Avant la lutte, on prétendait que nos arsenaux renfermaient plus de 3 millions de fusils et 21 000 canons, dont 10 000 de campagne. Mais c’était un matériel oublié par le temps et condamné par la science : 2 millions de ces fusils se chargeaient par la bouche, un certain nombre étaient à pierre ; 17 000 de ces canons étaient des pièces capables encore d’annoncer les victoires mais plus de les gagner. Il n’y avait de propre à la guerre que l’artillerie rayée : 2 000 pièces de siège et 2 000 de campagne, fort inférieures à l’artillerie Krupp ; et 1100 000 fusils Chassepot, très supérieurs au fusil Dreyse. Nos armées, investies ou prisonnières, et nos places fortes de l’Est détenaient 400 000 de ces fusils et la plupart de ces canons ; il ne restait pour armer la France que 700 000 fusils et 600 pièces de campagne[2]. Or, pour soutenir une guerre, il faut 3 canons par 1 000 hommes, et 3 fusils par homme ; il restait donc tout juste de quoi armer 200 000 hommes. L’habillement, l’équipement, les services sanitaires n’étaient pas plus complets.

Mieux que tous les détails, un fait donne la mesure de la détresse militaire : pour la défense du sol, l’armée offrait désormais moins de ressources que la marine. Au début de la guerre, celle-ci devait fournir, porter et débarquer sur le littoral ennemi 30 000 Français qui, joints à 40 000 Danois, envahiraient le Hanovre et le Holstein, les contrées les plus hostiles au joug prussien. Elle pouvait suffire à cette lâche. L’inscription maritime qui tenait, de 18 à 50 ans, à la disposition de l’Etat, quiconque naviguait à la pêche, au cabotage, ou au long cours, permettait de puiser librement dans une réserve de 115 000 matelots. Le recrutement fournissait de plus, pour la conquête et la garde des colonies, une force permanente d’infanterie et d’artillerie, véritables troupes de terre : ces troupes comptaient 38 000 hommes. 5 000 étaient aux colonies, 29 000 furent destinés au corps de débarquement. Pour monter la flotte de combat et de transport il fallait 74 000 matelots ; il suffit, pour avoir ce nombre, de lever parmi les inscrits les célibataires âgés de moins de 40 ans. Mais l’offensive sur le littoral comme l’offensive sur le Rhin étaient moins des desseins que des rêves, et nos premières défaites les dissipèrent. Il avait fallu désarmer la flotte de transport : une partie des équipages et les troupes de la marine se trouvaient dès lors sans emploi. L’infanterie de marine envoya 9 000 hommes à l’armée qui se reformait sous Châlons : ce furent eux qui s’illustrèrent et périrent à Bazeilles. Comme la flotte de l’Allemagne, trop faible pour se mesurer à la nôtre, s’était réfugiée au fond de ses ports, notre flotte de guerre n’eut plus pour objectif que leur blocus dans la mer du Nord et dans la Baltique. Mais là c’est la nature qui luttait contre nous : la situation des ports ennemis, au fond de longs et sinueux estuaires, la configuration des côtes, basses et sablonneuses, où un flux et un reflux sans profondeur couvrent et découvrent tour à tour un large espace qui n’est ni la terre ni la mer, les courans violens près des côtes, les tempêtes fréquentes au large rendaient le blocus dangereux pour nos cuirassés trop lourds. Les glaces d’un hiver prématuré allaient fermer la Baltique. Dès le milieu de septembre, ordre était donné aux escadres de regagner Cherbourg et le blocus était remplacé par le va-et-vient de quelques navires dans la mer du Nord, seule accessible désormais. Par suite, outre ses 20 000 soldats d’infanterie et d’artillerie, la marine aura à terre, et inutiles, plus de 50 000 matelots sur les 74 000 qu’elle vient de lever. Ces matelots connaissent presque tous le maniement du canon ou du fusil ; à ceux mêmes qui l’ignorent, il ne manque, pour être les meilleurs soldats de France, que cette instruction facile à acquérir, et l’habitude des marches : car tous ont appris, non seulement par un court passage au service de l’Etat, mais par l’exercice constant de leur métier, cette stricte discipline, cette habitude de la souffrance et cette familiarité avec le danger, qui sont les vertus essentielles chez l’homme de guerre, et les plus longues à acquérir. En étendant la levée aux inscrits, mariés ou veufs, jusqu’à 40 ans, la marine peut fournir de plus 20 000 hommes d'égale qualité. Enfin, en épuisant le droit de l'État jusqu'au bout, et la liste des inscrits jusqu'à 50 ans, on fournirait encore 20 000 hommes, peu propres à un service de campagne, mais capables de défendre, aussi bien que pas une troupe en Europe, les murailles d'une place. Ce serait arrêter toute navigation commerciale et enlever à la population du littoral les chefs de famille qui la font vivre, mais si l'on veut avoir pitié de la patrie seule, la marine serait en état de joindre 110 000 à 120 000 soldats aux 70000 qui restent de l'armée. Et tandis que celle-ci, saignée à blanc, peut à peine donner à ce reste de soldats un reste de cadres, incomplets par le nombre et souvent inférieurs par la qualité, la marine possède intacte sa hiérarchie de commandement, le corps admirable de sa maistrance, des officiers qui ont la confiance et le dévouement de leurs hommes, enfin des amiraux, qui, chargés de diriger nos expéditions dans les contrées lointaines, ne sont étrangers ni à la tactique ni à la stratégie de la guerre terrestre. La marine enfin a toute faite une partie de l'armement qui manque à nos places. Elle vient de remplacer par une artillerie nouvelle et plus puissante l'artillerie jusque-là en service à bord et sur les côtes ; il lui est facile, sans enlever un canon à ses navires et à ses ouvrages, de prêter à notre défense les pièces hier encore employées contre les cuirassés, et, par suite, puissantes contre des ouvrages de pierre et de terre. Mais au total, et en employant toutes ces ressources, la France aurait peine à armer et à mettre en ligne, contre 1 million d'ennemis, 200 000 soldats dignes de ce nom.

Comment transformer en soldats les 6 à 700 000 Français qui se doivent à la défense ? Pour instruire et commander, il reste les généraux, les officiers et les sous-officiers qui, à bout d'âge ou de vocation, ont quitté l'armée, sont de plus séparés d'elle par les changemens accomplis, depuis leur retraite, dans la science militaire, et auront à apprendre au moment où il faudrait enseigner. Pour créer des armes et du matériel, les arsenaux de la guerre et ceux de la marine, ces derniers surtout, avec leur puissant outillage, leurs approvisionnemens, leurs 20 000 ouvriers, offrent de précieuses ressources. Mais, même en unissant leurs efforts, les établissemens de la guerre et de la marine ne sauraient produire plus de 1000 fusils par jour, et plus de 10 batteries par semaine, c'est-à-dire par mois l'armement nécessaire à 100 000 hommes. Il faudrait à la France la moitié d'une année pour créer moins de forces que n'en possède déjà l'ennemi, et tandis qu'elle tenterait lentement de les accroître, il aurait tout le loisir de les détruire avec toutes les siennes. Notre état militaire ne nous fournissait pas les moyens de soutenir la lutte. Sans doute, par-delà ce qu’il offre de ressources, apparaît, en France, une immense jachère de forces inutilisées. Notre intelligence nationale possède une supériorité de promptitude et de souplesse qui lui permet de s’appliquer à tous les genres d’activité et d’improviser ses aptitudes. Leur existence ordinaire prépare nos ingénieurs, nos comptables, nos médecins, à des travaux analogues à ceux dont la défense a besoin. Notre industrie, pour transformer toutes les matières, a des moyens d’action autrement variés et vastes que les arsenaux de l’Etat. Notre richesse enfin nous permet d’acquérir tous les élémens de puissance qui s’achètent. Mais tandis que l’Allemagne, moins dotée par la nature, a su saisir et employer à l’organisation de l’Etat toutes les puissances intellectuelles, morales et matérielles de la nation, en France la nation et l’armée ont paru également soucieuses de s’emprunter et de s’aider le moins possible. L’autorité militaire a mis son point d’honneur à suffire à tout avec une armée de métier, et si elle consent à regret à recourir, pour certains approvisionnemens, à l’industrie privée, elle lui a interdit de fabriquer les plus essentiels à la guerre : la poudre, les projectiles et les armes. La population civile n’applique ses pensées, son savoir, ses capitaux et son zèle qu’aux professions et aux intérêts de la paix. Ainsi, tous les élémens de force qui sont en elle et devraient servir à la défense du pays, demeurent épars et bruts, comme les matières premières de la puissance.


Nulle partie contraste entre cette insuffisance de l’organisation militaire et la surabondance d’hommes, de science, de ressources non employés n’était aussi douloureux et menaçant qu’à Paris. La ville était, de toutes les places de guerre, la première par ses dimensions. Ses ouvrages, achevés en 1842, formaient alors un ensemble qui défiait les attaques. Les 15 forts et redoutes qui flanquaient l’enceinte étendaient autour d’elle un cercle protecteur de 80 kilomètres. On avait calculé que, pour investir régulièrement ce périmètre, il fallait 600 000 hommes, et c’était plus qu’en un temps d’armées restreintes ne comptait aucune nation. De même, les ouvrages extérieurs, qui étaient établis de 1900 à 2800 mètres en avant de la place, préservaient celle-ci du bombardement, à une époque où l’artillerie ne portait pas à 1 200 mètres. Mais en 1870, l’ennemi avait 1 million d’hommes et son artillerie portait à 3 000 mètres. Ni la structure des ouvrages, ni leurs emplacemens, ni les distances entre eux et le corps de place n’étaient plus en rapport avec les nouveaux moyens d’attaque. Ces forts, sauf le Mont-Valérien, avaient été bâtis dans la plaine qui entoure Paris : elle s’étend de l’est, — où la Seine et la Marne confondent leurs vallées et s’unissent, — à l’ouest, où le fleuve décrit ses larges orbes ; elle est bornée au nord et au sud par des hauteurs qui s’élèvent d’un relief abrupt, et qui, s’éloignant d’elle, se prolongent en plateaux à travers les mouvemens d’un sol accidenté et couvert. Ces hauteurs commandaient vers Sannois, à moins de 3 000 mètres, nos ouvrages nord, et vers Châtillon, de 2 000 à 1 000 mètres, notre front sud et les forts de Montrouge, de Vanves, et d’Issy.

Il fallut nos premières défaites pour que le siège de la capitale parût un malheur possible, et qu’on s’avisât de l’état où étaient les défenses. Le dernier ministère de l’empire déploya une activité capable de tout réparer, si le temps perdu se regagnait jamais : plus de 40 millions furent dépensés à mettre en état la place et l’on y employa jusqu’à 400 000 ouvriers à la fois dans les derniers jours qui précédèrent le 4 septembre. Pour porter sur les hauteurs la défense, on entreprit quatre grands ouvrages, conçus selon la dernière perfection de l’architecture militaire, avec des maçonneries épaisses, des revêtemens à l’épreuve et plusieurs étages de feux. Malgré l’inévitable lenteur de tels travaux, on les avait engagés parce qu’on se sentait couvert par l’armée de Mac-Mahon. Si elle ne parvenait pas à opérer sa jonction avec Bazaine, elle ferait retraite sur Paris et, établie en avant des nouveaux ouvrages, donnerait le temps de les achever. Cet espoir fut détruit, avec l’armée elle-même, à Sedan.

Pour armer les forts et l’enceinte, 200 grosses pièces de marine avaient été amenées des ports. Pour armer les troupes, Paris ne possédait que 200 000 chassepots redemandés à Strasbourg et à Metz, au moment où ces places furent investies. Or la défense de Paris exigeait plus de 200 000 hommes : 40 000 pour tenir garnison dans les forts, 80 000 pour manœuvrer entre les forts et la place, troubler les entreprises de l’assiégeant, 90 000 pour garnir les remparts de l’enceinte.

Seul le service des remparts pouvait être assuré par les 90 000 gardes nationaux de Paris. Sur ce nombre le tiers, appelé par la loi du 10 août 1870, n’avait pas encore d’armes ; le reste, qui formait les anciens bataillons de l’empire, n’était muni que d’armes à piston ; et les uns et les autres étaient égaux par leur inexpérience militaire. Pour la mission essentielle, et au lieu des 120 000 hommes qu’elle exigeait, 12 000 marins, fusiliers et canonniers, appelés à Paris par le dernier ministère avec leurs officiers et six amiraux, 12 000 sergens de ville et gendarmes, 35 000 hommes du 13e corps, qui sous la conduite de Vinoy se repliaient sur la capitale, n’atteignaient pas 60 000 soldats. En y ajoutant 4 000 recrues, premiers élémens du 14e corps et les 18 000 mobiles de la Seine, les uns et les autres sans instruction ni esprit militaire, on dépassait à peine 8 0000.

Et pourtant cette ville était pleine d’hommes. Nulle part la jeunesse mâle n’était en proportion aussi considérable : non seulement en effet celle de Paris, mais celle de toute la France était attirée et retenue dans la capitale du travail et du plaisir ; plus de 200 000 hommes, valides, âgés de 20 à 35 ans, continuaient à mener au milieu de nos désastres leur existence accoutumée, échappant même aux obligations qui les atteignaient partout ailleurs. La loi du 10 août 1870 portait, article 2 : « Tous les citoyens non mariés ou veufs sans enfans, ayant vingt-cinq ans accomplis et moins de trente-cinq, qui ont satisfait à la loi de recrutement et qui ne figurent pas sur les contrôles de la garde nationale, sont appelés sous les drapeaux pour la durée de la guerre. » Cet appel s’adressait à trois catégories de personnes : 1° les anciens soldats qui avaient fait un congé ; 2° les soldats de la deuxième portion du contingent qui avaient reçu un commencement d’instruction militaire ; 3° les hommes qui par exonération ou dispense n’avaient jamais servi. Or, soit ménagement politique, soit crainte de verser dans l’armée un contingent peu discipliné, soit négligence, à Paris un grand nombre d’hommes appartenant aux deux premières catégories n’avaient pas répondu et n’avaient pas été recherchés, et pas un homme appartenant à la troisième n’avait été appelé. On peut évaluer leur nombre à près de 100 000. Les hommes mariés ou veufs et pères de famille qui avaient moins de 35 ans formaient un groupe non moins considérable et non moins inactif. Dans Paris enfin, siège du gouvernement le plus centralisé qui fût, laboratoire où la science et la pensée nationales concentraient leur activité et leur vie, marché où toutes les industries avaient soit leur principal établissement, soit leurs dépôts, se trouvait inactive une multitude d’hommes que leurs connaissances professionnelles et leur supériorité d’éducation générale eussent rendus aptes entre tous à servir le pays. Là surtout apparaissait que, entre la France et l’Allemagne, l’inégalité n’était pas dans leurs forces, mais dans l’emploi fait de ces forces, et que cette guerre était celle de la nation armée contre la nation désarmée.


II

Tenter la résistance était donc entreprendre une tâche presque surhumaine. De là la nécessité impérieuse de ne perdre par aucune erreur de jugement, ni de conduite, les dernières et si faibles chances que nous laissait la fortune.

Rien ne pouvait réussir si toutes les forces répandues dans la nation, mais jusque-là perdues pour notre puissance militaire, ne venaient combler l’énorme vide que l’imprévoyance et les cala-strophes avaient creusé. Ce n’était pas assez que cette transformation s’accomplît, il fallait qu’elle s’improvisât ; car l’ennemi, maître de toutes ses forces, empêcherait les nôtres de se refaire, s’il n’était surpris par leur formation. Il fallait, dans cette industrie consacrée aux travaux de la paix, adapter l’outillage et la production aux besoins de la guerre. Il fallait chercher, chez tous les peuples qui avaient eu la sagesse de mettre au nombre de leurs industries la production des munitions et des armes, les stocks disponibles et acquérir à tout prix le matériel utile à la défense. Il fallait, dans cette population qui avait trouvé jusque-là les lois elles-mêmes complices de son ignorance et de son dédain pour les affaires militaires, découvrir des hommes capables non seulement de faire nombre et d’obéir, mais de conduire le nombre et d’exercer une part du commandement. Enfin il fallait à cet immense et multiple effort, sur tout le territoire et hors des frontières une direction commune. Et là était de toutes les difficultés la plus grande.

Nos malheurs en effet n’avaient pas seulement détruit nos forces matérielles. Les surprises de cette lutte depuis si longtemps certaine, l’anémie cérébrale du haut commandement, la caducité des institutions maintenues par lui avaient ruiné l’autorité morale du pouvoir auquel il appartient de réparer les revers militaires. C’était comme une ironie cruelle et une contradiction de confier la revanche aux chefs qui avaient préparé la défaite. Mais tout médiocres que fussent alors les hommes de guerre, qui à ce moment était en France meilleur et plus apte ? Les administrations de la guerre et de la marine demeuraient les seuls moteurs en état d’imprimer aux innombrables élémens qu’il fallait assembler pour refaire des armées un branle commun et une activité ordonnée. Là seulement, au centre de l’immense machine, étaient les hommes familiers avec tous ses rouages et capables de transformer la multitude des efforts en l’unité de l’œuvre. Là, pour assurer chacun des services militaires, autant de corps gardaient le dépôt des progrès éprouvés et des traditions nécessaires. Si nombre de chefs n’égalaient plus leurs aînés des grandes époques, cette déchéance de la vigueur morale était commune à l’armée et à la nation, et les officiers, victimes de leur temps et semblables à la masse de leurs concitoyens, l’emportaient encore sur ceux de leurs contemporains qui, anémiés parla même atmosphère, avaient en moins la discipline et, la science du métier : leur expérience, fût-elle trop vieille et enraidie, était encore supérieure à l’ignorance. Si l’armée faite par eux n’était plus à la mesure des nécessités nouvelles et s’il s’agissait de l’agrandir à la taille de la nation, plus l’œuvre devenait vaste, moins il était raisonnable de la confier, sous prétexte que les militaires connaissaient seulement les petites armées, à des hommes étrangers même à celles-là. Si le personnel du métier, appauvri par les batailles, les capitulations et les investissemens, ne suffisait plus à encadrer et à conduire ces levées nationales, et qu’une partie de ces nouveaux venus dût aussitôt aider à la direction, cela ne rendait pas superflu, mais indispensable, le concours des chefs militaires. Les ingénieurs, les architectes, les entrepreneurs, les métallurgistes fussent-ils par leur science générale égaux et supérieurs même aux officiers d’artillerie et du génie, il leur restait, pour élever des fortifications, construire du matériel, acheter des armes, à apprendre de ces officiers les exigences spéciales, les procédés particuliers de travail ou d’épreuves. Les fabricans, vendeurs, experts, commis, comptables, qui s’entendaient à produire les diverses marchandises, à les estimer, à tenir en ordre les magasins et les comptes, pouvaient fournir un personnel d’élite à l’intendance ; mais encore celle-ci, apte à discerner l’utilité et la place de chacun, devrait-elle les initier tous aux détails d’une tache qu’ils n’étaient pas prêts à accomplir seuls. Les médecins de France comptassent-ils des hommes plus illustres que les membres du corps de santé militaire, ces maîtres en l’art de guérir avaient à apprendre des médecins attachés aux armées les règles d’expérience qui permettent de recueillir, de soigner, de nourrir, d’évacuer les malades avec ordre, dans le désordre de la guerre. Si enfin la masse destinée à former les armées contenait des hommes que leur intelligence, leurs qualités morales et le don inné de l’autorité pouvaient transformer vite en chefs, les officiers de troupes étaient accoutumés à deviner dans le conscrit le soldat, à pressentir les aptitudes qui s’ignorent elles-mêmes, à hâter par l’éducation le développement des facultés que des yeux inexpérimentés jugent mal. Plus on était contraint de précipiter cette éducation et d’improviser les grades, plus il était essentiel de fortifier l’autorité trop neuve par le prestige intact de la discipline militaire, et pour qu’il descendît sur ces derniers venus, il fallait qu’il ne fût pas détruit à sa source par des défiances contre les chefs les plus anciens et les plus élevés.

À cette collaboration la France et l’armée auraient gagné chacune ce qui leur manquait. La France aurait trouvé pour diriger sa bonne volonté l’expérience dont elle était dépourvue, et qui lui aurait épargné les imaginations vaines, les mauvaises méthodes et l’inutile usure des forces. L’armée, grossie du nombre et tirant du nombre l’intelligence, aurait repris force, et tout en instruisant les Français se serait elle-même perfectionnée à leur école. Les représentans de la science et de l’industrie l’auraient initiée à la simplicité, à la promptitude qui sont le souci et la nécessité des entreprises privées sous un régime de concurrence et qui, dans l’extrémité où était réduite la France, devenaient la condition de salut. L’impatience patriotique, contenue et non détruite par la discipline et dont les chefs militaires auraient senti sans cesse frémir l’angoisse, était faite pour porter à la plus haute puissance les énergies du devoir. Et si, même avec cette union, le succès était improbable, sans elle l’insuccès était certain.


Nulle part cet ordre dans l’effort n’était aussi nécessaire qu’à Paris. Paris avait une triple tâche : achever les fortifications, recruter les hommes, remplir les arsenaux et les magasins. Tous ces devoirs s’imposaient ensemble : une armée n’existe que le jour où elle possède ce qui lui est nécessaire pour combattre et vivre. Tout retard dans l’action de cette force laissait à l’ennemi la liberté de resserrer l’investissement et de se rendre inexpugnable dans les positions choisies par lui ; et, pour commencer la formation de cette armée, il fallait avoir mis la ville à l’abri d’une surprise. Les maçonneries des grands ouvrages qu’on avait entreprises, n’étaient pas même parvenues à ce point d’avancement où elles fussent utilisables. Le seul parti à prendre était de les abandonner pour des ouvrages en terre, qui dès les derniers coups de pelle et de pioche peuvent être occupés par les troupes, mais qu’il fallait terminer avant l’arrivée de l’ennemi : c’est dire qu’on avait pour ce travail quatorze jours.

Si heureusement que fût accomplie cette triple tâche, on aurait ainsi protégé la capitale contre une prise immédiate, cela ne suffirait pas pour la délivrer. Le siège de Paris était raconté d’avance par celui de Metz. Là, quoique les défenses extérieures fussent médiocres, et bien que les Allemands eussent la supériorité du nombre sur les troupes françaises, ils n’avaient pas tenté de forcer l’enceinte. Fidèle à sa méthode de répandre à flots son sang lorsque le sang est nécessaire, mais d’en épargner jusqu’aux gouttes quand la victoire peut être acquise sans lui, la même armée qui avait couvert de ses morts les pentes de Saint-Privat se contentait d’enserrer de loin les corps français et la ville, et attendait sans combattre que la famine les lui livrât tous deux. Pour repousser une attaque de vive force il y avait, il est vrai, à Metz une armée nombreuse et solide qui manquait à Paris. Mais tenter par un siège régulier ou par une brusque offensive l’entrée de la capitale c’était choisir le mode de combat qui, dans le corps à corps de l’assaut, mettait l’agresseur aux prises non seulement avec nos forces régulières mais avec toute la population ; c’était, le rempart fût-il conquis, exposer le vainqueur à l’atroce guerre des rues, où se trouvent si réduites les supériorités de discipline et de science, où à l’abri des barricades et des maisons, les plus mal armés déciment presque sans péril les troupes les plus manœuvrières et les plus vaillantes ; c’était tenter une témérité qui, si elle échouait, devenait un désastre. Il était donc à prévoir que l’ennemi, maître de son choix, préférerait payer moins cher des résultats plus sûrs, établirait ses approches de façon à couper les communications entre la ville et le reste de la France, et laisserait, bien fortifié et immobile, la faim combattre et vaincre pour lui. Il pouvait appeler d’Allemagne plus de soldats que Paris ne pouvait lui opposer de recrues. Et quand à Metz l’élite de nos troupes, à peu près égale en nombre aux ennemis, ne parvenait pas à rompre le blocus, on n’avait pas droit d’espérer qu’à Paris nos forces improvisées perçassent les lignes d’investissement, Paris ne suffirait donc pas à délivrer la France. Pour être délivré lui-même, Paris, comme Metz, aurait besoin d’un secours extérieur.

C’est la France qui devait sauver Paris et elle-même. C’est à la province, plus abondante en hommes et moins étroitement serrée par l’ennemi, qu’appartenait, dans cette période nouvelle de la lutte, l’action principale, décisive. Le siège de Paris, comme celui de Metz, était une digue qui retenait pour un temps l’invasion. Ce temps était un délai de grâce accordé au reste du pays pour se lever, s’armer, s’aguerrir, et secourir à son tour les villes qui, par leur résistance, lui auraient permis d’assembler ses forces. Le siège se prolongerait-il assez pour qu’avant sa fin la France fût prête ? Là était tout le problème de la guerre.

A Paris donc il ne s’agissait pas tant de vaincre que de durer. Pour durer il y avait deux moyens : accroître les approvisionnemens, et réduire le nombre de ceux qui les consommeraient. Dans les derniers jours de l’empire le gouvernement avait fait entrer dans Paris pour deux mois de vivres. On s’était aussi inquiété de diriger sur la province les non-combattans de Paris. Restait à compléter en quatorze jours ces premières mesures, à peine ébauchées en un mois, à se procurer et à introduire dans Paris tout ce qu’on y pourrait amasser de grains, de viandes, de légumes, de bestiaux et de fourrages, à défendre ces vivres contre l’accaparement et le gaspillage. Les portes devaient s’ouvrir toutes grandes à cette richesse, il fallait les fermer à quiconque, étranger à la ville, voudrait y chercher refuge. Seuls devaient y pénétrer du dehors les soldats de Vinoy et les marins, parce que pour tenir contre l’ennemi dans les premières rencontres et inspirer confiance à la population, il était besoin de troupes faites : toute introduction dans Paris de corps non exercés était une grave faute, car Paris avait au-delà du nécessaire des recrues déjà sur place, plus intéressées à défendre leur ville, et, grâce à la vivacité d’intelligence qui est particulière au peuple parisien, capables d’une formation plus prompte. Au lieu d’accroître la population, il restait à faire sortir les « bouches inutiles » ; il restait à susciter dans les contrées qui n’étaient pas menacées par l’ennemi, des dispositions généreuses envers les Français transportés hors de Paris pour le salut de la France ; il restait à assurer aux frais de l’Etat, et où il serait nécessaire, la subsistance de ces Parisiens qui se trouveraient sans ressources.

Un seul pouvoir, le militaire, disposait de droits assez absolus pour accomplir ces miracles de promptitude et d’ubiquité. Qu’hommes et choses fussent placés sous sa main ; que tous les Français en état de servir fussent déclarés soldats, soumis à l’existence et à la discipline militaires, et, au nom de cette discipline, appliqués d’après leurs aptitudes et selon la libre volonté de leurs chefs à toutes les besognes alors urgentes ; que les usines, les ateliers, les matières fussent à la disposition du même pouvoir, les plus grandes difficultés étaient par-là même résolues. Les 200 000 Parisiens qui n’étaient même pas enrôlés dépassaient du double l’effectif nécessaire pour protéger les abords de Paris : la plus grande partie étaient des ouvriers de tous métiers, et notamment des terrassiers et manœuvres que les transformations continues de la capitale avaient fixés à Paris comme en un chantier toujours ouvert. Partager d’abord cette masse en trois grandes fractions ; employer tous les hommes habitués à remuer la terre et en aussi grand nombre qu’ils pourraient travailler ensemble au rapide établissement des fortifications extérieures ; prélever les ouvriers du fer et du bois, les boulangers, bouchers, cordonniers et tailleurs, tous ceux qui étaient aptes à fabriquer et à transformer les armes, à équiper, à vêtir, à approvisionner et nourrir les troupes, distribuer ces travailleurs dans les ateliers et magasins de l’État et dans ceux qu’on aurait requis de l’industrie privée ; confier les chassepots déjà prêts aux hommes qui n’auraient pas été employés aux précédentes besognes ; former avec les gendarmes, les sergens de ville, les forestiers, anciens sous-officiers pour la plupart, les cadres inférieurs de cette armée ; l’établir aussitôt hors de l’enceinte, la cantonner dans les villages que les forts protègent, l’exercer sans relâche au tir et aux plus simples des mouvemens militaires, la rendre par ce commencement d’éducation apte à tenir derrière les ouvrages qu’on établirait sous ses yeux ; les fortifications achevées, accroître le nombre de leurs défenseurs en donnant à leur tour, à ceux qui les auraient faites, les fusils qui pendant ce temps auraient été créés ou transformés, et, relevant par cette seconde armée la première, permettre à celle-ci, déjà aguerrie par la vie d’avant-poste, de sortir hors des ouvrages, de donner un peu d’air à la place, de tenter contre l’assiégeant quelques opérations ; installer dans les casernes, lycées et édifices que la guerre laisserait sans emploi, les hommes moins valides auxquels serait confiée la défense des remparts et la police de Paris : tels étaient les seuls moyens d’assurer au service de cette armée intérieure la régularité ; de former vite l’armée extérieure ; de fournir aux divers besoins des troupes par un travail réglé dans son activité ; d’obtenir enfin la consommation régulière et économique de vivres. Le cantonnement et le casernement de toutes ces troupes eût décidé par surcroît le départ des vieillards, des femmes et des enfans. A peine les fils, les maris et les pères auraient-ils renoncé à cette vie familiale dont la douceur et les devoirs retinrent à Paris tant de personnes inutiles à la défense, celles-ci n’auraient plus eu de raisons pour rester au foyer vide ; ceux-là, songeant aux dangers et aux souffrances de l’avenir, auraient souhaité l’éloignement des êtres qui leur étaient chers. Après ce sacrifice de leurs affections les plus proches, leur vigilance eût rigoureusement interdit l’accès de la ville à tous les réfugiés du dehors. Et la prolongation ainsi assurée de la résistance à Paris eût donné à la France plus de temps pour réunir ses forces contre l’Allemagne.

L’œuvre à accomplir en province était plus laborieuse encore. Sur la vaste étendue de la France, tout était distant et rien n’était prêt. La seule apparence d’organisation était le rassemblement commencé de gardes mobiles sans uniformes, sans armes, sans artillerie, sans intendance ; dans ces départemens accoutumés à suivre l’impulsion de l’Etat, organisés savamment pour ne pas agir et ne pas vouloir, il y avait peu à compter sur la vigueur des initiatives ; se produisissent-elles, elles ne seraient dans chaque région, si une autorité ne les coordonnait, qu’une impuissance tumultueuse. Le gouvernement seul était en état de donner cette impulsion, de discipliner ces efforts, de hâter la transformation de la France en un arsenal et en un camp. Or si le gouvernement demeurait dans la capitale, il courait risque d’être dans quelques jours coupé de toute communication avec cette France, qui contenait les grandes réserves de forces, et d’où devait venir le salut. Il fallait pour ce salut qu’il restât en rapports permanens, immédiats non seulement avec la France qu’il avait à soulever, mais-avec l’Europe qu’il avait à émouvoir, avec le monde sur les marchés duquel il avait à trouver des approvisionnemens et des armes. La place de ce gouvernement était hors de Paris.

C’étaient là des changemens profonds à la vie ordinaire de la nation et du pouvoir. Mais que restait-il d’ordinaire dans le sort et dans les devoirs de tous deux ? Ce n’est pas par les moyens calculés sur les périls habituels, ce n’est pas en prétendant sauver ses habitudes qu’on pouvait sauver la patrie. Des scrupules de légalité n’étaient pas faits pour arrêter les hommes du 4 septembre : ceux qui venaient de renverser un régime au nom du salut public, n’avaient plus le droit de reculer devant un texte, s’il embarrassait la défense. Une seule raison eût excusé le gouvernement de ne pas prendre les mesures nécessaires, c’était que la France refusât de les accepter.

La France s’offrait au contraire aux sacrifices. La générosité de son courage demeure l’honneur de cette triste époque et dépassa ce qu’on avait droit d’espérer. Dans ce peuple où presque tous étaient, la veille encore, à l’attache de l’intérêt privé, captifs de l’égoïsme familial ou individuel, la douleur des maux publics avait soudain pénétré les cœurs, et la vision de la patrie blessée l’emplissait les yeux et la pensée même des simples. Ces cerveaux épais, ces êtres primitifs comprenaient que la faute de ces malheurs n’était pas seulement au pouvoir, mais à eux-mêmes ; qu’ils n’avaient pas assez veillé sur le bien commun ; que si l’épée autrefois étincelante au soleil s’était rouillée dans son fourreau, c’était surtout pour épargner leur bourse, leur temps, leurs aises : ils sentaient qu’il y avait dans ces revers une justice, qu’il fallait expier et offrir maintenant à la patrie la sécurité, l’argent, les joies de la vie, et cette vie même.

La métamorphose de Paris était la plus imprévue et la plus complète. A l’ivresse malsaine qui, dans les premiers jours de la guerre, mettait les cris : « A Berlin ! », sur les lèvres d’une foule où personne ne songeait à quitter son foyer, ses occupations ou ses plaisirs ; à la joie frivole qui, le 4 septembre, accueillait la chute de l’empire, et, dans une révolution accomplie au nom du patriotisme, effaçait le souvenir de l’envahisseur, avaient succédé une énergie grave, un enthousiasme recueilli, un frémissement de vraie volonté. Cette étrange et déconcertante ville qui semble incapable de se donner à la fois à deux idées et, par l’ardeur même de sa passion, épuise si vite tous ses sentimens, fit, dans l’attente du siège, sa veillée des armes et y montra une âme humble, sage et héroïque. Paris, à la fois plein de résolution et d’incertitudes, parce qu’il voyait ensemble son devoir et son inexpérience, aspirait avec toutes les angoisses de l’esprit, tout l’élan de l’imagination, toute la force de la conscience à connaître les moyens de résistance et les secrets de victoire. Son attitude sollicitait, implorait toutes les charges, toutes les servitudes qu’il sentait d’instinct nécessaires, et qu’il se savait incapable de choisir lui-même. Il ne pouvait être déçu et découragé que de n’avoir pas assez à agir, à souffrir. Et plus les épreuves proposées à son patriotisme eussent été rigoureuses, plus sa confiance eût grandi en lui-même et dans ceux qui auraient pris au sérieux son dévouement.

Il y eut là, au lendemain de la Révolution, un de ces instans où la nature s’élève au-dessus de son égoïsme, une de ces opportunités fugitives offertes aux gouvernemens pour obtenir de l’enthousiasme les mesures capables de survivre à l’enthousiasme, et de le suppléer.

Ce n’est pas dans la nation, c’est dans le gouvernement que fut l’obstacle aux mesures de salut. Par leurs origines et leurs affections tous les hommes du 4 septembre, sauf un, étaient hostiles à l’autorité militaire et liés à Paris. Encore, leurs préjugés n’étaient pas invincibles, et si forte que fût leur majorité, elle attendait de l’homme étranger à elle les résolutions décisives. Par cela même qu’elle n’avait pas disputé à Trochu la première place, elle lui avait reconnu sur les questions militaires une prééminence d’autorité. Trochu, il est vrai, avait fait assez d’opposition aux autres généraux pour que sa popularité eût un certain air d’opposition à l’armée. Cette singularité même n’était pas à ce moment la moindre force de l’homme : elle lui permettait d’obtenir ce qu’on eût refusé à un autre, de mêler dans son œuvre les hardiesses novatrices au respect des traditions utiles, et de n’avoir dans cette intelligence du passé aucun air d’inertie rétrograde.

S’il eût dès le 4 septembre nettement revendiqué le commandement pour les hommes de guerre ; opposé les réalités du bon sens et de l’histoire aux sophismes de la rhétorique et à la légende révolutionnaire ; rappelé que les Français de 1792 n’avaient pas sauvé le pays en entremêlant de quelques exercices militaires leur vie habituelle, mais qu’ils s’étaient consacrés tout entiers à la lutte, qu’ils avaient quitté leurs foyers et leur profession pour les camps, et le métier rude de soldat ; s’il eût conclu que, dans un péril plus extrême encore, il fallait imiter l’exemple légué par eux ; s’il eût averti Paris que toute personne inutile à la défense était l’alliée inconsciente de l’ennemi, et qu’en hâtant l’épuisement des vivres elle rapprochait le jour de la capitulation ; s’il eût requis, au nom de la patrie, toutes les forces du pays, et par un geste du chef assigné à chacun sa place de combat, le général n’eût trouvé d’opposition ni parmi ses collègues, ni dans la France.

Agir ainsi ce n’était pas seulement donner toute son efficacité à la guerre, c’était en outre parer aux périls intérieurs. Soumis à la discipline militaire, soustrait à l’atmosphère des clubs, aux excitations des meneurs, aux violences de la presse, le peuple de Paris et des grandes villes cessait d’offrir une proie aux factions. Les démagogues eux-mêmes, dans ces premiers jours, avaient comme perdu pied dans la profondeur du patriotisme général. Bien que cette discipline ruinât leur plan, ils n’eussent pas osé protester contre elle par peur de paraître mauvais Français ; et leur petit nombre, dispersé dans les divers corps de troupes, s’y serait annulé. La translation du gouvernement hors Paris eût enlevé même tout intérêt aux tentatives révolutionnaires dans la ville où elles sont le plus à craindre. C’est la France que la démagogie a toujours prétendu conquérir à Paris. Or, dans Paris vide du pouvoir politique et séparé de la France par l’investissement, une insurrection même heureuse n’eût livré aux vainqueurs qu’un pouvoir borné dans l’espace par les lignes de l’ennemi, dans la durée par une capitulation probable ; ils n’auraient gagné les premières places qu’à un bombardement et à une famine. Enfin, en prenant par de tels actes possession du pouvoir, Trochu assurait à ses idées et à sa personne, dès ses premiers actes, la primauté qu’il avait revendiquée dès l’abord comme nécessaire au salut public. S’il demeurait dans la capitale abandonnée par le gouvernement, délivrée de la politique, devenue une place forte et peuplée de soldats, il échappait à l’obligation de protéger ce gouvernement contre une opposition révolutionnaire, de subordonner sans cesse sa conduite aux caprices d’une opinion mouvante et aveugle : tout son temps, toute son intelligence, toute son énergie, au lieu de se disperser en besognes parasites, eussent été au service de l’action. Et si, par une vue plus haute, persuadé que le rôle de Paris se bornait à retenir devant ses ouvrages les forces allemandes, et que plus d’un général était apte à conduire cette défense, mais que lever et conduire les forces de la France était la tâche la plus difficile, la seule décisive, celle du chef, Trochu eût mis en province au service de ce grand effort sa volonté méthodique, réfléchie, persévérante et par cela même trois fois précieuse ; il aurait là encore, en organisant la lutte contre l’étranger, affermi la paix intérieure. Employer comme il le voulait, sans préoccupation de parti, tous les Français réconciliés dans le patriotisme était le vœu même de la nation. Elle l’aurait soutenu d’un assentiment unanime ; les autres membres du gouvernement auraient subi l’influence du milieu ; l’on évitait les conflits entre les autorités civiles et militaires, et les concessions à la démagogie. La Providence semble préparer parfois toute une vie pour une seule heure. Un homme est porté, par les circonstances et des mérites qui sont des espérances à un sommet où il donne toute sa mesure et accomplit ou manque d’un coup sa destinée. Cette heure était arrivée pour Trochu.


III

L’occasion n’avait pas manqué à l’homme ; ce fut l’homme qui manqua à l’occasion. Pour que tous acceptassent ces mesures, il suffisait, mais il fallait qu’il les déclarât nécessaires. Il ne les proposa même pas. Il s’abstint, parce qu’il ne les jugea pas utiles. Son intelligence jusque-là si infaillible se trompa à la fois sur les desseins de l’ennemi qu’il avait à combattre, et sur les ressources du peuple qu’il avait à armer.

Les résolutions de Trochu étaient fondées sur cette pensée que le siège de Paris serait court. Le général croyait en connaître la plus longue durée : d’après les premiers renseignemens fournis au gouvernement, Paris contenait pour quarante-cinq jours de vivres. A supposer que les Allemands eussent la volonté d’investir la ville, et la patience d’attendre sans combat sa capitulation, la famine viendrait avant deux mois. Paris ne tiendrait donc pas davantage. Ce délai ne laissait pas à la France le temps de s’armer et de secourir la capitale. Le général ne supposait même pas que le drame de Paris traînât ainsi en longueur. Comme l’ennemi ne faisait marcher de Sedan sur Paris que 150 000 hommes, et comme aucun envoi de renforts extraordinaires n’était signalé d’Allemagne, Trochu jugeait ces troupes trop peu nombreuses pour entreprendre un investissement, et leur prêtait un autre dessein. Contre Paris mal fortifié et presque vide de soldats, l’ennemi, encouragé par tant de victoires, venait sans doute tenter un coup de main. Notre faiblesse provoquait son audace et lui montrait d’avance la place où il fallait frapper : réduire par son artillerie un ou deux des forts, courir par cette trouée jusqu’à l’enceinte, hâter la brèche et l’escalade était l’affaire de quelques jours. Trochu, d’ordinaire meilleur psychologue, prêtait aux Allemands ce projet parce que, dans de pareilles circonstances, des Français l’auraient conçu. Et comme il était un de ces esprits raides en leurs déductions qui parfois sur une hypothèse fondent une certitude, toute sa conduite se trouva fixée.

Puisque désormais la guerre allait trouver à Paris son théâtre principal et dernier, le devoir du chef militaire n’était pas de tourner le dos à l’action imminente, de quitter la capitale, ses remparts et ses défenseurs pour présider en province à de vains préparatifs, et chercher, où rien n’était prêt ni même commencé, des secours qui arriveraient trop tard : le chef devait être présent où étaient présens le péril et notre principale force. Trochu voulut donc rester gouverneur de Paris.

Bien qu’à ce moment il réduisît toute la guerre à la défense de Paris, Trochu ne proposa aucune mesure pour assurer, dès le début du siège, la garde et la distribution des approvisionnemens, éloigner de la place les bouches inutiles, l’interdire aux populations fugitives. Puisque sa subsistance ordinaire était assurée pour six semaines et que son sort devait être résolu bien avant, pourquoi porter atteinte à la liberté des individus ? troubler la vie de famille ? imposer à l’autorité militaire un rôle impitoyable ? à l’Etat la lourde charge de cet exode à diriger et de ces exilés à nourrir loin de leur foyer ?

La même certitude d’une lutte imminente et courte empêcha le général de demander dès le premier jour à Paris cet effort continu, docile, universel qui, donnant tout et tous à l’armée, eût donné à toute la population valide une seule condition, une seule existence, un seul courage, une seule âme. Entreprendre la veille du siège une telle tâche serait recommencer avec les hommes l’œuvre démesurée de ces fortifications nouvelles qui, trop longues à construire et bâties trop tard, élevaient sur l’horizon, comme un avertissement aux ambitions trop vastes, leurs lignes inachevées et inutiles.

Pourquoi épuiser son action dans la gestation d’une force à qui manquerait le temps de naître ? Trochu, tant il était sûr de l’avenir, ne prévit même pas que du temps lui fût concédé au-delà de ses calculs ; il ne se demanda pas si les délais et les procédés habituels d’éducation militaire ne pouvaient être abrégés et simplifiés quand l’imminence du péril enseigne à chacun le devoir et l’intérêt d’apprendre vite à être fort ; il ne lut pas dans les yeux de la population parisienne l’intelligence, l’enthousiasme et l’orgueil qui offraient à un chef résolu à se servir d’elle des prises si promptes et si puissantes. Si peu de jours qu’il fallût, on ne les aurait pas. Ce novateur, partisan du service à court terme, se sentait à ce point dépassé dans la rapidité de ses méthodes par l’urgence des conjonctures, qu’il en venait à s’exagérer presque l’importance du temps pour la création des armées. Dans cette immense multitude, il ne crut capable de formation militaire que les soldats de l’armée active, déjà dressés au métier. Il les savait trop peu nombreux pour tenir autour de Paris la campagne contre les forces allemandes : ils seraient vite refoulés jusque dans la place. La crise suprême de la résistance, l’assaut, offrirait au peuple de Paris l’occasion prochaine et unique de prendre part à la guerre. Trochu, d’ailleurs, loin qu’il dédaignât cette intervention, mettait en elle son plus grand espoir : le front étroit de la brèche où la population pouvait opposer ses masses aux têtes de colonne ennemies ; les refuges successifs et innombrables des barricades et des maisons où elle pourrait continuer une bataille de désespoir seraient les places de combat décisives pour l’honneur et même le salut. Il espérait que Paris résisterait à l’étranger comme Saragosse, et peut-être, comme Moscou, le ferait fuir. Mais ce ne sont pas là de ces opérations régulières que la science des armes suffit à apprendre et où elle soit indispensable. Les Espagnols à Saragosse, pas plus qu’à Moscou les Russes, ne s’étaient formés par une éducation militaire : l’exaltation du sentiment religieux et patriotique avait suffi pour inspirer à des hommes étrangers au métier des armes un courage autre en ses allures, égal en sa grandeur à la vaillance des plus héroïques soldats. Paris lui-même, pour soutenir ses émeutes, n’avait jamais eu que des ouvriers et des bourgeois sans discipline, conduits au combat par l’énergie de leur passion politique ; et ils avaient opposé une résistance toujours redoutable, souvent victorieuse à nos vieux régimens. Ces mêmes hommes ou leurs fils seraient-ils moins intrépides quand ils disputeraient leur ville non à des Français mais à l’étranger, non à des rois mais à l’envahisseur, et qu’ils auraient à sauver à la fois toutes leurs libertés ?

Il était donc superflu d’enlever cette population aux foyers qu’elle aurait à défendre ; il était dangereux, en la troublant par les premières et décourageantes leçons du métier, de lui faire seulement comprendre son incapacité militaire, de détruire toute sa confiance en elle-même, et, pour avoir commencé un enseignement méthodique et qu’on n’achèverait pas, de tuer en elle ce génie de la guerre irrégulière qui était sa véritable force. Sous l’empire de ces pensées, Trochu ne voulut établir son autorité directe et la plénitude du régime militaire que sur les hommes déjà donnés à l’armée par la loi. Il laissa aux autres leur organisation plus civile que militaire en gardes nationales, la liberté de leur temps, de leur domicile, presque de leur service. Il était persuadé que pour rendre cette population redoutable à l’ennemi, il fallait accroître en elle, non la discipline mais l’enthousiasme, non la soumission mais l’audace, non l’ordre mais l’initiative, non la science professionnelle mais l’énergie morale. Celle du citoyen trouve son ressort dans la vie publique. Si cette vie était soudain arrêtée par le siège ; si Paris, n’entendant plus le monde et ne s’entendant plus lui-même, n’avait désormais à jeter dans le vide des heures que le poids de leur silence ; si ce silence isolait chacun dans le souci de ses dangers et de ses ruines personnelles ; et si cet isolement enseignait à la volonté des incertitudes, aux courages des défaillances, à la crainte des raisons, à l’égoïsme ses droits et cachait à tout homme l’âme des autres, l’âme de Paris lui-même survivrait-elle ? Dangereuse pour toute ville, cette épreuve léserait davantage pour cette population, de toutes la plus hors de soi, celle qui emploie le plus d’intelligence, de volonté, de sensibilité à créer des idées, des passions, des sentimens publics, celle où la plupart des hommes acquièrent ainsi des mérites de communauté qu’ils ne se seraient pas donnés eux-mêmes et pour eux seuls, où leurs desseins tendent à devenir plus grands à mesure qu’ils les soumettent à plus de juges et leurs vertus plus nobles à mesure qu’elles ont plus de spectateurs. Il importait au contraire de perpétuer dans Paris toute cette intensité de la vie publique, d’y entretenir le loyer où, réunies et échauffées incessamment par la presse, par les discours, par les manifestations, par l’énergie spontanée de chaque citoyen et de toute la foule, par la variété des dévouemens et des sacrifices, toutes les puissances du patriotisme s’échaufferaient jusqu’à l’explosion.


Cette conception militaire prévenait tout désaccord entre Trochu et les autres membres du gouvernement. Au lieu qu’elle fit, au nom du salut public, violence à leurs instincts et à leurs préjugés, elle flattait leurs désirs les plus chers et même mettait des raisons nouvelles au service de leurs tendances natives et de leurs partis pris.

Non seulement, persuadés que l’ancienne armée et toutes ses institutions étaient déchues, ils trouvaient dans l’anéantissement presque complet de nos forces régulières une justification de leur pessimisme, et une occasion incomparable d’appliquer des idées nouvelles ; mais le chef de l’armée était avec eux, contre lui-même. En s’abstenant de soumettre la plus grande partie des Français au régime militaire, il semblait confesser l’impuissance de ce régime ; en fondant l’espoir du siège sur le courage indiscipliné des citoyens, il paraissait concéder que les moyens les plus efficaces pour former des troupes ne sont pas l’obéissance et le travail, mais l’enthousiasme et la passion. Ses collègues ne songèrent pas à disputer à Trochu le gouvernement qu’il revendiquait sur l’armée active, mais ils considérèrent qu’ils avaient ainsi fait la part du mal ; que leur devoir était d’épargner aux Français non encore pris par le joug, les déformations cruelles et inutiles de ces servitudes ; et que la gravité même de la situation commandait de soustraire le génie national et sa vaillance naturelle à l’incapacité réglée des traditions et des chefs militaires. Des citoyens devaient être organisés par des citoyens. A eux-mêmes, les premiers de ces citoyens, appartenait de saisir toute l’autorité qui n’était pas exercée par Trochu, de garder toute cette autorité dans la main du pouvoir civil.

Dès le matin du 5 septembre, cette main s’étendit sur les affaires militaires. Il fut convenu que, si l’armée appartenait au ministre de la guerre, le ministre de l’intérieur restait le chef des gardes nationales. Le nom alors populaire de cette milice était un programme : il fut, le jour même et le lendemain, développé dans deux circulaires. La mission de recruter, de former, d’équiper les gardes nationales était attribuée, sous les ordres du ministre, aux préfets et aux maires : on y rappelait aux citoyens que pour les opérations militaires elle serait sous les ordres des chefs nommés par elle ; que ceux-ci et l’autorité civile avaient seuls droit de la requérir ; et que, hors ces momens de service, chaque citoyen demeurait son maître. Le 9 septembre le système fut complété : pour trouver les fusils et les canons qui manquaient, une commission d’armement fut nommée. Elle se composait presque entièrement de civils, et elle avait pour président M. Le Cesne, quelques jours avant député de la gauche.


De même, pour entraîner hors de Paris ses collègues, Trochu seul aurait eu assez de force, et c’est lui qui les attachait à la place. En tout temps, abandonner Paris, eût été cruel au culte passionné, idolâtre que ces hommes rendaient à cette ville : ce leur était comme une apostasie de découronner la capitale, eux ses élus. La quitter à la veille d’un siège répugnait plus encore à leur honneur : ils voulaient leur part de l’épreuve, ils voulaient surtout qu’on ne les accusât pas de fuir, et que Paris fut témoin de leur courage. Si ce courage à la fois sincère et théâtral n’était pas celui qui aide les véritables hommes d’État à oublier l’amour-propre, et à sacrifier quand il le faut leur renommée à leurs desseins, il était ce courage naturel aux hommes de popularité qui, pour être, ont besoin de paraître. Mais, Trochu les autorisant à penser que Paris était le boulevard unique de la France et le siège de l’action décisive, leur devoir était en effet de ne déserter ni l’effort, ni le péril. Et si le siège devait se poursuivre avec toutes les libertés et toute l’effervescence de la vie publique, leur présence à Paris n’était pas seulement nécessaire à l’honneur, mais à la durée du gouvernement. Armer la foule sans la soumettre à la discipline, et compter qu’elle aurait toute sa force quand elle aurait cessé de se posséder elle-même, était faire une suprême espérance d’un suprême danger. Le danger était tel qu’il avait en 1814 fait reculer Napoléon : même contre l’invasion qui battait les murs, il avait refusé des fusils au peuple parisien. Il n’était pas sûr de donner ainsi des soldats à la patrie, il était sûr d’en donner à la révolution : il se jugea incapable de gouverner une ville qui garderait ses armes, et de les reprendre sans une guerre civile. Trochu, qui affrontait ce formidable hasard, et allait offrir à la fois aux partis de désordre les moyens de conquérir les esprits et de disputer le pouvoir par la force, ne connaissait ni ces partis, ni la population parisienne. Il ignorait l’art de diriger, de contenir l’opinion politique, de maintenir sur ces mouvemens agités l’équilibre instable de l’ordre. Il était donc menacé de succomber dans une guerre civile où s’anéantirait honteusement la résistance contre l’étranger. La présence des députés parisiens était nécessaire pour amoindrir les dangers du système. Familiers avec la population, habitués aux secousses des libertés publiques, ayant la main dans les sociétés démocratiques et une connaissance précise du personnel révolutionnaire, ils étaient plus aptes à manier les libertés explosives sans y périr. Le maintien du gouvernement à Paris fut donc résolu comme une nécessité évidente, et sans qu’il fût besoin de voter. La pensée que Paris serait peut-être complètement séparé de la France et que cet isolement pourrait durer ; que par suite il faudrait hors de Paris un centre d’où les services publics pussent s’étendre sur le pays était venue au dernier ministère de l’empire ; et il avait résolu d’établir dans une ville de province une délégation du gouvernement. Cette pensée ne vint pas aux hommes du 4 Septembre. Seul Ernest Picard dès le 5 émet l’avis de transporter hors Paris les services des finances. Le 7 seulement le conseil délibère sur la question et décide que chaque ministère enverra une partie de son personnel. Le 9 il reconnaît que, pour procéder à ces multiples services et maintenir entre eux l’harmonie quelques membres du gouvernement devront se rendre à Tours. S’il en est un à qui la liberté de ses communications avec les États européens soit indispensable, c’est le ministre des affaires étrangères. S’il en est un qui ait besoin de suivre de près et sans interruption l’administration des départemens, c’est le ministre de l’intérieur. Lui-même le 11 exprime pour la première fois la pensée qu’il faut hors Paris « un gouvernement énergique ».

Mais quand ce jour-là on procède à sa désignation c’est à qui se défendra d’être choisi. Jules Favre se refuse absolument à quitter Paris. En vain, plus clairvoyant quand il ne s’agit plus de lui-même, se joint-il à Rochefort et à Glais-Bizoin pour demander que la délégation soit de trois personnes. La crainte d’être désignés pour cet exil empêche les membres du gouvernement de souscrire à la proposition. Un seul homme est choisi et c’est Crémieux : à une pareille heure, on le choisit parce qu’il est le plus âgé, pour lui épargner les souffrances du siège ; et lui accepte parce qu’il sera seul à exercer un gouvernement tout entier.

Le 15 enfin, les approches de l’ennemi ramènent la pensée du conseil vers la France dont on sera séparé peut-être dans quelques jours, et qu’on ne peut laisser sans direction ; l’insuffisance de Crémieux apparaît. Garnier-Pagès demande que quatre nouveaux membres du gouvernement soient envoyés à Tours. Favre, Simon, Glais-Bizoin el Gambetta pensent que deux suffisent, à la condition d’être « connus et influens. » Mais les mêmes répugnances personnelles, le même point d’honneur retiennent à Paris ceux qui pourraient constituer ce pouvoir sérieux en province. De refus en refus on en vient à désigner un seul membre du gouvernement ; et c’est Glais-Bizoin. Il n’est pas vrai de dire qu’on le désigne, mais plutôt qu’on se ligue contre lui. Il est choisi à l’unanimité. On le choisit parce qu’il est aussi le plus âgé, parce qu’il est celui que l’on craint le moins d’indisposer ; il se résigne parce que ses collègues de Paris n’ont offert aucun rôle à son activité, et qu’il espère trouver en province un partage plus aisé du pouvoir. Lui nommé, personne d’autre parmi les membres du gouvernement ne consente partir. Et pour trouver la seconde personne qu’on a décidé d’adjoindre à Crémieux, il faut chercher hors du gouvernement. L’amiral Fourichon, débarqué le matin même à Cherbourg va arriver à Paris : il est absent, et l’on n’a pas à consulter son désir ; il est militaire et il obéira à un ordre ; on le nomme. Le gouvernement agit comme si la délégation dût être une retraite où des vieillards seraient mis hors péril, et non la mission la plus importante. Par générosité ou ambition, tous les hommes d’importance voulurent être présens dans ce Paris où allaient se livrer les batailles militaires, où s’était livrées les batailles politiques[3]. Tous croyaient d’ailleurs qu’un investissement était impossible et persévérèrent dans cette confiance jusqu’au jour où le cercle se ferma sur eux.

Bien que le gouvernement tout entier se fût accordé sur ces résolutions, il n’en doit pas porter tout entier la responsabilité. Dans les actes collectifs, elle n’est pas où est le nombre mais l’influence, et l’on accuserait à tort de leurs fausses voies ceux qui s’égarent en suivant un guide. Trochu, maître à ce moment d’obtenir tout ce qu’il eût déclaré nécessaire à la défense, est, en stricte justice, l’auteur des mesures qu’il n’empêcha pas. Ici le guide dès le départ s’était trompé de chemin.

Lui-même, d’ailleurs, se trouva la première victime ; nul n’avait autant à perdre aux partis où il se résolut et qui changeaient dès l’abord la hiérarchie normale des influences dans le gouvernement. Par ses premières mesures, le général abdiquait la prééminence que nos malheurs lui avaient préparée et qu’il avait revendiquée lui-même en prenant le pouvoir. A l’heure où la nation entière l’acclamait comme chef, il laissait vide presque toute la place que lui offrait la confiance politique ; il renonçait à diriger le gouvernement et les armées de la France pour enfermer son autorité et son effort dans Paris. A Paris encore, au lieu d’accorder à toute la cité la communauté dévie et de formation militaire qu’elle attendait de lui, il abandonnait la plus grande partie de sa mission. Admettre comme il le faisait que la masse de la population dût atteindre, dans une ardeur spontanée de patriotisme, à la science de lutter et de souffrir, c’était abandonner cette multitude à une force indépendante de lui, et non seulement ne pas se la soumettre, mais se soumettre à elle. Au lieu de décider en chef et sans autre souci que l’intérêt militaire la conduite générale et chaque opération du siège, il acceptait une collaboration avec la foule. Sûr de ses vues, il lui fallait interroger ceux qui lui devaient obéissance. Si l’opinion était le grand ressort de l’énergie parisienne, il se réduisait à la nécessité de renoncer aux entreprises utiles qu’elle n’approuverait pas, et de se résoudre aux partis même mauvais pour lesquels elle se passionnerait. Il dépendait d’elle non seulement pour les opérations auxquelles la garde nationale donnerait son concours, mais même pour celles auxquelles suffirait l’armée : car les secondes comme les premières étaient de nature à émouvoir le sentiment public qui, découragé, désarmait la défense.

Le général ne restait pas même maître de juger seul cet état du sentiment public. Dès qu’il tentait de combiner ses projets avec les volontés de Paris, ses collègues du gouvernement, vigies de popularité, avaient compétence pour prédire l’influence de chaque acte sur la population. Dès qu’il n’était plus l’arbitre unique, il ne lui restait que son douzième de suffrage. Telle était la part du pouvoir militaire en face du pouvoir civil. Trochu comptait pour rétablir l’équilibre sur sa parole. Mais seule l’éloquence habile à dire aux hommes ce qu’ils ont envie d’entendre exerce sur eux un prestige durable : or, plus Trochu invoquera des nécessités ou des impossibilités de métier, plus il blessera les préjugés militaires de la démocratie. Si, au nom de la science militaire qu’il possède et qu’eux ne possédaient pas, il eût signifié ses volontés sans les admettre à discussion, il se fût imposé à eux. En prétendant les persuader, il les élevait à l’égalité intellectuelle, ou plutôt il descendait, lui soldat, à n’être plus que l’avocat du siège devant des avocats devenus juges de l’armée et calculateurs des opérations militaires au nom des caprices de Paris. Or sous prétexte d’opinion publique, c’étaient leurs propres préférences et leurs propres préjugés que les hommes du gouvernement allaient opposer au général. Leur ignorance les rendant plus tenaces, il passerait à justifier ses plans une partie du temps qu’il avait pour les exécuter ; il semblerait un rhéteur amoureux de paroles parce qu’il recommencerait sans cesse sa tentative toujours incomprise de persuasion ; l’on en viendrait à lui reprocher cette éloquence même comme la preuve qu’il n’était pas un homme d’action, et pour avoir voulu gagner les intelligences il finirait par perdre sur elles tout prestige militaire.

Les mêmes causes qui diminuaient l’importance de Trochu augmentaient celle de Gambetta. Passionner les esprits pour soutenir les courages, et, pour passionner les esprits, accepter des colloques orageux avec la foule, répandre sur elle et renouveler les mots contagieux et leur fièvre, transporter le gouvernement dans la place publique, était l’entreprise la plus conforme aux aptitudes de l’homme en qui semblaient revivre le souvenir et les ardeurs de la première révolution. Dès que la défense prenait cette voie, il devait prendre parmi ses collègues la première place : D’abord le plus puissant de tous pour soulever et pour conduire l’opinion, il était auprès d’eux le témoin et comme l’ambassadeur impérieux de la multitude. Ensuite sa domination ne les violentait que pour les pousser plus vite où les portait leur propre désir. Elevé comme eux dans la défiance de l’armée, il était l’expression la plus vivante et la plus sonore de leurs préjugés militaires. Enfin ses fonctions mêmes étendaient son autorité sur toute la France : en tout temps le ministre de l’intérieur avait le département de l’opinion. Par surcroît la levée, l’équipement, l’armement des gardes nationales, c’est-à-dire l’organisation des plus nombreuses réserves qui restassent à la France, appartenaient aux maires et aux préfets, ses agens, et par suite toute l’œuvre à lui-même. Ainsi les premières résolutions prises décidaient du rang entre les deux hommes les plus en droit de se disputer l’influence, et c’est Trochu qui avait préparé la primauté de Gambetta.


IV

Cette primauté était l’expression vivante du double caractère imprimé dès l’origine au gouvernement. D’une part la haute main mise par le pouvoir civil sur la défense livrait l’organisation de nos forces les plus nombreuses à des hommes sans expérience militaire : de là un premier mal. D’autre part, cette œuvre allait être conduite par les mêmes autorités qui d’ordinaire dirigent la politique : de là un second danger. Les deux tâches, militaire et politique, étaient contradictoires. Travailler à la défense était faire appel à tous les Français, trouvera chacun un emploi utile de leurs forces, unir les hommes de tout rang et de toute opinion au nom de la patrie. Servir un parti divisant les Français, était remettre toute l’autorité aux défenseurs les plus sûrs, les plus énergiques et les plus habiles d’un régime, pour maintenir sa domination sur les indifférens et les hostiles. Si les maires, les préfets, le ministre de l’intérieur, le gouvernement prétendaient accomplir à la fois la double tâche, ils devaient échouer dans l’une et dans l’autre. Pour les sauver toutes deux, il fallait songer uniquement à celle qui était à la fois la plus urgente et la plus essentielle. Les représentans du pouvoir civil se présentaient comme des novateurs militaires, la France avait droit qu’ils ne poursuivissent pas en même temps un autre dessein. Alors subsisterait le vice inhérent au système, c’est-à-dire la formation d’armées par des hommes qui ne connaissaient rien des armées. Mais, du moins, ce que le système pouvait produire de bon serait obtenu, si ses partisans se consacraient tout entiers à son succès ; si nul n’était investi d’autorité que par sa compétence à assurer quelque détail de l’immense œuvre, pour son aptitude à fabriquer les armes, les équipemens, le matériel, pour son habileté à en ordonner les élémens ; si enfin le gouvernement par son exemple enfermait tous ses auxiliaires dans leur devoir, et n’agissait jamais comme le mandataire d’un parti, mais toujours comme le défenseur de la France.

A en juger par les paroles, il semblait que le gouvernement eût compris ce devoir. Le titre qu’il avait adopté était une promesse ; toutes ses proclamations confirmaient son engagement de se consacrer tout entier à la lutte contre l’étranger. Mais, dans ces formules unanimement souscrites, les divers membres du gouvernement ne mettaient pas les mêmes pensées. Seuls Trochu et Picard, résolus à poursuivre dans les actes un parfait accomplissement des paroles, avaient demandé, dès la première séance du conseil, que le gouvernement ouvrît les fonctions publiques à des hommes de tous les partis, et, s’ils employaient à la défense tout le pouvoir confié par lui, ne leur demandât rien au-delà. Les autres entendaient que les fonctions publiques fussent réservées au parti républicain. Cette occupation semblait aux modérés comme Jules Favre, Garnier-Pagès et Glais-Bizoin, une garantie que la République ne serait pas trahie ; mais ils espéraient que ces républicains, se contentant de garder la place et rassurés pour l’avenir, oublieraient dans le présent et feraient oublier à la France leurs attaches politiques et chercheraient d’un patriotisme impartial le concours de tous pour l’organisation de la résistance. Aux membres plus avancés du gouvernement, il ne suffisait pas que le parti républicain occupât l’autorité ; ils voulaient que cette autorité mît toute sa force au service de la République. Ils eurent dès le premier jour le concours résolu et décisif de Gambetta.

Non qu’il fût de ces théoriciens sectaires comme il s’en trouvait plus d’un alors, capables de détourner avec calcul, au profit de leurs doctrines préférées, les énergies dues à la guerre nationale, et d’affaiblir la patrie pour fortifier leur faction. Gambetta poursuivait un autre dessein, et sa résolution s’expliquait mieux que la leur. Il sentait fortement la nécessité de défendre la France. Mais la puissance des traditions ne serait qu’un vain mot si cet homme de race mêlée, né d’un père italien, eût eu pour la France un amour tout semblable à celui des vieux fils de la patrie. Si bon Français qu’il fût devenu par choix, il ne pouvait avoir pour la demeure de la race la piété naturelle à ceux dans les veines desquels coule un sang français depuis des siècles ; il ne pouvait sentir comme eux le caractère sacré d’un sol sur lequel les générations du passé ont vécu, dans lequel elles dorment, et qui dans sa poussière a mêlé leur poussière ; il ne pouvait comme les fils de ce passé être blessé jusqu’au plus lointain de sa mémoire, jusqu’au plus intime de son culte domestique, jusqu’au plus profond de son être historique par l’invasion. Quand il s’était donné à la France, il avait été surtout attiré par ce qu’il y a en elle d’universel, d’intelligible et d’aimable à toute intelligence et à tout cœur d’homme : elle était pour lui moins un sol qu’un génie, moins un foyer de souvenirs qu’un foyer d’idées. L’immense rayonnement de la Révolution avait pénétré, échauffé cet esprit ; c’est à cette lumière qu’il s’était vu nôtre, démocrate et républicain ; il était attaché à notre patrie comme à la mère des doctrines évidentes pour sa pensée, nécessaires à ses ambitions. Etablir ces vérités chez elle, les répandre sur le monde lui paraissait la grande mission de la France, et c’est cette primauté d’influence démocratique et républicaine qu’il jugeait essentiel de défendre en défendant le sol envahi. Comme la passion de parti était inhérente à son patriotisme, et que combattre pour le sol sans combattre pour la République eût été défendre la moindre part de ses affections et s’enlever la plus puissante raison de vaincre, il considérait la passion de parti comme l’unité la plus étroite entre les hommes, la discipline de parti comme le ressort le plus puissant des énergies, le gouvernement de parti comme le seul capable de mettre des efforts soutenus et efficaces au service des intérêts publics[4]. Certain que la république inspirait à nombre d’hommes un amour capable des plus courageux sacrifices, il voulait ne pas perdre cette force pour la défense, et croyait qu’ils seraient plus invincibles s’ils défendaient à la fois leur patrie et le régime de leur choix.

Gambetta voyait clairement que, si la France consultée consacrait par un vote ce régime, ce vote confierait le pouvoir aux républicains modérés. Mais Gambetta doutait que la majorité des Français, la veille si attachée à l’empire, fût subitement convertie au régime nouveau, et plutôt que de courir la chance d’un désaveu infligé à la république par la volonté nationale, Gambetta, résolu avant tout à garder la république, ne voulait pas d’élections. Dès lors le gouvernement n’avait pour soutenir son existence que le concours de ses partisans. Moins la France était républicaine, plus il devenait indispensable de donner aux républicains tout le pouvoir, afin de compenser par l’exercice de l’autorité l’infériorité de leur nombre. Plus ce nombre était faible, plus il était essentiel de ne pas l’amoindrir par des divisions intérieures, et le seul moyen de ne s’aliéner aucun des élémens qui formaient cette minorité était d’admettre au partage du pouvoir tous les groupes républicains. Chaque groupe enfin devait obtenir non à proportion de son importance numérique, mais à proportion des services qu’il pouvait rendre, des difficultés qu’il pouvait susciter ; or les républicains révolutionnaires étaient, malgré leur minorité dans le parti, les plus prêts à défendre par toutes armes le nouveau régime contre la réaction si elle tentait un retour offensif, et ils seraient les plus redoutables pour le gouvernement lui-même s’ils se tournaient contre lui. Gambetta, acceptant toutes ces conséquences qui s’engendraient l’une l’autre, crut nécessaire de réserver tout le pouvoir aux républicains ; d’y ouvrir accès aux républicains de toutes les écoles ; et de faire une part de faveur aux républicains les plus violens.

Aussitôt il passa à l’exécution en choisissant les maires de Paris et les préfets. Les premiers allaient être, dans la capitale, les seconds dans la France entière, les intermédiaires officiels entre le gouvernement et la population. C’est à Paris surtout que le ministre de l’intérieur avait hâte de donner par ses choix l’élan démocratique et de contenir par des concessions le parti révolutionnaire. Dès la nuit du 4 septembre, il convînt avec Etienne Arago de remplacer les vingt maires donnés par l’empire aux arrondissemens de Paris. L’accord consista surtout en ceci, que Gambetta choisit ses candidats, et qu’Arago en dressa la liste. Elle portait, par ordre d’arrondissement, « les citoyens » Tenaille-Saligny. Tirard, Bonvalet, Greppo, Bocquet, Hérisson, Ribeaucourt, Carnot, Ranc, Turpin, Léonce Ribert, Grivot, Pernolet, Leneveu, Corbon, Henri-Martin, F. Favre, Clemenceau, Richard, Braleret. Tous étaient républicains et de toutes les sortes. Tenaille-Saligny, Tirard, Carnot, Pernolet, Henri-Martin, adversaires déclarés de la monarchie, étaient partisans d’une démocratie libérale, parlementaire et bourgeoise. Les socialistes y obtenaient place avec Corbon et Greppo, anciens représentans du peuple. Le parti jacobin y trouvait des chefs avec Clemenceau, Ranc, Braleret. Modérés et révolutionnaires s’y équilibraient par le nombre ; à un moment où Paris était en masse opposé aux opinions extrêmes, c’était une première faveur faite aux violens. De plus les modérés avaient été désignés pour leur poste par leur réputation, au moins par une notoriété de quartier ; les autres n’étaient connus que dans le monde obscur des sociétés secrètes. Enfin modérés et révolutionnaires, malgré leurs dissidences, avaient entre eux un lien : presque tous affiliés à la franc-maçonnerie, ils représentaient tous, avec les variétés de leurs caractères, la même indépendance hostile à l’égard des croyances religieuses, et plusieurs d’entre eux n’avaient d’autre titre républicain que l’ardeur de leurs animosités contre le catholicisme, ses pratiques et ses prêtres. Le seul égard qu’on eût eu pour les sentimens de Paris avait été d’assigner les maires les plus modérés aux quartiers les plus conservateurs : mais, les maires étaient plus républicains que les populations à administrer. Il ne s’agissait pas de satisfaire, mais de diriger l’opinion publique.

Gambetta savait que ces choix n’avaient pas chance d’être dans leur ensemble agréés par le gouvernement. Comme il les croyait politiques, et nécessaires pour acheter des factions turbulentes la paix ou du moins une trêve, il résolut de prévenir l’opposition de ses collègues en ne les consultant pas, et de mettre ses contradicteurs en face d’un fait accompli. Le gouvernement ne connut les candidatures des nouveaux maires qu’en lisant leur nomination dans le Moniteur du 6 septembre.

Le même matin, au conseil, la protestation éclata. Trochu se plaignit qu’un procédé si contraire au droit et à la confiance eût servi à imposer certains choix, « défis véritables à l’opinion. » Ernest Picard demanda que ces nominations fussent cassées, et les anciens maires rétablis. Gambetta savait la majorité de ses collègues incapable de pousser la fermeté jusque-là : car, en destituant ces maires, ils eussent provoqué l’inimitié d’hommes qui avaient été leurs agens électoraux hier, et qu’ils avaient besoin de se ménager pour l’avenir. D’ailleurs les violences démagogiques ou antireligieuses des plus exaltés parmi ces maires n’étaient que les réalisations brutales mais logiques des doctrines professées par plusieurs dans le gouvernement. Le seul péril pour le ministre de l’intérieur était la première colère des amours-propres, plus blessés que les principes, et plus exigeans. Gambetta s’ingénia à les calmer, s’excusa sur l’urgence, et promit de mieux respecter désormais la prérogative de ses collègues. Dans le conseil divisé, on transigea d’abord, et, les uns consentant à ne pas annuler sur l’heure les nominations, les autres à les tenir pour provisoires, tous s’accordèrent à décider que les maires seraient élus à bref délai. Mais le parti avancé, conscient d’avoir obtenu par la volonté du ministre plus que ne lui donnerait le vote de Paris, dépêcha le lendemain au conseil Etienne Arago et Floquet. Ils combattirent les élections comme une menace contre le gouvernement lui-même. Il n’avait pas été consacré par un vote. Quelle autorité lui resterait en face d’un municipe élu par la capitale ? Il n’y avait qu’une réponse à l’argument : décider que la France choisirait aussi ses mandataires. Faute de se soumettre lui-même au vote, le gouvernement ne pouvait autoriser Paris à nommer ses maires. La décision de la veille fut rapportée, et les choix de Gambetta se trouvèrent définitifs.

Dès le 5 septembre, il avait aussi commencé à pourvoir aux préfectures. Ici les noms des candidats furent soumis au conseil. Celui-ci traita ces nominations comme une de ses affaires les plus importantes, et où tous les membres du gouvernement tenaient davantage à collaborer. Pour tous il s’agissait d’empêcher que la politique la meilleure à leur sens fut mise en échec par les serviteurs d’une politique différente. Pour tous, Trochu excepté, il s’agissait d’obtenir que les hommes désignés par eux fussent choisis. La politique a ses droits, aussi l’amitié, aussi la parenté : chacun d’eux a des protégés qu’il veut pourvoir et surtout qui veulent être pourvus. Dès la première séance du gouvernement, le portefeuille de Gambetta a commencé à se gonfler des notes que ses collègues, à peine assis sur leurs sièges de gouvernement, rédigent en faveur de candidats aux préfectures, et la liberté de ses choix trouva sa limite dans l’instance des sollicitations. Malgré tout il garde dans ces débats de personnes l’avantage de celui qui prépare une œuvre d’ensemble, avec des vues générales et d’après des informations précises. Ne fit-il pas agréer toutes les candidatures voulues par lui, il doit l’emporter le plus souvent, grâce à la lassitude qui empêche les adversaires mêmes de contredire sans cesse, grâce aux tolérances qu’il obtient en échange des faveurs qu’il accorde, grâce à l’ignorance de ses collègues sur les situations locales qu’il affirme.

L’embarras de choisir ne fut pas mince, car notre première levée de volontaires fut celle des candidats : c’est par leur ténacité à occuper les approches du pouvoir, qu’ils se formèrent d’abord à la vie de siège et pratiquèrent un art, inconnu aux Vauban, de prendre les places[5]. Paris et les provinces luttèrent à qui fournirait un plus grand nombre de solliciteurs, tous réclamant leur part comme leur dû, quelques-uns avides seulement pour leur parti et désintéressés d’ambition personnelle. A Paris l’opposition républicaine avait son centre et son état-major ; cet état-major avait dirigé la campagne contre l’empire, aidé à la diffusion des idées libérales, à l’organisation du parti démocratique, au succès des candidatures indépendantes. C’est sur ces auxiliaires que le regard de ces députés devenus les maîtres devait tomber d’abord et la plus grande partie des préfectures fut pour eux. La province aussi avait ses droits. Dans nombre de départemens, l’opposition sans vaincre avait lutté, et ses candidats, mis par ces luttes mêmes en rapports avec les députés de Paris, avaient été assez longtemps à la peine pour être enfin à l’honneur. Dans les départemens qui avaient nommé des députés républicains, ceux-ci, pour servir leur parti et leur propre influence, désignaient leurs grands électeurs. Dans plusieurs villes, les meneurs républicains, sans attendre qu’on leur laissât leur part, se l’étaient faite eux-mêmes ; entraînant une foule ou entraînés par elle ils avaient envahi les préfectures, chassé les préfets ; et le télégraphe affirmait au ministre de l’intérieur qu’ils occupaient la place et entendaient la conserver. Et par-delà les frontières mêmes, d’autres républicains faisaient entendre les droits de l’exil, de l’ancienneté dans le parti, annonçaient, qui de Suisse, qui d’Espagne, leur prochain retour en demandant un poste, et rappelaient qu’entre leur zèle et une préfecture, il n’y avait plus de Pyrénées.

Comme la liste des maires parisiens, la liste des préfets ne contenait que des républicains : plus encore que la liste des maires elle assemblait les républicains des sociétés les plus diverses ; dans l’une et dans l’autre la même volonté calculatrice avait maintenu entre ces diversités les mêmes proportions et le même équilibre. Gambetta avait largement accordé à l’influence de Picard et de Jules Favre la nomination de républicains bourgeois, amis des mesures légales, partisans de la liberté, droits d’intentions et corrects de vie. Mais il avait fait une place égale aux candidats favoris de ses collègues plus ardens ou des groupes jacobins. Les hommes qu’il avait choisis lui-même, et ce ne furent pas les moins remarquables par les aptitudes, avaient été comme assortis de toutes les nuances, mais avec une préférence pour ceux d’un républicanisme plus sombre et d’un caractère plus impérieux. Les plus redoutables étaient ceux qui, inspirateurs ou mannequins de la foule, avaient montré les uns leur énergie, les autres leur docilité révolutionnaire en acceptant leur titre de l’émeute et que Gambetta dut confirmer dans leur possession : il aurait eu mauvaise grâce de tenir trop rigueur aux gens qui s’installaient par avance à la place désirée par eux, et de plus il ignorait s’il avait à ce moment la force de les en déloger. Un dernier trait achevait la ressemblance entre la promotion des maires et celle des préfets : avec les uns comme avec les autres, la franc-maçonnerie se glissait sans bruit dans le gouvernement de la France.

Ainsi recrutés, pouvaient-ils être ces ignorans volontaires des anciennes querelles, ces conciliateurs entre les factions, ces patriotes résolus à solliciter avec un égal empressement, à accepter avec une égale joie le concours de tous, pouvaient-ils être ces arbitres équitables qu’il fallait pour conduire une guerre nationale ? C’étaient là des mérites tout contraires à ceux dont les candidats s’étaient fait des titres et pour lesquels ils avaient été préférés. Encore les républicains envoyés de Paris dans un département inconnu d’eux pouvaient-ils, grâce à cette ignorance, rester étrangers aux querelles locales et aux haines de personnes : une certaine impartialité était dans leur situation si elle était dans leur nature. Mais pour ceux qui, députés ou chefs d’opposition la veille, recevaient autorité sur tous, là même où ils avaient vécu, lutté, souffert, qui voyaient en face d’eux leurs amis longtemps victimes, qui sentaient sous leur main leurs adversaires hier oppresseurs, l’impartialité était au-dessus de la nature. Les souvenirs de tout leur passé, l’amertume des ostracismes, la rancœur des humiliations, la colère des sévices qui les avaient frappés eux et les leurs, la crainte de se préparer le retour de ces maux s’ils n’établissaient pas solidement leur victoire, tout les conduisait fatalement à une politique de faveur pour les uns, de rigueur pour les autres ; et cette iniquité même leur semblerait équité si, grâce à elle, ils réparaient le long déni de justice qu’avait été l’Empire pour les idées, les œuvres, et les hommes du parti républicain.

Et, non moins que l’impartialité, la compétence leur manquait pour diriger l’effort contre l’étranger. Ils avaient été choisis à cause de leur notoriété politique : or, soutenue au nom de la liberté contre la force, la lutte contre l’empire avait surtout mis en péril, en action, et en lumière les hommes de parole et de plume. En province comme à Paris, c’étaient des avocats et des journalistes qui avaient agité, soulevé l’opinion, et pris la direction du parti républicain. C’est parmi eux que les membres du gouvernement, avocats et journalistes eux-mêmes, avaient tout naturellement cherché leurs auxiliaires. Ce ne fut pas un système, et Gambetta était homme à chercher le mérite sans s’inquiéter de la profession. C’est ainsi que, le 5 septembre, parmi les visiteurs du ministre, un ingénieur des mines sans recommandations, sans passé politique, et dont le nom même, Charles de Freycinet, était inconnu au ministre, se présenta : il prévoyait que, pour organiser des armées nouvelles, les militaires de profession ne suffiraient pas, et il demandait à être employé en un poste où ses connaissances spéciales pussent servir à la défense. La netteté de sa parole et la précision de ses idées frappèrent Gambetta, et croyant deviner une intelligence et une volonté, il le nomma séance tenante à la préfecture de Tarn-et-Garonne. Mais les inconnus capables de donner d’eux en une conversation une telle idée étaient rares, et se décider sur de pareils indices était hasardeux. Presque toujours c’étaient donc les rapports antérieurs, la connaissance ancienne qui formaient, dans l’urgence où l’on se trouvait, les titres des candidats ; et Gambetta comme les autres membres du gouvernement n’avait de rapports qu’avec ses compagnons de profession et de parti. Plus de soixante préfets étaient des avocats ; les autres, pour la plupart, des journalistes et des médecins. A des fonctions qui devaient être surtout militaires, un seul militaire de profession fut appelé. C’était Valentin, ancien sous-lieutenant de 1848. Son ardeur républicaine et vingt ans d’exil avaient effacé la tache originelle. D’ailleurs on le nommait à Strasbourg, où il fallait pénétrer à travers les lignes ennemies, et le poste eut peu d’envieux. Ainsi la défense nationale se trouva confiée, dans chaque contrée de la France comme au centre, aux hommes les moins faits pour la servir.


V

Tels furent les premiers actes du gouvernement. Rarement hommes mirent autant de hâte à se tromper, et se trompèrent de manière plus grave. Ces mesures n’étaient pas seulement des erreurs, mais de ces erreurs directrices qui égarent à leur suite toute la destinée d’une entreprise, entraînant les événemens liés à elles comme des captifs, et qui ouvrent un long avenir de maux.

Créé pour défendre la France, le gouvernement n’avait pas su assurer à cette défense l’unité qui est la condition de la force. Il avait deux fois compromis cette unité.

Au lieu d’une seule armée, — où tous les Français en âge de combattre se seraient préparés par la même discipline, la même éducation, la même existence, et sous la direction d’une même hiérarchie, à la solidarité de leur devoir commun, — deux armées allaient coexister, celle des soldats et celle des citoyens : l’une sous la main de l’autorité militaire ; l’autre sous la main du pouvoir politique, chacune avec sa hiérarchie séparée, une discipline différente, un esprit contraire, chacune persuadée que l’autre était un obstacle au salut du pays. Ce dualisme entraînait immédiatement, entre les deux armées, des jalousies, des dédains, des défiances, des haines ; entre les deux pouvoirs, des incertitudes d’attributions, des conflits de volontés, un partage capricieux des ressources nationales. De plus, comme l’ordre naturel des choses, quand il est troublé par de fausses combinaisons, tend de lui-même à se rétablir, chacun des deux pouvoirs, gêné par l’autre, était obligé de le subordonner pour devenir libre. Dès lors si l’équilibre de leur autonomie survivait, il attesterait seulement leur impuissance égale à l’emporter l’un sur l’autre ; si l’unité se restaurait au profit de l’un d’eux, elle ne serait pas le consentement de tous deux à une organisation meilleure, mais la défaite du plus faible ; et dans les deux cas cette lutte absorberait une partie des efforts que l’autre lutte aurait dû seule occuper.

Au lieu d’un seul gouvernement, — établi sur le territoire à la place la meilleure pour assurer la liberté de ses communications avec le pays entier et étendre partout une autorité constante et efficace, — il y avait deux gouvernemens : une autorité principale concentrée à Paris où elle était le moins utile et où elle allait devenir prisonnière ; en province, une délégation pauvre d’hommes, vide de pouvoirs, et sur laquelle pourtant tomberait tout le fardeau de soutenir et d’armer la France. Le jour où le lien de suzeraineté et de dépendance établi entre elles serait coupé, comme leur dernier fil de communication, par l’épée de l’assiégeant, le gouvernement de province n’aurait plus ni moyens d’obéir, ni droit de commander et le gouvernement de Paris, cessant d’exister pour la France, ne laisserait pour héritier qu’une anarchie. Si le patriotisme alors, révélant à la délégation l’importance de son rôle, la poussait à une usurpation nécessaire et à l’exercice d’une souveraineté indépendante, les deux centres de volonté et d’action vivraient étrangers l’un à l’autre ; leurs efforts, faute de concert, seraient moins redoutables à l’ennemi ; et quand, enfin, les deux gouvernemens pourraient reprendre contact, ce serait pour constater la profondeur des désaccords creusés entre eux par le silence, et la question de savoir lequel céderait à l’autre préparait entre eux une lutte encore.

L’erreur militaire s’est aggravée de l’erreur politique. Comme si ce n’était pas une entreprise assez difficile de repousser l’invasion, on y a joint la volonté de fonder un gouvernement, et l’on se promet que les deux œuvres, loin de se nuire, s’aideront. L’une dès le début absorbe l’autre. En se donnant les auxiliaires avec lesquels il va les entreprendre toutes deux, le gouvernement n’a pas même demandé s’ils possédaient la double aptitude qu’il eût fallu pour la double mission. Résigné à leur incompétence militaire, il ne s’est montré exigeant que sur leurs preuves républicaines. Fatalement, et à son exemple, ils oublieront l’intérêt militaire pour l’intérêt politique, négligeront ce qu’ils ignorent pour ce qui est la passion de leur vie, tiendront la défense pour une crise violente et passagère, la fondation du gouvernement pour l’œuvre essentielle et définitive ; l’obsession de cet avenir ne leur laissera voir, dans ce peuple à unir contre l’étranger, que des partisans à soutenir et des adversaires à combattre ; après que ces divisions auront affaibli la défense, l’échec de la défense, par une représaille imprévue, mettra en péril la république ; tous les partis sortiront armés de l’épreuve où ils auraient dû disparaître et la guerre étrangère aura préparé une guerre civile.

Toutes ces fautes dont la nation est victime ne sont pas les fautes de la nation. C’est sans elle qu’elles ont été commises. Quelques hommes se sont cru plus qu’elle-même capables de la servir. Parmi eux était un général illustre et jusque-là presque infaillible de coup d’œil : c’est lui qui a commis l’erreur militaire. Parmi eux un autre semblait doué de génie politique : l’erreur politique est son œuvre. Et pour n’avoir pas dès le premier jour consulté la nation, ces hommes ne trouveront plus de jour pour réparer cette faute devenue ainsi définitive. L’absence de légalité sera l’embarras constant de leur gouvernement, un prétexte à la Prusse pour poursuivre la lutte, à l’Europe pour refuser sa médiation. Elle ne pèsera pas moins sur la politique intérieure. La logique les poussera malgré eux : ils n’ont pas interrogé la France ; ils n’admettront pas que sous aucune forme elle les avertisse et les sauve. Dépourvus de la légitimité que donne un mandat de la nation, ils ne pourront laisser en France cette légitimité à personne ; ils en viendront à considérer comme un reproche, une provocation, un danger l’existence de tout corps électif, à dissoudre les assemblées départementales, les conseils municipaux ; et ne disparaîtront qu’après avoir, eux, défenseurs du suffrage universel, détruit sur toute la surface de la France toute forme de représentation.

Les événemens vont se dérouler comme les conséquences contenues dans les premières fautes. Contre ces fautes viendront s’épuiser et se briser la ténacité courageuse de la nation qui est leur victime, et la puissante énergie de ceux qui après les avoir commises parleront de les réparer. Leurs erreurs seront plus fortes que leurs efforts : tandis que ceux-ci élèveront à de grandes hauteurs le patriotisme, l’union des âmes et la générosité des sacrifices, celles-là auront d’avance désorganisé la défense par la discorde.


ETIENNE LAMY.

  1. Voyez la Revue des 15 mai et 15 juin 1896.
  2. Les chiffres et appréciations donnés ici sont le résumé des chiffres et appréciations fournis en 1873, après le plus minutieux travail, à l’Assemblée nationale, par la Commission d’enquête sur le matériel de la guerre. Celle-ci a indiqué, en ces termes, pourquoi elle n’avait pu « reconstituer, d’une façon précise, les distributions d’armes faites pendant la dernière guerre. On aurait pu y réussir en temps ordinaire, au moyen de la comptabilité en matières des directions d’artillerie ; mais l’invasion des provinces de l’Est et les événemens de la Commune s’opposent à ce qu’on établisse complètement cette comptabilité. Il manquera toujours les comptes-matières et les inventaires des directions de Metz, Strasbourg et La Fère, qui ont disparu par suite, de l’occupation allemande, ainsi que ceux de la direction de Paris, qui ont été incendiés par les insurgés du 18 mars. En outre, dans quelques directions, les armes ont été réellement pillées, et il en est résulté un désordre qui s’est reflété dans les écritures. » Rapport de M. Léon Riant. (Annales de l’Assemblée nationale, t. XVII, p. 184.)
  3. Enquête sur le gouvernement de la Défense nationale. TROCHU. —… Il vous semble qu’étant donnée la composition du gouvernement d’alors, on pouvait mieux faire que d’envoyer à Tours deux vieillards. Eh bien, je crois que c’est précisément leur grand âge qui leur valut cette désignation. (Ann. parl., t. XVII, p. 249.)
    JULES FAVRE. —… Blâmez-nous-en, si vous trouvez que nous le méritons, mais c’était à qui ne quitterait pas Paris. Et pourquoi, messieurs ? Parce que Paris était le lieu du danger. (Ann. parl., t. XVII, p. 295.)
  4. « On ne gouverne qu’avec des partis… Ce qui, à mon sens, a été la condition même de la faiblesse du gouvernement, c’est qu’il n’était pas un gouvernement de parti. » GAMBETTA, déposition devant la Commission d’enquête sur le gouvernement de la Défense nationale. Ann. parl., t. XXIII, p. 486.)
    « M. Gambetta avait un ardent patriotisme, mais… ayant à demander pour l’œuvre de salut commun que nous poursuivions le concours de toutes les volontés, de tous les esprits, de tous les cœurs, il était persuadé que pour utiliser ce grand effort, il fallait superposer à cet effort même un parti qui devait en être le directeur. » TROCHU, discours du 14 juin 1871 à l’Assemblée nationale. (Ann. parl., t. III, p. 375.)
  5. Le lendemain (6 septembre), visites. Je ne vais rien demander dans ces ministères ; j’apporte de bons renseignemens et, je crois, de bons avis. Partout une foule de quémandeurs, de solliciteurs, une curée. Je retrouve là des bonapartistes, qui abandonnent celui qu’ils servaient platement, des laquais de tous les partis. Quelle nausée ! » (Claretie, Paris assiégé, p. 2 ; Lemerre, 1871.)