Le Fils du diable/Tome II/IV/10. Petite sœur

Legrand et Crouzet (Tome IIp. 277-286).
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Quatrième partie

CHAPITRE X.

PETITE SŒUR.

Gertraud écoutait plus attentive. Elle attendait impatiemment les conjectures de Franz touchant ces inconnus qui s’étaient chargés de lui retenir un appartement, rue Dauphine, et de faire descendre ses pénates de la mansarde au premier étage.

Franz fut quelque temps avant de reprendre la parole. Il repassait en sa mémoire des réflexions déjà faites et cherchait de nouveau.

— Si fait, répéta-t-il enfin ; — pour l’un des deux, j’ai plus que des soupçons, c’est presque une certitude.

— Qui est-ce ? demanda Gertraud impatiente.

— Mais cette certitude, reprit Franz, ne me mènera pas très-loin, car j’ignore le nom de cet homme… N’importe ! on peut tâcher… Ce qu’il y a de certain, c’est que, d’après les descriptions de ma concierge, l’homme resté dans la voiture était ma vision du bal Favart.

— Ah !… fit Gertraud qui resta la bouche béante.

— Le fameux cavalier allemand en personne, ajouta Franz, le majo, l’Arménien… ce personnage triple qui me poursuit de sa protection.

— Et l’autre ? demanda la jeune fille.

Franz hésita et regarda Gertraud en face.

— L’autre, répéta-t-il, c’est plus malaisé… Si j’en crois le portrait fait par ma concierge, nous saurions parfaitement le nom de celui-là… et vous le connaîtriez mieux encore que moi, petite sœur.

Gertraud n’en était que plus intriguée.

— Costume et tournure, continua Franz, tout se rapporte complètement à l’homme dont je vous parle… c’est son âge… il n’y a pas jusqu’à son léger accent allemand !… Quant à sa figure, on m’a dit qu’il avait l’air de l’honnêteté en personne, et de plus en plus j’ai cru reconnaître votre père, Gertraud.

— Mon père ! s’écria la jeune fille stupéfaite.

Ce mot arrachait Gertraud aux espaces fantastiques où son imagination allemande galopait naguère ; le nom de son père la ramenait en pleine réalité.

Son premier mouvement fut la surprise, parce que l’idée de son père était en elle à cent lieues de ces autres idées capricieuses et bizarres éveillées par le récit de Franz. Elle éprouvait un sentiment analogue à celui d’un enfant qui tomberait à l’improviste sur un nom ami et réel, au milieu des pages merveilleuses des Mille et une Nuits.

Mais, au plus fort de sa surprise, elle se souvint de ce qui s’était passé dans la matinée. Ce personnage étrange, que Franz appelait le cavalier allemand, son père le connaissait, son père l’aimait, son père semblait le respecter comme un maître.

Sa physionomie, habituée à ne rien dissimuler, changea, et ce changement n’échappa point à Franz qui la regardait toujours fixement.

— Je vous en prie, murmura-t-il ; répondez-moi, Gertraud. Pensez-vous que ce puisse être votre père ?

La jeune fille ouvrit la bouche pour répliquer affirmativement, mais au moment où elle allait parler, elle eut comme un scrupule.

Son père avait peut-être intérêt à se cacher ainsi ; ou plutôt il ne pouvait en être autrement, puisqu’il s’enveloppait d’un si grand mystère.

Gertraud avait surpris ce secret sans le vouloir et par hasard ; mais la conduite que Hans Dorn avait tenue vis-à-vis de Franz, dans la matinée, semblait tracer impérieusement la conduite qu’elle devait tenir à son tour.

Son père n’avait point parlé. Devant les questions de Franz, il s’était renfermé dans une réserve complète. Gertraud pensa qu’il fallait se taire également.

Il fallait feindre l’ignorance. Et pourtant à mesure qu’elle réfléchissait, il lui était impossible de garder même un doute.

Cette étrange histoire, racontée par le jeune homme, prenait pour elle un caractère frappant de vérité. Le mystérieux agent de cette féerie était bien son père, sous les ordres du cavalier allemand.

N’avaient-ils pas parlé de Franz tous les deux dans la matinée ?

Et quel amour inexplicable Hans Dorn avait montré pour cet enfant inconnu !

Et puis encore, au moment où finissait l’entretien, le cavalier allemand avait demandé l’adresse de Franz. Et c’était elle-même, Gertraud, qui avait été chercher cette adresse auprès de mademoiselle d’Audemer.

La réponse, cependant, demeurait suspendue sur sa lèvre. Elle n’osait plus ; il y avait une rougeur épaisse à son front qui ne savait point mentir.

Ses yeux baissés évitaient les regards de Franz.

Celui-ci l’examinait toujours attentivement. Il y avait sur son visage une expression complexe et malaisée à définir.

On eût dit une grande joie contenue et cachée sous une apparence de dépit.

— Vous ne voulez pas me répondre ? prononça-t-il d’un ton de tristesse. — Vous aussi, vous me trompez, Gertraud !

La jeune fille rougit davantage, mais elle ne répliqua point encore ; elle souffrait véritablement ; elle était entre son père et Franz : Franz qui l’appelait sa sœur et qu’elle se sentait aimer à chaque instant davantage, son père chéri, dont chaque désir était pour elle un ordre respecté.

Le cœur de la jeune fille était bon et tendre, mais elle avait pour beaucoup la nature décidée des filles élevées par un homme. Quand une fois sa volonté s’était déclarée au-dedans d’elle-même, elle se roidissait, ferme et forte.

Mais si elle avait le bon vouloir de ne point céder, ses connaissances en diplomatie n’étaient pas bien grandes. Il lui semblait que mettre fin aux questions de Franz par un refus de répondre bien net et bien positif, c’était accomplir héroïquement son devoir et garder intact le secret de son père. Elle ne savait pas qu’un refus de répondre équivaut à un aveu dans une multitude de circonstances ; elle ne savait pas que la première règle de la discrétion considérée comme art, c’est de savoir bel et bien mentir.

— Écoutez-moi, monsieur Franz, dit-elle sans lever les yeux, mais d’un petit air résolu qui la faisait plus gentille ; — si vous voulez que nous restions amis, il ne faut point m’interroger à ce sujet… Une fois pour toutes, je ne sais rien, je ne suppose rien, je n’ai rien à vous répondre.

Un sourire vint à la lèvre de Franz.

— Eh bien ! petite sœur, dit-il d’un accent soumis, — ne parlons plus de cela, puisque vous le voulez… J’aurais donné beaucoup pour savoir… mais je vois bien que vous êtes intraitable à l’endroit d la discrétion.

Gertraud poussa un grand soupir de soulagement ; elle triomphait naïvement au-dedans d’elle-même. Elle n’avait rien dit.

Franz, de son côté, n’avait point l’air trop désolé pour un vaincu. Le refus péremptoire qu’il venait de subir ne le plongeait point dans un découragement très-amer. Un observateur même médiocre eût deviné, à l’expression de son visage, qu’il savait à peu près ce qu’il voulait savoir.

De sorte que les deux enfants étaient enchantés tous les deux, Gertraud d’avoir gardé son secret, Franz de l’avoir surpris. Heureuse bataille où il n’y avait ni vainqueur ni vaincu, et où les deux armées, comme cela se fait souvent sur de plus grands théâtres, chantaient le Te Deum à l’unisson.

— Je vous obéis, petite sœur, reprit Franz, tandis que Gertraud calmée le regardait en souriant, — et je mets de côté ces questions qui vous déplaisent… nous avons, ma foi, bien autre chose à dire !… cet homme qui n’est pas votre père n’a laissé nulle trace à mon hôtel… je ne sais pas si je pourrai le retrouver jamais, mais qu’importe, en définitive !… La manière dont on agit avec moi signifie quelque chose : mon père est évidemment là-dessous, et l’on ne traite pas ainsi un enfant qu’on a l’intention d’abandonner ensuite.

— Je suis bien sûre… commença Gertraud vivement.

Puis elle rougit de nouveau et s’arrêta, décontenancée.

Franz fit semblant de ne point remarquer ce trouble.

— Me voilà riche ! poursuivit-il. C’est un fait acquis… et vous ne sauriez croire, petite sœur, combien cela me va d’être riche !… Mon Dieu, je n’aime pas beaucoup l’argent et je ne crois pas être avare… mais si j’avais une chambre pleine d’or, je serais le plus heureux homme du monde.

— Bon Dieu ! s’écria Gertraud, que feriez-vous de tout cela ?

— J’ouvrirais la porte et les fenêtres, répliqua Franz.

Puis son regard devint rêveur, et il ajouta d’un ton plus grave :

— Savez-vous que ce doit être une bien belle chose, Gertraud !… J’ai vu la misère de près ; je sais qu’on souffre à Paris. Oh ! ce serait une belle vie ! toujours la main ouverte !… Autour de soi, l’on verrait se sécher toutes les larmes… Cette pauvre jeune fille qui s’incline toute pâle auprès du grabat de son vieux père, on la verrait se redresser et sourire… Elles sont si heureuses les fleurs que la sécheresse a couchées sur le sol aride et que relève une goutte de rosée ! Cet homme fort, que la faim va pousser dans le découragement et dans le crime, on le verrait tourner le dos au précipice et remonter fièrement la pente de la vie… les plaintes s’étoufferaient, les sanglots se tairaient… si loin que pussent se porter les regards, on verrait le bonheur sourire… Oh oui ! Gertraud, l’or est un Dieu puissant, et je voudrais des millions !

La jeune fille le regardait émue.

Franz l’attira contre lui d’un geste gracieux, et se mit à caresser sa main doucement.

— Que de joies on achèterait pour un peu d’or ! reprit-il d’une voix basse où vibrait comme une harmonie voilée ; — que de hontes on pourrait laver ! que de fautes expier, que d’insultes réparer ! Mais tenez, petite sœur, sans aller chercher ces misères horribles qui se cachent dans Paris, et que le riche découvre de temps en temps avec un étonnement effrayé, il est d’autres peines, silencieuses aussi, qu’il serait si aisé de changer en allégresse !… Je connais un jeune homme qui est beau, brave, fort, qui soutient sa famille indigente, et qui aime une jolie enfant, sa voisine…

Gertraud baissa les yeux.

— La jeune fille, poursuivit Franz, — lui rend amour pour amour… C’est elle qui me l’a dit… Leurs premiers jeux furent communs ; jamais ils n’ont été séparés l’un de l’autre… Si on les mariait, il n’y aurait point, dans cet immense Paris, une félicité pareille à la leur !… car je vous le répète, Gertraud, ces deux enfants s’aiment du sincère amour des belles âmes ; le garçon est un noble cœur, la jeune fille est un ange.

Franz souriait ; une nuance rose descendait du front de Gertraud jusqu’à la naissance de sa gorge chastement cachée sous sa robe de laine.

— Elle est douce comme vous ! reprit Franz ; jolie comme vous, bonne comme vous !…

Il se pencha et sa lèvre effleura le front de la jeune fille.

— Ne rougissez pas, petite sœur, murmura-t-il à son oreille ; — vous êtes tout cela et mieux que cela… Eh bien ! si je suis riche comme je le crois, ajouta-t-il en relevant la tête tout à coup et avec un élan de chaleur, — qui m’empochera de doter ce jeune homme comme un frère ?… N’est-il pas mon frère, Gertraud, puisqu’il vous aime et que vous l’aimez !

L’accent de Franz donnait à ses paroles un parfum d’exquise tendresse.

Les beaux yeux de Gertraud étaient humides.

— Pauvre Jean !… murmura-t-elle, — mais il est fier et moi aussi, monsieur Franz.

Le vent avait déjà tourné dans la cervelle de ce dernier.

— Nous verrons bien ! s’écria-t-il en changeant de ton tout à coup ; — figurez-vous, petite Gertraud, que j’enrage en songeant au temps qu’il me faudra pour avoir mes meubles de Monbro !… Vraiment, je n’avais pas de soucis comme cela hier, et la fortune a bien aussi ses inconvénients… Mais à quoi pensez-vous donc, petite sœur ? vous voilà toute triste !…

Gertraud pensait à Jean.

— Voyons ! de la gaieté ! s’écria Franz en redoublant ses caresses — Je vous donne ma parole d’honneur que nous serons tous heureux !

Tandis qu’il parlait ainsi joyeusement et le rire aux lèvres, une expression de mélancolie vint voiler de nouveau son gracieux visage.

— Il y a deux heures à peine que tout cela m’est arrivé, murmura-t-il, et que de pensées dans ces deux heures !… Parfois, il me semble encore que c’est un rêve… Cet homme est-il mon père, Gertraud ?… je l’ai bien vu cette nuit au bal ; il y a un cœur fier et vaillant dans son regard ; je crois que je l’aimerais… Et ma mère… Oh ! ma mère, que je la vois belle et sainte !…

Il s’arrêta en une sorte d’extase.

— Mais peut-être n’est-ce que l’envoyé de mon père, reprit-il brusquement ; — que sais-je ?… Le sang qui coule dans mes veines brûle parfois comme du feu… Il me semble que mon père doit être un prince !

Gertraud eut un sourire. Franz fit comme s’il s’éveillait.

— Prince ou non, s’écria-t-il, je ne changerais pas mon sort contre celui d’âme qui vive !… je suis jeune, je suis heureux !… Que peut-il y avoir dans l’avenir, sinon de la joie ?

— Dieu vous entende ! monsieur Franz, murmura Gertraud, vous êtes bon et vous pensez à ceux qui souffrent… Vous méritez d’avoir du bonheur.

— Puis-je en souhaiter davantage ? répliqua Franz, et ne m’en avez-vous pas donné vous-même, ce soir, petite sœur ?… Vous m’avez parle d’elle, vous m’avez dit qu’elle m’aimait…

— Je vous ai dit ce que je crois vrai, interrompit la jeune fille ; mais le pauvre Jean et moi nous nous aimons bien aussi, pourtant nous ne sommes pas heureux.

Ce fut comme une pluie froide tombant sur l’enthousiasme de Franz.

— Vous avez raison, petite sœur, prononça-t-il avec un peu d’amertume dans la voix ; — j’étais trop joyeux ; vous avez bien fait de m’éveiller de mon rêve. Hélas ! je le sais, il reste bien des obstacles entre Denise et moi… et, si je perdais Denise, que me feraient toutes les autres joies !…

Sa tête se courba. Passant toujours d’un extrême à l’autre, il demeura un instant comme accablé : si bien que Gertraud en le voyant attristé tout à coup, se repentit de ses paroles.

Mais, avant qu’elle eût ouvert la bouche pour le consoler et l’encourager, l’accès de mélancolie était passé ; Franz avait repris confiance.

— Il faudra combattre, dit-il résolument ; c’est clair !… mais j’ai des armes… Enfin Gertraud, hier je ne désespérais pas, et combien ma position est changée depuis hier !… En somme, ai-je un rival sérieux ?

— Monsieur le chevalier de Reinhold…

— Une charge vivante !… une vieille coquette mâle !

— Il est riche, mon pauvre monsieur Franz… il est noble !

— Eh bien ! et moi ?…

Gertraud secoua lentement sa jolie tête.

— On ne sait pas encore… murmura-t-elle.

Franz frappa du pied avec un dépit d’enfant.

— Vous êtes méchante ! dit-il.

Le sourire ami de Gertraud démentait complètement cette parole.

— Oh ! monsieur Franz, répliqua-t-elle, je vous promets que je vous aime bien tous les deux, vous et mademoiselle Denise… mais j’ai peur.

— Peur de quoi ! s’écria Franz en parlant avec autant de feu que si Gertraud eût été l’arbitre de cette cause ; — combien de temps me faut-il désormais pour connaître ma famille ?… De gré ou de force, je vous donne ma parole, avant qu’il soit un mois je saurai le nom de mon père… et ce nom, j’en suis sûr, vaut bien celui du chevalier Reinhold… Quant à la fortune, ce qui se passe me semble annoncer qu’elle est grande… et puis je ne suis pas absolument sans protection auprès de la vicomtesse ; son fils est mon ami.

— Comptez-vous sur lui ? demanda Gertraud.

Franz hésita longtemps avant de répondre.

— Pas à présent, dit-il enfin ; mais quand je pourrai prouver…

— Quand vous pourrez prouver, interrompit la jeune fille, vous n’aurez plus besoin de l’aide de M. le vicomte d’Audemer… D’ici là qui sait ?…

— Gertraud ! Gertraud !… interrompit Franz à son tour, vous voulez donc me désespérer !…

— Je veux vous prémunir.

— Mais n’ai-je pas l’appui de Denise elle-même ? Je la verrai.

— Monsieur Franz, dit Gertraud, qui ne put défendre sa voix contre un léger accent de raillerie, — le trottoir qui passe devant l’hôtel d’Audemer est un lieu de rendez-vous bien chanceux ?…

Franz se mordit la lèvre et ses sourcils firent mine de se froncer. Mais, au lieu de cela, il prit la taille de Gertraud en se jouant.

— Eh bien ! petite sœur, s’écria-t-il, puisque vous voulez absolument que je vous le dise, je compte sur vous, je ne compte que sur vous !

— Bon Dieu ! dit la jeune fille en riant, — quelle puissante protection vous avez là, monsieur Franz !

— C’est la meilleure, et vous le savez bien, puisque vous m’avez montré le néant de toutes les autres… Vous avez un si excellent cœur !

— Bon ! interrompit Gertraud, je ne suis plus méchante… Voilà les compliments qui vont venir !

— Vous savez que je vous aime tant ! reprit Franz, et que j’aurais une joie si vraie à vous rendre la pareille !

Gertraud faisait ce qu’elle pouvait pour garder son petit air moqueur ; mais Franz était un heureux enfant, dont la voix savait d’instinct les routes tortueuses qui descendent au cœur de la femme.

Dès qu’il le voulait bien, on ne lui résistait plus.

En ce moment, d’ailleurs, il plaidait une cause gagnée d’avance. Gertraud avait pour Denise uns affection dévouée, et rien ne lui disait de combattre le sentiment qui l’entraînait vers Franz.

Son âme toute franche et toute bonne ne demandait qu’à s’ouvrir.

— Vous irez vers elle, reprit le jeune homme ; je sais que vous irez, petite sœur… Vous lui direz combien je souffre loin d’elle, et combien j’ai besoin de la voir…

Le sourire de Gertraud se fit plus espiègle en ce moment, parce que le coucou suspendu à la muraille rendit ce bruit faible qui annonce l’heure une ou deux minutes à l’avance.

Elle regarda le cadran ; l’aiguille allait marquer neuf heures.

Franz ne put pas deviner ce que signifiaient ce regard et ce sourire.

— Vous la prierez, continua-t-il ; — vous la supplierez, de ma part, à genoux…

— Seigneur !… comme vous y allez !…

— Est-ce que vous me refuseriez ?

— Je crois que oui.

— Gertraud !

— Monsieur Franz…

— Ma petite sœur !

— Mon pauvre monsieur Franz !…

Le coucou sonna neuf heures. — Comme le timbre commençait à retentir, on entendit le bruit sourd et lointain d’une voiture sur la place de la Rotonde.

— Écoutez ! dit Gertraud en serrant le bras de Franz.

Ils se turent tous les deux. En ce moment de silence, leurs oreilles saisirent pour la première fois cet autre bruit sourd aussi et continu que nous avons entendu avec Jean Regnault sur l’escalier.

Ils n’y firent attention ni l’un ni l’autre.

La voiture s’approchait rapidement. Quand elle s’arrêta, on put conjecturer que c’était à la porte de l’allée de Hans Dorn.

Gertraud frappa dans ses mains, et sa charmante figure s’épanouit.

— Voilà de l’exactitude ! murmura-t-elle.

— Vous attendez quelqu’un ? demanda Franz.

— Oui, répondit Gertraud.

— Dois-je me retirer ?…

— Non pas !… vous ne serez pas de trop, et la visite vous regarde peut-être un peu… Veuillez passer seulement dans la chambre de mon père.

— Qui est-ce donc ? demanda Franz en se levant pour obéir.

Un léger bruit de pas se fit dans la petite cour.

Franz voulut répéter sa question, mais Gertraud le poussa dans la chambre de Hans Dorn et ferma la porte sur lui.