Le Far-West américain/04
Vue du fort Laramie (Dakota). — Dessin de Sabatier d’après une photographie.
LE FAR-WEST AMÉRICAIN,
LES PEAUX-ROUGES.
I
UN VILLAGE SIOUX.
À trois milles à l’ouest du fort Laramie est installé un campement de Sioux. Quelques-uns de ces enfants de la Prairie sont aussi rassemblés autour du fort et composent avec les premiers ce qu’on nomme la bande des Laramie Loafers, ou vagabonds de Laramie. On les appelle ainsi parce qu’ils vivent d’aumônes, de secours que leur donne le gouvernement.
Le village sioux est à droite de la route qui mène au pic Laramie, et près de la rivière. Il comprend une centaine de huttes ou loges, ce que l’on est convenu d’appeler aussi un wigwam. On calcule que chaque hutte peut recevoir à peu près cinq ou six individus, et cette observation est à noter, car on donne ordinairement en loges le chiffre de population d’une tribu.
La hutte indienne est composée d’un certain nombre de perches effilées, que l’on dispose d’abord à terre autour d’un centre commun, comme les rayons d’un même cercle, et que l’on élève ensuite en les tenant inclinées ; de cette façon toutes les perches s’enchevêtrent les unes dans les autres et se soutiennent mutuellement au sommet, où elles sont d’ailleurs liées par une corde. L’autre extrémité, qui s’écarte au contraire de sa voisine, touche le sol. Le pourtour conique de la hutte est recouvert de peaux de bison ou de pièces de toile cousues. Le sommet reste ouvert. Sur les côtés une entrée basse, étroite, où l’on ne peut passer qu’en
1 rampant, forme la porte. Une peau de castor ou une pièce de toile, retenue par un clou, une charnière, ou cousue dans le haut, se rabat sur cette ouverture et la tient d’habitude fermée. Au centre de la hutte est du feu toujours allumé, et sur ce feu ou alentour sont les marmites et les chaudrons pour les repas. Souvent la crémaillère qui tient le chaudron descend du sommet même de la hutte. L’ouverture supérieure permet seule à la fumée de sortir et à la lumière d’entrer ; c’est dire que le séjour de la loge est intolérable à ceux qui n’y sont pas accoutumés.
Sur le pourtour, extérieurement, sont les lits, les robes de bison entassées qui servent de couvertures et de matelas, les hardes de toutes sortes qui composent les vêtements, les malles et les boîtes en cuir dans lesquelles on serre les objets précieux. En un coin sont les ustensiles de cuisine, quand on en a. Çà et là pend un quartier de bison cru, desséché au soleil ou fumé, ou bien de la viande étirée en lanières. C’est partout un désordre indescriptible, et cependant il paraît que l’Indien s’y retrouve et que chaque habitant de la loge a sa place irrévocablement fixée.
Un vieux traitant, qui vit avec les Sioux depuis plusieurs années (il a même épousé une femme de cette tribu), le père Richard, fut un des premiers qui me reçut dans sa hutte, car il était venu momentanément s’installer près des Laramie-Loafers.
À la vue de cet homme enfumé, aux cheveux grisonnants tombant abondamment sur ses épaules :
« Vous êtes Sioux ? lui demandai-je sans trop de réflexion.
— Je suis Français, me répondit-il de l’air le plus tranquille du monde et avec le meilleur accent.
— Comment ! vous êtes Français, et vous vivez sous la hutte comme les sauvages !
— J’aime mieux ça, c’est plus commode. »
Ce fut là sa seule réponse. Il me présenta à sa femme et à sa fille, qui vinrent timidement me donner la main, puis nous fumâmes ensemble le calumet et nous causâmes de Paris, où il projetait depuis longtemps de faire un voyage. Paris est la première ville dont parle toujours l’étranger, qui ne rêve que d’en connaître les plaisirs. Le père Richard avait un autre motif en désirant d’aller voir la grande capitale. Sa famille avait émigré en Amérique lors de la première révolution, et il se sentait attiré vers la France comme vers la patrie de ses pères[2].
Le village sioux, où je ne m’attendais guère à retrouver un compatriote, avait bien d’autres curiosités à m’offrir. Autour des huttes couraient les enfants à moitié nus, garçons ou jeunes filles. Ils s’amusaient à bâtir de petites loges ou jouaient au poney, c’est-à-dire qu’ils chargeaient l’un d’eux de deux longs bâtons traînants, l’un à droite, l’autre à gauche, puis mettaient en travers sur ces bâtons ce qui était censé représenter les effets domestiques, vêtements, peaux de buffle, ustensiles de cuisine, que les Indiens emportent quand ils émigrent, en chargeant ainsi leurs chevaux ou poneys. Enfants des Peaux-Rouges, enfants des peuples civilisés, ce sont toujours les mêmes jeux : l’imitation de ce que voit l’enfant. Ici la poupée qui rappelle la grande dame, ou bien le ménage, les chevaux de bois, les théâtres, les maisons de carton ; là le poney et la petite loge.
Les chiens étaient nombreux autour des huttes. Les Indiens possèdent des bataillons de ces animaux, et le chien est pour eux à la fois un défenseur, une sentinelle vigilante et un moyen de nourriture. Je dois dire, après y avoir goûté, que la chair du chien, comme celle du cheval, n’a rien qui répugne. La chair du meilleur mouton peut seule se comparer, pour le goût et la délicatesse, à celle du jeune chien engraissé.
Comme je parcourais le camp des Sioux, ces gardiens attentifs, insoucieux du sort qui leur était réservé, aboyèrent à ma présence ; mais je les calmai de la voix et continuai mon exploration. J’entrai dans beaucoup de huttes. Ici des guerriers en rond jouaient aux cartes et des balles de plomb servaient d’enjeu. Tous les joueurs étaient silencieux et ne laissaient paraître leur émotion ni au gain ni à la perte ; encore moins s’avisèrent-ils de jeter un regard sur celui qui les visitait. Là d’autres braves jouaient le jeu des mains, une sorte de morra italienne, et des flèches, piquées en terre, marquaient les points. Cette fois les joueurs s’accompagnaient de chants discordants et de la musique assourdissante de battements de casseroles et de tambours de basque.
Je ne pus pas pénétrer dans toutes les huttes. Quelques-unes étaient sévèrement gardées et l’on en éloignait les profanes. C’était là qu’on faisait la grande médecine[3] ou que les devins soumettaient leurs malades à l’épreuve des bains de vapeur.
Autour de quelques loges les femmes, assises en rond, travaillaient à des ouvrages d’aiguille, ornaient de perles des colliers, des mocassins, ou traçaient un dessin sur un cuir de bison. Elles allaient avec
les points et prenant garde de se tromper. De vieilles matrones préparaient des peaux tendues autour de piquets. Avec un caillou de grès siliceux, elles raclaient la peau, en enlevaient toutes les bavures, puis la polissaient avec une espèce de ciseau d’acier emmanché au bout d’un os. Autrefois la hache de pierre tranchante, en silex ou en diorite, servait à faire cet ouvrage avant que le fer eût été apporté au sauvage par l’homme civilisé. Après avoir été ainsi préparée, la peau de bison est tannée avec la cervelle même de l’animal.
Les femmes étaient
loin d’être
belles. Si la plupart
des Indiens
avaient un type
fier et noble, les
squaws ne présentaient
sur leur figure
rien qui révélât
la femme
comme les nations
Grosses-Côtes, lieutenant du chef sioux la Nuée-Rouge. — Dessin de Janet Lange d’après une photographie.
civilisées la comprennent.
Timides,
honteuses,
elles baissaient
les yeux devant
le blanc, se cachaient.
La fatigue,
le dur travail
avaient altéré
leurs traits. À
elles incombent
tous les soins domestiques.
Ce sont elles
qui nettoient la
maison, étrillent
les chevaux, préparent
les repas,
élèvent les enfants
ou pappooses,
dressent la
hutte, et en voyage portent à pied tout le matériel
de la loge. L’homme suit, à cheval, n’ayant que son
arc et ses flèches. Pour surcroît d’agrément, les femmes
sont souvent battues. Elles sont regardées comme
des esclaves par leur mari, qui épouse autant de
femmes qu’il veut. Pour un cheval, pour quelques
peaux de bison, les parents donnent volontiers leur
consentement, et tout est dit. La chasteté n’est pas de
rigueur, mais souvent le mari coupe le nez ou les
oreilles à la femme infidèle. Chez les Peaux-Rouges,
chacun est ainsi son propre juge et applique la loi
à sa façon.
D’autres fois la femme est vendue des que le mari est dégoûté d’elle. Nous savons que les femmes des blancs, quand les Indiens les emmènent prisonnières et les conduisent dans leur loge, ne sont pas mieux traitées. Toutefois, dans quelques tribus, on ne les prend pas pour femmes. Il faut croire que, dans ce cas, c’est surtout la peau blanche qui répugne au Peau-Rouge. On comprend maintenant pourquoi l’Indien, toujours à cheval, en guerre ou en chasse, est beau, bien fait, et comment les squaws, soumises à tant d’épreuves, sont chez eux, contrairement à ce qui a lieu ailleurs, la plus vilaine moitié de l’espèce humaine.
Il est juste de dire que dans le village des Sioux toutes les femmes ne répondaient pas à cette description ; un certain nombre d’entre elles, sans avoir de beauté ou même sans être agréable ou jolies, étaient moins déplaisantes à nos yeux, parce qu’elles se rapprochaient plus du type blanc ; il était facile de voir qu’elles étaient de sang mêlé, half-breed.
Le jour où je visitai le village des Sioux, la bande des Laramie-Loafers n’était pas seule campée en cet endroit. Les Corbeaux, prévenus depuis plus d’un mois que la commission se rendrait au fort Laramie vers le 10 novembre, à l’époque de la pleine lune, étaient récemment arrivés. Ils avaient quitté, pour se rendre à
les bords du ruisseau de Pierre Jaune, Yellow-Stone River, où ils étaient alors en chasse. Ils étaient venus une vingtaine de chefs avec leurs femmes, leurs enfants et quelques braves[4], et cela malgré la neige et la distance, malgré les Sioux, avec lesquels ils étaient en guerre. Ceux-ci pouvaient les arrêter au passage, car il fallait traverser le territoire ennemi pour arriver au lieu du rendez-vous.
En hommes qui comprennent leur valeur, les Corbeaux avaient campé à une certaine distance des Indiens loafers, mais on pouvait aisément confondre les tentes, dont le style était le même. Le type des hommes seul était différent, et les Corbeaux sont certainement les plus fiers des Indiens des Prairies, au moins des Indiens du nord. Les traits sont largement accentués, de grandes proportions, la stature gigantesque, les formes athlétiques. La figure, majestueuse, rappelle les types des Césars romains, comme on les voit dessinés sur les médailles.
J’entrai dans la hutte des chefs. « Touchez-leur la main à tous, me dit un officier qui avait déjà pénétré dans la tente, ce sont tous de grands chefs. » J’obéis à ces paroles et je touchai successivement la main à ces seize sachems assis en rond, en faisant à chaque fois entendre ce son guttural : A’hou ! qui est celui qui sert de salutation auprès des Peaux-Rouges. Chacun répéta à son tour mon salut et quelques-uns me serrèrent la main jusqu’à faire craquer les os. Ce vif témoignage d’amitié, chez l’Indien ordinairement si impassible, me surprit. Sans doute ces braves gens crurent avoir affaire à quelque membre influent de la commission, dont ils attendaient force concessions et force cadeaux. La cérémonie de salutation terminée, nous fumâmes le calumet. Chacun tirait quelques bouffées de la pipe et la passait indifféremment à son voisin. Nul ne parlait.
Je profitai de ce silence pour examiner à loisir ces hommes. J’ai déjà décrit leurs formes athlétiques. Leur figure était tatouée, sur les joues, de rouge vermillon. Ils étaient à peine vêtus, celui-ci d’une couverture de laine, celui-là d’une peau de buffle ou d’un uniforme incomplet d’officier ; cet autre avait le torse tout nu. Beaucoup portaient des colliers ou des pendants d’oreilles en coquillages ou en dents d’animaux. L’un avait autour du cou une médaille d’argent à l’effigie d’un président des États-Unis (Pierce), cadeau qu’il avait reçu à Washington lorsqu’il s’y était rendu en mission en 1853. L’autre portait sur la poitrine un cheval d’argent assez grossièrement travaillé et devait à cet ornement le sobriquet de Cheval-Blanc, sous lequel on le désignait. Un vieux chef, blessé, la jambe percée de deux balles et maintenue dans un appareil installé par les Indiens eux-mêmes, gisait dans un coin de la hutte. Il me rendit mon salut en jetant vers moi un regard triste, et en me montrant son membre malade qui l’empêchait de se lever.
Les Corbeaux ne furent pas les seuls Indiens nomades que je rencontrai à Laramie. Sur un petit îlot, au milieu de la rivière, étaient campés deux chefs Arrapahoes, arrivés de la Porte (frontière du Colorado), et représentant les tatoués du nord[5]. Ils étaient venus à Laramie pour prendre part aux conférences en même temps que les Corbeaux, dont ces nouveaux Indiens se différenciaient nettement par leur type hagard et sombre.
Les diverses tribus du nord, surtout celles qui composent par leur agrégation la grande nation des Sioux, étaient celles qu’attendaient le plus impatiemment les commissaires ; mais les Corbeaux seuls étaient venus. M. Beauvais, agent principal de la commission, dépêché depuis plusieurs mois de Saint-Louis à Laramie, avait promis d’amener les Sioux, et les Sioux ne venaient point. Ils étaient en ce moment en chasse, loin, bien loin, et ne voulaient pas se déranger. On leur envoyait estafettes sur estafettes, à quoi quelques-uns répondaient qu’il faisait trop froid pour entreprendre ce grand voyage, d’autres que les blancs les avaient toujours trompés et qu’ils ne voulaient plus se rendre à leur appel. Certains d’entre eux, se montrant insolents, envoyaient à tous les diables la commission des États-Unis. « Que le Grand-Père rappelle ses jeunes hommes (ses soldats) de notre pays, — répondit la Nuée-Rouge, chef de la bande des Vilaines-Faces, aux envoyés des commissaires, — et alors nous signerons un traité dont on ne verra pas la fin. » Tous les chefs présents, et entre tous le lieutenant Grosses-Côtes, applaudirent hautement à ces paroles de la Nuée-Rouge.
Les Chayennes du nord ne se montrèrent ni plus polis ni plus empressés que les Sioux. Le pauvre M. Beauvais, que les Indiens appellent Gros-Ventre à cause de sa corpulence, n’en pouvait mais, et serait allé volontiers lui-même, s’il l’avait pu, à pied chez les Sioux, fût-ce les bandes de la Nuée-Rouge, pour les amener de vive force.
Lassée d’attendre, la commission décida qu’elle ouvrirait les conférences avec les Corbeaux le 12 novembre au matin, à dix heures, et qu’elle entendrait également les chefs Arrapahoes, qui étaient venus de la Porte. Dans l’intervalle, elle reçut officiellement les dépositions de quelques traitants du territoire de Montana. Ceux-ci parlèrent des dévastations commises par les Indiens dans cette région, récemment colonisée par les Américains, qui en exploitaient les mines d’or et d’argent. Les déposants ne laissèrent pas d’ailleurs ignorer à la commission les sujets de plainte que pouvaient avoir les Indiens contre les blancs.
Le gouverneur du Colorado, l’honorable M. Hunt fut également entendu et fit aux commissaires le récit des pillages passés des Chayennes et des Arrapahoes.
C’est par ces préliminaires que la commission des États-Unis, accomplissant sévèrement son mandat et ne laissant pencher la balance ni en faveur des blancs ni en faveur des Peaux-Rouges, préluda à la grande conférence, ou pow-wow[6], qu’elle allait ouvrir le 12 novembre avec les Corbeaux.
II
LE GRAND CONSEIL DES CORBEAUX.
Le jour indiqué pour la solennelle conférence de la commission américaine avec les grands chefs des Corbeaux, le soleil s’était levé radieux, le ciel était sans nuage, le temps d’une douceur exceptionnelle. En comparant la température à celle des jours précédents, où ils avaient tant souffert pour venir à cheval du fond du Dakota, les vieux sachems durent penser que le Grand-Esprit se montrait enfin favorable. Si le soleil, une de leurs divinités, consentait ce jour-là à leur sourire, c’est qu’ils allaient sans doute avoir gain de cause dans le grand pow-wow avec les blancs.
L’heure indiquée pour l’ouverture du palabre était dix heures du matin. Les Indiens, qui ne sont jamais pressés, et ne lisent l’heure qu’au soleil, se firent un peu attendre ; peut-être terminaient-ils aussi leurs cérémonies de grande médecine. Enfin ils parurent, ornés de leurs plus beaux habits. Quelques-uns étaient à cheval. Ils traversèrent la rivière de Laramie, pendant que les autres, suivis des femmes et des enfants, les squaws et les pappooses qui venaient aussi assister à la conférence, arrivaient par le pont. La femme de Dent-d’Ours, un des principaux orateurs, était à cheval comme son mari, qu’elle ne quitte jamais. Les Indiennes enfourchent la bête comme les hommes.
Le grand chef, Pied-Noir, ayant mis pied à terre, fit signe aux braves de s’aligner. Chacun avait un costume différent. Celui-ci une peau de bison sur une chemise de toile ; cet autre une couverture de laine et une jacquette de peau de daim rehaussée de franges, mais privée d’ornements en cheveux dont les Indiens n’osent guère se parer devant les blancs. L’un portait un habit d’officier et un pantalon scalpé, c’est-à-dire veuf de son siége ; les basques de l’habit étaient heureusement assez longues. Plusieurs avaient le chef couvert d’un chapeau de feutre noir, à forme calabraise comme ceux des généraux américains. Le tour du chapeau était orné, sur toute la hauteur, d’une série de rubans multicolores. Quelques chefs étaient chaussés de bas et de mocassins de cuir. Le cou, les oreilles de tous étaient chargés de colliers, de pendants de coquillages ou de dents d’animaux.
Non content de tous ces ornements, un Corbeau avait ajouté à sa longue chevelure une chevelure postiche, de sorte qu’il avait une queue allant de l’occiput à la plante des pieds. Cette queue n’était pas bariolée, comme celle du grand chef des Ogallallas, mais elle était semée de plaques d’argent, rondes, de peu d’épaisseur, obtenues par le battage patient de dollars américains ou d’autres pièces de moindre valeur. Les ronds allaient en diminuant régulièrement de la tête aux pieds, et l’on devinait, à l’orgueil que montrait le sachem porteur de cette parure, qu’il ne l’eût pas donnée pour un empire. Il faut que les Indiens attachent un grand prix à cet ornement, très-cher d’ailleurs, puisqu’on le retrouve chez toutes les tribus.
Le chef à la longue chevelure n’était pas le seul qui attirât les regards. Un Corbeau portait avec fierté une large médaille reçue naguère à Washington des mains du président. Un autre, à défaut de médaille officielle, avait pris une piastre mexicaine. À son tour Cheval-Blanc n’avait pas oublié de se parer du cheval d’argent qui lui avait valu son nom, et qui pendait comme une décoration sur sa poitrine. Il y avait joint un sachet carré de toile grise et fort peu propre, dans lequel il avait soigneusement enfermé son miroir. À côté de lui marchait Bout-de-piquet-de-hutte, l’Homme-qui-a-reçu-un-coup-de-fusil-à-la-face et l’Oiseau-dans-son-nid, trois chefs ou guerriers en grande réputation chez les Corbeaux. La plupart des figures étaient tatouées de rouge, de vermillon, de jaune, de bleu. Au milieu de l’assemblée, on distinguait le pauvre blessé que nous connaissons, sa jambe roidie dans l’appareil qui la maintenait. Le vieux chef avait voulu venir à toute force : on l’avait hissé à cheval et fait descendre de là à grand’peine, et il suivait de son mieux, clopin clopant.
Après s’être mis en ligne, les sachems entonnèrent un chant de leur nation, grave, sombre, mêlé de cris discordants, et parfois d’aboiements aigus. Les basses, les barytons et les ténors n’observaient dans ce chœur aucune mesure, et cependant cette musique primitive sauvage allait bien avec le type des chanteurs et avec le milieu qui encadrait cette scène. C’est de la sorte que les chefs s’avancèrent, sur une seule ligne, lentement, dans le plus grand ordre, sans s’inquiéter de la foule qui se pressait autour d’eux. Jamais les Corbeaux, aux formes athlétiques, aux figures majestueuses, ne m’avaient paru plus solennels. Puis ils se débandèrent, et entrèrent un moment dans la chambre des interprètes. Là on ne tarda pas à les prévenir que la commission les attendait pour ouvrir la séance.
La salle où se tint le pow-wow était de grandes dimensions. Elle était construite en bois, et pouvait facilement contenir de deux cent cinquante à trois cents personnes. Elle servait précédemment de magasin au quartier-maître du fort. Les chefs des Corbeaux, assis ensemble sur des bancs, chacun à la place que lui assignait son rang, et les commissaires, chacun sur un siége isolé, formaient le cercle, de telle sorte que l’on pouvait dire que l’extrême civilisation était en face de l’extrême sauvagerie. C’est au centre de ce cercle que se tient l’orateur. Sur un des côtés, sont les interprètes et les agents des Indiens ; sur l’autre le sténographe, le secrétaire de la commission, les reporters des journaux, etc. Les femmes et les enfants des sachems étaient venus, et quelques femmes, entre autres les plus vieilles matrones, s’étaient assises sur les mêmes bancs que les chefs. On voyait là l’Eau-qui-court, la Jument-Jaune, et la Femme-qui-a-tué-l’ours. Les pappooses, tout jeunes et même à la mamelle, troublaient souvent par leurs cris ou leurs pleurs le calme de l’assemblée, mais personne n’y prenait garde, surtout les Corbeaux.
Les Laramie-Loafers, les chefs sioux, guidés par Pallardie, les officiers, les soldats et les employés du fort, tout ce monde était venu pour assister aux débats qui allaient s’ouvrir. La commission, paternelle et libérale, n’avait fermé la porte à personne.
Quand le silence se fut établi, le docteur Matthews, agent des États-Unis auprès des Corbeaux, se leva, et dit en anglais : « J’ai l’honneur de présenter à la commission de paix les chefs de la nation des Corbeaux ; » et se tournant vers les chefs, il dit en corbeau : « Voici les commissaires envoyés de Washington pour faire la paix avec vous. Écoutez bien ce qu’ils vous diront, et vous verrez si je vous ai fait des mensonges. » L’interprète des Corbeaux, Pierre Chêne, un Canadien, de sang à la fois irlandais et français, traduisit ces paroles en anglais à la commission. Il était aidé dans ses fonctions par John Richard, un des fils de ce Français à moitié Sioux, qui était venu installer sa hutte au milieu des Laramie-Loafers, et avec lequel nous avons déjà fait connaissance. Pierre Chêne et Richard ne brillaient pas comme interprètes. Ils devaient traduire en mauvais anglais, et sans avoir égard au génie de la langue des Corbeaux, les éloquents discours qu’on allait entendre, et faire regretter à la commission les vaillants truchements qu’elle venait de quitter au conseil des cinq nations du sud[7].
Campement de Chug-Creek (16 novembre 1867), sur la route du fort Laramie à Chayennes. — Dessin de Sabatier d’après un croquis original.
La présentation des Corbeaux à la commission, et de celle-ci aux Corbeaux, était dans les mœurs américaines, qui tiennent en cela de celles des Anglais. Aux États-Unis, avant de parler à quelqu’un, il faut lui avoir été présenté. Pendant que cette double présentation avait lieu, les Corbeaux faisaient entendre le cri sourd : A’hou ! qui sert à la fois de salut chez l’Indien des Prairies et de signe d’approbation. En même temps, le calumet circulait de bouche en bouche, tandis que les sachems, muets, immobiles, semblaient en apparence indifférents.
À la fin Dent-d’Ours se lève, tire trois bouffées du calumet, et le présentant au docteur Matthews : « Fume, et souviens-toi de moi aujourd’hui, et accorde-moi ce que je te demanderai ; » puis le passant au général Harney : « Fume, père, et aie pitié de moi ; » au président Taylor : « Père, fume, et souviens-toi de moi et de mon peuple, parce que nous sommes pauvres ; » et offrant aussi le calumet aux généraux Augur, Terry, Sanborn, au colonel Tappan : « Et toi de même, père, » dit-il à chacun d’eux, pendant que chacun des commissaires, approchant le tuyau de ses lèvres, tire une bouffée de la pipe, puis la rend à Dent-d’Ours, en inclinant la tête en manière d’assentiment, ou en poussant le cri guttural A’hou !
Cela fait, Dent-d’Ours s’assied, et dit qu’il est prêt, lui et sa nation, à entendre le discours des blancs. Un silence profond se fait, le président Taylor se lève et lit son speech, dont chaque phrase est traduite en corbeau par l’interprète Chêne. Il nous suffira de résumer ici l’ensemble de ce discours, qui, comme les communications officielles de tous les gouvernements, ne se distingue que par une grande réserve.
« Nous sommes tous frères, dit l’orateur, à ses amis, les chefs, capitaines et guerriers de la nation des
pour vous voir et apprendre de vous ce dont vous avez à vous plaindre… Les blancs ont occupé votre pays pour exploiter les mines, ouvrir des routes, créer des établissements… Le bison que vous chassez diminue avec rapidité… Nous désirons que vous nous indiquiez la partie de vos terres que vous entendez vous réserver exclusivement, et nous voulons vous acheter l’autre pour en faire usage… Sur vos réserves nous vous bâtirons une maison pour votre agent, une forge, une ferme, un moulin, une scierie, une école ; nous voulons aussi vous fournir les instruments qui vous permettront de travailler la terre et de gagner votre vie quand le bison aura disparu… Nous avons pour vous des présents en route… Maintenant, nous désirons entendre de vous tout ce que vous avez à nous dire et nous vous répondrons animés du meilleur esprit… »
La première partie de ce discours fut reçue de la part des Corbeaux avec des marques d’approbation générale, et entrecoupée de ces sons gutturaux qui sont pour les Indiens ce que sont les interjections bien ! très-bien ! bravo ! dans notre Corps législatif. La seconde partie fut écoutée au contraire avec défiance, au milieu d’un silence glacial. Quand le président eut fini, le calumet continua à passer de bouche en bouche, et les Indiens semblèrent se concerter. Un des commissaires, le général Sanborn, pour dissiper ce nuage et ramener le calme dans l’esprit des Corbeaux, pria l’interprète de leur faire entendre que ce n’était pas tout leur territoire que voulaient occuper les blancs, mais seulement la partie qui était déjà en voie de colonisation. Cela ne parut point convaincre les sachems.
Cependant Dent-d’Ours se lève : « Ce que vous m’avez dit, je l’ai parfaitement compris. Je suis venu pour vous voir, et je vais vous dire ce que je pense. » Alors, serrant la main au président Taylor : « Père, je suis venu de loin pour te voir, fais-moi justice ; » puis au général Harney : « Père, tu m’as envoyé chercher, écoute moi bien ; » puis au général Augur : « Père, je suis heureux de te rencontrer et de te serrer la main ; fais quelque chose pour moi ; » et au général Terry : « Père, je suis bien fatigué ; je suis un homme pauvre ; je suis venu de bien loin pour te voir ; » et au général Sanborn : « Père, fais quelque chose pour moi ; j’ai campé, en venant ici, dans des endroits où le bois et l’herbe manquaient, et où il faisait bien froid ; mes chevaux sont fatigués ; » enfin, s’adressant au colonel Tappan : « Père, regarde-moi, je suis pauvre, aime-moi comme je t’aime, et accorde-moi ce que je te demanderai. » Quatre fois Dent-d’Ours fait le tour de l’hémicycle occupé par la commission, en répétant les mêmes formules, qu’il varie à peine, et serrant chaque fois la main aux commissaires. On se demande quand finira cet exorde préparatoire, mais le docteur Matthews a soin d’avertir l’assemblée que c’est une coutume chez les Corbeaux de répéter jusqu’à quatre fois la cérémonie du shake-hands (serrement de mains) avec les gens qu’on veut honorer le plus. À la fin Dent-d’Ours, prenant une robe de bison des mains de sa femme qui était là, la présente au général Harney : « Père, tu as les cheveux blancs, protége-toi de cette peau, elle garantira ta vieillesse contre le froid. » Puis l’orateur se rend au centre du cercle occupé d’une part par les Indiens, de l’autre par les commissaires, et demande la permission de parler assis. L’interprète traduit phrase par phrase le discours en anglais, le voici tel qu’il a été prononcé[9].
« Père, au printemps dernier, j’étais au pied de la montagne du Moufllon[10], et l’un de vos jeunes hommes [11] me dit que vous viendriez nous visiter. Mon père blanc me demandait de faire une partie du chemin. J’hésitai, car j’étais loin, bien loin ; mais à la fin je décidai de me mettre en route. Cet automne, quand les feuilles des arbres tombaient, les Corbeaux étaient sur les bords du ruisseau de Pierre Jaune. Votre messager m’apporta dix caisses de tabac, et nous fit connaître votre désir que nous vinssions à Laramie. En réponse je dis oui, oui ! J’aurais préféré que mon père blanc vînt au fort Philip Kearney[12], et non à Laramie, et je dis que s’il avait poussé jusque-là, j’aurais répondu affirmativement à tout ce qu’il m’aurait demandé. Mais dans l’intervalle les mauvais jours sont arrivés, et j’ai dû venir à Laramie. Il faisait froid, et mes chevaux ont piteuse mine. C’est donc mon père blanc qui va répondre oui, oui, à toutes les demandes que je vais lui adresser.
« Pères, j’ai fait une longue route pour venir vous voir. Je suis parti du fort Smith[13]. Je suis très-pauvre ; j’ai faim, j’ai froid. Nous n’avons trouvé en route ni bison, ni bois, ni eau. Regardez-moi, vous tous qui m’écoutez, je suis un homme comme vous. J’ai une tête et un visage comme vous. Nous sommes tous un seul et même peuple. Je veux que mes enfants et ma nation prospèrent et vivent de longues années. »
Et alors se levant, Dent-d’Ours se dirige vers les commissaires Taylor et Harney, et leur serre convulsivement les mains : « Pères, Pères, Pères, s’écrie-t-il par trois fois, écoutez-moi bien. Rappelez vos jeunes hommes de la montagne du Moufflon. Ils ont couru par le pays, ils ont détruit le bois qui poussait, et le gazon vert, ils ont incendié nos terres. Pères, vos jeunes hommes ont dévasté la contrée, et tué mes animaux, l’élan, le daim, l’antilope et le bison. Ils ne les tuent pas pour les manger ; ils les laissent pourrir où ils tombent. Pères, si j’allais dans votre pays tuer votre bétail, que diriez-vous ? N’aurais-je pas tort, et ne me feriez-vous pas la guerre ? Eh bien, les Sioux m’ont offert des centaines de mules et des chevaux pour aller en guerre avec eux, et je n’y suis pas allé.
« Il y a de cela longtemps, vous avez fait un traité avec la nation des Corbeaux ; puis vous avez emmené un de nos chefs avec vous dans les États. Vous entendez bien ce que je veux dire, je le suppose. Ce chef n’est jamais retourné. Où est-il ? Nous ne l’avons plus revu, et nous sommes fatigués d’attendre. Donnez-nous ce qu’il a laissé. Nous, ses amis, ses parents, nous sommes venus pour connaître ses dernières volontés.
« J’ai appris que vous aviez envoyé des courriers aux Sioux comme aux Corbeaux, vous leur avez fait comme à nous des présents de tabac ; mais les Sioux m’ont dit qu’ils ne viendraient pas ; car vous les aviez trompés une fois. Les Sioux nous ont dit : « Ah ! les pères blancs vous ont appelés et vous allez les voir. Ils vous traiteront comme ils nous ont traités. Allez et voyez, et revenez nous dire ce que vous avez entendu. Les pères blancs séduiront vos oreilles par d’agréables paroles et de douces promesses qu’ils ne tiendront jamais. Allez et voyez-les, et ils se moqueront de vous. » J’ai laissé dire les Sioux et je suis venu vous visiter. Quand je retournerai, je m’attends à perdre en route la moitié de mes chevaux.
« Pères, Pères, je ne suis point honteux de parler devant vous. Le Grand-Esprit nous a faits tous, mais il a mis l’homme rouge au centre, et les blancs tout autour. Faites de moi un Indien intelligent. Ah ! mon cœur déborde, il est plein d’amertume. Tous les Corbeaux, les vieux chefs des anciens jours, nos aïeux, nos grands-pères, nos grand-mères, nous ont dit souvent : « Soyez amis des visages pâles, parce qu’ils sont puissants. » Nous, leurs enfants, nous avons obéi, et voici ce qui est arrivé.
« Il y a longtemps, il y a plus de quarante ans, les Corbeaux campaient sur le Missouri, notre chef reçut à la tête un coup de pistolet d’un chef blanc.
« Un jour, sur le ruisseau de Pierre Jaune, il y avait trois fourgons campés. Il y avait là trois hommes blancs et avec eux une femme blanche. Quatre Corbeaux vinrent à eux, et leur demandèrent un morceau de pain. Un des hommes blancs prit son fusil et tira. Cheval-Alezan, un chef, fut atteint et mourut[14]. Nous, nous oubliâmes ce méfait. Et ces choses, je vous les dis pour vous montrer que les visages pâles ont eu des torts aussi bien que les Indiens.
« Il y a quelque temps, j’allai au fort Benton[15], car nous avions nous aussi eu des torts. Mes jeunes hommes avaient tiré par erreur sur des blancs. J’en demandai pardon au chef blanc. Je lui donnai neuf mules et soixante robes de bison en expiation du mal que nous avions fait. C’est ainsi que je payai pour nos torts.
« De là, j’allai au fort Smith[16], sur le ruisseau du Moufflon, et j’y trouvai les blancs. Je me présentai pour toucher la main aux officiers, mais ils me répondirent en me mettant les poings sur la figure et en me jetant à terre. C’est ainsi que nous sommes traités par vos jeunes hommes.
« Pères, vous m’avez parlé de bêcher la terre et d’élever du bétail. Je ne veux pas qu’on me tienne de tels discours. J’ai été élevé avec le bison et je l’aime. Depuis ma naissance, j’ai appris comme vos chefs à être fort, à lever ma tente quand il en est besoin et à courir à travers la prairie selon mon bon plaisir. Ayez pitié de nous, je suis fatigué de parler.
« Et toi, Père, s’adressant au président Taylor et lui donnant ses sandales, prends ces mocassins, et tiens-toi les pieds chauds. »
Le discours de Dent-d’Ours avait été interrompu du côté des Indiens par de fréquentes marques d’assentiment, et les commissaires eux-mêmes avaient fait entendre à certains passages des accents non équivoques d’approbation. L’orateur, qu’aucun signe d’applaudissement n’avait influencé, avait continué son discours lentement, s’arrêtant à chaque phrase pour laisser l’interprète traduire, puis reprenant sans peine le fil de son discours, comme s’il l’eût prononcé tout d’une haleine. Et cependant il improvisait. La langue harmonieuse, bien qu’un peu gutturale des Corbeaux, langue musicale, semée de voyelles et d’aspirations comme l’espagnol qu’elle rappelle ainsi que le sioux, cette langue prêtait un charme de plus au discours de Dent-d’Ours. Il accompagnait ses paroles d’un geste cadencé et doux, noble et élégant, et qui avait l’avantage d’être en relation avec l’idée qu’il voulait exprimer. Les gestes composent chez les Peaux-Rouges une langue universelle, comme les signes des sourds-muets.
« J’ai compris tout ce qu’ont dit les Corbeaux, dit l’Ours-Agile à Pallardie, en sortant de la conférence, rien qu’aux gestes qu’ils faisaient[17]. »
Quand Dent-d’Ours eut fini de parler, Pied-Noir, un autre grand orateur des Corbeaux, se leva, et vint serrer la main à chacun des commissaires, remerciant ses pères blancs qui étaient venus pour voir les Peaux-Rouges, et confirmant ce qu’avait dit Dent-d’Ours, que les Corbeaux étaient pauvres et fatigués ; qu’ils avaient souffert en route du froid, de la faim, du manque d’eau ; que leurs chevaux faisaient peine à voir.
Pied-Noir suppliait chacun des commissaires individuellement de l’écouter avec patience, d’une oreille attentive, et de faire droit à ses demandes. Enfin, se dépouillant de sa robe de bison, il en entoure les épaules du président Taylor, en lui disant : « Garde cette robe, car en l’acceptant tu reconnaîtras que tu es mon frère. » Et alors, se rendant au milieu du conseil, et rejetant avec ses mains ses longs cheveux noirs qui lui tombent jusqu’au milieu du dos, il prononce un discours peut-être plus éloquent encore que celui de Dent-d’Ours. Ce que demande cette fois l’orateur, c’est surtout qu’on éloigne de l’extrême ouest les soldats et tous ceux qui cherchent de l’or, enfin que l’on abandonne la route de la rivière de la Poudre[18]. Il démontre que les blancs n’ont pas observé le dernier traité conclu avec les Corbeaux. Il signale les honteuses malversations des agents des Indiens, et demande des employés plus honnêtes.
Le troisième orateur inscrit, le Loup, un vieux Corbeau, parla sous forme d’apologue, remonta jusqu’au déluge, mais conclut comme les précédents, en demandant l’éloignement des soldats de l’Union, et en affirmant que les Corbeaux ne se ravaleraient jamais jusqu’à travailler la terre. Après quoi la séance fut levée, à une heure de l’après-midi, et remise au lendemain matin à dix heures.
Le lendemain, à l’heure dite, eut lieu la réplique du président Taylor, puis un nouveau discours de Pied-Noir et du Loup. Le président essaya de calmer les Indiens ; ceux-ci revinrent sur les questions débattues la veille. On apporta alors le traité pour le faire signer par les Corbeaux, mais ils refusèrent en prétextant que tous les chefs de leur nation n’étaient pas présents, que les Sioux non plus n’étaient pas venus. Bref, l’insuccès fut complet, alors que les résultats avaient été si décisifs avec les cinq grandes nations du Sud. Cependant on ne se sépare pas brouillés et l’on se donna rendez-vous à sept lunes, quand le gazon serait vert, ce qui, dans le calendrier des peuples civilisés, signifiait vers le 5 juin 1868.
Les Indiens des Prairies brûlant un prisonnier. — Dessin de Janet Lange d’après un document américain.
Le soir du même jour, 13 novembre, les commissaires tinrent un pow-wow avec les deux chefs des Arrapahoes du nord. L’interprète était Vendredi, un Arrapahoe qui fut trouvé tout enfant dans les prairies un vendredi, comme le fidèle serviteur de Robinson, et élevé dans les États.
Ce nouveau palabre fut des plus anodins. Cheval-Alezan, l’Arrapahoe qui prit la parole, déclara au nom de sa tribu qu’il était prêt à faire tout ce que désiraient les blancs, même à aller bêcher la terre. Les commissaires comblèrent d’amabilités des Peaux-Rouges qui se montraient si traitables.
Cette conférence fut la dernière que tint la commission avec les Indiens. Les Sioux et les Chayennes du nord n’ayant pas paru, la commission se débanda. Une partie resta quelques jours encore à Laramie pour distribuer aux Peaux-Rouges les cadeaux qui arrivaient ; l’autre, que nous suivîmes mon compagnon et moi, retourna à Chayennes, et enfin à North-Platte.
Nous fîmes cette fois en deux jours, par une autre route, le voyage de Laramie à Chayennes, campant une seule nuit dans la prairie, à Chug-Creek. Quelques pauvres mules, épuisées par tant de fatigues, tombèrent en chemin pour ne plus se relever.
À North-Platte, Pallardie eut le bonheur de retrouver sa femme et son buffet hanté par les chalands. Avec joie il se démit de ses fonctions d’interprète et de guide, et reprit sa lune de miel trop longtemps interrompue.
Cependant les barbares (comme les appelait encore
Pallardie), auxquels on avait donné rendez-vous sur la
Plate, ne se pressaient pas plus d’arriver que ceux qu’on
Indien des Prairies qui a scalpé son ennemi mort. — Dessin de Janet Lange d’après un document américain.
avait en vain attendus à Laramie. Les Sioux de la rivière
Républicaine restèrent sourds aux sollicitations
de l’Ours-Agile, envoyé vers eux en parlementaire. Il
en fut de même de la bande de la Queue-Bariolée, et
de ceux des Ogallallas que commandaient le Siffleur,
l’Homme-qui-marche-sous-terre, Grosse-Tête et
l’Homme-qui-porte-sa-robe-sur-ses-épaules. Les Brûlés
eux-mêmes, dont les chefs étaient alors l’Élan-Debout et
les Deux-Boisseaux, qui avaient rompu avec la Queue-Bariolée,
dédaignèrent de se présenter au pow-wow
de North-Platte. Tous oublièrent les promesses qu’ils
avaient faites dans le conseil tenu en septembre, et la commission de paix dut se résigner à rentrer à Washington
sans avoir rien conclu avec les tribus du nord,
après avoir si bien réussi avec toutes celles du sud.
III
LA QUESTION INDIENNE.
Le grand pow-wow du fort Laramie définit d’une façon nette et claire la situation actuelle des Peaux-Rouges vis-à-vis des blancs. Ceux-ci ont reconnu de tout temps les droits de la race indienne à la possession du sol ; mais de tout temps aussi, pour obéir à cette loi fatale qui pousse les colons vers l’ouest, ils ont dû déposséder les Indiens de ces prairies que le sauvage aime tant. Sans doute des traités ont consacré, légitimé cette dépossession, et le prix de la terre a été payé à l’Indien en cadeaux et en argent ; mais on pourrait dire de quelle façon les agents des États-Unis volent ces cadeaux au passage. Au besoin il serait facile de citer des noms et de nombrer les fortunes que certains agents, confinés dans le Far-West, ont faites en très-peu d’années. Cependant ils sont à peine rétribués, puisqu’ils reçoivent seulement mille à quinze cents piastres par an, soit de cinq à huit mille francs au plus, dans ce pays où tout fait défaut, où la vie est si chère. Au lieu de réclamer au gouvernement central une paye mieux établie, ils préfèrent voler l’État et voler en même temps l’Indien. Quand les cadeaux arrivent jusqu’au Peau-Rouge, c’est qu’ils ont été la plupart du temps choisis de telle sorte qu’ils sont à peu près sans emploi, ou composés de marchandises tout à fait avariées. Le Peau-Rouge a-t-il raison de se plaindre et souvent de se venger de pareilles indignités ?
Mais ce n’est là qu’une première cause de lutte sourde entre le sauvage indigène et le blanc immigrant. On dit au Peau-Rouge : « La colonisation nous pousse vers l’Extrême Ouest, où nous nous avançons chaque jour davantage ; il nous faut une partie de vos terres et vous resterez dans l’autre, dont les limites seront rigoureusement tracées. Là vous pourrez cultiver le sol. » À quoi le Peau-Rouge, on l’a vu, répond avec colère que les Prairies sont à lui, qu’il est né pour chasser le buffle et que le travail de la terre qu’on lui conseille n’est point son fait. C’est une tradition qui a cours parmi les Indiens que leur race disparaîtra quand il n’y aura plus de buffle. Aussi quand on veut les confiner dans des réserves en les menaçant de les y contraindre par force, quelques-uns répondent-ils : « Nous aimons mieux mourir d’une balle que de mourir de faim. » Toutefois, on aurait tort de croire que tous les Indiens sont aussi rebelles au confinement. On a vu que l’Ours-Agile allait cet hiver mener la charrue avec ses hommes. Cheval-Alezan, l’Arrapahoe, demandait aux commissaires de l’Union, dans son dernier discours, de lui bâtir une ferme près de la Plate. On sait aussi que les cinq grandes nations du Sud ont accepté les réserves qu’on leur a récemment indiquées ; mais en retour on se rappelle avec quel dédain les Corbeaux ont répondu à la proposition des commissaires de se confiner dans une partie de leur territoire et d’y cultiver le sol. La plupart des bandes dans lesquelles se subdivise la grande nation des Sioux partagent l’horreur des Corbeaux pour les travaux paisibles de l’agriculture. Les jeunes Peaux-Rouges, les guerriers adolescents, se font surtout remarquer par cette opposition aux vues des blancs : « Nous voulons bien, disent les vieux chefs, les anciens des tribus, dans les conseils tenus avec les commissaires de l’Union, nous voulons bien aller dans des réserves et vivre en paix avec vous, mais nous ne pouvons répondre de nos jeunes hommes. »
C’est une singulière race que celle des Peaux-Rouges à laquelle la nature a si généreusement départi le plus beau sol qui existe au monde, sol de riches alluvions, épais et plat, bien arrosé ; et cependant cette race n’est pas encore sortie de l’étape primitive qu’a dû partout parcourir l’humanité au début de son évolution, celle de peuple chasseur, nomade, celle de l’âge de pierre ! Les Indiens, si les blancs ne leur avaient pas apporté le fer, auraient encore des armes de silex, comme l’homme antédiluvien, qui s’abritait dans des cavernes, et fut en Europe contemporain du mammouth. Les Indiens fuient le travail, hors la chasse et la guerre ; chez eux la femme fait toute la besogne. Quel contraste avec la race qui les entoure, si travailleuse, si occupée, et où l’on a pour la femme un si profond respect ! Cette race les enserre, les enveloppe entièrement aujourd’hui, et c’en est fait des Peaux-Rouges s’ils ne consentent à rentrer dans les réserves.
Et encore, dans ces réserves, l’industrie et les arts naîtront-ils ? On sait combien la race rouge est mal douée pour la musique et pour le chant. Chez elle les beaux-arts sont restés dans l’enfance. L’écriture, si ce n’est une grossière représentation pictographique, est {{{2}}} inconnue. On sait à peine, avec des perles, tracer quelques dessins sur des peaux. Sans doute ces dessins sont souvent heureusement groupés et les couleurs s’y lient dans une certaine harmonie, mais c’est tout. L’industrie, à part une grossière préparation des viandes et le tannage des peaux et des fourrures, est également tout à fait nulle. L’Indien est moins avancé que le nègre africain, qui sait au moins tisser et teindre les étoffes. Les Navajoes sont les seuls Peaux-Rouges qui fabriquent quelques couvertures avec la laine.
On peut estimer à cent mille environ les Indiens libres des Prairies disséminés entre le Missouri et les montagnes Rocheuses. Le nombre de tous les Indiens de l’Amérique du Nord, de l’Atlantique au Pacifique, est estimé à quatre cent mille. Peut-être ces nombres sont-ils un peu plus faibles ; les statistiques, les recensements exacts manquent complétement. Les Indiens eux-mêmes ne donnent jamais que leur nombre de tentes ou loges, mais une loge contient un nombre d’individus différent, suivant les tribus et parfois dans la même tribu : de là l’impossibilité de calculs mathématiquement exacts.
Dans le nord des Prairies se fait surtout remarquer la grande famille des Sioux, qui sont au nombre de trente-cinq mille. Les Corbeaux, les Gros-Ventres, les Pieds-Noirs, etc., qui occupent les territoires d’Idaho et de Montana, offrent ensemble un chiffre de population inférieur à celui des Sioux, peut-être vingt mille. Dans le centre et le sud, les Paunies, les Arrapahoes, les Chayennes, les Yutes, les Kayoways, les Comanches, les Apaches, etc., dépassent certainement tous ensemble le chiffre de quarante mille. Les territoires de Nebraska, Kansas, Colorado, Texas, Nouveau-Mexique sont ceux que ces bandes parcourent. Les Paunies sont cantonnés dans le Nebraska, au voisinage du chemin de fer du Pacifique, et les Yutes dans les parcs du Colorado.
Toutes ces races ont entre elles des caractères communs ; elles sont nomades, c’est-à-dire qu’elles n’occupent aucune place fixe, vivent de pêche, surtout de chasse, et suivent le bison dans toutes ses migrations.
Un régime absolument démocratique et une sorte de communauté règlent toutes les relations des membres d’une même tribu vis-à-vis les uns des autres. Les chefs sont nommés à l’élection et pour un temps ; ils sont cependant quelquefois héréditaires. Le plus courageux, celui qui a pris le plus de scalps à la guerre ou qui a tué le plus de bisons, celui qui a fait quelque action d’éclat, celui qui parle avec une grande éloquence, tous ceux-là ont des droits pour être nommés chefs. Tant qu’un chef se conduit bien, il reste en place ; pour peu qu’il démérite, un autre chef est nommé. Les chefs mènent les bandes à la guerre et sont consultés dans les occasions difficiles ; les vieillards le sont également. Les lieutenants des chefs sont les braves, et commandent en second à la guerre. Il n’y a aucun juge dans les tribus, et chacun se fait justice à soi-même et applique la loi à sa guise.
Toutes ces tribus chassent et font la guerre de même façon, à cheval, avec la lance, l’arc et les flèches, à défaut de revolvers et de carabines. Pour se défendre des coups de l’ennemi, elles ont le bouclier. Elles vivent uniquement de bison et se recouvrent de sa peau. Elles scalpent leur ennemi mort et se parent de sa chevelure[19]. Elles pillent et dévastent ses propriétés, elles emmènent captifs les femmes et les enfants, et souvent elles soumettent à d’affreuses tortures, avant de le faire mourir, le vaincu, surtout le blanc, qui tombe vivant entre leurs mains.
Les squaws, auxquelles on abandonne le prisonnier, se montrent vis-à-vis de lui d’une cruauté révoltante, arrachant les yeux, la langue, les ongles au patient, lui brûlant, lui coupant un jour une main, l’autre jour un pied. Quand on a bien tourmenté le captif, on allume un feu de charbon sur son ventre et l’on danse en rond en hurlant. Presque tous les Peaux-Rouges commettent froidement ces atrocités envers les blancs dès qu’ils sont en lutte avec eux.
Les tribus se font souvent la guerre entre elles sous le moindre prétexte : pour un troupeau de bisons qu’elles poursuivent, pour une prairie où elles veulent camper seules. Elles n’ont aucune place réservée, c’est vrai, mais quelquefois elles veulent en garder une à l’exclusion de tout autre occupant. Enfin il n’est pas rare que la même tribu se débande en deux clans ennemis. Il y a quelques années les Ogallallas, pris de whisky, se sont battus entre eux à coups de fusil, et depuis lors se sont séparés en deux bandes, dont celle des Vilaines-Faces est commandée par la Nuée-Rouge, et l’autre par Grosse-Bouche et Tueur-de-Paunies.
Les langues de toutes les tribus sont différentes ; mais peut-être qu’un linguiste y reconnaîtrait des racines communes, comme on en a trouvé de nos jours entre les langues européennes et celles de l’Inde. Ces langues obéissent toutes au même mécanisme grammatical : elles sont agglutinatives ou polysynthétiques, et non analytiques ou à flexion, c’est-à-dire que les mots peuvent se combiner entre eux pour former un seul mot exprimant une idée complète ; mais la relation, le genre, le nombre, etc., ne sont pas indiqués par des modifications sur le substantif. Je passe sur les autres caractères qui distinguent les langues d’agglutination des langues à flexion. Les langues des Peaux-Rouges n’ont ou paraissent n’avoir aucune affinité dans les différents termes de leur vocabulaire ; celui-ci, du reste, est souvent très-restreint.
Pour se comprendre entre elles, les tribus ont adopté, d’un commun accord, le langage par signes et par gestes dont il a été déjà parlé et qui se rapproche beaucoup de celui des sourds-muets. Par ce moyen, tous les Indiens s’entendent, et un Yute, par exemple, peut causer sans peine pendant plusieurs heures avec un Arrapahoe, celui-ci avec un Sioux.
Les blancs ne connaissent pas ou connaissent très-mal les langues des Indiens des Prairies. Il n’y a souvent pour la même langue qu’un seul interprète, parfois assez mauvais, et comprenant seulement l’idiome qu’il traduit, ne le parlant pas. Beaucoup, à plus forte raison, ne savent pas écrire la langue qu’ils interprètent. Ni le docteur Mathews, ni John Richard ou Pierre Chêne, n’ont pu m’écrire en caractère anglais les noms des chefs des Corbeaux. Que serait-ce s’il se fût agi d’Arrapahoes ou d’Apaches, dont la langue, déjà si gutturale, ne s’accentue que du bout des lèvres ?
En tout cela, bien entendu, je ne parle que des tribus des Prairies, et non de celles qui vivaient jadis sur les versants des montagnes qui regardent l’Atlantique, ou le long du Mississipi. On sait que la plupart de ces dernières sont éteintes, les Algonquins, les Hurons, les Iroquois, les Natchez, les Mohicans, et que la France, il faut bien le reconnaître, a contribué pour une large part à cette disparition.
Jim Beckwith, mulâtre américain, d’abord prisonnier, puis chef d’une bande de Sioux, mort au fort Laramie en 1867. — Dessin de Janet Lange d’après une photographie.
Le restant de ces tribus que j’appellerai Atlantiques, les Delawares, les Cherokees, les Séminoles, les Osages, les Creeks, est aujourd’hui cantonné dans des réserves, notamment dans l’Indian Territory, où les Peaux-Rouges perdent peu à peu leurs caractères distinctifs. Sur toutes ces tribus on a des histoires, des documents authentiques, tandis que l’on ne sait encore que fort peu de chose sur celles des Prairies. La plupart des légendes et des traditions qu’on leur prête ont été inventées par les voyageurs.
C’est vers un nouveau territoire, analogue au précédent et limitrophe de celui-ci, que les commissaires de l’Union ont récemment refoulé les cinq grandes nations du sud. C’est le même genre de réserve qu’elles indiqueront dans le nord du Dakota aux Corbeaux et aux Sioux, si elles les trouvent bien disposés, comme il est probable, au mois de juin 1868.
Et après, va-t-on dire, qu’arrivera-t-il des Indiens ? Car c’est la question que chacun adresse quand il entend parler des Peaux-Rouges. Si les Indiens des Prairies vont dans les réserves, il leur arrivera ce qui est arrivé à ceux des bords atlantiques, ils perdront peu à peu leurs coutumes, leurs mœurs sauvages, ils se plieront insensiblement à la vie sédentaire et agricole, et peu à peu, dernière phase dont il reste à voir le premier exemple, leur pays passera du rang de territoire à celui d’État. Arrivé à ce dernier degré, l’Indien sera tout à fait fondu avec le blanc ; il ne s’en distinguera pas plus peut-être, après quelques générations, que le Franc chez nous ne se distingue du Gaulois, et le Normand du Saxon, en Angleterre.
Mais si l’Indien ne se soumet pas, s’il ne consent pas à être cantonné dans des réserves ? Alors c’est une guerre à mort, entre deux races de couleur et de mœurs différentes, une guerre impitoyable comme on en a vu malheureusement tant d’exemples sur le sol même de l’Amérique. Où sont maintenant les Hurons, les Iroquois, les Natchez qui ont étonné nos pères ? Les Algonquins, qui ne connaissaient pas les limites de leur territoire, où et combien sont-ils aujourd’hui ? Tous ont peu à peu disparu par les maladies, par la guerre.
La guerre qui se livrera cette fois sera courte, et ce sera la dernière, car l’Indien y succombera fatalement. Il n’a pour lui ni la science ni le nombre. Sans doute, par ses embûches, par sa fuite, par ses attaques isolées et tout à fait imprévues, il déroute la guerre savante, et les plus habiles stratégistes des États-Unis, le général Sherman en tête, ont été battus par les Indiens ; ceux-ci s’en sont fait assez de gloire auprès des blancs. Mais cette fois ce sera une guerre de volontaires et non plus de réguliers. Les pionniers des territoires s’armeront, et si l’Indien demande dent pour dent, œil pour œil, les blancs lui imposeront l’inflexible peine du talion, et l’Indien disparaîtra pour toujours.
- ↑ Suite et fin. — Voy. pages 225, 241 et 257.
- ↑ Le père Richard n’est pas le seul civilisé qui soit venu se perdre au milieu des Sioux. Jim Beckwith, un mulâtre, dont on peut voir le portrait page 288, a aussi vécu longtemps parmi eux après avoir d’abord été leur prisonnier. Homme d’énergie et de décision, il a pris bientôt une grande influence sur cette tribu. Il est mort à Laramie en 1867. Son fils vit encore parmi les Sioux.
- ↑ Médecine est le mot employé par les blancs pour désigner chez les Indiens tout ce qui touche au mystérieux, au surnaturel. Il y a dans chaque village une hutte ou loge à médecine où les sorciers et les devins des tribus (les médecins, comme les appelaient les anciens trappeurs canadiens) et tous les initiés se livrent, dans les moindres occasions, à leurs enchantements, à leurs évocations. Ils s’y préparent par de longs jeûnes en composant toutes sortes de mixtures pour se rendre favorable le Manitou ou Grand Esprit, l’Homme de Médecine par excellence. La Médecine semble en ce cas être pour les Indiens ce que la franc-maçonnerie est pour les blancs, une association fraternelle et secrète. Les initiés seuls peuvent entrer dans la hutte à médecine. Le mot de médecine, étant adopté par les blancs comme la traduction du mot mystérieux dans les langues des Peaux-Rouges, se retrouve dans une foule d’expressions. Ainsi le bateau à vapeur est le canot de médecine ; l’eau-de-vie, l’eau de médecine ; le fusil, l’arme de médecine, etc., etc. Le mot des premiers trappeurs canadiens est resté.
- ↑ Les lieutenants des chefs.
- ↑ On sait qu’Arrapahoes, en indien, signifie les tatoués.
- ↑ Mot indien qui signifie palabre, conseil.
- ↑ Ce conseil, tenu dans le Kansas, au mois d’octobre 1867, sur le ruisseau de la Hutte à médecine (Medicine lodge creek), tributaire de l’Arkansas, s’est terminé par un solennel traité de paix signé par les Comanches, les Apaches, les Kayoways, les Chayennes et les Arrapahoes. Tous ont consenti à se rendre dans les cantonnements ou réserves que leur ont indiqués les commissaires, sur les bords de la rivière Rouge, au sud du Territoire Indien, où sont déjà cantonnés depuis longues années les Cherokees, les Creeks, les Osages et autres tribus des États atlantiques.
- ↑ C’est ainsi que les Indiens appellent le président des États-Unis.
- ↑ J’ai écrit moi-même et pour ainsi dire sténographié en anglais, sous la dictée de l’interprète, le discours de Dent-d’ours. Je me suis attaché dans ma traduction à rendre fidèlement les paroles, en sacrifiant au besoin l’élégance à l’exactitude. On va donc lire le discours tel qu’il a été prononcé et non un speech imaginaire comme Cooper et Irving en ont mis dans leurs romans.
- ↑ Appelée par les Américains Big-Horn, mot à mot Grosse-Corne, qui est le nom que les trappeurs canadiens donnent au moufflon.
- ↑ C’est ainsi que les Indiens nomment les soldats.
- ↑ Situé à trois cent cinquante milles au nord-ouest de Laramie, au pied du Big-Horn, au cœur du pays des Corbeaux.
- ↑ Quatre cent cinquante milles au nord-ouest du fort Laramie.
- ↑ Le fait rappelé par Dent-d’ours eut lieu en 1854.
- ↑ Sur le haut Missouri, environ à cinq cents milles nord-ouest du fort Philip Kearney.
- ↑ Cent milles au nord-ouest du fort Philip Kearney.
- ↑ Les Indiens ont aussi une langue télégraphique qu’ils pratiquent au moyen de feux allumés sur les montagnes, et qui rappelle celle de nos anciens Gaulois.
- ↑ C’est sur cette route, qui coupe sur une direction nord-ouest les deux territoires de Dakota et de Montana, entre la Plate du sud et le haut Missouri, que sont établis les forts Sedgwick, Laramie, Casper, Reno, Philip Karney, C. Smith et Benton, étagés sur une longueur de mille milles. Non-seulement les soldats gênent et vexent les Indiens dans les environs des forts, mais encore le mouvement continuel qui a lieu sur la route éloigne le buflle, en troublant la solitude des prairies.
- ↑ L’Indien scalpe l’ennemi qu’il tue, en lui enlevant la partie supérieure de la chevelure, celle qui forme la tonsure des moines catholiques. Quelques tribus prennent même tout le scalp, toute la chevelure. Pour scalper, l’Indien, armé de son couteau, fait une incision en rond autour du crâne et, prenant la chevelure par le sommet, l’arrache vivement ; elle vient avec la peau, sur toute la surface découpée. « Ça vient tout seul, » me disait un jour un vieux trappeur, qui avait pris fait et cause pour les Indiens dans leurs guerres intestines, et avait lui-même scalpé. — Le but des Indiens, en scalpant leur ennemi, est de garder le témoignage vivant de leur victoire, de leur bravoure. En outre, il paraît que l’Indien scalpé n’a pas le droit d’entrer dans les prairies heureuses, les Champs Élysées des Peaux-Rouges. Le gardien de l’endroit en ferme brutalement la porte à ceux qui n’ont pas tous leurs cheveux.