Le Féminisme aux États-Unis, en France, dans la Grande-Bretagne, en Suède et en Russie/Conclusions

CONCLUSIONS


N’ayant pu étudier, dans cette brochure, le mouvement féministe dans tous les pays, nous ne pouvons présenter au lecteur des conclusions sur les causes, le développement, l’importance et l’avenir du féminisme en général. Nous devons nous borner à dégager des chapitres précédents quelques points de vue et à résumer dans quelques phrases concises nos développements antérieurs.

Voici ce qui nous paraît devoir en résulter :

1o Le féminisme est un mouvement international qui, dans les cinq pays où nous l’avons étudié, est né des mêmes causes intellectuelles, morales et économiques.

2o Dans trois de ces pays (France, Grande-Bretagne et Suède) le nombre des femmes est supérieur à celui des hommes. Quiconque, dans ces pays, répond aux revendications des féministes par la phrase du foyer, oublie que, pour beaucoup de femmes, le travail professionnel au dehors est le seul moyen de se créer un foyer.

3o Aux États-Unis, en France et dans la Grande-Bretagne, les débuts du féminisme coïncident avec des époques de réformes politiques. Dans tous les cinq pays, les premières féministes, partant de considérations abstraites de justice, ont demandé soit le droit au savoir, soit l’égalité civile et politique avec l’homme, soit les deux à la fois.

4o Dans certains cas, les hommes, ayant une conception erronée de leurs propres intérêts, ont refusé d’accueillir les demandes des femmes.

5o En revanche, un grand nombre d’hommes, et des meilleurs, ont envisagé le féminisme comme un mouvement devant contribuer, dans une très large mesure, au progrès de la civilisation et au bonheur de l’humanité. Ces hommes ont prêté aux féministes un concours tout à fait désintéressé. C’est en Russie surtout que la lutte en commun pour l’émancipation intellectuelle et politique a fait naître entre les deux sexes un si curieux et si remarquable esprit de camaraderie et de solidarité.

6o Dans les cinq pays qui ont été l’objet de notre étude, le féminisme a passé, des considérations théoriques, dans le domaine de l’enseignement, dans le domaine économique et dans le domaine du droit civil et politique.

7o Quant à l’enseignement des femmes, la France et la Suède sont les pays les plus avancés. Toutes les facultés (celle de théologie exceptée) de toutes les Universités françaises et suédoises, admettent les femmes au même titre que les hommes. Aucun établissement d’enseignement supérieur, dans ces pays, n’est fermé à la femme (comme cela arrive en Amérique). On ne refuse pas non plus (comme en Angleterre) de lui décerner des titres universitaires. La coéducation dans l’enseignement secondaire et supérieur est particulièrement répandue aux États-Unis et en Suède.

8o C’est également aux États-Unis et en Suède que les carrières libérales sont le plus largement ouvertes aux femmes. On trouve, aux États-Unis, la femme professeur d’enseignement primaire, secondaire et supérieur, la femme-médecin, la femme-avocat et la femme-pasteur. Sauf pour la femme pasteur, la Suède a imité l’exemple des États-Unis.

9o Au point de vue économique, nous constatons que, dans les cinq pays dont nous avons étudié le féminisme, la femme, même à travail égal, est toujours moins payée que l’homme. L’action syndicale des femmes, qui seule pourrait déterminer un changement à cet égard, est encore, dans la plupart de ces pays, à ses débuts. C’est en Angleterre qu’elle est le plus développée et parmi les femmes de la bourgeoisie et parmi les ouvrières.

10o À l’exception de la France, il n’y a pas, dans les pays en question, un féminisme socialiste proprement dit. Partout, cependant, les féministes considèrent leur mouvement comme une partie de la question sociale.

11o Au point de vue des droits civils, c’est dans un certain nombre des États de l’Union américaine, en Angleterre et en Russie, que la situation de la femme est la plus favorable ; dans ces pays, la séparation de biens est le régime légal : la femme y dispose librement de sa fortune personnelle qu’elle administre elle-même, de son salaire et de son épargne.

12o Dans quatre des États de l’Union américaine, les femmes exercent le suffrage politique (suffrage universel). Dans cinq de ces États, en Angleterre et en Écosse, en Suède et en Russie, les femmes contribuables exercent le suffrage communal.

Dans presque tous les États de l’Union, en Angleterre, en Écosse et en Suède, les femmes font partie des commissions scolaires.

Dans plusieurs des États de l’Union, en Angleterre, en Écosse, en Suède et à Paris, elles font partie des commissions administratives de l’Assistance publique.

13o C’est aux États-Unis, en Angleterre et en Écosse que le féminisme est le mieux organisé. C’est là qu’on trouve les associations féministes les plus vastes et les plus puissantes.

14o On a pu constater, au cours de cette étude, qu’il existe des différences sensibles entre la situation des femmes dans les divers pays dont nous avons parlé. On aurait tort d’en conclure que ces différences dans la situation civile, politique et sociale des femmes sont justifiées par l’existence de différences ethniques correspondantes. S’il en était ainsi, il faudrait, pour prendre l’exemple le plus proche, admettre que les femmes françaises sont moins douées, moins capables, moins dignes de liberté que les femmes des États-Unis, de la Grande-Bretagne et de la Suède.

Or, l’histoire tout entière de la civilisation française proteste contre cette assertion.

Aussi, quand la législation d’un pays maintient les femmes dans un état d’infériorité, ce fait ne doit jamais nous induire à préjuger quoi que ce soit sur le compte des femmes. Il indique seulement que l’idée de justice sociale n’a pas encore, dans ce pays, fait des progrès suffisants.