Le Foyer et les Champs/Après une visite à l’abbaye de Maredsous

Le Foyer et les ChampsSociété centrale de librairie catholique (p. 14-15).
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Après une visite à l’Abbaye de Maredsous.


Sombres moines ! perdus au fond d’un monastère,
Inclinés devant Dieu comme des encensoirs,
En faisant votre temps douloureux sur la terre
Vous portez votre deuil dans vos longs manteaux noirs.

Pareils à ces lions à la fauve crinière
Offerts dans une cage aux mépris des passants,
Vous allez et venez sous ces voûtes de pierre
Qui frémissent au bruit de vos pas languissants.

Mornes, vous promenez sur le marbre des dalles
Votre exil volontaire et votre soif de Dieu ;
Vous usez, à marcher, le cuir de vos sandales,
Vous usez, à prier, vos deux lèvres en feu.

Sous le rayon tremblant d’une lampe de cuivre,
Vous usez votre œil terne aux âpres voluptés
De regarder la croix, où Jésus-Christ se livre,
Et vous tend dans la nuit ses bras ensanglantés !


Vous avez pris vos cœurs dans vos poitrines fortes,
— Ces cœurs, auxquels l’amour eût versé sa clarté, —
Pour les jeter, vivants, sur vos tendresses mortes
Et mieux garder vos corps dans la virginité.

La nature est si belle autour de vos cellules !
La colline est si verte, et si gais les oiseaux !
Mais que fait le soleil, que font les crépuscules
À ceux dont l’espérance est la nuit des tombeaux !

Courbés dans la prière à l’ombre des portiques,
Plus que les astres d’or, vous aimez les flambeaux ;
Plus que les chants du soir, vous aimez les cantiques
Faisant trembler les saints qui peuplent les vitraux.

Parfois un souvenir, tout plein de joie amère
Flotte sur votre cœur, et vous joignez les mains
Priant pour votre père ou votre vieille mère
Que vous avez laissés tout seuls dans leurs chemins.

Vous vivez, unissant vos clameurs suppliantes
Aux crimes de la terre, ainsi que ces roseaux
Qui mêlent leur murmure et leurs tiges pliantes
Aux fanges qu’un grand fleuve entraîne dans ses eaux.

Dinant, 1877.