CHAPITRE XIII.


Continuation du même ſujet, avec un coup d'œil
ſur l'Économie.



Après nous être occupés des revenus, il ne ſera pas déplacé de parler de l'économie, ſujet qui ſe lie naturellement au premier. L'argent épargné ſur un objet peut être utilement employé à un autre uſage, & déduit ſur les impôts auxquels le Peuple eſt aſſujetti.

Si les Etats ſont unis ſous un ſeul Gouvernement, nous n'aurons qu'une ſeule liſte civile nationale : nous en aurons autant que de Confédérations, s'ils ſont déſunis ; & chacune d'entr'elles, quant aux principaux départemens, ſera auſſi étendue que celle qui ſeroit néceſſaire pour le gouvernement du tout. L'entiere ſéparation des Etats en treize Souverainetés iſolées, eſt un projet trop extravagant ; il expoſeroit à trop de dangers pour avoir des partiſans nombreux. Les idées des hommes qui ſpéculent ſur le démembrement de l'Empire, ſont généralement fixées à trois Confédérations ; la première formée des quatre Etats du Nord ; la ſeconde des quatres Etats du milieu ; la troiſieme des cinq Etats méridionaux. Il eſt hors de vraiſemblance qu'on puiſſe en former un plus grand nombre. D'après cette diſtribution, chaque Confédération occuperoit un eſpace plus étendu que l'Angleterre.

Aucun homme éclairé ne penſera que les affaires d'une ſemblable Confédération puiſſent être bien adminiſtrées par un Gouvernement moins complet dans ſes établiſſemens & dans ſon organiſation, que celui qui eſt propoſé par la convention. Quand les dimenſions d'un Etat ont atteint une certaine étendue, il a beſoin de la même énergie dans ſon Gouvernement, & des mêmes formes d'adminiſtration qu'un Etat beaucoup plus vaſte. Cette idée n'eſt pas ſuſceptible d'une démonſtration préciſe, parce qu'il n'eſt point de regle avec laquelle on puiſſe meſurer le degré de pouvoir civil, néceſſaire au gouvernement d'un nombre donné d'individus ; mais ſi nous conſidérons que l'Iſle de la Grande-Bretagne, égale en grandeur à chacune des Confédérations propoſées, contient environ huit millions d'hommes, & ſi nous réfléchiſſons ſur le degré d'autorité néceſſaire pour diriger les paſſions d'une ſocieté ſi étendue, vers le bien public, nous ne verrons pas de raiſon pour douter qu'un pouvoir égal produisît le même effet ſur une ſociété infiniment plus nombreuſe. Le pouvoir civil, quand il eſt bien organiſé, peut étendre la force à de très-grandes diſtances ; il ſe reproduit, pour ainſi dire, dans chaque partie d'un grand Empire, par une organiſation judicieuſe des inſtitutions qui lui ſont ſubordonnées. On peut donc raiſonnablement ſuppoſer que chacune des Confédérations partielles formées entre les Etats-Unis, auroit beſoin d'un Gouvernement auſſi complet que celui qu'on nous propoſe, & cette idée eſt fortifiée par une autre ſuppoſition plus vraiſemblable que celle, qui nous préſentetrois Confédérations, ou une Confédération générale, comme une alternative néceſſaire.

Si nous conſidérons attentivement la poſition géographique, les intérêts de commerce, les habitudes & les préjugés des différens Etats, nous ſerons bien plus diſpoſés à croire, qu'après leur déſunion ils ſe rallieront ſous deux Gouvernemens. Les quatre Etats de l'Eſt s'uniront : nous en ſommes aſſurés par toutes les cauſes qui forment entre les Nations les liens d'un ſympathie & d'un attachement mutuels. New-Yorck, ſitué comme il l'eſt, n'aura pas l'imprudence d'oppoſer une exiſtence foible & ſans défenſe au poids de cette redoutable confédération. Pluſieurs raiſons l'y feront accéder avec facilité. New-Jerſey eſt un trop petit Etat pour penſer à maintenir ſon indépendance en oppoſition au pouvoir toujours croiſſant de cette nouvelle aſſociation, & nul obſtacle ne l'empêchera d'y être admis. La Penſylvanie auroit auſſi de puiſſans motifs pour s'unir à la ligue du Nord. Son but doit être de faire avec les Etrangers un commerce actif ſur ſes propres vaiſſeaux, & ſes intérêts à cet égard ſont conformes à l'opinion & aux diſpoſitions de ſes habitans. Les Etats du Midi, d'après différentes circonſtances, ne ſe croiront pas auſſi intéreſſés à l'encouragement de la navigation. Ils préféreront un ſyſtême qui donne à toutes les Nations une liberté illimitée de tranſporter auſſi bien que d'acheter leurs productions. La Penſylvanie n'ira pas confondre, par une alliance biſarre, ſes intérêts avec des intérêts contraires. Comme dans tous les cas elle ſera néceſſairement frontiere, elle croira contribuer à ſa sûreté, en n'ayant à craindre que les tentatives de la Confédération du Sud, inférieure en puiſſance à celle du Nord. Mais quelle que puiſſe être la réſolution de la Penſylvanie, ſi la Confédération du Nord renferme New-Jerſey, il n'y a pas d'apparence qu'il puiſſe ſe former plus d'une confédération dans le Sud de notre pays.

Les Treize-Etats réunis ſeront plus capables de maintenir un Gouvernement National, que s'ils ſont diviſés en deux ou en trois parties, rien n'eſt plus évident. Cette réflexion réfute l'objection faite contre le plan propoſé, relativement à la dépenſe ; objection qui, examinée de près, nous paroîtra ſous tous les rapports poſer ſur un faux principe. Si indépendamment des liſtes civiles, nous faiſons attention au nombre d'hommes néceſſairement employés à garder les communications par terre entre les différentes confédérations contre les tentatives d'un commerce illicite, & que l'état des Finances rendra un jour néceſſaires, ſi nous ſongeons aux établiſſemens militaires, qui, comme nous l'avons prouvé, réſulteroient des jalouſies & des diſſentions inévitables entre les Nations différentes que formeroient les Etats, nous ſeront convaincus que la ſéparation ne ſeroit pas moins contraire à l'économie qu'à la tranquillité, au commerce, à la perception des impôts & à la liberté, dans toutes les parties de ce pays.