Le Fils de Giboyer
Théâtre completCalmann-Lévy, éditeursTome 5 (p. 92-130).
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ACTE TROISIÈME


La bibliothèque de Maréchal. — Une seule porte, au fond. — À gauche du public un petit bureau à casier, tournant le dos aux personnages. — Vers le milieu un peu à droite, un fauteuil et un guéridon.



Scène première

MARÉCHAL, seul, debout, au milieu derrière le fauteuil, comme à la tribune ; sur le guéridon, à côté de lui, est un verre d’eau ; il boit.

« Et, messieurs, soyez-en bien convaincus, la seule base solide dans l’ordre politique, comme dans l’ordre moral, c’est la foi ! Ce qu’il faut enseigner au peuple, ce ne sont pas les droits de l’homme, ce sont les droits de Dieu ; car les vérités dangereuses ne sont pas des vérités. L’institution divine de l’autorité, voilà le premier et le dernier mot de l’instruction primaire ! » (Descendant en scène son manuscrit à la main.) Là ! je possède imperturbablement ma première partie. Ce n’est pas sans peine ; j’ai la mémoire rétive comme tous les diables. C’est une faculté subalterne, la mémoire. — Décidément, je réciterai. Il est superbe, mon discours. Je voudrais bien savoir qui l’a fait, pour lui commander le suivant. Je ne sais pas s’il produira sur la Chambre le même effet que sur moi, mais il me semble irréfutable ; il m’affermit dans mes convictions, il m’enlève. Oh ! la belle chose que l’éloquence ! J’étais né pour être orateur ; j’ai la voix et le geste, les dons qui ne s’acquièrent pas : le reste (Regardant le manuscrit.) s’acquiert. — Ce petit animal de Gérard ne finit pas de déjeuner. Je voudrais bien avoir la suite de mon discours… Je n’ai pas trop de temps pour l’apprendre d’ici à demain. Ne mangez plus à ma table, si cela vous humilie, mon bon ami, mais ne me volez pas une heure après chaque repas : mon temps est précieux. — Son grand amour d’indépendance, c’est le besoin de digérer en fumant, voilà tout. Il n’y a plus de société possible avec le cigare. Tout se tient : les mauvaises manières engendrent les mauvaises mœurs ; et, regardez-y de près, messieurs, vous reconnaîtrez que le chemin des révolutions est jonché du débris des convenances. Ne voilà-t-il pas que j’improvise, maintenant ?



Scène II

MARÉCHAL, MAXIMILIEN.
Maréchal.

Eh bien, jeune homme, déjeune-t-on mieux au restaurant que chez moi ? On y déjeune au moins plus longuement, sans reproche.

Maximilien.

Je n’ai plus que quelques pages de votre discours à copier, monsieur ; j’aurai fini dans une heure.

Maréchal.

Donnez-moi toujours ce qu’il y a de fait, que je l’étudie.

Maximilien, prenant des feuilles dans le tiroir du bureau.

Voilà, monsieur. Je me suis permis de rétablir quelques mots nécessaires à la construction grammaticale, qui étaient évidemment restés au bout de votre plume.

Maréchal.

Je griffonne si rapidement.

Maximilien.

D’autres étaient illisibles ; je les ai restitués d’après le sens de la phrase : ainsi, prolégomènes, synthétique, logomachie.

Maréchal.

Je vois avec plaisir que les secrets de la langue vous sont familiers.

Maximilien.

Ce ne sont là des secrets pour personne.

Maréchal.

Pour personne. — Vous êtes un homme de mérite, mon cher Gérard ; entre nous, que vous semble de mon discours, là, franchement ?

Maximilien.

Il me trouble beaucoup, monsieur ; il m’irrite.

Maréchal.

Il vous irrite ?

Maximilien.

Comme tous les raisonnements auxquels on ne trouve rien à répondre, et contre lesquels proteste pourtant le sentiment intime.

Maréchal.

Vous avouez qu’il n’y a rien à répondre ? Ça me suffit.

Maximilien.

C’est surtout la seconde partie qui est d’une grande force.

Maréchal.

Ah ! oui.

Maximilien.

J’avoue que j’ai besoin de rassembler mes idées pour les défendre d’une attaque aussi vive.

Maréchal.

Vous me charmez. Je crois que je produirai une grande sensation. Je vais achever de l’apprendre par cœur ; car un discours lu est toujours froid. Vous m’apporterez la fin dans ma chambre, je vous prie ; et, si vous le voulez bien, nous ferons une répétition générale, où vous simulerez des interruptions, pour habituer ma mémoire au tumulte des assemblées.

Maximilien.

Je suis à vos ordres.

Maréchal sort.



Scène III

MAXIMILIEN, seul.

C’est vrai que je suis troublé et irrité. Troublé, c’est tout simple ; je sens trembler sous moi l’échafaudage de mes idées. Mais irrité ! contre qui ? contre la vérité ? C’est trop bête ! Et c’est ainsi pourtant ! ma raison prend un chemin où je me refuse à la suivre. Il me semble qu’elle passe à l’ennemi. — L’ennemi ! Est-ce que j’ai de la haine pour quelqu’un ? Non ; pas même pour cette jeune fille. — Quel singulier produit de la civilisation, ce front pur, ces yeux limpides et cette âme fanée ! Dire que j’étais sur le point de la prendre pour un ange avec sa vieille Hardouin ! Ah ! mademoiselle, vous choyez la pauvreté qui s’agenouille et se lamente ; celle qui se tient silencieuse et debout, vous l’insultez ! Vos pauvres sont vos joujoux de charité ! Décidément, je la déteste.



Scène IV

MAXIMILIEN, MADAME MARÉCHAL, un livre à la main.
Maximilien, à part.

À l’autre, maintenant !

Madame Maréchal.

Je rapporte Jocelyn.

Maximilien s’incline, s’assied devant le bureau et se met à écrire. Madame Maréchal replace le livre dans la bibliothèque. — Un silence.
Madame Maréchal.

On ne vous a pas vu depuis hier, monsieur Maximilien. C’est par mon mari que je sais que vous nous quittez.

Maximilien.

Oui, madame.

Madame Maréchal.

Le vrai motif de votre détermination est-il bien celui que vous avez donné à M. Maréchal ?

Maximilien.

Sans doute.

Madame Maréchal.

Tant mieux ! Je craignais que ma belle-fille ne vous eût blessé en quelque façon.

Maximilien.

Non, madame.

Madame Maréchal.

Alors, vous ne nous quittez pas fâché ? vous n’oublierez pas tout à fait que cette maison a été la vôtre pendant quelques jours ? Le secrétaire nous quitte, mais l’ami reviendra ?

Maximilien.

Certainement, madame

Madame Maréchal.

J’avais besoin de cette promesse ; car vous m’avez inspiré une véritable amitié, monsieur Maximilien.

Maximilien.

Vous êtes trop bonne, madame.

Madame Maréchal.

Ce n’est pas une protestation banale, soyez-en sûr. J’espère que vous me mettrez un jour à l’épreuve.

Maximilien.

Jamais !

Madame Maréchal.

Pourquoi jamais ? Votre fierté refuse-t-elle de devoir quelque chose à une affection presque maternelle ?

Maximilien.

Eh ! madame, laissons là cette maternité impossible.

Madame Maréchal, baissant les yeux.

Ne puis-je être, au moins votre sœur aînée ?

Maximilien.

Non, madame, pas plus ma sœur que ma mère.

Madame Maréchal, d’une voix faible.

Quoi donc alors ?

Maximilien.

Rien.

Un silence.
Madame Maréchal.

Oui, vous avez raison ; tout nous sépare. J’étais folle de vous demander de revenir ; ne me revoyez plus. Je comprends votre départ à présent. Vous êtes un honnête homme, je vous remercie.

Maximilien, à part.

Il n’y a pas de quoi.



Scène V

Les Mêmes, FERNANDE.
Maximilien, à part.

Encore !

Il se remet à écrire.
Fernande, à madame Maréchal.

Je viens chercher un livre.

Madame Maréchal.

Quel livre ?

Fernande.

Je n’en sais rien. Je suis désœuvrée, et je voudrais lire. Conseillez-moi, monsieur Maximilien… quelque chose qui puisse m’intéresser. (Maximilien se lève et va à la bibliothèque. — À part.) J’espérais le trouver Seul. (Maximilien lui donne un livre en s’inclinant et retourne à son bureau. — Ouvrant le livre.) Le Dictionnaire de la noblesse. Est-ce une épigramme ? Je ne la mérite pas. Je n’ai pas plus de prétentions nobiliaires que vous. (Donnant le livre à madame Maréchal.) Tenez, madame.

Madame Maréchal.

Si j’ai des prétentions, ma chère, elles sont fondées.

Fernande.

Je n’en doute pas. — Donnez-moi autre chose, monsieur Maximilien… ce que vous donneriez à votre sœur.

Maximilien, à part, se levant.

Elle aussi !… Trop de parentes.

Madame Maréchal, à part.

Comme elle lui fait des grâces !

Un Domestique.

M. le comte d’Outreville demande si ces dames sont visibles.

Maximilien, à part.

On va me laisser tranquille.

Il s’assied à son bureau.
Fernande.

Voulez-vous l’aller recevoir, madame ?

Madame Maréchal.

Il demande à nous voir toutes les deux.

Fernande.

Je suis mal en train, vous m’excuserez.

Madame Maréchal, à part.

On dirait qu’elle veut rester seule avec Maximilien. (Au domestique.) Faites entrer M. le comte ici.

Le domestique sort.



Scène VI

Les Mêmes, LE COMTE.
Le Comte.

Pardonnez-moi, mesdames, de me présenter de si bonne heure. Cette lettre de M. d’Auberive vous expliquera l’irrégularité de ma conduite.

Maximilien, à part.

Ce jeune comte a l’air franc… comme un jeton.

Madame Maréchal, lisant la lettre.

Votre cousin me prie, monsieur le comte, de vous guider dans l’emplette de la corbeille.

Le Comte.

Il s’occupe lui-même de la publication des bans.

Fernande.

Déjà ?

Le Comte.

Il ne veut pas vous laisser le temps de la réflexion, mademoiselle.

Fernande.

Ce n’est pas poli pour vous, monsieur.

Le Comte.

Il rend justice à mon peu de mérite.

Maximilien, à part.

Elle épouse ce parchemin ? elle est complète.

Madame Maréchal.

M. d’Auberive fait les mariages comme Bonaparte faisait la guerre. Je vais mettre un châle et un chapeau, et je suis à vous. (À part.) Je ne suis pas fâchée que Maximilien sache la nouvelle.

Elle sort.



Scène VII

MAXIMILIEN, FERNANDE, LE COMTE.
Maximilien, à part.

Vais-je assister à leurs idylles comme un king-charles ?

Le Comte.

Permettez-moi, mademoiselle, de mettre à profit ces trop courts instants… (Maximilien tousse.) Nous ne sommes pas seuls ?

Fernande.

Le secrétaire de mon père, M. Gérard.

Le Comte.

Je serais enchanté de faire sa connaissance ; veuillez donc me le présenter.

Fernande, à Maximilien.

Monsieur Maximilien, je vous présente M. le comte d’Outreville, mon fiancé.

Le Comte, à part.

C’est moi qu’elle présente ?

Maximilien.

Monsieur…

Le Comte.

Charmé, monsieur… (À part.) Il me déplaît. (Un silence. — À Fernande.) On m’a dit que M. Maréchal ne recevait pas. Serait-il indisposé ?

Fernande.

Il s’est enfermé pour travailler, n’est-ce pas, monsieur Maximilien ?

Maximilien, à son bureau.

Oui, mademoiselle.

Un silence.
Le Comte.

J’ai passé dimanche dernier une délicieuse matinée. J’ai entendu à la Madeleine une messe en musique exécutée par les chanteurs de vos premiers théâtres. L’orgue était tenu par un très bon virtuose.

Fernande.

Vous aimez la musique ?

Le Comte.

Oh ! certainement. J’ai remarqué aussi, avec plaisir, que l’église était chauffée.

Fernande.

Oui, notre piété aime ses aises.

Le Comte.

Et qu’on a raison de les lui donner ! Aussi l’église était pleine… à Paris ! C’est un spectacle consolant que cette recrudescence de la dévotion publique.

Fernande.

Qu’en pensez-vous, monsieur Maximilien ?

Maximilien.

Je suis bien aise que monsieur soit consolé. Quant à moi, je n’avais pas besoin de consolation ; je suis très philosophe.

Le Comte.

Voulez-vous dire par là que vous n’êtes pas chrétien ?

Maximilien.

Si fait, monsieur, je le suis ! À telles enseignes que je pratique le pardon des offenses.

Fernande.

Le pardon ou le dédain ?

Maximilien.

Tous les deux.

Fernande.

Sans faire de différence entre le repentir et l’endurcissement ?

Maximilien.

Je n’y regarde pas de si près.

Fernande.

Vous êtes injuste, monsieur.

Maximilien.

C’est possible, mademoiselle ; vous en savez plus long que moi sur toutes choses.

Fernande, se levant, troublée.

Ma belle-mère tarde bien ; je vais la presser un peu.

Elle sort.



Scène VIII

LE COMTE, MAXIMILIEN.
Le Comte, à part.

On dirait qu’il y a de la pique entre eux. (Haut.) Voilà longtemps, monsieur, que vous êtes dans la maison ?

Maximilien.

Non, monsieur, et je n’y reste pas.

Le Comte.

Je le regrette, monsieur, puisque j’y entre moi-même.

Maximilien.

Trop aimable.

Le Comte.

J’espère que ce n’est pas moi qui vous en chasse ?

Maximilien.

Comment serait-ce vous ?

Le Comte.

Oh ! vous savez : cela se dit quand quelqu’un sort au moment qu’on entre.

Maximilien.
Pardon, monsieur, je viens de terminer un travail qu’attend M. Maréchal et que je vais lui porter.
Il salue et sort.



Scène IX

LE COMTE, seul.

Hum ! est-ce que mon mariage interromprait un petit roman ? Je suis plus défiant que je n’en ai l’air, moi ! Ce monsieur qui n’a pas besoin d’être consolé, qui pratique le pardon des injures, qui quitte sa place au moment où mademoiselle Fernande se marie… Elle est sortie rouge comme une cerise sur un mot… probablement à double entente. Hum ! je n’aime pas tout ça, moi ! J’en parlerai au marquis.

Un domestique introduit la baronne.



Scène X

LE COMTE, LA BARONNE.
Le Comte, à part.

Ciel ! la baronne !

La Baronne.

Vous, monsieur le comte ? et seul ? Pourquoi m’a-t-on introduite ici ?

Le Comte.

Ces dames étaient là à l’instant et vont revenir.

La Baronne.

À la bonne heure. Quant à M. Maréchal, il est invisible.

Le Comte.

Il travaille, m’a-t-on dit.

La Baronne.

À quoi, mon Dieu ?

Le Comte.

Probablement à son discours.

La Baronne.

Je le croyais fait. C’est justement à ce sujet que je viens. J’espère que madame Maréchal m’aidera à forcer la consigne qui dérobe son époux aux regards des mortels.

Le Comte.

Je n’en doute pas.

La Baronne.

Ni moi non plus. (À part.) Il est d’une candeur… inestimable. (Haut et s’asseyant.) Voilà trois fois en très peu de jours que le ciel vous met sur mon chemin : cela ne ressemble-t-il pas à une volonté de nous faire lier connaissance ?

Le Comte, debout.

On le dirait.

La Baronne.

Peut-être doit-il résulter de notre rencontre quelque chose d’heureux pour notre cause. J’en ai comme un pressentiment ; et vous ?

Le Comte.

Ce serait bien glorieux pour moi, madame.

La Baronne.

Vous avez sur le front le signe des appelés.

Le Comte.

Vous êtes trop bonne.

La Baronne.

Le ciel emploie volontiers les mains pures. Le célibat est une grande vertu, vous le savez.

Le Comte.

Hélas ! je vais me marier.

La Baronne.

Vous marier ?

Le Comte.

Oui, madame, j’épouse mademoiselle Fernande.

La Baronne, plus froide.

On peut aussi faire son salut dans le mariage. Mes compliments, monsieur le comte ; votre future est charmante et justifie bien la violence de votre passion.

Le Comte.

La violence ?

La Baronne.

Dame ! il n’y a qu’une passion violente qui puisse excuser…

Le Comte.

Mais le rôle politique de M. Maréchal n’est-il pas une noblesse ? Je ne crois pas déroger en m’alliant à notre champion.

La Baronne, à part.

Ah ! monsieur d’Auberive ! C’est bon à savoir. (Haut.) Alors, c’est un mariage de convenance que vous faites ?

Le Comte.

Oui, madame ; mon cousin le désire beaucoup.

La Baronne.

C’est parfait. Je ne sais pas d’ailleurs de quoi je me mêle, et vous devez me trouver fort indiscrète. Ne vous en prenez qu’à une sympathie peut-être inconsidérée ; mais, quand je vous ai vu, il m’a semblé que c’était un ami qui me venait. (Lui tendant la main.) Me suis-je trompée ?

Le Comte.

Oh ! madame !

Il porte sa main vers ses lèvres.
La Baronne, retirant sa main avec un sourire.

Non… ce n’est pas une galanterie banale que je vous demandais… Cette petite main de femme est digne d’être serrée virilement, vous lui rendrez un jour cette justice. — Vous regardez mon bracelet ?

Le Comte.

Votre… ? Oui…

La Baronne, le détachant et le lui donnant.

Il est d’un travail assez curieux…

Le Comte.

Très curieux.

La Baronne.

Le médaillon surtout. Il contient des cheveux de mon mari.

Le Comte.

Quoi ! ces cheveux blancs ?

La Baronne.

Oh ! ma vie a été austère, monsieur le comte. À l’âge de dix-sept ans, j’épousais un vieillard, pour accomplir les dernières volontés de ma bienfaitrice.

Le Comte.

Votre bienfaitrice ?

La Baronne.

Orpheline au berceau, sans fortune, j’avais été recueillie par une parente éloignée, la douairière de Pfeffers, créature angélique, qui m’éleva comme sa fille. Quand elle sentit approcher sa fin, elle appela près d’elle son fils, le baron Pfeffers, alors sexagénaire, et, nous prenant à chacun une main dans ses mains défaillantes : « Ma mort, nous dit-elle, va vous enlever votre unique amie ; permettez-moi d’unir vos deux solitudes, et je mourrai tranquille. — Ô mon fils ! je confie son enfance à votre vieillesse, et votre vieillesse à son enfance. — Ce n’est pas un mari que je te donne, ajouta-t-elle en se tournant vers moi, c’est un père ! »

Le Comte, très ému.

Et, en effet, il fut un père pour vous ?

La Baronne.

Le père le plus respectueux. Mais je ne sais pourquoi je m’abandonne à ces souvenirs… Rendez-moi mon bracelet.

Le Comte, à part.

C’est un ange !

La Baronne.

Mon Dieu ! qu’on est maladroite d’une seule main ! Venez à mon aide, monsieur le comte ! (Elle tend son bras nu au comte. — Le comte essaye de rattacher la bracelet.) Vous n’êtes pas plus adroit que moi. Voyons si nous en viendrons à bout avec trois mains. (Elle aide le comte. Leurs yeux se rencontrent ; le comte éperdu se détourne. — À part.) Pauvre garçon ! qu’on vienne maintenant lui faire des histoires sur mon compte, on sera bien reçu ! (Haut.) Accompagnerez-vous votre future chez moi ce soir ?

Le Comte.

Ma future ?

La Baronne.

Je le veux. Je n’ai jamais été heureuse ; mais j’aime le bonheur des autres. Ce doit être charmant, l’éclosion d’un amour pur dans une jeune âme. Mademoiselle Fernande doit vous adorer.

Le Comte.

Si elle aime quelqu’un…

La Baronne, vivement.

Ce n’est pas vous ? qui donc ?

Le Comte, revenant à lui.

Personne. Je voulais dire qu’elle m’épouse pour se marier.

La Baronne, à part.

Il y a quelqu’un… Je saurai qui. (Haut.) Et à quand le mariage ?

Le Comte, tristement.

Le premier ban sera publié demain, et je vais tout à l’heure acheter la corbeille.

La Baronne, à part.

On a vu manquer des affaires plus avancées. (Haut.) Il ne me reste plus qu’à vous féliciter.



Scène XI

Les Mêmes, MADAME MARÉCHAL, en grande toilette de ville.
Madame Maréchal.

Que d’excuses, chère baronne ! On vient seulement de m’avertir que vous étiez là.

La Baronne.

En fort bonne compagnie, comme vous voyez, madame. Mais vous alliez sortir, je ne veux pas vous arrêter.

Madame Maréchal.

Oh ! je vous en prie, rien ne presse.

La Baronne.

Je dois vous avouer que ma visite n’est pas à votre adresse. J’ai une petite communication à faire à M. Maréchal. Soyez seulement assez bonne pour m’ouvrir le sanctuaire où il se retire.

Madame Maréchal.

Comment ! toutes les portes ne sont pas tombées devant vous ?

La Baronne.

Le domestique m’a allégué sa consigne, et je n’ai pas insisté.



Scène XII

Les Mêmes, MAXIMILIEN.
Madame Maréchal.

Que fait donc mon mari, monsieur Gérard, qu’il défend sa porte ?

La Baronne, à part.

Le secrétaire ! si c’était lui ?

Maximilien.

Je crois, madame, qu’il apprend son discours par cœur.

La Baronne.

Il compte donc le réciter ?

Maximilien.

Oui, madame.

La Baronne, à madame Maréchal.

Alors je n’ai presque plus rien à lui dire, et il me suffira d’entre-bâiller sa porte. À propos, vous n’avez pas oublié votre promesse pour ce soir ?

Madame Maréchal.

On n’oublie pas ces choses-là.

La Baronne.

Si M. Gérard n’a rien de mieux à faire, je serais charmée de le recevoir aussi.

Maximilien.

Moi, madame ?

Le Comte, à part.

Elle a bien besoin d’inviter ce petit monsieur !

La Baronne.

À votre âge, monsieur, on aime à voir de près les hommes illustres. Il y en a quelques-uns dans mon salon.

Maximilien.

Je vous suis très reconnaissant, madame.

La Baronne.

Vous viendrez, n’est-ce pas ? (À madame Maréchal.) Veuillez me montrer le chemin, madame.

Madame Maréchal.

Je passe donc la première.

Elle sort.
La Baronne, bas, au comte, en lui montrant Maximilien.

Il est très bien, ce jeune homme !

Le Comte, sèchement.

Je ne l’ai pas remarqué.

La Baronne, à part.

C’est lui.

Ils sortent.



Scène XIII

MAXIMILIEN, seul.

Oh ! non, je n’irai pas passer ma soirée chez cette baronne. Je la passerai avec mon vieux Giboyer. (Prenant son chapeau sur le bureau.) J’ai besoin de me soulager le cœur. Les deux mots d’excuses de cette patricienne m’ont plus blessé que son insulte. Elle a cru faire les choses grandement, et qu’une demi-réparation était bien assez pour un pauvre diable comme moi ! Allons chez Giboyer.



Scène XIV

MAXIMILIEN, FERNANDE.
Fernande.

J’ai à vous parler, monsieur.

Maximilien, sur la porte.

À moi, mademoiselle ?

Fernande.

Ne vous y attendiez-vous pas ? N’avez-vous pas compris dans tout ce que je fais, dans tout ce que je dis depuis ce matin, mon profond regret de ce qui s’est passé hier ?

Maximilien.

Vous regrettez ?… C’est trop d’honneur pour moi.

Fernande.

Ce n’est pas assez, je le sais. Il y a des offenses qui exigent une réparation aussi complète d’une femme que d’un homme. Je vous ai calomnié dans ma pensée, et je vous en demande pardon. Cela vous suffit-il ?

Maximilien, descendant en scène.

Je vous remercie.

Fernande.

Eh bien, remerciez-moi en restant auprès de mon père.

Maximilien.

Pour cela, mademoiselle, c’est impossible.

Fernande.

Vous ne voulez donc pas que je me croie pardonnée ?

Maximilien.

Ah ! vous l’êtes du plus profond de mon cœur.

Fernande.

Alors ne me laissez pas le remords de vous avoir ôté votre position.

Maximilien.

Ne vous inquiétez pas de moi, mademoiselle. Je ne suis pas embarrassé de gagner ma vie ; elle n’est pas chère. Vous m’avez rendu un grand service en m’ouvrant les yeux sur les dangers que mon honneur courait ici. Les apparences sont contre moi, je m’en rends bien compte, et l’exemple de mes devanciers m’accuse. Si je restais, le monde me condamnerait comme eux, et ce serait justice.

Fernande.

Justice ?

Maximilien.

Ma foi, oui. Je ne vaudrais pas beaucoup plus qu’eux, si je me résignais à être méprisé comme eux, à tort ou à raison.

Fernande.

Mais le témoignage de votre conscience ?

Maximilien, souriant.

Je la connais ; elle est tracassière et me chercherait noise, sous prétexte qu’on n’a le droit de braver l’opinion que pour l’accomplissement d’un devoir. Or ce n’en est pas un d’étaler de la confiture sur son pain.

Fernande.

Vous avez raison ; vous êtes un honnête homme.

Maximilien.

Eh ! mademoiselle, l’honnêteté, c’est l’orthographe.

Fernande.

Peu de gens la mettent comme vous.

Maximilien.

Vous êtes bien sceptique pour votre âge.

Fernande, baissant les yeux.

Vous me l’avez déjà dit… deux fois.

Maximilien.

Oh ! mademoiselle, je ne voulais pas faire allusion… je n’entendais pas… pardon !

Fernande, après un silence.

Il ne faut pas me juger comme une autre, monsieur. Mon enfance n’a pas été couvée par une mère ; elle a grandi seule avec le sentiment de l’abandon et l’instinct sauvage. À l’époque où l’enfant commence à s’appuyer sur le père, une étrangère survint entre le mien et moi, je compris que mon protecteur se livrait, et je le sentis menacé… dans quoi ? je n’en savais rien ; mais ma tendresse jalouse devint une clairvoyance… Vous aviez raison de me plaindre, monsieur ; j’ai vécu dans une souffrance au-dessus de mon âge, une souffrance d’homme et non de jeune fille. Il s’est livré dans ma tête des combats qui ont, pour ainsi dire, changé le sexe de mon esprit. À la place des délicatesses féminines, il s’est développé en moi un sentiment d’honneur viril ; c’est par là seulement que je vaux, et je vous donne une grande preuve de mon estime en vous expliquant mes droits étranges à la vôtre.

Maximilien.

Dites à mon respect, mademoiselle.

Fernande.

Nos routes se sont rencontrées un instant, et vont se séparer probablement pour toujours ; mais je me souviendrai de cette rencontre, et j’espère que vous ne l’oublierez pas.

Maximilien.

Non, certes… et mes humbles vœux vous suivront dans l’éclat de votre nouvelle existence. Puisse-t-elle tenir ce que vous vous en promettez !

Fernande, avec un sourire triste.

Je n’ai pas été gâtée, et je ne suis pas bien exigeante.

Maximilien.

Votre rêve pourtant me semble assez aristocratique.

Fernande.

Me croyez-vous éprise d’un titre ?

Maximilien.

Dame ! ce ne peut pas être de la personne qui… Pardon, mademoiselle, je m’oublie… j’abuse du hasard qui m’a jeté si avant dans votre confidence.

Fernande, avec effort.

Comment ne comprenez-vous pas, après cette confidence, que la maison paternelle m’est devenue intolérable, et que j’accepte la première main qui s’offre à m’en tirer ?

Maximilien.

Quoi ! c’est pour cela seulement ?… C’est le bon Dieu qui m’a mis sur votre chemin ; ne prenez pas de parti désespéré, mademoiselle ; les choses ne sont pas aussi graves que vous le supposez. Je sais positivement, je sais par le marquis d’Auberive que les torts de votre belle-mère ne sont que des enfantillages romanesques.

Fernande.

Plût au ciel ! mais…

Maximilien.

Mais quoi ? qu’avez-vous surpris ? Des lettres, des aveux ? c’est possible ; mais je vous certifie que c’est tout.

Fernande.

Et que pourrait-elle davantage ?

Maximilien, la regarde avec étonnement, et, après un silence, s’inclinant, très bas.

C’est vrai.

Fernande.

Vous voyez bien que j’ai encore plus raison que vous de partir. Et je suis reconnaissante à M. d’Outreville de m’emmener. — Je les entends qui rentrent ; reprenons chacun notre chemin. Adieu, monsieur.

Elle sort.



Scène XV

MAXIMILIEN, seul.

Ô chasteté ! (Il reste un instant immobile, tourné vers la porte par où Fernande, est sortie ; puis il va à son bureau, s’assied, trempe sa plume dans l’encrier.) Tiens ! je suis bête ! ma besogne est finie. (Se levant.) M. Maréchal n’a plus besoin de moi jusqu’à ce soir ; je suis libre ! (Il prend son chapeau.) Que vais-je faire de ma journée ? C’est singulier comme je m’ennuie ! Bah ! je vais me promener sur les boulevards. (Il s’assied.) Dieu ! que je m’ennuie !



Scène XVI

MAXIMILIEN, GIBOYER.
Giboyer.

Bonjour, l’enfant.

Maximilien.

Toi, mon vieil ami ? Ah ! que tu viens à propos ! Que fais-tu aujourd’hui ? J’ai congé, allons à Viroflay.

Giboyer.

Le 15 janvier !

Maximilien.

Tiens, c’est vrai.

Giboyer.

Tu bourgeonnes trop tôt. Calme ces ébullitions printanières et écoute-moi de tes deux oreilles. — Maximilien, nous sommes riches.

Maximilien, avec joie.

Riches ?

Giboyer.

Je viens de faire un héritage d’un parent que je ne connaissais pas.

Maximilien.

Un héritage ?

Giboyer.

Douze mille livres de rente.

Maximilien, tristement.

Voilà tout ?

Giboyer.

Comment, voilà tout ? Monsieur tutoie des millionnaires ?

Maximilien.

Non, mais tu avais l’air d’annoncer le Pactole.

Giboyer.

Je le croyais… Mille francs par mois me paraissaient assez mythologiques.

Maximilien.

Ce n’est pas la richesse, mon pauvre ami.

Giboyer.

En tout cas, c’est l’indépendance. Tu n’es plus fait pour être au service de personne, l’enfant. Donne ta démission à M. Maréchal.

Maximilien.

Elle est donnée.

Giboyer.

Bah !

Maximilien.

Je n’ai pas attendu tes millions pour m’ennuyer d’être chez les autres.

Giboyer.

Tout est pour le mieux ! Tu vas reprendre ton tour du monde.

Maximilien.

Quitter Paris ?

Giboyer.

Qui t’y retient ?

Maximilien.

Mais… toi.

Giboyer.

Tu te figureras que je suis toujours à Lyon. Ce n’est pas pour mon plaisir que je me sépare de toi. Quand on veut que le vin de Bordeaux vieillisse vite, on l’expédie sur mer. C’est une dépense d’argent, mais une économie de temps. Dans un an, j’aurai du Maximilien retour des Indes.

Maximilien.

Tu veux m’expédier aux Indes ?

Giboyer.

Pas tout à fait ; en Amérique.

Maximilien.

Pour quoi faire ?

Giboyer.

Tiens, parbleu ! pour y étudier la démocratie.

Maximilien.

Merci ! C’est trop loin.

Giboyer.

C’est plus loin que Viroflay ; mais tu adorais les voyages.

Maximilien.

Il paraît que je ne les aime plus.

Giboyer.

Ah !… qu’aimes-tu donc ?

Maximilien.

J’aime… Mais que n’y vas-tu toi-même, en Amérique, pour te guérir une bonne fois de tes chimères ?

Giboyer.

Mes chimères ?… Ne sont-elles plus les tiennes ? Voilà du nouveau ! Qu’est-ce qu’il y a là-dessous ?

Maximilien, avec impatience.

Rien. Que veux-tu qu’il y ait ?

Giboyer, le prenant par le bras.

Regarde-moi donc en face !

Maximilien, se dégageant vivement.

Eh ! laisse-moi !… N’est-on pas maître de croire autre chose que ce que tu enseignes ?

Il remonte la scène.
Giboyer.

Ah !… Et peut-on savoir ce que tu crois ?

Maximilien.

Je crois que la seule base solide dans l’ordre politique comme dans l’ordre moral, c’est la foi, là !

Giboyer.

Tu es légitimiste à présent ?

Maximilien.

On n’est pas légitimiste pour ça.

Giboyer.

Ne jouons pas sur les mots. Je ne connais qu’une façon d’introduire la foi dans le domaine de la politique, c’est de professer que tout pouvoir vient de Dieu, et par conséquent ne doit de comptes qu’à Dieu. C’est une opinion considérable, je ne dis pas le contraire ; mais, quand on la professe, à quelque parti qu’on croie appartenir, on est légitimiste.

Maximilien.

Eh bien, mettons que je le suis.

Giboyer.

Tu l’es ?

Maximilien.

Pourquoi pas ?

Giboyer.

Ma vie se déroberait sous moi pour la seconde fois ? (Allant à Maximilien.) Qui t’a volé à moi, cruel enfant ? Par où m’échappes-tu ? Qui t’a perverti ? Il y a une femme là-dessous ! Les femmes seules font de ces conversions-là ! Tu n’es pas légitimiste, tu es amoureux !

Maximilien.

Moi ?

Giboyer.

Il y a ici quelque sirène qui s’est amusée à te catéchiser.

Maximilien.

Madame Maréchal, une sirène ! Mon seul catéchisme est un discours de son mari que j’ai médité en le copiant.

Giboyer.

Le discours de Maréchal ! Un ramas de sophismes et de vieilles déclamations !

Maximilien.

Qu’en sais-tu ?

Giboyer.

Parbleu, c’est moi qui l’ai fait !

Maximilien.

Toi ?

Giboyer, après une hésitation.

Eh bien, oui, moi ! Par conséquent, tu vois ce qu’en vaut l’aune.

Maximilien.

Ah ! tu fais ce métier-là ? C’était avant ton héritage sans doute ?

Giboyer.

Méprise-moi, marche sur moi, je ne compte plus ; mais rends-moi la droiture de ton esprit, qui est le fondement de mon édifice, ma réhabilitation à mes propres yeux, ma résurrection ! J’ai déshonoré en ma personne un soldat de la vérité, je ne suis plus digne de la servir ; mais je lui dois un remplaçant, et je me suis promis que ce serait toi. Ne déserte pas, mon cher enfant !

Maximilien.

Ta vérité n’est plus la mienne ! Celle que je reconnais et que je veux servir, c’est celle qui t’a dicté ton discours. Ce qui m’étonne, c’est qu’elle ne t’ait pas désabusé toi-même de tes utopies.

Giboyer.

Ah ! la pire des utopies est celle qui veut faire rebrousser chemin à l’humanité.

Maximilien.

Quand elle s’est trompée de route !

Giboyer.

Les fleuves ne se trompent pas, et ils submergent les fous qui veulent les arrêter.

Maximilien.

Des phrases !

Giboyer.

Des faits !… Demande à la Restauration.

Maximilien.

En somme, vous n’avez rien à mettre à la place de ce que vous avez détruit.

Giboyer.

Nous n’avons rien ? Et où as-tu vu dans l’histoire qu’une société en ait remplacé une autre sans apporter au monde un dogme supérieur ? — L’antiquité n’admettait l’égalité ni devant la loi humaine ni devant la loi divine ; le moyen âge l’a proclamée au ciel, 89 l’a proclamée sur la terre.

Maximilien.

Tu as raison ; là, es-tu content ?

Giboyer.

Ne fuis pas la discussion, mon enfant ; j’ai tant besoin de te persuader ! Ce n’est pas une opinion que je défends, c’est ma vie !

Maximilien.

Ta vie ! — Voyons, est-ce qu’il y a une société possible sans hiérarchie ?

Giboyer.

Non, cent fois non.

Maximilien.

Alors que fais-tu de l’égalité ?

Giboyer.

Ah !… la confusion des langues !… L’égalité n’est pas un niveau.

Maximilien.

Quoi donc alors ?

Giboyer.

Ce grand mot ne peut avoir qu’un sens, le même ici-bas que là-haut : à chacun selon ses œuvres ! J’ai écrit là-dessus un livre que je te ferai lire.

Maximilien.

Non.

Giboyer.

Non ?

Maximilien.

À quoi bon ? S’il ne me convainc pas, c’est du temps perdu.

Giboyer.

Mais s’il doit te convaincre ?

Maximilien.

Qui te dit que je veuille être convaincu ?

Giboyer.

Il y a une autre femme ici que madame Maréchal.

Maximilien.

Tu es fou ! Il n’y a ici qu’une héritière.

Giboyer.

Ah ! tout s’explique !

Maximilien, indigné.

Si j’étais tenté de l’aimer, je me mépriserais, car je ne veux rien vendre de moi, ni mon cœur… ni ma plume.

Giboyer.

Ni ta plume ?… Ingrat ! quand c’est pour toi seul !…

Maximilien.

Pour moi ? De quel droit me rends-tu des services déshonorés ? Qui t’a dit que je ne préférais pas la misère ? Est-ce là ce que tu appelles ton héritage ? Tu peux le garder, je n’y toucherai pas ! (Giboyer tombe dans un fauteuil, le visage dans ses mains.) Pardon, mon vieil ami, tu n’as pas su ce que tu faisais.

Giboyer.

J’ai su que je me dévouais à toi, qu’il fallait sauver ta jeunesse des épreuves où la mienne avait succombé, et j’ai léché la boue sur ton chemin ; mais ce n’était pas à toi de me le reprocher. Va ! ma plume n’est pas la première chose que je vends pour toi… J’avais déjà vendu ma liberté !

Maximilien.

Ta liberté !

Giboyer.

Pendant deux ans, pour payer ta pension au collège, j’ai fait les mois de prison d’un journal, à tant par an… Mais qu’importe ! je suis un chenapan, et tu ne veux rien de moi. Ah ! Dieu me frappe trop rudement ! je ne suis pourtant pas un méchant homme… Il y a de tristes destinées. Ce sont des devoirs trop lourds qui m’ont perdu. J’ai commencé pour mon père… J’ai fini…

Maximilien, fléchissant le genou.

Pour ton fils !

Giboyer l’attire violemment dans ses bras.