Le Folk-lore de l’Île-Maurice/Le singe et la tortue

Maisonneuve et Cie, éditeurs (Les Littératures populaires, tome XXVII) ((Texte créole et traduction française)p. 262-267).

XXI

LE SINGE ET LA TORTUE

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Il y avait une fois un singe et une tortue.

La tortue avait onze enfants. Le singe était un vagabond.

La tortue va travailler ; et, son ouvrage fini, elle reçoit son salaire et va acheter une balle de riz.

En revenant chez elle, elle s’arrête au bord du chemin, met sa balle de riz par terre et va chercher du bois sec.

À son retour elle trouve le singe assis sur sa balle de riz, le singe lui dit :

— Eh vous, commère, voyez, j’ai trouvé une balle de riz.

— Ce riz-là n’est pas à vous, compère ! ce riz-là est du riz que j’ai acheté pour mes enfants. Je l’ai laissé au bord du chemin parce que j’allais chercher du bois sec ; mais ce riz est à moi ; rendez-le-moi.

Le singe ne veut rien entendre et dit :

— Ce qui est bon à ramasser est bon à garder : je ne rends pas.

La tortue est désolée ; mais que pouvait-elle faire ? Elle dit au singe :

— Eh bien ! compère, vendez-m’en une livre, les enfants n’ont rien à manger à la maison.

— Impossible, commère ! mon riz n’est pas à vendre : allez chez le chinois.

— Bon, compère ! un jour nous verrons !

Un jour, le singe était assis sur une branche d’arbre et sa queue traînait par terre. La tortue passe, elle voit cette queue, la saisit et crie :

— Me voilà qui viens de trouver une queue de singe ! Ce qui est bon à ramasser est bon à garder ! Je ne rends pas.

— Eh vous, commère ! vous plaisantez, n’est-ce pas ? C’est ma queue, ça !

— Le riz sur le chemin est à celui qui ramasse le riz ; la queue sur le chemin est à celui qui ramasse la queue.

Le singe se fâche. Il tire sur sa queue, la tortue ne lâche pas et suit la queue. Le singe tire, la tortue suit : et le singe apporte le tout au tribunal.

Le juge était sur son siège, le singe lui dit :

— Mon juge ! condamnez la tortue à me rendre ma queue.

La tortue dit au juge :

— Mon juge, condamnez le singe à me rendre mon riz.

Le juge les fait parler. Quand il connaît toute l’affaire, il dit au singe :

— Où est le riz ?

Le singe se met à rire, et se frappant sur le ventre :

— Là dedans, mon juge !

Le juge appelle un garde et lui ordonne d’apporter un billot. Le billot est apporté. Le juge donne l’ordre au garde de placer la queue du singe sur le billot, puis le garde la coupe en deux.

Le juge ensuite rend son jugement :

— Ce qui est bon à ramasser est bon à garder. Le singe a ramassé une balle de riz sur le chemin, la balle de riz lui appartient ; la tortue a ramassé un bout de queue sur le chemin, le bout de queue est à elle. Mais si le singe veut acheter ce bout de queue pour le coller à son autre moitié de queue, je condamne la tortue à vendre au singe ce bout de queue pour une balle de riz Balam.

Maintenant j’ai dit. Allez ![1]


  1. C’est une fable bien créole, et de nos meilleures. Le singe, la tortue et — disons-le sans fausse modestie — le magistrat, « district magistrate », sont bien tous les trois des Mauriciens de Maurice.