Magasin d’Éducation et de Récréation, Tome XVII et XVIII, 1903



XVIII

Ceylan la parfumée.


Pareille à une corbeille de fleurs, « l’île des épices » s’étendait sous les yeux des voyageurs. Son parfum montait jusqu’à eux, ainsi que l’encens d’une cassolette géante ; la douce senteur de ses milliers de roses, de jasmins, de tubéreuses, de lotus, de grands lis, d’orangers, de citronniers, de grenadiers, se mélangeait avec les émanations plus âpres des poivriers, des câpriers, des girofliers en fleur, de cent autres essences dont la combinaison caractéristique fait reconnaître à plusieurs lieues en mer le voisinage de Ceylan.

Il fallait attendre la nuit pour tenter de se poser en lieu sûr, et, jusqu’à ce que vînt l’obscurité propice, Henri dut se contenter de planer à une grande hauteur, se contraignant de son mieux pour ne rien laisser percer de son impatience ; Gérard, aussi désireux que lui de voir fuir les heures, observait la même maîtrise de soi ; quant à Djaldi, depuis que l’île était en vue, il semblait avoir perdu la tête. Penché au-dessus du bord, il saluait d’exclamations délirantes la terre qui lui avait donné le jour, et que la curiosité, l’amour des aventures lui avaient fait abandonner sottement. Combien il maudissait ce jour néfaste !… Il en redisait avec volubilité tous les détails… Un grand paquebot était venu toucher à Colombo, en route pour la Chine, et Djaldi, amené par exceptionnelle faveur dans le grand port par son père, avait manifesté un désir violent de visiter le beau navire ; mais le père, pauvre interprète et guide des étrangers à Ceylan, avait bien autre chose à penser que de visiter des paquebots et ne donna pas la moindre attention à la requête de Djaldi. Alors, dans le cœur un peu volontaire de l’enfant, le projet de voir malgré tout le grand navire s’était affirmé, et profitant d’un instant où, arrêté avec un bonze de sa connaissance, son père se confondait en salutations et politesses, le petit mécréant s’était dérobé, et, se glissant comme une anguille à travers l’encombrement du port, était arrivé sur le paquebot objet de son admiration.

Hélas ! que de larmes lui avait coûté ce mouvement de désobéissance — sans compter celles qu’on avait dû verser là-bas dans l’humble demeure de L’interprète !

Avant même qu’il fût sorti de la cachette où il s’était tapi pour être plus sûr de n’être pas rattrapé trop vite, on avait levé l’ancre, on était en pleine mer. Depuis cette heure fatale, que de coups ! que de mauvais traitements !… De place en place, il s’était échoué sur le Silure ; devenu le souffre-douleur de Jack Tar et Compagnie, il avait abandonné tout espoir de revoir jamais le toit paternel, le sol natal, perdus par sa faute…

Aussi sa joie présente tenait du délire. Djaldi ne se connaissait plus. Des cris, des exclamations lui échappaient à tout instant ; des pleurs ruisselaient sur sa figure brune ; il se serait certainement laissé choir de nouveau par-dessus bord si Gérard, debout au gouvernail, ne l’eût retenu par sa blouse de cotonnade.

« Une idée me vient, dit-il à Henri après avoir prêté l’oreille à l’histoire que Djaldi allait répétant avec fièvre, au milieu de mille détails incohérents ; c’est que le père de cet enfant pourrait nous être d’un réel secours. Il est guide, interprète de profession : nous avons besoin de l’un et de l’autre ; il est pauvre : une bonne prime à gagner pourra stimuler son zèle ; enfin ce doit être un brave cœur : il n’y a qu’à voir la tendresse qu’il a su inspirer à ce désobéissant petit coquin… »

En ce moment les exclamations de Djaldi deviennent des clameurs assourdissantes :

« Là ! Là !… Ici ! ici !… Sahib, c’est mon pays ! C’est la maison de mon père ! Je la reconnais !… Oh ! si je pouvais apercevoir ma mère, mes jeunes frères !… Oh ! Sahib, descendons, descendons vite !…

— Aussitôt que l’obscurité viendra… patiente un peu… Nous aussi, nous avons hâte d’atterrir, va… En attendant, désigne-moi bien exactement la maison.

— Là, Sahib, là !… Vois-tu cette case blanche en forme de ruche d’abeilles, protégée par un grand arbre, c’est là que vit mon père — un homme juste — attendant les voyageurs pour les guider le long de la route, de Kandy à Colombo, car il y a plus d’un passage périlleux sur la Corniche.

— Ton père est guide de profession ?

— Et aussi interprète. Et moi-même je l’ai quelquefois aidé, car je connais bien les chemins et un peu d’anglais et de français, comme tu vois… Plus d’une fois j’ai mené des étrangers visiter les grottes qui se trouvent dans le voisinage…

— Des grottes ? Crois-tu que nous pourrions cacher le grand oiseau dans l’une d’elles ?

— Nous pourrions y en cacher dix mille, répliqua Djaldi avec fierté. Ce sont les génies eux-mêmes qui les ont creusées.

— Gérard, dit soudain Henri, nous voici très évidemment au-dessus du camp des prisonniers !… Là, sur la gauche, ce grand emplacement enclos de palissades, avec cette cohue de charrettes, de cabanes mal rangées, cette foule qui semble grouiller comme une fourmilière…

— Ce ne peut être, en effet, que le camp !… Est-il possible, quand la terre est si grande, d’entasser ainsi les uns sur les autres tant d’êtres humains, au mépris de toutes les lois sanitaires !

— Ceux qui ordonnent de pareils crimes de lèse-humanité auront à répondre de bien des vies précieuses, froidement sacrifiées sans nécessité, sans justification aucune, reprit Henri, les dents serrées. Quand donc pourrons-nous savoir si la malheureuse enfant a pu résister à cette atroce captivité.

— Tranquillise-toi, dit Gérard affectueusement. Si quelqu’un est capable de se tirer de cette dure épreuve, c’est Nicole. Elle a le courage indomptable que rien n’abat et ne déconcerte ; et, sous la finesse délicate de son extérieur, une solidité que bien des gens de mine plantureuse et exubérante pourraient lui envier. Rappelle-toi ce que nous disait le capitaine Renaud des fatigues supportées par elle sans qu’elle en parût affectée. Crois-le, comme il le disait très justement, elle porte une vie charmée… »

À mesure que la nuit tombait, l’Epiornis, rétrécissant les cercles qu’il décrivait au-dessus de l’île, se rapprochait du sol par degrés. On distinguait quelques lanternes fumeuses s’allumant sur divers points de l’enclos, les unes suspendues à des piquets, les autres posées à terre aux carrefours formés par les huttes et les charrettes délabrées.

Une chaleur de fournaise, une odeur de misère, de fièvre et d’entassement s’exhalait de ce lieu de douleurs, digne des cercles infernaux de Dante. C’était pitié de songer qu’à peu de distance tant de fruits, tant de fleurs embaumaient l’air libre et pur de l’île, tandis qu’ici des malheureux agonisaient dans une atmosphère pestilentielle.

Quelques ombres languissantes se traînaient avec effort hors des misérables huttes, dans l’espoir de trouver à la nuitée un peu de fraîcheur. Mais en même temps que le soir avançait, une lourde vapeur se dégageait de la terre, planait au-dessus du camp, cachant aux infortunés prisonniers les clémentes étoiles, la voûte azurée qui, pour un instant peut-être, leur eût fait oublier les tristesses et les laideurs d’alentour.

Inutile d’espérer discerner aucun détail et surtout reconnaître aucune figure à travers le rideau opaque qui venait s’interposer entre le camp et les voyageurs ; mais, tant qu’ils l’avaient pu, ils avaient pris soin d’en noter la configuration, le plan, le nombre, la disposition des postes militaires, tout ce qui était susceptible, en un mot, ou de favoriser leur projet ou de lui faire obstacle.

Un point s’imposait tout d’abord : c’est que l’enceinte était très fortement gardée. Non seulement chaque issue était pourvue d’un corps de garde, mais on voyait un grand nombre de soldats à l’intérieur, facilement reconnaissables à leur uniforme « kakki » et qui, la carabine sur l’épaule, ne cessaient de sillonner les ruelles et avenues de la cité improvisée. La présence de cette troupe armée dans le camp annulait du premier coup le plan primitif qui était de venir se poser à l’intérieur avec l’Epiornis, sans se mettre en peine de passer les portes, et d’enlever Nicole de vive force. Il fallait ruser, trouver moyen de se cacher, tandis qu’on chercherait à entrer en relation avec la prisonnière, et, pour l’heure, ne point s’attarder davantage en un lieu d’où l’on ne discernait plus rien, mais où l’on pouvait être aperçu et, par conséquent, exposer la précieuse machine au risque d’être une seconde fois mise en pièces ou capturée.

D’un bond, l’Epiornis remonte dans l’espace, et, sur les indications de Djaldi, on prend le chemin des grottes où l’on espère pouvoir le loger en sûreté. Bientôt un vaste champ de riz se déroule aux pieds des voyageurs, bordé de bambous, de banians, du curieux arbre à coton, dénué de feuilles, mais couvert de fleurs flamboyantes qui le font ressembler de jour à une torchère allumée. Sur la lisière du champ s’élève la case du père de Djaldi ; dans les rochers qui s’entassent au bord de la mer sont situées les caves où l’Epiornis va trouver un abri jusqu’à l’heure propice.

On plane un instant sous la lune éclatante, puis on descend lentement au centre d’un petit cirque sablonneux entouré d’un massif de rochers, et, ayant posé le pied à terre, on a bientôt choisi, sur les indications de Djaldi, la grotte où l’aviateur sera le mieux placé. L’y ayant amené et soigneusement dissimulé au moyen de broussailles et de branchages, les voyageurs se mettent en route pour la maison de l’interprète.

Djaldi, ivre d’impatience et de joie, bondit comme un chevreau parmi les rochers, jurant ses grands dieux qu’il connaît ici chaque pierre et chaque touffe d’herbe, aussi bien que le creux de sa main, et n’aura aucune peine à retrouver la grotte. Dévalant rapidement, on aborde une large route percée dans les bois et embaumée de parfums exquis. D’un arbre à l’autre courent des plantes grimpantes les reliant de guirlandes fleuries ; on voit là des spécimens de tous les géants végétaux pour lesquels l’île de Ceylan est célébré : le ficus elastica aux racines contournées en forme de serpents, et dont l’ombre couvre parfois jusqu’à la moitié d’une acre de terrain ; le palmier du voyageur, qui donne une eau pure et délicieuse si l’on pratique une incision dans son écorce ; l’arbre à bétel, le caféier de Libéria, l’arbre à pin, le cinchona, le cocotier, le tulipier, et cent autres mêlent leurs arômes épicés au doux parfum des fleurs. Et c’est au cœur de ce paradis que des milliers de femmes et d’enfants, innocentes victimes d’une guerre sans merci, languissent et meurent !… Le souvenir des miasmes du camp en paraît plus écœurant !…

Enfin on arrive aux abords de la demeure du guide-interprète. Une guitare indigène bourdonne mélancolique. Djaldi ne fait qu’un bond et se jette aux pieds d’un grand Cingalais, à l’épais chignon roulé sur la nuque, le torse couvert d’une veste de couleur sombre, les jambes serrées dans un pagne de calicot. C’est son père qui, de saisissement, laisse tomber sa guitare.

Il ne peut croire d’abord au témoignage de ses sens et au retour de l’enfant prodigue qu’il avait cru mort depuis longtemps, mangé par le « seigneur tigre » ou le « seigneur crocodile ». Et, lorsque Djaldi lui a expliqué avec volubilité quels liens l’attachent aux jeunes Français, il se précipite, leur baise les mains, leur baiserait les pieds, s’ils ne s’en défendaient.

Au tumulte joyeux, la mère et les enfants sont accourus — le plus jeune, un magnifique bébé de dix-huit mois est sommairement vêtu d’une guirlande de jasmin — et tout le monde se livre à la joie.

Puis, on invite poliment les voyageurs à entrer et à se rafraîchir ; la maison est petite, mais propre, et le guide, cordialement appuyé par sa femme, prie les deux Sahibs de considérer comme leur propriété tout ce qu’elle contient.

On accepte simplement cette hospitalité simplement offerte, et Henri, convaincu, au bout de quelques minutes d’examen, qu’il a affaire à de braves et honnêtes gens, ne craint pas de leur confier le but de son voyage en demandant conseil sur les moyens de pénétrer dans le camp.

Goûla-Doûda secoue la tête. Ce sera difficile ; pour eux Français, impossible sans doute… mais peut-être le petit pourrait-il s’y glisser, chercher la Mem Sahib (la dame blanche) et tâcher de se mettre en rapport avec elle.

Ce projet, d’abord repoussé par les deux frères qui répugnent à exposer Djaldi, est définitivement adopté, quand le père et la mère ont affirmé qu’il ne peut y avoir aucun danger pour leur fils, à faire comme tant d’autres Hindous, à pénétrer dans le camp en qualité de vendeur, — pourvu qu’il s’y conduise avec prudence et discrétion. Sur quoi, ils lui font soigneusement la leçon et lui donnent toutes les indications nécessaires.

Le lendemain, au lever du jour, Djaldi suspend à son cou un éventaire chargé de bananes, de pêches et de grenades, il se dirige vers le camp et se présente au corps de garde. Il recèle, au coin le plus sûr de sa mémoire, un message verbal que nul ne pourra lui dérober et dans son petit cœur fidèle le désir ardent de venir en aide efficacement aux bons Sahibs qui lui ont été fraternels et secourables.

Selon la prédiction de Goûla-Doûla, l’enfant ne rencontre aucune difficulté pour entrer. En même temps que lui, une foule d’indigènes, petits ou grands, se pressent aux portes avec des marchandises de diverses sortes, tous désirent d’être les premiers, de récolter les maigres deniers que peuvent contenir les poches des détenus avant que la concurrence vienne les leur disputer.

D’un pas vif, Djaldi se met à parcourir les voies tortueuses, les ruelles sordides, offrant sa marchandise, scrutant les physionomies, essayant de reconnaître celle qui lui a été minutieusement décrite. Pendant longtemps il erre ainsi sans succès, cherchant vainement parmi les figures lamentables qu’il rencontre une femme ou une jeune fille ressemblant même de loin au portrait qu’on lui avait fait de Nicole. La plupart de ces infortunées faisaient mal à voir : maigres, hâves, décharnées, vieillies avant l’âge, elles paraissaient généralement stupéfiées par la faim et les privations, incapables même de faire un mouvement pour s’arracher à leur triste sort. Près d’une tente misérable, le petit Hindou s’arrêta involontairement frappé par un spectacle navrant. Sur un grabat étendu à l’entrée, une fillette agonisait, pareille déjà à un pauvre petit cadavre. Ses lèvres desséchées laissaient à découvert toutes ses dents jaunes. Ses pieds et ses mains paraissaient disproportionnés, au bout des os décharnés qu’étaient devenus ses bras et ses jambes ; à l’approche de Djaldi, une lueur s’alluma dans ses yeux éteints ; et le regard avidement fixé sur les fruits qu’il portait disait assez que si la petite s’en allait c’était uniquement faute de nourriture.

Vite il choisit le plus beau et le lui offrit ; mais la pauvre créature n’avait plus la force de le porter à ses lèvres.

Une femme accroupie tout auprès, misérable fantôme presque aussi faible que la fillette, prit le fruit, l’approcha de sa bouche ; l’enfant y mordit, et un pâle sourire parut sur son visage, tandis que la triste mère disait d’un regard silencieux sa reconnaissance.

Remué de pitié, Djaldi s’attardait auprès d’elles, voulant que toutes deux se rafraîchissent, et ne pouvant se décider à quitter ce grabat avant qu’un peu de mieux se fût dessiné sur le visage de la petite, lorsqu’une voix au timbre pur et grave entendue derrière lui le fit soudain tressaillir et se retourner.

« Bonjour, dame Frika ! Je vois avec plaisir que vous avez de beaux fruits pour notre Janik, ce matin !… »

Celle qui parlait était une jeune fille vêtue de noir, de taille haute et svelte, d’aspect infiniment noble et doux. Sa blanche figure, émaciée par les fatigues et les privations, semblait celle d’un pur esprit ; ses grands yeux gris, intelligents, lumineux, respiraient la pitié ; ses cheveux blonds la nimbaient comme d’une auréole ; et lorsque, agenouillée près de Janik, sa fine main, sa douce voix enveloppèrent de consolation la petite malade, Djaldi crut voir un ange descendu du ciel, et demeura frappé de respect.

Du premier coup d’œil, il avait d’ailleurs reconnu Nicole Mauvilain.

« Janik est bien contente, dit la mère, laissant tomber une larme. Mais comment payerons-nous ces fruits-là, demoiselle ? Je n’ai pas un penny.

— Moi non plus, dit la jeune fille. Mais le petit marchand doit avoir bon cœur… Je vois cela sur sa figure… Il nous les donnera, ou il attendra que nous puissions payer… » Et, comme elle parlait ainsi, un sourire si charmant vint animer cette physionomie sérieuse, que Djaldi eût souhaité avoir dix éventaires chargés de fruits pour les offrir. Mais il ne s’agissait pas de perdre son temps : il fallait prudemment se faire connaître.

« Je donne mes fruits si vous voulez bien les accepter, ou je les vends si vous le préférez, dit ce jeune diplomate. Je voudrais faire ici exactement ce que feraient mes maîtres révérés, les bons Sahibs Henri et Gérard Massey… »

Sans élever la voix, il avait pris soin de détacher nettement chaque mot. La jeune fille tressaillit à son tour.

« Qu’as-tu dis, mon enfant ? quels noms as-tu prononcés ?…

— Henri Sahib et Gérard Sahib, fit-il baissant le ton.

— Tu les connais ? Tu les a vus ? s’écria-t-elle, l’entraînant à quelques pas de là.

— Ce matin même. Et toi, demoiselle, n’es-tu pas la Mem Sahib Nicole ?

— C’est mon nom : Nicole Mauvilain… Dis, parle vite !… Tu viens de leur part ? Ô ciel miséricordieux, soyez béni !

— Ils t’attendent près du camp. Eux ne sauraient y pénétrer, mais je viens te dire de leur part que la liberté est à ta portée… Oh ! ils sont bons et forts ; ils peuvent tout ce qu’ils veulent, fit l’enfant avec enthousiasme. Ils ont fabriqué, pour venir te prendre, un grand oiseau-fée qui nous a menés ici en faisant le tour du monde…

— Dieu soit loué ! Dieu soit loué ! répétait la jeune fille avec ferveur. Mais dis-moi, cher enfant, t’ont-ils expliqué comment ils comptent pénétrer jusqu’ici, ou me faciliter la sortie du camp ? Répète-moi bien fidèlement les instructions que tu as reçues.

— Nous devons, toi et moi, choisir un emplacement où le grand oiseau puisse venir se poser à la nuit noire, et toi tu n’as qu’à te tenir prête à t’embarquer au premier signal.

— Un ballon ?… un aérostat dirigeable ? se disait Nicole rêveuse. — Oui, Henri est bien capable de l’avoir trouvé… et le moyen d’évasion paraît en effet ingénieux… pourvu qu’une des patrouilles qui circulent sans cesse ne nous empêche pas d’exécuter notre dessein… Voici ! fit-elle après avoir réfléchi ; il faudra que l’oiseau dont tu parles vienne se poser sur la bâche du wagon qui me sert de logis. Si la nuit est très sombre, peut-être réussirons-nous à n’être pas aperçus par les soldats qui à tout instant parcourent les ruelles. — Il est sévèrement défendu à tout autre qu’eux de circuler la nuit.

— On choisira l’heure la plus noire, les. Sahibs l’ont dit. Mais, d’abord, montre-moi l’emplacement du wagon, Mem Sahib, il ne s’agirait pas de se tromper ! fit Djaldi d’un petit air important.

— Suis-moi à quelque distance, dit Nicole, et ne me parle pas ; ceux qui nous gardent sont soupçonneux. Quand je serai arrivée à ma demeure, tu t’approcheras, je feindrai de marchander tes fruits, et toi tu refuseras de les donner pour le prix que j’offrirai. Comprends-tu ?

— Oui, oui ! Sois tranquille, Mem Sahib ! Je vais faire le méchant, comme si j’étais un vrai soldat ! » répondit gaiement Djaldi.

Nicole reprit son chemin parmi les huttes et les tentes délabrées, s’arrêtant souvent pour donner quelques douces paroles à ses compagnons de captivité. Son passage était salué d’expressions d’amour et de reconnaissance ; les petits s’attachaient à sa jupe et lui baisaient les mains, enfin elle atteignit un mauvais wagon qui reposait sur ses brancards, et ayant fait mine d’y entrer, reparut bientôt au dehors.