Le Folk-lore de l’Île-Maurice/L’éléphant et le lièvre en société

Maisonneuve et Cie, éditeurs (Les Littératures populaires, tome XXVII) ((Texte créole et traduction française)p. 112-117).

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L’ÉLÉPHANT ET LE LIÈVRE
EN SOCIÉTÉ

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Un jour l’éléphant dit au lièvre : — Prenons un coin de terre, nous ferons un jardin.

Le lièvre accepte et dit à l’éléphant :

— Seulement, compère, faisons une convention : celui dont la pioche se démanchera l’emmanchera sur la tête de son associé.

Le lièvre fait exprès de mal emmancher sa pioche qui se démanche à chaque instant. Et le lièvre de crier à l’éléphant :

— Compère, ma pioche s’est démanchée : apportez-moi votre tête que je l’emmanche !

L’éléphant prêtait sa tête, et le lièvre emmanchait sa pioche.

Voilà qu’une fois la pioche de l’éléphant se démanche à son tour, et l’éléphant crie au lièvre :

— Compère, ma pioche est démanchée ; apporte-moi ta tête que je l’emmanche.

Le lièvre sent son cœur s’en aller. Il dit à l’éléphant :

— Quoi ! vous n’avez pas pitié de moi, mon camarade ! Une petite tête comme la mienne ! du premier coup vous la casserez !

L’éléphant commence à se fâcher :

— Je ne sais pas tout ça moi, compère. Nous avons fait une convention : quand votre pioche s’est démanchée, je vous ai donné ma tête ; maintenant c’est ma pioche qui se démanche ; vous devez me donner votre tête pour l’emmancher.

Le lièvre ne veut pas porter sa tête, l’éléphant veut le battre ; une grosse dispute s’élève, le lièvre se sauve. L’association est rompue, le lièvre et l’éléphant cessent de travailler en commun.

Voilà qu’un jour l’éléphant donne un bal. Il invite tous les animaux excepté le lièvre. C’est la tortue qui sera le ménétrier, et son violon est une calebasse.

Quand le lièvre apprend que c’est la tortue qui doit faire danser, il lui dit :

— Commère, mettez-moi dans votre calebasse et je jouerai pour vous. Mais chaque fois qu’on vous donnera à boire, chaque fois qu’on vous donnera à manger, vous en mettrez un peu pour moi dans la calebasse.

Le bal commence. Le lièvre joue, la tortue lui donne à boire. Voilà le lièvre saoul tant il a bu, et il se met à chanter tout ce qui lui passe par la tête.

L’éléphant écoute, écoute. Il reconnaît que c’est le lièvre qui est dans la calebasse. Il se fâche et demande à la tortue pourquoi elle a apporté le lièvre dans sa calebasse. Il veut battre la tortue, la calebasse tombe, la calebasse se casse, et le lièvre se sauve. [1]


  1. Nous avons de ce conte plusieurs rédactions avec variantes, preuve de sa popularité. Il est de ceux qui n’aboutissent pas, et la pauvreté de l’invention nous est un garant de l’authenticité de son origine créole.