Le Freyschütz/Acte III
ACTE TROISIÈME
Scène Première
avec quelques rubans verts ; elle est à genoux,
puis se lève et s’approche.
En vain au ciel s’étend un voile,
Le roi du jour y brille encor ;
Un Dieu sublime s’y dévoile.
Guidant le monde en son essor.
L’auteur puissant de la nature
Veille sur elle avec amour ;
Son regard, que ma voix conjure,
Sur moi va luire dans ce jour.
En lui mon cœur tendre et fidèle
S’est confié dès son matin ;
Et si la mort bientôt m’appelle,
Je me soumets à mon destin ;
L’auteur puissant de la nature
Ouvre sur elle un œil d’amour ;
Son regard, que ma voix conjure,
Sur moi va luire dans ce jour.
Scène II
As-tu bien reposé ? Mais que vois-je ! des larmes.
Bon ! pleurs de fiancé et brouillard du matin
Ne durent pas.
Max, sorti par ce temps affreux !…
Que cette nuit la pluie et la tempête
Semblaient faire écrouler les murs sur notre tête.
Et quel rêve j’ai fait !
Oh ! raconte-le-moi ; je crois à son effet,
Car dans ce jour c’est le présage
Du destin de ton mariage.
Il me semblait changé en ramier blanc,
De rameaux en rameaux voltiger en tremblant :
Soudain on met en joue, et la frayeur me glace…
Il tombe… le ramier disparaît… à sa place
Un grand aigle noir roule à mes pieds tout sanglant.
Fort bien !
Que dis-tu donc !
L’aigle est ton présent d’hyménée !
Le ramier blanc, c’est toi, parée ainsi,
T’élançant au bonheur. — Tu vois : je sais aussi
Bien expliquer les songes.
Ton amitié pour moi cherche de vains mensonges.
Ah ! que lui dire ?
La preuve, c’est l’histoire que voici.
Un soir, défunte ma grand’tante
Voyait en songe un revenant.
Ah ! quelle fut son épouvante !
Elle pâlit. — Incontinent,
Un monstre affreux,
La flamme aux yeux,
Agite une chaîne
Et se traîne
Vers elle à grands pas. —
Je vois ma grand’tante,
Muette et tremblante,
Alors priant tout bas,
Et puis criant, hélas !
Vite, elle appelle, au nom de l’ange son gardien !
À l’instant chacun vient,
Et que voit-on là ? rien.
Car le monstre était… Qui ? Néron, notre gros chien !
Quoi ! m’en veux-tu ? mais comment faire
Pour te distraire
Allons, ici !
Plus de souci !
La tristesse
Qui t’oppresse
Qu’elle cesse
Désormais !
Que la crainte
Soit éteinte
Pour jamais !
Jeune épouse, sois contente,
Que la grâce si touchante
Nous enivre et nous enchante.
Charme-nous
Par des regards plus doux.
Quand on est jolie,
Rêver est folie.
Envisage un doux espoir ;
Des rayons purs de l’aurore,
Déjà l’ombre se colore ;
Tout présage pour ce soir
Un ciel moins noir,
Dans l’avenir qui se fait voir,
Se révèle un doux espoir.
« Je rends grâce aux efforts de ta gaîté si bonne
Il faut ouvrir ce coffre où l’on mit ta couronne,
Car voici les filles d’honneur.
Scène III.
en habits de fête et portant des fleurs.
Salut ! belles enfants ! Pour lui porter bonheur,
Célébrons la beauté que l’amour environne.
Acceptez ces bouquets que l’amitié vous donne.
Nos mains tressaient pour vous ces fleurs.
Prenez ce frais hommage !
De tous nos vœux, dans ces couleurs,
Voyez l’heureuse image.
D’un époux
Comblez enfin l’espoir si doux.
Et qu’à la plus belle
L’amour soit fidèle
Le myrte vert, le blanc jasmin
Composent la couronne,
Et pour bénir ce tendre hymen
Chacun vous environne.
Voici venir l’amant joyeux.
À l’ombre de ce voile,
De son bonheur, oui, ces beaux yeux
Seront sa chaste étoile.
« De tous vos vœux mon cœur est pénétré.
Oh pourquoi dans mon âme une crainte fatale ?
Allons ! par nous que son front soit paré
De la couronne nuptiale.
(Pendant ce temps, Annette coupe le cordon qui tient la boîte qu’elle a apportée. Annette se met à genoux devant Agathe et lui présente la cassette.)
Ô ciel !
Grand Dieu ! la couronne de mort !
Comment et par quelle méprise ?
Allons ! on aurait tort
De s’effrayer ! Oui, par la vieille Lise
L’erreur sans doute fut commise.
Mon triste cœur se brise !
Si le ciel me parlait par ce signe de deuil !
Ô fleurs, ornerez-vous l’autel ou le cercueil !
Mais que faisons-nous donc ? oh ! la bonne pensée !
Avec ces roses-là que pour la fiancée
Soudain par nous
Une guirlande soit tressée !
À merveille !
On attend, c’est l’heure ; hâtez-vous.
Scène IV
Plaisir de la chasse
Que rien ne surpasse,
Ranime l’audace
Qui brûle en nos cœurs !
L’ardeur que nous donne
Le cor qui résonne,
Jamais n’abandonne
Les braves piqueurs !
Courir dans la plaine
Le cerf hors d’haleine,
Chanter à voix pleine,
Toujours sans effroi
Le soir au bois sombre
Vider, sous son ombre,
Des coupes sans nombre,
C’est digne d’un roi !
Joho ! tra la, la !
La nuit solitaire
Qui couvre la terre,
Au sein du mystère
Fait tout oublier,
Guider la poursuite
Des chiens qu’on excite
Traquer dans son gîte
Le noir sanglier ;
Courir dans la plaine, etc., etc.
« Faisons trêve au banquet ! Au tir je vous invite,
Brave Kouno, votre gendre me plaît.
Votre Altesse est trop bonne !
Samiel ! à moi !
Justifie en ce jour leur choix et mon bienfait !
Prince, croyez qu’il le mérite !
Dieu ! si ma main tremblait…
Je ne vois pas la fiancée ?
Daignez permettre, monseigneur,
Que l’épreuve sans elle soit commencée :
L’émotion redouble au moment du bonheur.
Volontiers !
Ah ! sans doute,
À pareil jour nos cœurs battaient aussi !
Ah ! te voici,
Instant que je redoute.
Ô toi qui dans ma main pèses plus d’un quintal,
Plomb enchanté ne me sois pas fatal !
Jeune chasseur, sois prêt !
Tiens ! cet oiseau !… qu’il tombe !
Cette colombe blanche ?
Oh ! soutiens-moi, mon Dieu !
Allons, courage !
Feu !!!
Arrête… c’est moi !… la colombe !!!
(L’oiseau s’envole et gagne l’arbre où est monté Gaspard, qui en descend avec précipitation. — Max, le fusil tendu, suit l’oiseau en visant. Le coup part, la colombe s’envole. — Agathe et Gaspard crient et tombent. On accourt, on prend Agathe, on l’emporte.)
Le chœur, se tenant divisé par groupes et paraissant inquiet
en contemplant Agathe et Gaspard.)
Ô terreur !
Il l’a frappée au cœur !
Qu’a donc Gaspard le chasseur ?
De regarder nous avons peur !
Destin perfide,
Horreur !
Le regard de larmes humide
Est glacé par la stupeur ;
Sur ce front déjà livide
C’est la mort et sa pâleur.
(On apporte Agathe sur le devant du théâtre et on la pose sur un banc.)
Où suis-je ?
Pourquoi souffrir ainsi ?
Reviens à toi !
Sauvée ! ô Dieu, soyez béni !
Ah ! quel heureux prodige.
Vient nous la rendre ici !
Ô ciel clément, merci !
Ah ! c’est la mort, oui… je la vois !
Le ciel l’emporte, hélas ! c’est fait de moi,
J’existe encor ; l’effroi m’avait troublée,
Au jour enfin j’ouvre les yeux,
De ma douleur me voilà consolée
Et je respire l’air des cieux.
Elle renaît.
Elle est sauvée.
Ô Max, je te revois !
J’entends encor sa voix.
Ô ciel clément, merci !
(Samiel parait près de Gaspard qui le voit seul.)
Et quoi ! déjà Samiel ici !
Ta main de fer me brise,
Fils de l’enfer, ma haine te méprise.
Maudit ! maudit le ciel !!!
Quoi ! sa prière est le blasphème !…
C’est bien la mort d’un scélérat !
Le ciel voulut qu’il expirât
Pour que l’enfer s’en emparât
Chargé du poids de l’anathème
Toujours ce fut un scélérat !
Et Dieu voulut qu’il expirât
Pour que l’enfer s’en emparât
Chargé du poids de l’anathème.
C’est bien la mort d’un scélérat.
Ah ! que l’abîme l’engloutisse !
Et toi, du sombre maléfice
Raconte-nous l’affreux secret ;
Malheur à qui me tromperait !
Oui, je mérite ma disgrâce !
Par ce damné je fus séduit ;
De la vertu quittant la trace,
Le désespoir m’avait conduit.
Ces balles,
Franchissant les airs,
Par des cabales,
Sont l’œuvre des enfers.
Hors de ces lieux porte ton crime
N’espère plus un chaste hymen.
Du ciel vengeur sois la victime !
Non, non, pour toi jamais sa main
Hélas ! la crainte
Retient ma plainte ;
Mon cœur pourtant
N’eut pas de vil penchant,
Ni félon, ni méchant,
Il faiblit un instant.
À l’honneur seul il fut toujours constant.
Lui me quitter ! mon cœur se glace.
Il est si brave et valeureux.
Il est si bon, si généreux.
Ô monseigneur, faites-lui grâce !
Non, non, il est indigne de pitié.
Que ton forfait soit expié.
Crains ma menace !
Ne reparais
Jamais !
(Entre l’Ermite. Il s’avance au milieu. Tout le monde s’incline respectueusement en lui faisant place. Le Prince lui-même se découvre.)
Quel jugement ! quel déshonneur !
Quel crime doit subir tant de rigueur !
C’est vous ! c’est vous, saint homme !
Dont on renomme
La ferveur.
Salut à vous, ministre du Seigneur !
Jugez vous-même son erreur ;
Daignez prononcer la sentence,
Et j’y souscris d’avance.
Un noble cœur peut aussi quelquefois
De la vertu trahir les lois ;
Pourtant dans ta bonté j’espère :
Pour ses remords sois moins sévère.
À ma prière.
Grand prince, accorde-lui
L’épreuve d’une année entière.
Cet ordre sera suivi,
C’est l’arrêt du ciel, mon père.
Eh bien !
Un an pour leur hymen !
Vive le prince ! oui, c’est le vœu de tous.
Saint homme, honneur à vous !
De son pardon, sois digne un jour,
Garde les vœux d’un chaste amour.
Mon cœur toujours sera fidèle
Aux saintes lois de mon devoir.
Moment si doux ! bonté nouvelle !
À vous, seigneur, je dois l’espoir.
Oui, Dieu lui-même se révèle
Dans la clémence du pouvoir.
Heureuse, enfin, l’amour t’appelle !
D’un tendre hymen garde l’espoir.
De la vertu touchant modèle,
Vois ton bonheur dans ton devoir.
Vous tous levez aux cieux
Vos cœurs, vos yeux.
Dieu seul à l’innocence
Prête un secours pieux.
Vers l’Éternel que notre hymne s’élance.
Le ciel généreux
Daigne entendre nos vœux.
L’hymen et la vertu vont combler leur ivresse.
Sa foi, son amour
Sont à lui sans retour.
Unissons nos chants d’allégresse !
Un jour le Seigneur
Bénira leur bonheur.