Charles Rozez (p. 83-95).

X. — Sorcellerie, Magie et Divination.

Les sorciers et à quoi on les reconnaît.

1137. Le sorcier s’appèle en wallon makré, équivalent pour la forme du français « maquereau ». On lui donne aussi les noms de dvineu « devineur » (pays de Charleroi), égrimansyin, grimanchin, groumanchin, groumansyin et autres déformations du français « nécromanien » (prov. de Liége). La sorcière porte le nom de makral, équivalent pour la forme du français « maquerelle ».

1139. Toute vieille femme aus paupières rougies, aus joues flasques et pendantes, aus allures un peu excentriques, est toujours considérée comme plus ou moins sorcière.

1140. Autrefois, les sages-femmes passaient souvent pour sorcières. Aujourd’hui, on ne fait plus guère cette réputation qu’aus vieilles mendiantes, ausquelles on donne dans les campagnes, plus souvent par crainte que par charité.

1141. La fille aînée d’une sorcière devient sorcière à la mort de sa mère, le pouvoir passant comme un héritage à l’aîné des enfants (pays de Laroche).

1142. On voit sortir le soir une petite flamme bleue de la cheminée d’une maison habitée par une sorcière (Vierset-Barse).

1143. Un sorcier ou une sorcière a des poils à la plante des pieds.

1148. Les sorcières à l’église tournent toutes le dos à l’autel. Le curé, seul, peut s’en apercevoir lorsqu’il se retourne pour dire orate fratres ou dominus vobiscum. Les autres assistants ne peuvent le remarquer qu’à la condition d’avoir en poche de la terre bénite, c’est-à-dire de la terre de la première pelletée que le prêtre jète dans la fosse à un enterrement.

1149. Presque partout, on raconte que des jeunes gens ont reconnu les sorcières de la localité en semant, un dimanche pendant la messe, sur le seuil de l’église, une traînée de terre bénite. À la fin de la messe, sis ou sept sorcières ne purent franchir cette ligne magique. Le sacristain eut beau leur ordonner de sortir. Il fallut appeler le curé qui fit enlever la terre. Dans plusieurs villages, on commence par dire que le moyen fut conseillé à un jeune homme qui acquit ainsi la preuve que la jeune fille qu’il allait épouser était une sorcière.

1150. Si l’on soupçonne un mendiant d’être sorcier, il faut lui présenter un sou qui a été trempé dans l’eau bénite. S’il est sorcier, il ne le prendra pas (Herve).

1151. On place sur le chemin de la personne suspecte deus fétus de paille en crois. Elle ne pourra passer au delà, si elle est réellement sorcière.

1151. Pour savoir si une personne suspecte est réellement sorcière, on place sur une chaise deus allumettes en crois. Sitôt qu’elle y est assise, elle s’empresse de se lever, mais la chaise reste attachée à elle pendant quelques secondes (Mazy, près de Gembloux).

Pacte.

1154 bis. Pour entrer en relations avec le diable, il faut aller la nuit, porteur d’une poule noire, dans un carrefour. Un homme, qui est le diable, se présente, marchande la poule, puis l’achète en donnant au vendeur ce qu’il désire.

1159. Le pacte est fait pour une durée de sept ans.

1161. Les yeus du sorcier changent de couleur à partir du moment où il a conclu le pacte avec le diable (Huy).

Métamorphoses des sorciers.

1163. On croit que les sorciers et sorcières ont la faculté de se changer en animaus, notamment en chat, chien, loup, chèvre, dindon, lièvre, taureau et crapaud.

Le loup-garou s’appèle leu warou (prov. de Liége), dyâl lèwèrou (Herve), tché a tchin-n’ « chien à chaînes » (pays de Charleroi).

1167. Dans le pays de Charleroi, on se le figure comme un « chien de taille monstrueuse, aus yeus grands et étincelants. Le monstre trotte lentement autour du voyageur en produisant un cliquetis semblable à un froissement de chaînes » (J. Lemoine dans Gazette de Charleroi, 2 déc. 1890.)

1170. On fait presque partout le récit suivant : Un matin, un jeune homme quitta sa femme. À peine était-il sorti de la maison, qu’un loup y pénétra et se jeta sur la femme, sans toutefois la blesser et en se contentant de lui mettre son tablier en pièces. Quelques instants après que le loup eut quitté la maison, le mari rentra. Sa femme qui le soupçonnait de sorcellerie, ne lui dit rien de ce qui était arrivé. Elle l’attira à elle et lui prit la tête sur son giron sous prétexte de lui chercher ses pous. Elle fut vite persuadée qu’elle ne se trompait pas. Son mari ayant ouvert la bouche, elle vit dans ses dents des morceaus de son tablier. (Légères variantes dans quelques localités : amoureus au lieu d’épous, bois au lieu de maison, chien noir au lieu de loup, mouchoir au lieu de tablier.)

1173. La blessure faite au sorcier sous sa forme animale reparaît à la place correspondante quand il a repris sa forme humaine. On raconte, dans chaque village, une foule de récits semblables aus deus qui suivent :

1174. Un homme de Vottem voyait tous les jours à la soirée un crapaud qui venait faire le tour de la chambre, puis disparaissait. Un soir, il le prit sur la pelle à feu et le jeta dans l’âtre ; mais le crapaud s’élança hors des flammes et disparut à l’instant. Un moment après, la belle-mère de cet homme entra ; elle avait la figure brûlée.

1175. Une servante, chargée de frotter de graisse les souliers de la ferme, commença par les siens. En trempant dans la graisse encore chaude le torchon dont elle se servait, elle se brûla et le chat qui était près du feu, lui dit : « Cela t’apprendra à commencer par tes souliers. » Furieuse, elle lui jeta sur le museau la canette de graisse bouillante. Le lendemain, la voisine avait la figure brûlée. (Laroche.)

1176. Le loup-garou, blessé « à sang coulant », reprent à l’instant la forme humaine.

Cauchemar.

1179. On attribue le cauchemar à un sorcier, plus souvent à une sorcière, qui vient, ordinairement sous forme animale, s’étendre sur la poitrine du dormeur.

1180. On l’appèle li tchókmark, li tchódmark, li mark (mots féminins). Avoir le cauchemar, c’est être tchóké (pays de Charleroi).

1182. Une femme de Laroche a raconté qu’une nuit, ayant le cauchemar, elle secoua les couvertures du lit ; un gros mouton tomba à terre, mais disparut à l’instant.

1183. Pour être préservé du cauchemar, il faut, en se couchant, déposer ses souliers, les talons dirigés vers le lit : ou l’un dans un sens et l’autre dans l’autre (pont’ è mak). La croyance générale est que la mark ne peut monter sur le lit qu’après avoir chaussé les souliers et qu’on l’empêche de le faire en ne les plaçant pas dans leur position normale.

1184. Autre moyen : un silex perforé naturellement placé sous le coussin (Famenne) ou pendu à un clou par une ficelle au-dessus de la porte d’entrée (province de Liége).

1186. Pour reconnaître le sorcier ou la sorcière qui cause le cauchemar, il faut dormir en tenant, debout sur la poitrine, un couteau bien affilé, la pointe en haut. On reconnaît le lendemain le sorcier à la blessure (Cp. 1173).

1187. À Laroche, pour savoir si l’on est « tenu d’une mark », on place un couteau dans un mouchoir plié dans le sens de la diagonale, de manière à laisser le couteau au fond, entre les deus triangles ainsi formés. On roule alors le triangle d’étoffe autour du couteau qui lui sert de base ; puis on dit : è s’ ki dj’ ê l’mark â lodjis, âdjoûrdu ? S’il î-y è, k’ ènn’è vây pu lon ! « Est-ce que j’ai la mark au logis aujourd’hui ? Si elle y est, qu’elle s’en aille plus loin ! ». On retire alors rapidement le mouchoir par les deus coins. Il se déroule, et suivant le sens dans lequel on a pris les coins, le couteau tombe ou reste dans le mouchoir. S’il tombe, c’est signe qu’il n’y a pas de mark ; c’est signe contraire, s’il reste. À Milmort, on emploie le même procédé de divination pour savoir si une personne soupçonnée est réellement celle qui vous torture. Les suppositions sont jugées exactes, si le couteau tombe.

1188. On dit que les chevaus sont « possédés du démon » ou on l’mark « ont le cauchemar », lorsqu’ils s’agitent la nuit et qu’on les trouve le matin trempés de sueur, les crins mêlés et comme tressés.

1189. Il ne faut pas peigner la crinière tressée d’un cheval qui a le cauchemar ; sinon, on en mourrait (Sinsin).

Sabbat.

1190-1191. On croit que c’est toujours un vendredi soir que les sorciers et sorcières se réunissent (von-t a l’dans’ « vont à la danse » ou a l’ sîz « à la soirée ») ; les amoureus évitent même de se fixer des rendez-vous pour cette soirée, réservée, disent-ils, aus hantrèy dè makrê avou lè makral « aus amours des sorciers et des sorcières » (Liége).

1193. On croit que, pour se rendre au sabbat, les sorcières doivent s’oindre les jointures (lè djonteûr è lè ployan) avec un onguent qui leur est donné par le Malin.

1196. Une sorcière mariée qui désire se rendre au sabbat sans que son mari s’aperçoive de sa disparition, met dans le lit à sa place un balai qui prend sa forme et ses traits (St-Hubert).

1197. Les sorcières se rendent au sabbat en chœur au son du violon dont on entent la « belle musique » dans les airs entre minuit et deus heures du matin.

1203. Dans plusieurs cantons, il y a un terrain que l’on appèle tchan dè makral « champ des sorcières ». C’est le cas près de Remouchamps, près de Tongres, près de la Gileppe et près de Grand-Halleux.

Tours des sorciers.

1206. Le sorcier, ou la sorcière, peut faire un orage en gesticulant avec les mains d’une certaine manière, ce qui s’appèle bat’ lè walèy « battre les averses » (Laroche).

1207. Lorsque l’on cuit les boudins, on croit qu’un sorcier peut, par sa magie, les faire sortir de la marmite (fé monté lè trip), passer par la cheminée et traverser l’air, invisibles, pour tomber dans ses mains.

1209. Pour se préserver de sa magie, des femmes mettent une crois de paille sur la marmite (Grivegnée).

1211. On raconte à Laroche l’histoire d’une fille qui, étant occupée à arracher des pommes de terre avec d’autres, fut tout à coup enchantée et se mit à courir, courir, jusqu’à ce qu’un témoin du fait l’eût désenchantée en la tirant par les cordons de son tablier.

1215. Presque partout, les tours dont on croit les sorciers capables sont attribués en bloc à un berger que les vieillards disent, soit avoir connu eus-mêmes dans leur jeunesse, soit avoir été connu de leur père. Dans le pays de Theux, par exemple, ce berger demi-légendaire est nommé Briyèmon, prononciation wallonne du nom propre orthographié Brialmont. Dans la plupart des autres villages de la province de Liége, on l’appelle Bèlèm. On lui attribue notamment les tours qui suivent :

1216. Un jour, une jeune fille passa devant lui sans le saluer. Il lui envoya à l’instant des milliers de pous. La jeune fille dut revenir sur ses pas et demander grâce pour en être délivrée.

1217. Pour amuser les enfants, il faisait courir dans une chambre ou autour d’une motte de terre de tout petits chevaus en chair et en os.

1218. Quand il savait qu’une nouvelle tonne de bière était arrivée dans une maison, il se coupait une canne en forme de crosse et la fichait en terre. À son commandement, la bière se mettait à couler du bout de la crosse et il faisait boire les petits garçons qui l’accompagnaient aus champs.

1219. Lés individus qui passent pour sorciers possèdent presque tous de petits livres populaires de magie qu’ils conservent comme des talismans. Les plus connus ici sont notamment : Les œuvres magiques d’Henri-Corneille Agrippa, mises en français par Pierre d’Aban (appelé lif d’agrifa, lîf âgrafâ), Le trésor du vieillard des Pyramides, Le grimoire du Pape Honorius, L’Enchiridion Leonis Papæ, Les clavicules de Salomon.

Tours des sorcières et moyens préventifs d’y échapper.

1221. Quand on est en présence d’une sorcière, on se garantit de tout maléfice en retournant son bonnet ou sa poche (Louveigné), en disant trois fois en se frappant la poitrine : et verbum caro factum est et habitavit in nobis (Laroche).

1223. En parlant d’une personne suspecte, on doit nommer le jour courant ; par exemple, on dira, le dimanche : No-z èstan oûy dimègn ; ki l’bon Dju no sègn è no-z è prézèrf ! « Nous sommes aujourd’hui dimanche ; que le bon Dieu nous bénisse et nous en préserve ! » ; c’est surtout le vendredi, — djoû dè makral « jour des sorcières » —, qu’il faut se garder d’oublier cette formule.

1224. Une sorcière peut jeter un sort en touchant ; par exemple, faire avorter une femme ou un animal par simple application de la main (Stavelot). Pour se garantir des conséquences de l’attouchement d’une personne suspecte, il faut : à Liége, placer le poing fermé à un endroit de son corps plus élevé que celui où elle vous a atteint (fé pogn’ hó) ; à Laroche, la toucher à l’endroit de son corps correspondant.

1225. On croit que les sorcières peuvent jeter des sorts par leurs baisers, surtout aus enfants.

1228. Pour préserver le bétail de tout sortilège, on suspent dans l’étable un silex troué naturellement ou deus briques en crois. (Cp. 1184).

1230. Pour empêcher une prétendue sorcière ou une personne soupçonnée de l’être, d’entrer dans une maison, on fait une crois avec du beurre au-dessus de la porte, ou à la craie sur le seuil, ou l’on y place deus balais en crois, ou l’on cache un crucifis sous une pierre du seuil, ou l’on y répant du sel ou de l’eau bénite.

1231. Pour empêcher la même personne de sortir, on place, manche en bas, derrière la porte, un balai dont on n’a pas encore taillé les pointes (Laroche).

1232. À Rocour, quand une femme réputée sorcière est venue chez vous, on dit qu’il faut asperger par la diagonale les quatre coins de la chambre avec de l’eau bénite, en disant :

Va-z è, mâl byès’,
Dji t’broûl[1] li tyès.

« Va-t-en, mauvaise bête,
Je te brûle la tête. »

1233. On ne donne jamais certaines choses, comme du lait ou un morceau de pain, à une personne que l’on croit capable de s’en servir pour vous jeter un sort, sans exiger en retour un centime ou quelque petit objet.

1234. On recommande aus enfants de ne pas recevoir de gâteaus ou autres friandises qu’une femme qu’ils ne connais sent pas leur offrirait, ou s’ils les acceptent, de les jeter par dessus l’épaule.

1235. Quand une personne suspecte de sorcellerie vous donne une pièce de monnaie, il faut la serrer entre les dents ; sinon, elle pourrait retourner au sorcier en compagnie des pièces qu’elle toucherait.

1236. Une sorcière peut jeter un sort à un animal ou à un enfant, le rendre malade ou le faire périr, en faisant son éloge, en disant qu’il est beau, qu’il est bien portant, etc.

1238. Une sorcière peut, en caressant la tête d’un enfant, le faire pleurer, lui déformer les traits, lui couvrir le visage de vermine.

1239. Une sorcière peut, en regardant un enfant, le faire tomber à l’instant de couvulsions, ou le faire dépérir.

1240. On croit qu’une sorcière peut jeter un sort à quelqu’un au moyen d’une mèche de ses cheveus, par exemple, en mettant ces cheveus dans un œuf (Laroche). Pour ne pas s’exposer à être ensorcelé, il ne faut pas laisser traîner les cheveus qui tombent ou que l’on s’est fait couper, mais les brûler ou bien cracher ou souffler dessus avant de les jeter.

Exorcismes.

1244. Pour détruire un mauvais sort, on va souvent consulter un sorcier ou une sorcière que l’on croit plus fort en magie que celui ou celle qui a jeté le sort. La principale occupation des sorciers consiste même à détruire les sorts jetés par les sorcières. La plupart des exorcismes opérés par les sorciers sont sur le type suivant, dont nous soulignons les traits les plus généraus.

1245. « À Gilly, vivait une femme nommée Joséphine Decoene. Elle était presque entièrement paralysée des jambes par suite, disait-elle, d’un mauvais sort qui lui avait été jeté. Elle fit venir le dvineu. L’homme arriva un jour, à minuit. Il fit allumer deus quinquets et il les plaça sur la table, dans la chambre de la malade, au rez-de-chaussée de la demeure. Entre les deus lampes, il ouvrit un énorme livre comme ceus avec lesquels le prêtre « dit la messe ». Il se mit alors à lire dans son bouquin en gesticulant violemment et en disant de temps en temps : « Sorcière, venez, arrivez ». Le mari, près de la porte, une hache en main, attendait. « Levez-vous », ordonna le sorcier, tout en nage, à la patiente. Celle-ci, effrayée, sait qu’à ce moment elle se leva sans aucun secours et marcha, ce qu’elle n’avait plus fait depuis longtemps. Mais peu après, ses forces l’abandonnèrent et on fut obligé de la remettre au lit. Sur ces entrefaites, le sorcier était parti afin de fabriquer une sorcière de loques et de la brûler. » (Lemoine dans Gazette de Charleroi, 7 nov. 1890.)

1246. Pour être délivré d’un sortilège, spécialement en cas de cauchemar, il faut uriner dans une bouteille neuve, la boucher d’un bouchon neuf et la suspendre avec une ficelle dans la cheminée. On ajoute, dans l’Entre-Sambre-et-Meuse, que l’on doit faire dire par un dvineu les « mots qu'il faut » sur la bouteille d’urine. L’auteur du maléfice, à partir de ce moment, ne peut plus uriner, il enfle et doit venir dans les vingt-quatre heures, demander que l’on débouche la bouteille, en promettant de ne plus vous faire souffrir. On ajoute, dans l’Entre-Sambre-et-Meuse, que si l’on pert la bouteille de vue, le sorcier viendra la déboucher et qu’alors, c’est le patient qui périra.

1247. Autre moyen : Se procurer de l’urine de la personne soupçonnée, la verser dans un vase de terre neuf et mettre celui-ci près du feu. Sitôt que le liquide s’échauffe, la sorcière ressent des douleurs atroces et accourt demander grâce et reprendre le sort (Gembloux). Même rite à Laroche, sauf que c’est la victime qui urine dans un baril neuf, le bouche et que la sorcière vient demander qu’on le débouche.

1248. Pour forcer une sorcière à défaire ses charmes, on prent un cœur d’animal, et on y pique de minuit jusqu’au lendemain à minuit des milliers d’épingles. La sorcière en est torturée comme si on piquait ces épingles dans son propre cœur et vient implorer son pardon (Laroche).

1249. Une sorcière peut défaire ses charmes en répétant en sens inverse les gestes qu’elle a employés pour les produire.

1250. Il y a quelques dizaines d’années[2], lorsqu’une épidemie éclatait dans une étable, on la croyait l’œuvre d’un sorcier : on v-z a djowé on toûr « on vous a joué un tour », disait-on au fermier. Après avoir presque toujours fait dire des prières par le curé dans l’étable même, on la dépavait pendant la nuit pour rechercher le porte-malheur (l’awyon) déposé par le sorcier. L’on raconte, ici, que c’était une torchette de cheveus ou une corne cachée sous un pavé, là, que c’était une pelotte d’épingles qui se réfugiait de pavé en pavé, au fur et à mesure que l’on avançait et que l’on saisit lorsque l’on arriva à la muraille. Plus souvent, c’était un crapaud qui se cachait sous la pierre du seuil et qui n’était autre que le sorcier lui-même venant la nuit, sous cette forme, causer tout le mal, et l’on a tué le crapaud.

Magie populaire et enfantine.

1252. Les enfants emploient dans leurs jeus des signes, gestes et formulettes pour porter malheur à leurs adversaires. Exemples :

1253. L’enfant crache à terre en disant à son adversaire : Dju rètch po k’tu ngan-gn nin « je crache pour que tu ne gagnes pas » (Ensival).

1254. À Liége, l’enfant dit à son adversaire :

Dji v-z èstchant’
D’i-n makral tot’ blank
D’on poursê singlé,
Po v-z émakralé[3].

« Je vous enchante
D’une sorcière toute blanche,
D’un cochon-sanglier,
Pour vous ensorceler. »

1255. En distribuant les cartes, on dit en les donnant à ses adversaires : kreu dè dyâl « crois du diable », et à ses partenaires : kreu dè bon Dju « crois du bon Dieu » (Herve).

1256. Au jeu de billes, si un joueur voit que l’on vise sa bille, il fait sur la terre au-devant une crois en disant, à Sinsin : kreu dè dyâl, Marîy vèssèt’ ; à Herve : kreu dè dyâl, Marèy l’èstantch « crois du diable, Marie l’arrête. »[4]

1257. Employer un procédé magique pour faire souffrir un ennemi, un amant volage ou une sorcière, comme c’est le cas aus numéros 1246, 1247, 1248 et 1258, se dit fé souwé o-n djin « faire se dessécher une personne ». (Liége).

1258. Pour faire souffrir un amant volage, on met dans la cheminée un cœur de mouton ou un oignon que l’on a percé de treize épingles, ou on allume une chandelle dans laquelle on a aussi enfoncé treize épingles. La personne visée dépérit au fur et à mesure que le cœur de mouton ou l’oignon se dessèche ou que la chandelle brûle. Dans ce dernier cas, les épingles tombant l’une après l’autre de la chandelle sont jetées au feu (Liége).

1265. Pour éteindre un incendie, on jèle dans le feu un œuf pondu le jour du vendredi-saint (Rossignol, prov. de Luxembourg).

1266. Pour ramener la chance au jeu de cartes, le joueur malheureus se lève et, soulevant sa chaise, lui fait faire trois pirouettes (Liége).

9-1271. Pour obtenir un bon numéro au tirage au sort pour la milice, on conseille différents moyens, comme : franchir du pied gauche le seuil de la salle où a lieu le tirage (Couvin) ; relever la manche gauche de la chemise au ras de l’épaule et tirer de la main gauche (Nivelles) ; porter à son insu dans sa poche ou cousu dans son habit un morceau de coiffe d’enfant (hamlèt’ à Liége). (Cp. 753.)

Moyens de connaître l’avenir.

1272. On tient au-dessus d’un gobelet de verre un anneau de mariage suspendu à un cheveu et pouvant osciller comme un pendule. Si l’anneau en oscillant choque le verre, le propriétaire du cheveu se mariera dans autant d’années que le verre aura résonné de fois. Si l’anneau ne touche pas le verre ; il ne se mariera jamais (Liége).

1275. Quand on ne sait quel chemin prendre, on fait tourner trois fois son couvrechef sur son doigt ou sur son bâton, et l’on va du côté indiqué par la visière.

Songes.

1277. Rêver que quelqu’un est mort ou mourant, est signe de prolongation de vie pour cette personne.

Rêver qu’on s’arrache les dents est signe d’une prochaine naissance dans la famille.

Autres présages.

1279. Entendre crier des souris est pour une femme signe que son mari la trompe (Herve).

1280. La salière renversée est signe de querelle.

Si l’on rencontre un bossu et qu’il passe à droite, on recevra une bonne nouvelle ; s’il passe à gauche, elle sera mauvaise. La rencontre d’une bossue est toujours mauvaise.

1282. Rencontrer une fille de joie au matin est signe de bonheur pour la journée (Verviers).

1283. Un corbeau qui vient voler près de la maison est signe de mort.


  1. Variante : kóp « coupe ».
  2. Aucun des nombreus récits que nous avons recueillis ne presente les faits comme récents. Cela vient surtout de ce que les paysans qui les racontent ne veulent plus paraître y croire.
  3. Defrecheu Enfantines no  25, var. : Vo vla-st èstchanté « Vous voilà enchanté (ensorcelé). »
  4. Il est probable que les trois derniers mots étaient à l’origine dits par l’adversaire pour conjurer le sort.