Éditions Édouard Garand (p. v-xi).


Aux fils

de la glèbe du

« Pays de Québec »

je dédie

ce livre,

expression sincère d’un

ardent amour de la vie

rurale canadienne

et de la pittoresque

nature laurentienne


D. P.

EN GUISE DE PRÉFACE



LE FRANÇAIS devait être édité à Paris. Voilà un an, il a été reçu avec de grands éloges par le comité de lecture du MONDE NOUVEAU, maison d’éditions qui avait entrepris de publier des ouvrages canadiens. Mais la crise, sous toutes les formes et dans tous les domaines, qui sévit depuis la guerre, en France peut-être plus qu’ailleurs, et pour cause, a fait subir au MONDE NOUVEAU l’une de ces épreuves financières si fréquentes notamment au Canada depuis que nous avons à déplorer la pratique de notre désastreuse loi fédérale des faillites.

Toujours est-il qu’au moment où l’auteur du FRANÇAIS attendait, pour le signer, le contrat du MONDE NOUVEAU, il reçut, à la place, le texte d’une convention venant d’une maison nouvelle qui s’appelait LES ÉDITEURS ASSOCIÉS et qui semblait avoir remplacé le MONDE NOUVEAU.

Pour diverses raisons, l’auteur ne crut pas devoir accepter certains termes de cette convention qu’on lui proposait, en particulier le paiement des droits d’auteur en francs ce qui, on l’avouera, quand on connaît la dif- férence des cours canadien et français, constituait un assez solide motif de refus.

Le résultat de trois années de travail au Canada payé en francs français, malgré le dédain qu’opposent les auteurs à la formule de l’« auri sacra fames » ne pourrait vraiment satisfaire même l’ennemi le plus acharné du lucre. Le « primo vivere » du poète latin est connu des auteurs comme des autres mortels.

Voilà pourquoi LE FRANÇAIS, après avoir été accepté par le comité de lecture d’une maison d’éditions parisiennes, est édité à Québec aux risques et périls de l’auteur qui, sans être bien convaincu que son œuvre lui apportera la fortune, espère du moins que ses compatriotes l’encourageront assez pour lui enlever la tentation de récidiver.


Et maintenant, un mot aux critiques de chez nous qui voudraient que nos auteurs s’inspirassent en dehors de notre pays et se servissent d’une écriture à peu près complètement étrangère à la mentalité, au parler, aux us et coutumes de ceux de leur patrie.

L’auteur du présent ouvrage se proclame l’un des plus fervents disciples de l’École dite régionaliste. Membre de la Société des Écrivains des provinces de France, il a pour maîtres les adeptes de cette société dont plusieurs attirent présentement l’attention de toute la France intellectuelle : Ernest Perochon, Joseph de Pesquidoux, Jean Nesmy, Charles Sylvestre et surtout Henri Pourrat, ce dernier, modèle du régionaliste, que le monde littéraire parisien le plus select pourtant considère comme le Rabelais moderne.

Et voici, d’ailleurs, la doctrine d’Henri Pourrat que l’auteur du FRANÇAIS a fait sienne, ce qui lui permet d’expliquer ce que son roman pourrait avoir de rustique pour des oreilles et des yeux trop soi-disants exotiques.

Ci donc quelques extraits de la saine et pure doctrine d’Henri Pourrat :


« Le régionalisme ? Il est très bon qu’une littérature provinciale marque son caractère par un choix d’images empruntées à la région même, à sa faune, à sa flore, ainsi qu’au fonds populaire, qu’elle ait une qualité propre d’imagination, ses façons de penser et de sentir à elle. M. Charles Brun lui demande même « une véritable philosophie, car un Languedocien n’entend pas de même qu’un Breton, la nature, l’amour, l’infini ou la mort ». Cela semble vrai. Mais c’est peut-être moins vrai qu’on ne croirait… Celui qui prétend délimiter les esprits et sentiments de sa province tombe dans des calembredaines. Mieux vaudrait oublier le programme et trouver une inspiration ».


« Ce ne sont pas les particularités régionales qui ont un intérêt véritable, mais bien le vieux fonds paysan. De ce côté, on peut avancer dans la connaissance de l’homme obscur. Je crois qu’il y a grand bénéfice à creuser sur place… On n’arrive à connaître vraiment le monde terrien qu’à la longue et dans son ensemble, en rapprochant et liant toutes ses parties. C’est là ce que veut dire ce mot : régionalisme, s’il a un sens.

« Bien plutôt que des documents, je vois là un tour d’esprit, un génie, comme on disait jadis. Il faudrait s’intéresser aux contes, aux historiettes, aux traits de mœurs, à la sapience et aux croyances rustiques, et à toutes les démarches de l’imagination populaire. On trouverait aux champs une rhétorique neuve. Non pas seulement des expressions, des procédés, mais des façons de prendre les choses ; des vertus de fantaisie et de grande simplification. Peut-être autre chose encore ».

« C’est un tour d’esprit vieux de 40 siècles et plus qui disparaît. Ou qui change. Ces citadins reviennent prendre des vacances à la campagne. S’ils pouvaient reprendre contact avec la terre !


« On pourrait même, si l’on se tournait mieux vers le vrai vieux côté populaire, presque primitif, c’est-à-dire en somme vers les champs, écrire des romans pas trop romans, presque essais, presque reportages. La province, un bourg et sa faune, la campagne, quelle mine ! Jadis on n’aurait pas osé. C’était du vrai trop peu vraisemblable. Aujourd’hui on nous a habitués à bien des bizarreries, on pourrait être simplement vrai en relatant simplement. Cela ferait comprendre bien des choses ».


« Le peuple des champs, des métiers, demeure le véritable artisan de la langue, celui auquel il faut toujours revenir. Le jargon des classes instruites n’est pas hideux seulement, mais pernicieux. Des imbéciles, il fait des sots, en leur apprenant à se servir de mots qu’ils comprennent mal.

« Taine disait que nous perdons de plus en plus la vue pleine et directe des choses, parce que nous étudions, au lieu des objets, leurs signes, des mots abstraits, qui deviennent de plus en plus abstraits, de plus en plus éloignés de l’expérience. Le simple raisonnement verbal accouple les idées en axiomes et en dogmes et ces simulacres métaphysiques engendrent de curieux avortons.


« Le voit-on bien ? Le vrai danger social, c’est la bêtise Ou plutôt la sottise, c’est-à-dire la bêtise prétentieuse ».


« La guerre, les hasards de la vie contemporaine, cela tend à rendre au langage parlé un peu du nerf de la liberté, de la franchise qu’il eut aux époques du danger. En passera-t-il quelque chose dans le langage écrit ? Qu’est-ce qu’une aristocratie qui ne tient pas au peuple ? Qu’une tenue haute sans un certain tour libre, presque familier ? Il est bon que langage parle et langage écrit restent en liaison et se surveillent l’un l’autre ».


« La langue est trop écrite aujourd’hui. On a besoin tout ensemble de sobriété et de force. « La haine que j’ai contre cet « homme », disait Renoir de Victor Hugo, « tient à ce que c’est lui qui a déshabitué les Français de parler simplement ». Quel remède ? Un retour aux origines.

« La langue, chez nous, est née de la terre, comme la latine. Elle ne s’est pas formée dans les camps de nomades, ou sur mer, ou dans les forêts. Ni non plus à la cour, dans les écoles, dans les abbayes. Elle est née du sillon, chez les métayers. Quand l’alouette n’en peut plus de chanter, dans les hauts courants de l’air, elle se laisse tomber comme une pierre entre deux mottes, pour retrouver là des forces et un élan nouveau. Villon, Rabelais, La Fontaine, une sorte d’épine dorsale, que ne leur doit-on pas ?


« La question aujourd’hui serait de savoir si l’on parlera chrétien, hardiment et rondement, ou baragouin, à la livresque. Les patois sont le véritable conservatoire de la langue ».



« Chacun suit sa pente. Il n’y a pas de doctrine. Je songe à ceux de chez nous. Mon voisin Lucien Gachon, qui va publier un bien surprenant roman paysan — il dit des choses qu’on a jamais dites — est un instituteur resté paysan, qui habite à quelques kilomètres de sa ferme de montagne, et y retourne travailler dès qu’il a un jour de vacances ».


Voilà la doctrine littéraire de l’auteur du FRANÇAIS. Il l’a même adoptée bien avant que l’auteur de GASPARD DES MONTAGNES l’ait exprimée, voilà quelques semaines.

Et maintenant que l’on glose tant qu’on voudra encore contre la « danse autour de l’érable ». Nous savons être en excellente compagnie et, personne dans la France intellectuelle d’aujourd’hui en particulier, ne viendra nous dire le contraire et prétendre que nous avons tort d’être de chez nous.


D. P.