Le Duc de Bourgogne en Flandre/01
« Me voicy arrivé à ces années funestes dont les malheurs sont si connus, mais dont les sources sont si ténébreuses, et dont les ténèbres, quoyque trop bien éclairées, sont si affreuses qu’elles ne se peuvent encore, après tant d’années, développer qu’en énigme et en gros. Elles percent le cœur ; elles font dresser les cheveux à la teste ; elles ont creusé des précipices qui ont pensé engloutir la France qui, malgré des miracles de la pure Providence, gémit encore et gémira longtemps sous le poids accablant des suites qui en ont résulté. Le fond de cet abisme d’horreur n’est pas inconnu, tant s’en faut, mais semblable à l’enfer dont il est sorti, quelle est la plume qui oseroit le rendre ? Tremblons mesme d’en approcher[1]. » C’est sur ce ton tragique que, dans son Parallèle des trois premiers rois Bourbons, Saint-Simon aborde le récit des événemens qui marquèrent l’année 1708, puis tout à coup, après avoir parlé des « si hardis filets où le Roi avoit été pris, » il s’arrête et dit : « j’invoque le silence » et brusquement, il passe au récit des malheurs qui attristèrent la fin du règne.
L’historien fidèle du Duc et de la Duchesse de Bourgogne ne saurait suivre cet exemple. Force lui est d’entamer ce récit devant lequel recule Saint-Simon. Une étude attentive des faits montrera, nous le croyons, que notre atrabilaire auteur en a quelque peu grossi l’horreur, que l’enfer ne fut pour rien dans les malheurs du Duc de Bourgogne, mais plutôt ses propres fautes, à la vérité habilement exploitées par des ennemis secrets. Cette étude montrera également que, si la campagne de 1708 fait peu d’honneur à son génie militaire, en revanche elle fait moins tort à son caractère, et qu’il sut, au milieu des revers, déployer une certaine grandeur morale. Enfin, s’il nous faut abaisser le mari, nous aurons la consolation de relever la femme. Nous la verrons, abjurant sa frivolité, faire vaillamment tête à l’orage, et se comporter en épouse non seulement fidèle, mais fière et habile. En montrant ce que pouvait et promettait leur union, nous préparerons et augmenterons peut-être les regrets que laissera le récit de leur fin prématurée.
Pendant cinq années, de 1703 à 1708, le Duc de Bourgogne fut tenu à l’écart des armées. Pourquoi ? Cela est assez difficile à dire. Louis XIV ne pouvait éprouver, vis-à-vis d’un petit-fils dont il connaissait la docilité, le sentiment de méfiance dont l’accuse Saint-Simon, et qui lui avait fait, par exemple, après des débuts militaires brillans, laisser dans l’inaction le prince de Conti, le neveu du grand Condé. Peut-être lui en voulait-il en secret de son retour un peu précipité après la prise de Brisach[2]. Peut-être aussi avait-il, non sans sagacité, discerné chez son héritier présomptif plus d’application au métier que de génie militaire, et ne voulait-il pas compromettre la bonne renommée que lui avaient value ses deux campagnes en Hollande et en Alsace. À ce point de vue, il lui aurait rendu service, car la présence du Duc de Bourgogne n’aurait probablement empêché ni Hochstædt, ni Ramillies. Dans les premiers temps, cette inactivité semble avoir été supportée par lui avec peine. « Vous sçavez apparemment assez régulièrement les nouvelles des armées, écrivait-il le 9 juin 1704 à son frère Philippe V. Tout paroit dans une bonne disposition ; il n’y a que moi qui voudrois que cette situation fût telle que j’y pusse servir, et qui épie les occasions favorables, » et, dans une lettre de l’année suivante (6 février 1705) : « Ce qui me fait beaucoup de peine, c’est que je ne vois pas les occasions favorables pour y prendre moi-même (à la guerre) une part de plus près que celle qu’on y prend d’icy, mais il faut agir avec prudence et vivre d’espérance, me reposant sur la sagesse du Roy et le désir qu’il a de me faire instruire et de contribuer à m’acquérir quelque réputation, ce qui ne se peut faire que par les faits[3]. » Puis, avec cette soumission à la volonté du Roi, interprète à ses yeux de la volonté de Dieu, qui était chez lui une des formes de la piété, il parait avoir renoncé même à cette espérance, et ses lettres à Philippe V ne sont plus remplies que de nouvelles de guerre ou de chasse, sans aucun retour sur lui-même. Ces années des grands revers de la France sont celles où il se confine de plus en plus dans la dévotion, s’abstenant de tous plaisirs, s’enfermant dans son cabinet, ou montrant à la Cour un front sévère. Ce sont, au contraire, pour la Duchesse de Bourgogne, celles des intrigues, puis de la rupture avec Nangis et Maulevrier, des imprudences avec Polignac, celles aussi où elle se livre avec d’autant moins de retenue à son goût pour le plaisir qu’elle sait par là ne point déplaire au Roi, qui croirait s’avouer vaincu s’il mettait un terme aux amusemens de la Cour.
Monseigneur, en beau-père complaisant, s’associe aux divertissemens de sa belle-fille. Après un souper à Meudon, il la mène à l’Opéra, tandis que le Duc de Bourgogne, par scrupule, rentre se coucher à Versailles. Souvent aussi Dangeau nous dit que la Duchesse de Bourgogne, ayant veillé tard, a passé la journée au lit, et ne s’est levée qu’à six heures. Pendant ces longues heures de solitude, le Duc de Bourgogne, enfermé dans son cabinet, ne se mêlant point au mouvement de la Cour, étudie la physique ou l’astronomie, au grand désespoir de Saint-Simon. Entre les deux époux le contraste apparaît de plus en plus grand, mais la Cour ne se partage guère, et, sauf le petit troupeau d’amis demeurés fidèles à Fénelon, tous les familiers de Versailles préfèrent la princesse coquette, légère, mais avenante, au prince austère et renfrogné.
La Cour cependant s’attriste sous les coups répétés du malheur. En 1704, la défaite de Hochstædt n’avait pas interrompu les fêtes données en l’honneur de la naissance du premier enfant de la Duchesse de Bourgogne. Il n’en fut pas de même (le premier Duc de Bretagne étant mort en bas âge) à la naissance du second, qui vint au monde le 8 janvier 1707. Le Roi défendit à Paris et à Versailles « toutes les dépenses extraordinaires qu’on avait faites en réjouissance du premier Duc de Bretagne et qui avoient été excessives. » « Il veut, ajoute Dangeau, que la joie des peuples ne se traduise que par leurs prières[4]. » Depuis quelque temps déjà, Louis XIV se préoccupait d’économies, et il avait enjoint au duc de La Rochefoucauld, grand maître de la garde-robe et grand écuyer, de rechercher tous les retranchemens qu’on pourrait opérer dans sa garde-robe et dans sa petite écurie. Il avait donné les mêmes instructions à Mansart pour les bâtimens[5]. Déjà, depuis quelques années, il avait diminué les étrennes en louis d’or qu’il distribuait chaque premier janvier autour de lui. Cette même année, il en retrancha encore dix mille, et la « cascade, » comme dit Saint-Simon, en tomba jusque sur Mme de Montespan, qui vit réduire sa pension de douze mille louis d’or à huit mille. « Mme de Montespan n’en témoigna pas la moindre peine ; elle répondit qu’elle n’en étoit fâchée que pour les pauvres à qui, en effet, elle donnoit avec profusion[6]. »
L’année 1707 s’ouvrait donc tristement ; elle se continua mal. Les Français avaient été, l’année précédente, définitivement chassés du Nord de l’Italie. L’été venu, le duc de Savoie envahit la France par*le comté de Nice, et vint mettre le siège devant Toulon. Il ne trouvait devant lui pour lui tenir tête que le seul Tessé, meilleur négociateur que bon militaire, qui ne s’était pas fait grand honneur l’année précédente au siège de Barcelone. Peu s’en fallut que cette conjoncture difficile ne valût au Duc de Bourgogne la réalisation de ce rêve silencieusement caressé par lui : reparaître à l’armée. Le Roi avait, dès le commencement de l’année, pris son parti de le faire de nouveau servir. Nous savons, par une des lettres du Duc de Bourgogne à Philippe V, qu’au mois de mai, le commandement de l’armée qui allait opérer en Allemagne sous Villars lui avait été promis. Mais nous ignorons pourquoi il ne fut pas donné suite à ce projet, dont il n’est fait mention que dans cette unique lettre. On doit le regretter pour le Duc de Bourgogne, car, à l’excellente école de Villars, il aurait gagné peut-être ces qualités de décision, d’initiative, d’audace au besoin, qui lui faisaient précisément défaut. Quelles qu’aient été les raisons de Louis XIV, ce nouveau péril de la France lui parut une occasion plus favorable, et, le 12 août, le Duc de Bourgogne pouvait écrire à son frère : « Je ne dois pas estre plus longtemps, mon très cher frère, sans vous faire part de ma joye, et je croys que l’amitié que vous avez pour moi vous la fera ressentir. Le Roy m’envoye commander l’armée qui doit s’assembler au commencement du mois prochain, et j’espère que, si les ennemis m’y attendent, on pourra les faire repentir de leur grande entreprise… S’ils s’en retournent, nous en serons délivrés, et le bien de l’Etat doit toujours aller devant tout intérest particulier[7]. »
La nouvelle que le Duc de Bourgogne mandait à Philippe V était en effet officielle depuis la veille. Le 13 au soir, après souper, le Roi avait annoncé que le Duc de Bourgogne prendrait le commandement de l’armée qui devait s’assembler pour chasser le duc de Savoie de Provence. Le Duc de Berry devait l’y accompagner, mais sans commandement. Dangeau, avec sa réserve ordinaire, n’ajoute aucun commentaire à cette importante nouvelle. Sourches, plus hardi, dit qu’on apprit cette nomination « avec étonnement[8]. »
Opposer le gendre au beau-père pouvait paraître, en effet, une idée singulière, mais cette opposition directe n’avait rien qui mît en peine le Duc de Bourgogne. Quatre années auparavant, il avait pris fort gaillardement son parti de l’affront qui avait été infligé à Victor-Amédée par le duc de Vendôme, et il avait même encouragé ce dernier à ne point user avec lui de ménagemens. « Vous êtes à présent dans une assez rude besogne, lui écrivait-il le 10 octobre 1703, c’est-à-dire au moment où le duc de Vendôme marchait sur Turin. J’espère et je souhaite que le beau-père entende raison sans que vous soyez obligé de lui parler du gros ton… Achevez, monsieur, de lui montrer que le meilleur parti qu’il puisse prendre, c’est de se fier entièrement au Roi, qui ne veut qu’être assuré de lui, sans lui faire aucun mal. Il y a longtemps que je pensois à ce qui se fait actuellement[9]. » S’il fallait en croire Proyart, le Duc de Bourgogne aurait même dit en riant à sa femme : « Hé bien ! Madame, aurez-vous le courage de prier Dieu pour un mari qui va combattre contre votre père ? Priez du moins pour l’un et pour l’autre. » Et la princesse n’aurait répondu que par des larmes[10]. Si le propos a véritablement été tenu, il montrerait seulement que le Duc de Bourgogne avait la plaisanterie un peu lourde. Ces cruelles perplexités furent, au reste, épargnées à la pauvre princesse. Quelques jours après la désignation de son mari pour commander l’armée qui devait être opposée à son père, on apprit que le siège de Toulon avait été levé par les troupes du duc de Savoie. Le bon Proyart exagère un peu les choses lorsqu’il dit : « L’armée, qui avoit désigné le Duc de Bourgogne pour son général avant même qu’il n’en fût question à Versailles, se crut invincible lorsqu’elle apprit quelle alloit l’avoir pour chef, et le bruit de sa prochaine arrivée jeta le découragement et la terreur dans l’armée des confédérés, en sorte que le duc de Savoie leva le siège à la hâte, avec le regret d’avoir fait inutilement d’immenses dépenses et perdu quatorze mille hommes dans cette tentative. » La vérité, c’est que Toulon ayant opposé une vigoureuse résistance, un engagement heureux ayant eu lieu le 15 août entre Français et Savoyards sous la conduite de Tessé qui se fit honneur, et l’armée assiégeante étant décimée par les maladies et les désertions, Victor-Amédée se découragea brusquement et comprit l’inanité de son entreprise. Les invasions de la France par la Provence n’ont jamais eu un heureux succès, et, là où l’empereur Charles-Quint avait échoué, ce n’était pas le duc de Savoie qui pouvait réussir. Sans doute il le comprit, et le Duc de Bourgogne n’eut même pas à bouger de Versailles.
C’était quelque chose cependant pour lui que cette désignation pour un commandement important, lors même qu’elle était demeurée purement nominale, car elle contenait implicitement une promesse pour l’année suivante, et lui faisait entrevoir la fin de cette oisiveté où il se consumait. Elle devait en même temps l’aider à se consoler d’un mécompte que lui avait apporté le commencement de l’année. La Duchesse de Bourgogne ne lui avait encore donné qu’un enfant. Grosse de nouveau dans les premiers mois de l’année, elle se blessa, suivant l’expression du temps. Ce n’était pas la première fois, et ce ne devait pas être la dernière. Aussi ne parlerions-nous pas de cet accident, si Saint-Simon ne racontait à ce propos, avec force détails, une scène étrange : la duchesse du Lude arrivant à pied, toute seule, après la messe, pour entretenir le Roi qui s’amusait à donner à manger aux carpes ; le Roi, revenant après quelques instans de conversation à voix basse avec elle, et disant avec dépit : « La Duchesse de Bourgogne est blessée ; » aussitôt les courtisans, La Rochefoucauld, Tresmes, Bouillon, croyant bien faire de s’exclamer et de dire que c’était le plus grand malheur du monde, et que, s’étant déjà blessée plusieurs fois, elle n’en aurait peut-être plus ; enfin le Roi, qui jusque-là n’avait dit mot, éclatant tout à coup et s’écriant : « Et quand cela seroit, qu’est-ce que cela me feroit ? Est-ce qu’elle n’a pas déjà un fils ? et quand il mourroit, est-ce que le Duc de Berry n’est pas en âge de se marier et d’en avoir ? Et que m’importe qui me succède des uns ou des autres ! Ne sont-ce pas également mes petits-fils ? Dieu merci, elle est blessée, puisqu’elle avoit à l’être, et je ne serai plus contraint dans mes voyages et dans tout ce que j’ai envie de faire par les représentations des médecins et les raisonnemens des matrones[11] ; » et les courtisans, qui avaient cru bien faire, de baisser les yeux, osant à peine respirer, et gardant un silence « à entendre une fourmi marcher. »
Il n’est guère d’auteur ayant écrit sur Louis XIV qui n’ait emprunté à Saint-Simon Je récit de cette scène, et, bien que l’indignation de ce dernier nous paraisse un peu outrée lorsqu’il en conclut « que le Roi n’aimoit et ne comptoit que lui et étoit à soi-même sa fin dernière, » cependant il est certain que, si le récit de Saint-Simon est fidèle, il témoigne chez le grand-père de peu de sollicitude pour la santé de sa petite-fille. Mais il est vrai que, d’un autre côté, le mari n’en témoignait pas beaucoup davantage, car, le 14 mai, il écrivait à Philippe V : « Ma joie (d’avoir été désigné pour un commandement) auroit été parfaite sans l’accident de Mme la Duchesse de Bourgogne, que de fréquentes promenades à pied ont blessée à six semaines, sans presque que l’on se doutât qu’elle fût grosse. On peut néanmoins en tirer cette consolation qu’il faut espérer qu’elle ne sera pas longtemps sans le redevenir, et qu’alors on la conservera plus soigneusement[12] »
Assurer la succession en ligne directe était alors, pour les princesses, une fonction publique, et, coûte que coûte, il fallait qu’elles s’en acquittassent. La Duchesse de Bourgogne y mettait peu d’empressement ; Mme de Maintenon lui reprochait parfois de n’être pas raisonnable sur ce chapitre, mais la vieille dame en parlait bien à son aise.
Les événemens militaires qui marquèrent les derniers mois de l’année 1707 relevèrent un peu les courages. La brillante victoire d’Almanza, remportée par Berwick, semblait avoir raffermi le trône chancelant de Philippe V. Sur la frontière d’Italie, l’armée savoyarde était en plein recul. Villars continuait de couvrir avec succès la ligne du Rhin. En Flandre Vendôme avait contenu les ennemis, et, s’il n’avait point engagé d’action importante, on s’accordait à dire que c’était sur les ordres du Roi et pour ménager son armée en vue d’une action décisive l’année suivante. Les cœurs s’ouvraient donc de nouveau à l’espérance, et Saint-Simon a raison de dire : « L’année 1708 commença par les grâces, les l’êtes et les plaisirs, » sauf à ajouter mélancoliquement : « On ne verra que trop tôt qu’elle ne continua pas longtemps de même. » Il y eut à Versailles, le six janvier, de magnifiques Rois[13]. Louis XIV donna un grand festin dans l’antichambre de son petit appartement. « Il y eut quatre tables, deux de seize et deux de dix sept couverts, splendidement servies, et on coupa un gâteau à chaque table pour voir à qui appartiendrait la royauté de la fève. » Le Roi tenait la première table, où était la Duchesse de Bourgogne, le Duc de Bourgogne la troisième. « Le repas se passa avec bien de la gaieté, et on cria de bonne grâce toutes les fois que les Reines burent, principalement à la table du Duc de Berry[14]. » Il y eut bal ensuite jusqu’à trois heures et demie du matin, et ce bal fut suivi de plusieurs autres. On n’en compta pas moins de dix tant à Versailles qu’à Marly, sans parler des soupers donnés par Monseigneur à Meudon, après lesquels il emmenait la Duchesse de Bourgogne et les dames à l’Opéra, et des représentations dramatiques organisées par la Duchesse du Maine à Clagny, « où M. du Maine, qui en sentoit le parfait ridicule et le poids de l’extrême dépense, ne laissoit pas d’être assis au coin de la porte et d’en faire les honneurs[15]. » Hochstædt, Ramillies, Turin, semblaient oubliés, et nul ne doutait que cette année qui s’ouvrait si gaiement ne marquât la fin des malheurs de la France.
Il fallait cependant, en vue de la reprise d’hostilités qu’amenait toujours le printemps, pourvoir au commandement des armées. Chaque armée se disloquant en effet à l’entrée de la mauvaise saison pour s’établir dans ses quartiers d’hiver, la question se posait tous les ans de savoir qui en reprendrait le commandement au moment du rassemblement. L’année précédente, Berwick avait commandé en Espagne, Tessé en Dauphiné, Villars sur le Rhône, l’électeur de Bavière et Vendôme en Flandre. Au commencement de cette année 1708, le Roi apporta d’assez importans changemens dans la répartition des commandemens. Villars, à son grand mécontentement, fut rappelé de l’armée du Rhin où il avait peut-être un peu abusé de la permission que lui avait accordée le Roi « d’engraisser son veau, » et il alla remplacer Tessé en Dauphiné. Le Duc d’Orléans fut envoyé en Espagne pour remplacer Berwick, qui venait prendre la place de Villars. Il devait servir sous les ordres de l’électeur de Bavière, qui, contre son gré également, et moyennant un dédommagement de 800 000 livres qu’il arrivait à extorquer, acceptait d’abandonner son vicariat des Pays-Bas, où il commandait au nom du roi d’Espagne. Il avait fallu, en effet, faire place nette et éviter tout conflit d’autorité en Flandre, où le duc de Vendôme était maintenu, mais où le Duc de Bourgogne allait prendre le commandement nominal de l’armée. Cette grosse nouvelle, dont on s’entretenait depuis quelque temps à la Cour, ne fut officielle que le 30 avril. « Le 30, après dîner, dit Sourches, comme le Roi revenoit de courir le cerf,… il alla chez la Duchesse de Bourgogne, à laquelle il apprit que le Duc, son mari, partiroit le 14 de mai avec le Duc de Berry, son frère, pour aller commander en Flandre, où il auroit sous lui le duc de Vendôme[16] ; » et Dangeau ajoute : « Les deux princes ont une joie extraordinaire de ce que le Roi a pris cette résolution[17]. » « Vous comprenez aisément quelle est ma joie, écrivait, en effet, la veille, le Duc de Bourgogne à Philippe V. Mon frère de Berry en est ravi aussi, mais le Roy lui a défendu d’en rien témoigner et il se contient à merveille. Ce m’est un grand plaisir, après une interruption de quatre années entières, de me voir en quelque sorte rentrer dans le service et ne pas toujours demeurer inutile à Versailles, Marly ou Fontainebleau. » A défaut du génie militaire, qui malheureusement lui faisait défaut, le Duc de Bourgogne avait au moins l’ardeur guerrière, et Louis XIV avait raison lorsque, l’année précédente, parlant du courage personnel de son petit-fils, il ajoutait fièrement : « Ceux de sa race n’en ont jamais manqué. »
Même à ce frère avec lequel il s’exprimait librement, le Duc de Bourgogne ne dit rien cependant de son association avec Vendôme. Ce silence donne à penser qu’il s’en réjouissait médiocrement, et il n’avait pas tort. Nous avons remis jusqu’à présent à parler de ce singulier personnage, que cependant nous avons déjà rencontré en Italie, tenant tête, non sans honneur, au prince Eugène, et désarmant les troupes du duc de Savoie. Mais, pour la besogne qu’il avait à faire alors, son caractère importait peu, tandis qu’aujourd’hui, que nous l’allons voir en dissentiment secret et bientôt en hostilité ouverte avec le Duc de Bourgogne, il est nécessaire de le bien connaître. Saint-Simon, à plusieurs reprises[18], l’a peint avec une vigueur de touche qui ne laisserait à corriger aucun trait, si son habitude n’était pas, lorsque le personnage lui déplaît, de pousser le portrait au noir, à tel point que la ressemblance s’en trouve altérée. Ce n’est pas qu’il y ait quelque chose à retrancher de ce qu’il a dit, mais il faut ajouter ce qu’il ne dit pas.
Vendôme était, comme chacun sait, arrière-petit-fils d’Henri IV et de Gabrielle d’Estrées par son grand-père, appelé à la cour de Louis XIII César Monsieur, appellation bizarre que Saint-Simon appelle « une singularité béarnoise[19]. » Celle descendance directe d’Henri IV explique la complaisance et même la faiblesse dont Louis XIV fit toujours preuve à l’endroit de Vendôme, pour le moins autant que le secret désir que lui prête Saint-Simon d’élever tout ce qui était bâtard, afin que cette élévation profitât aux siens. Il révérait en lui le sang du grand ancêtre dont quelques traits se retrouvaient chez l’arrière-petit-fils[20]. De là, vis-à-vis de lui, une indulgence qu’on dirait poussée parfois jusqu’à la crainte, et qui lui faisait tolérer chez Vendôme ce que, dit avec raison Saint-Simon, il n’aurait pas pardonné à un fils de France.
C’étaient d’abord ses mœurs. Sans doute Louis XIV n’avait pas le droit de se montrer bien sévère, mais, s’il avait été dans sa jeunesse amoureux et galant, il n’avait jamais été débauché. Or, Vendôme l’était jusqu’à la crapule. Au goût des basses amours il joignait un vice qui, dans les poésies satiriques, faisait toujours suivre son nom d’une rime fâcheuse, et que Louis XIV (il faut ici laisser parler Saint-Simon), « quoiqu’il fût plein d’une juste horreur pour tous les habitans de Sodome, » ne lui reprocha cependant jamais. Lorsque la conséquence de ses débauches l’eut forcé de se retirer dans son château d’Anet pour y subir ce qu’on appelait alors la Grande opération, et lorsqu’il en revint fort avarié, ayant perdu beaucoup de dents, et le nez d’aquilin devenu camus, le Roi, à son retour, s’informa de sa santé avec beaucoup de grâce, comme s’il se fût agi de la maladie la plus naturelle du monde, et recommanda bien aux courtisans de ne pas laisser apparaître à M. de Vendôme qu’ils l’avaient trouvé changé.
C’était ensuite son irréligion affichée. Vendôme faisait partie de ce petit groupe des libertins, plus nombreux qu’on ne pense dès la fin du XVIIe siècle, et qui, au XVIIIe, devait donner le ton à la société et à la littérature françaises. Mais, Louis XIV régnant, ce petit groupe se cachait encore par crainte du maître, qui, au plus fort de ses désordres de conduite, était cependant demeuré respectueux des choses religieuses, et qui, dans la seconde moitié de sa vie, imposait assez tyranniquement à son entourage les pratiques de la dévotion. Vendôme ne connaissait pas cette crainte. Il faisait ouvertement partie de la société qui se réunissait au Temple chez son frère, le grand prieur de Malte, non moins irréligieux et non moins débauché que lui, bien que d’un autre genre de débauche. Le Temple, lieu privilégié dans Paris, où les débiteurs insolvables trouvaient un asile, où les artisans non reçus maîtres pouvaient travailler librement, était aussi le lieu de rendez-vous favori des libertins du temps, Chapelle, Chaulieu, La Fare, d’autres encore, qui cultivaient la paresse et chantaient la volupté. Leurs opinions philosophiques se résumaient dans ces quatre vers de Chaulieu :
- La mort est simplement le terme de la vie.
- De peines ni de biens elle n’est point suivie ;
- C’est un asile sûr ; c’est la fin de nos maux.
- C’est le commencement de l’éternel repos ;
et leur morale dans ceux où le même poète, tout abbé qu’il fût, se rit de ces faibles esprits qui
- Font un crime à la nature
- De l’usage des biens que lui fit son auteur,
- Et dont la pieuse fureur
- Ose traiter de chose impure
- Le remède que la Nature
- Offre à l’ardeur des passions
- Quand d’une amoureuse piqûre
- Nous sentons les émotions[21].
Vendôme faisait ouvertement partie de cette société, surtout depuis qu’ayant vendu à Louvois son hôtel et les terrains sur lesquels s’élèvent aujourd’hui les maisons de la place Vendôme, il demeurait toujours au Temple, quand il quittait Anet pour Paris. Il ne se cachait pas d’en partager les doctrines philosophiques et n’affectait point ces extérieurs de piété que commandait l’usage. Mais Louis XIV n’en témoignait aucun mécontentement. C’est tout au plus s’il se hasardait à lui reprocher de ne pas assister aux sermons du Père Séraphin, au moment où ce capucin, rival oublié de Bourdaloue, faisait fureur à la Cour, et il se contentait de sourire à cette réplique de Vendôme « qu’il ne sauroit aller entendre un homme dire tout ce qui lui plaisoit sans que personne eût la liberté de riposter. »
Enfin un dernier trait aurait dû inspirer à Louis XIV, toujours très soigné de sa personne et qui aimait l’élégance, une répulsion instinctive contre Vendôme. C’étaient ses habitudes de malpropreté repoussante dont on n’ose rapporter, même en citant Saint-Simon, les dégoûtans détails, « car au lit il ne se contraignoit de rien. » Et non seulement Vendôme se complaisait dans cette malpropreté, mais il s’en vantait, soutenant, comme il fit un jour à la princesse de Conti, « la personne la plus propre du monde et la plus recherchée dans sa propreté, que tout le monde en usoit de même, mais n’avoit pas la bonne foi d’en convenir comme lui. » Les audiences qu’il donnait sur sa chaise percée et les spectacles successifs qu’il y donnait cyniquement sont demeurés célèbres. Sa personne n’était pas moins malpropre que ses habitudes, et ses vêtemens toujours souillés de tabac. Louis XIV, qui en détestait l’odeur, au point d’en interdire l’usage à Monseigneur lui-même, n’y trouvait cependant rien à dire, et supportait de Vendôme ce qu’il ne supportait pas de son fils.
Il est juste de reconnaître que Vendôme rachetait ses vices et ses défauts par des qualités brillantes. Il avait, Saint-Simon lui-même en convient, « un visage fort noble et l’air haut, de la grâce naturelle dans le maintien et dans la parole, beaucoup d’esprit naturel qu’il n’avoit jamais cultivé, une énonciation facile, soutenue d’une hardiesse naturelle,… beaucoup de connaissance du monde et de la Cour[22]. » Mais il n’avait pas seulement hérité cette grâce naturelle à la fois d’Henri IV et de la belle Gabrielle, et il ne se bornait pas à se montrer, quand il le voulait, un homme de cour accompli. Il était aussi homme de guerre, et il avait des parties de génie. Là encore ses défauts de nature nuisaient à ses qualités militaires. Paresseux, rien n’était difficile comme de lui faire abandonner un cantonnement où il avait trouvé ses aises et décamper dès le matin. La fraîcheur de M. de Vendôme était une expression qui avait cours à l’armée pour dire qu’il ne faisait jamais marcher ses troupes que l’après-midi et jusqu’à la tombée de la nuit. Imprévoyant, il ne prenait pas soin de se garder, et se laissait volontiers surprendre. Mais, une fois l’action engagée, par la justesse de son coup d’œil, par la promptitude de ses décisions, par l’ardeur et l’à-propos avec lesquels il se jetait au milieu de la mêlée, il savait rétablir les affaires et changer en victoire une défaite menaçante. Personnellement il avait les plus brillans états de services, et il avait passé par tous les gracies jusqu’à celui de lieutenant général. À Steinkerque, il avait contribué par trois charges sanglantes à rejeter les Anglais dans les défilés par où ils étaient venus. A la Marsaille, il commandait la gauche sous Catinat. En 1697, il avait pris Barcelone. A Cassano, les troupes de son frère ayant été surprises, il était accouru se mettre à leur tête, et, au témoignage de Saint-Hilaire, « les fit charger avec tant de valeur qu’ils délirent l’ennemi en cette partie. Il eut son cheval tué sous lui, et, un soldat ennemi l’ayant couché en joue, il ne fut sauvé que par son capitaine des gardes, Cotteron, qui se jeta au devant du mousqueton et reçut le coup au travers du corps[23]. » Son exemple était contagieux et sa valeur communicative. A Luzzara, il était au plus épais de la mêlée, lorsque, apercevant son secrétaire Campistron, l’auteur dramatique, il lui dit : « Campistron, que faites-vous ici ? » et Campistron de répondre : « Monseigneur voulez-vous vous en aller ? » Dans toutes ces affaires, Vendôme affectait de porter un panache blanc, comme le héros d’Ivry. La comparaison s’imposait, et Mme de Maintenon, qui ne l’aimait pas, ne pouvait cependant se retenir d’écrire à la princesse des Ursins, au lendemain de Cassano : « Je trouve que M. de Saint-Fremont (qui avait envoyé un récit détaillé de la bataille) a raison de croire qu’il voyait Henri IV ralliant ses troupes, parlant comme il faisait aux soldats, et leur montrant l’exemple de la valeur qu’ils suivaient si bien[24]. »
Dans les temps malheureux, les généraux qui n’ont jamais subi de revers deviennent rapidement populaires, et la foule leur prête volontiers plus de génie qu’ils n’en ont. Tel était le cas pour Vendôme, en qui le prince Eugène avait trouvé un digne adversaire. En le désignant l’année précédente pour prendre le commandement de l’armée de Flandre, Louis XIV n’avait pas fait autre chose qu’obéir à la voix populaire et suivre le conseil que lui donnait, au milieu de beaucoup d’autres avis ironiques, une chanson qui se fredonnait à voix basse :
Voyez combien nostre illustre Vendosme
Vous a déjà remporté de combats,
Si vous voulez sauver vostre royaume
Vostre sang seul peut marcher sur vos pas[25].
Les soldats, à qui il savait parler, l’adoraient, et peut-être le relâchement qu’il avait laissé s’introduire dans la discipline de son armée était-il pour quelque chose dans cette popularité. Mais, en habile homme, il avait su se ménager la faveur des gens de lettres qu’il payait, et qui le remboursaient eu flatteries. La Fontaine, à qui il faisait une pension de 600 livres, lui adressait des épîtres qu’on voudrait écrites sur un ton plus digne. La Fare, Chaulieu, le célébraient à l’envi. Les poètes n’étaient pas seuls à l’entourer. Le Temple était également hospitalier aux gens de théâtre, Campistron, Palaprat, Brueys, et ce monde de lettres étendait loin son influence. Nous dirions aujourd’hui qu’il avait la presse pour lui. Aussi l’opinion publique s’était-elle peu à peu engouée de Vendôme à un degré incroyable. Lorsque, en 1706, après le désastre de Ramillies, il fut autorisé à quitter pour quelques jours le commandement qu’il exerçait en Italie, son arrivée à Marly fit événement. « Ce fut une rumeur épouvantable, dit Saint-Simon, que cette fois on peut en croire sur parole : les galopins, les porteurs de chaise, tous les valets de la Cour quittèrent tout pour environner sa chaise de poste. A peine monté dans sa chambre, tout y courut. Les princes du sang, si piqués de sa préférence sur eux à servir et de bien d’autres choses, y arrivèrent tout les premiers. On peut juger si les deux bâtards (le Duc du Maine et le Comte de Toulouse) s’y firent attendre. Les ministres accoururent, et tellement tout le courtisan qu’il ne resta dans le salon que les dames. Pour moi, ajoute fièrement Saint-Simon, je demeurai spectateur et n’allai point adorer l’idole. » Le Roi le fit demander, alla au-devant de lui, et l’embrassa à plusieurs reprises. C’était, à qui lui donnerait des fêtes où l’on se précipitait ; mais rien n’égala l’empressement du populaire, lorsqu’il se rendit d’Anet à Paris pour assister à la représentation de Roland, que l’Opéra donna tout exprès pour lui. « Les places des loges et de l’amphithéâtre se trouvèrent toutes retenues huit jours auparavant, disent les Mémoires de Sourches[26], tant on avoit envie de le voir ; le parterre ne put contenir la moitié des gens qui y vouloient entrer, et, dès qu’il parut à sa place, tout le monde se mit à battre des mains et à crier : « Vive Vendôme ! » jusqu’à ce que l’Opéra commençât ; après la fin duquel les mêmes : « Vive Vendôme » recommencèrent, et, s’il étoit toujours demeuré dans la loge, personne ne seroit sorti de l’Opéra. » Sa popularité se traduisait par des vers ou des chansons :
- Prince qui faites les délices
- Et de l’armée et de la cour,
- Du vieux soldat et des milices
- Et de toute la gent qu’assemble le tambour.
disait La Fontaine, et les chansonniers répétaient à leur tour :
- Le fils de Gabrielle
- Arrive dans ces lieux.
- Une gloire immortelle
- Le rend égal aux dieux.
- Les cœurs à son passage
- Volent aujourd’hui,
- Et c’est le seul hommage
- Digne de lui[27].
Un plus modeste aurait pu être enivré de cette faveur de la Cour, de l’armée et du peuple. La hauteur naturelle de Vendôme s’en accrut au point qu’ayant toujours émis la prétention, bien qu’il fût seulement lieutenant général, de commander aux maréchaux en sa qualité de prince légitimé et y ayant quelquefois réussi, il refusa la patente de maréchal général des camps et armées du Roi, qui n’avait été conférée à personne depuis Turenne, parce que, dans cette patente, il n’était pas fait allusion à sa naissance. Mais comme, avant de quitter l’Italie, il avait eu une brillante affaire à Calcinato, comme, durant la première année de son commandement en Flandre, il avait, sans remporter grands avantages, contenu les ennemis, comme il n’avait jamais subi de défaites, le commandement en chef de la plus forte armée que la France eût rassemblée depuis longtemps devait paraître à sa présomption une récompense bien méritée, et on aurait pu aisément prévoir qu’il le prendrait de haut avec un jeune prince, plein de bonne volonté, mais sans expérience militaire, sous les ordres duquel, nominalement au moins, il allait se trouver Cette association, qui devait si mal réussir, aurait été cependant sollicitée par lui, s’il faut tenir pour exact ce propos de sa tante, la duchesse de Bouillon, que rapporte un de ses familiers, le chevalier de Bellerive[28] : « Vous avez demandé des princes. Vous aurez lieu de vous en repentir, car vous éprouverez que tout ce que vous aurez déterminé avec M. le Duc de Bourgogne sera détruit plus tard à son petit coucher[29]. » Mais on peut mettre en doute l’exactitude du propos, comme au reste plus d’une assertion de Bellerive, car on ne voit pas ce que Vendôme avait à gagner à cette association, dont le seul résultat pouvait être de lui enlever une partie de la gloire qu’il comptait acquérir.
Il est plus probable, au contraire, que l’idée vint de Louis XIV, et qu’il crut faire merveille en mettant Vendôme à côté du Duc de Bourgogne, le Duc de Bourgogne à côté de Vendôme, chacun des deux devant compléter l’autre : Vendôme était audacieux, le Duc de Bourgogne circonspect ; la circonspection de l’un tempérerait l’audace de l’autre ; Vendôme était peu regardant à la discipline des troupes ; le Duc de Bourgogne y était peut-être trop strict ; la juste sévérité du second corrigerait la trop grande indulgence du premier, et il en serait ainsi des défauts et des qualités de chacun des deux, qu’il espérait voir se fondre dans une heureuse moyenne. Un triste lendemain n’allait pas tarder à montrer combien le calcul était trompeur. Mais, dès la veille, ce qu’il avait de périlleux n’échappait pas aux esprits sagaces. Déjà, dix années auparavant, Fénelon avait signalé les périls de cette association : « Je ne voudrais, disait-il, mettre M. de Vendôme ni avec le roi d’Espagne ni avec M. le Duc de Bourgogne. Outre qu’il est trop dangereux sur les mœurs et sur la religion, de plus c’est un esprit roide, opiniâtre et hasardeux[30] ; » et, d’une lettre écrite par lui à la fin de la campagne de 1708. on devine qu’il regrettait qu’auprès du Duc de Bourgogne on n’eût pu mettre Câlinât, tout vieilli qu’il fût[31].
Il y avait à la Cour quelqu’un de non moins attaché au Duc de Bourgogne et de non moins sagace que Fénelon : c’était Saint-Simon, et, s’il est permis de supposer qu’il a donné à ses prévisions, si tristement justifiées pur l’expérience, un peu plus de précision qu’elles n’en eurent sur le moment même, cependant on ne saurait lui refuser d’avoir fait montre dans cette circonstance d’une beaucoup plus grande clairvoyance qu’un ami non moins fidèle du duc de Bourgogne, son ancien gouverneur Beauvilliers.
Ce fut à Beauvilliers en effet que Saint-Simon s’ouvrit de ses appréhensions. Nous suivrons son récit. Ayant appris par un rapport de valets qu’on préparait les équipages de guerre du Duc de Bourgogne, avant que le départ du jeune prince pour les Flandres n’eût été officiellement annoncé, il profita de son séjour à Marly, où il se trouvait en même temps que Beauvilliers, pour s’en ouvrir à lui. Un des derniers soirs d’avril, comme il faisait fort beau, Beauvilliers, qui avait envie de causer avec lui, l’emmena jusqu’au bas du jardin, auprès de l’Abreuvoir, où, tout étant découvert, on était sûr de n’être pas écouté (précaution qui, à la Cour, ne laissait pas d’être utile). Là, Beauvilliers lui confirma l’envoi du Duc de Bourgogne en Flandre pour y servir avec Vendôme, et se mit « à en enfiler les raisons en détail : » importance de donner une nouvelle vigueur aux troupes par la présence de l’héritier nécessaire ; utilité de profiter de tout ce que ce prince avait montré dans ses deux uniques campagnes de goût et de talent pour la guerre ; enfin « urgence de réprimer la licence qui étoit montée en Flandre, et par ceux-là mêmes qui la dévoient le plus empêcher, à un point qu’il n’y avoit plus de remède à y espérer que dans l’autorité du prince. » « Il n’y a que lui, ajouta Beauvilliers, dont l’autorité puisse animer la paresse de M. de Vendôme, émousser son opiniâtreté, l’obliger à prendre les précautions dont la négligence a coûté si souvent si cher, et a pensé si souvent tout perdre. » Et comme Saint-Simon, qui était tombé d’accord des premières raisons, se récriait à ces mots, et assurait que ce serait la perte du Duc de Bourgogne, Beauvilliers le pressant de s’expliquer, il répondit en traçant en traits de n’anime un portrait des deux personnages qu’il s’agissait de faire marcher côte à côte : « l’un, dévot, timide, mesuré à l’excès, renfermé, raisonnant, pesant et compassant toutes choses, vif néanmoins et absolu, mais, avec tout son esprit, simple, retenu, considéré, craignant le mal et de former des soupçons, se reposant sur le vrai et le bon, connoissant peu ceux à qui il avoit affaire, quelquefois incertain, ordinairement distrait, et trop porté aux minuties ; l’autre, au contraire, hardi, audacieux, avantageux, impudent, méprisant tout, abondant en son sens avec une confiance dont nulle expérience ne l’avoit pu déprendre, incapable de contrainte, de retenue, de respect, surtout de joug, orgueilleux au comble en toutes les sortes de genres, acre et intraitable à la dispute, et hors d’espérance de pouvoir être ramené sur rien, accoutumé à régner, ennemi jusqu’à l’injure de toute espèce de contradiction, toujours singulier dans ses avis, et fort souvent étrange, impatient à l’excès de plus grand que lui. »
Prévoyant ensuite les conflits que ne pouvait manquer de faire naître l’opposition de ces deux natures, il prédisait « que le plus fort perdroit le plus faible, et que ce plus fort seroit Vendôme, que nul frein, nulle crainte ne retiendroît ;… que le vice incompatible avec la vertu rendroit la vertu méprisable sur ce théâtre de vices ; que l’expérience accableroit la jeunesse, que la hardiesse dompteroit la timidité, que l’asile par la licence et l’asile par art pour se faire adorer en rendroit odieux le jeune censeur… que l’armée, si accoutumée au crédit et au pouvoir de l’un et à l’impuissance de l’autre, abandonneroit en foule celui dont rien n’étoit à espérer ni à craindre pour s’attacher à celui dont l’audace seroit sans bornes et dont la crainte avoit tenue glacée toute l’encre de l’Italie, tant qu’il y avoit été. » « Vous verrez, dit-il en concluant, M. de Vendôme en sortir glorieux, et Mgr le Duc de Bourgogne perdu, et perdu à la Cour, en France et dans toute l’Europe[32]. »
Ces raisons n’ébranlèrent point Beauvilliers, qui en conçut même un peu d’irritation contre Saint-Simon. D’ailleurs, il était trop tard, et, quelques jours après cette conversation, les choix étaient publiquement déclarés. Mais, du silence prudent gardé par Dangeau et par Sourches, on peut conclure que la confiance que ces choix inspiraient à Beauvilliers ne fut point généralement partagée. Quant aux ennemis, nous savons aujourd’hui qu’ils s’en réjouirent : « J’ai dans l’idée, écrivait à Marlborough le ministre anglais Godolphin, que le Duc de Bourgogne et le reste des princes français qui l’accompagnent seront plutôt un fardeau et un embarras pour M. de Vendôme, et pas du tout un avantage. Sur ce point, je suis d’accord avec vous[33]. » L’avenir ne devait donner que trop raison à la duchesse de Bouillon, à Saint-Simon et à Godolphin, contre l’honnête Beauvilliers.
Entre le 30 avril et le 14 mai, jour fixé à l’avance pour son départ, le Duc de Bourgogne ne perdit point son temps. Il eut plusieurs conférences avec Bergeyck, ancien gouverneur des Pays-Bas, au nom du roi d’Espagne, et Puységur, son ancien gentilhomme de la manche, qui commandait depuis longtemps en Flandre, qu’on fit venir pour l’occasion et qu’il devait y retrouver. C’était là un bon compagnon et un utile conseil pour le jeune prince, car il connaissait particulièrement bien le pays où le Duc de Bourgogne allait opérer. On n’en saurait dire autant du marquis d’O et du comte de Gamaches, qui, l’année précédente, avaient été désignés pour l’accompagner, quand il fut sur le point de partir pour la Provence et dont la désignation avait été maintenue. Suivant Bellerive, « la Duchesse de Bourgogne et la dame Maintenon avoient déjà formé une conspiration de ceux qu’on donna pour conseillers au Duc de Bourgogne, » et, après avoir reconnu « que Puységur avoit infiniment plus d’esprit que les deux autres, » il ajoute : « On ose dire, sans craindre de blesser la réputation de ces trois particuliers, qu’ils étoient plus propres à faire planter des arbres, tondre des buis et ramer des pois de leurs héritages qu’à servir de conseillers au Duc de Bourgogne[34]. » Ce jugement, qui sent la rancune, est cependant confirmé par celui de Saint-Simon, au moins sur le marquis d’O. « C’étoit, dit-il, un grand homme froid, sans autre esprit que du manège et d’en imposer aux sots par un silence dédaigneux ; une mine et une contenance grave et austère, tout le maintien important, dévot de profession ouverte ; assidu aux offices de la chapelle, où, dans d’autres temps, on le voyoit encore en prières,… » et il ajoute : « On l’auroit si bien pris pour un pharisien, il en avoit si bien l’air, l’austérité, les manières, que j’étois toujours tenté de lui couper son habit en franges par derrière[35]. »
Quant à Gamaches, « c’était un brave et honnête gentilhomme qui buvoit bien et ne savoit rien au-delà[36]. » Il y avait bien encore, auprès des princes, Rasilly, qui avait été désigné pour accompagner le Duc de Berry. Mais il avait été élevé pour l’Eglise et faisait à la lettre sa première campagne. On ne saurait donc reprocher à Saint-Simon de parler « du plus que pitoyable accompagnement de ces princes » et de dire « qu’un particulier auroit le soin de mieux accompagner ses fils. » La critique de Saint-Simon est d’autant plus juste que le Duc de-Bourgogne ne pouvait pas davantage compter comme conseil sur le maréchal de Matignon, qui avait été désigné pour commander en troisième parce que, seul de tous les maréchaux, il acceptait de prendre l’ordre de Vendôme, et dont, suivant l’expression de Saint-Simon, « le bâton étoit léger. » Il y avait là, de la part de Louis XIV, vis-à-vis d’un héritier qu’il aimait et qui allait jouer une aussi grosse partie, une singulière incurie, ou plutôt une méconnaissance des hommes et de leurs aptitudes qui ne devait marquer que trop souvent la fin de son règne, et il faut reconnaître qu’autant par l’association de Vendôme au Duc de Bourgogne que par ces choix inconsidérés, une grande part de responsabilité lui revient dans le mauvais succès de cette campagne.
Une chose plus utile encore au Duc de Bourgogne que des conversations même avec un militaire aussi expérimenté que Puységur et un homme connaissant aussi bien les Pays-Bas que Bergeyck, aurait été des conférences suivies avec Vendôme, où ils seraient tombés d’accord d’un plan à suivre. Mais il n’était pas facile d’obtenir pareille assiduité d’un aussi grand paresseux que Vendôme. Après huit jours passés à Marly, où il travailla tantôt avec Chamillart chez le Duc de Bourgogne, tantôt avec le Roi chez Mme de Maintenon, il n’y eut pas moyen de le retenir, et il s’en fut à Clichy, chez le financier Crozat, qui y avait une fort belle maison, pour s’y divertir. Cependant les conférences avaient continué à Versailles. Chamlay, l’ancien collaborateur de Louvois, qu’on continuait à consulter sur toutes les affaires importantes, y avait été adjoint. Lorsque ces conférences furent terminées, le Roi prit le parti d’envoyer à Clichy Bergeyck, Puységur et Chamlay, pour informer au moins Vendôme de ce qui avait été arrêté. « Ils le trouvèrent, dit Saint-Simon, dans le salon de la maison de Crozat, au milieu d’une nombreuse et fort médiocre compagnie, qui se promenoit les mains derrière son dos. Il fut à eux et leur demanda ce qui les amenoit ; ils lui dirent que le Roi les envoyoit vers lui. Sans les tirer seulement vers une fenêtre et sans bouger de la même place, il se fit expliquer à voix basse de quoi il s’agissoit. La réponse du héros fut courte : il leur dit tout haut qu’il seroit sur la frontière presque aussitôt que Bergeyck à Mons ; que, sur les lieux, il travailleroit avec plus de justesse ; et, avec une demi-révérence et une pirouette, il alla rejoindre sa compagnie, qui s’étoit éloignée par discrétion. » Lorsque le fait lui fut conté, Louis XIV « ne put se contenir de laisser échapper un geste qui fit connaître ce qu’il pensoit, mais ce fut tout[37]. »
Cependant le Duc de Bourgogne continuait à s’occuper consciencieusement des préparatifs de son départ. Il allait inspecter ses équipages, qu’une mesure d’économie avait fait réduire d’un tiers par rapport à ceux de sa campagne précédente. Le 5 mai, le Roi avait désigné pour servir auprès de lui six aides de camp dont le marquis de Brancas, le marquis de Clermont, le chevalier de l’Aigle, tous bons officiers. Le dimanche 13, veille du jour de son départ, il permit à toutes les dames d’« aller prendre congé de lui dans son appartement » et, ajoute Dangeau, « il les baisa toutes en leur disant adieu. » Le 14 au matin, il assista à la messe, qui se trouva être une messe de Requiem dite pour l’anniversaire de la mort de Louis XIII. La cérémonie fut triste, et l’on s’étonna entre courtisans que le Roi, assez superstitieux, eût choisi ce jour-là pour le départ de son petit-fils. Tous deux, après le Conseil, demeurèrent quelque temps enfermés ensemble ; puis le Duc de Bourgogne passa chez sa femme. « La séparation fut fort tendre de part et d’autre, » dit brièvement Dangeau[38]. Le rédacteur du Mercure est plus prolixe : « Je ne diray rien des adieux de ce prince à Madame la Duchesse de Bourgogne. Ce sont des mystères qui sont réservés à l’amour ; mais je diray seulement que la manière dont cette princesse parut touchée après le départ de son auguste époux fit connoître à toute la Cour la douleur dont elle étoit pénétrée et la tendresse qu’elle ressentoit pour ce prince. » Il semble, d’après le Mercure, que la Duchesse de Bourgogne ait pleuré. Quant à lui, au contraire, « il seroit difficile d’exprimer la joye que son départ faisoit paroître sur son visage. Il y avoit longtemps qu’il aspiroit après un pareil voyage. Aussy peut-on dire qu’il est party en volant où il estoit appelé par la gloire[39]. »
A l’une des premières étapes de cette route qui ne devait malheureusement pas le conduire à la gloire, une grande joie attendait le Duc de Bourgogne. Cambrai était sur son chemin direct. En 1702, il lui avait été permis de s’y arrêter, on se souvient sous quelles conditions[40]. Il est probable, bien que nous ne le sachions pas positivement, que même permission lui fut accordée et mêmes conditions imposées. Cela ressort de la lettre que le Duc de Bourgogne écrivait à Fénelon, de Senlis où il avait couché, après s’être arrêté à Chantilly pour goûter à une collation que M. le Duc lui avait offerte dans le parc. « Je suis ravi, mon cher archevêque, que la campagne que je vais faire en Flandre me donne lieu de vous embrasser et de vous renouveler moi-même les assurances de la tendre amitié que je conserverai pour vous toute ma vie. S’il m’avoit été possible, je me serois fait un plaisir d’aller coucher chez vous ; mais vous savez qu’il y a des raisons qui m’obligent à garder des mesures, et je crois que vous ne vous en formaliserez point. Je serai demain à Cambrai sur les neuf heures ; j’y mangerai un morceau à la poste, et je monterai ensuite à cheval pour me rendre à Valenciennes. J’espère vous y voir, et vous y entretenir sur diverses choses. Si je ne vous donne pas souvent de mes nouvelles, vous croyez bien que ce n’est pas par manque d’amitié et de reconnaissance : elle est assurément telle qu’elle doit être[41]. »
L’entrevue annoncée eut lieu effectivement dans une auberge dont les érudits du pays ont su découvrir le nom et l’emplacement. Elle s’appelait l’auberge de Dunkerque, et était située vis-à-vis de l’église Saint-Gery[42]. Le Duc de Bourgogne s’y arrêta pour dîner, c’est-à-dire vers midi, et il y trouva l’archevêque qui l’attendait avec tout ce qui était à Cambrai. « Le jeune prince, continue Saint-Simon, embrassa tendrement son précepteur à plusieurs reprises ; il lui dit tout haut qu’il n’oublieroit jamais les grandes obligations qu’il lui avoit, et sans jamais se parler bas (ils se parlèrent bas, dit-il au contraire ailleurs), il ne parla presque qu’à lui, et le feu de ses regards lancés dans les yeux de l’archevêque, qui suppléèrent à tout ce que le Roi avoit interdit, avoit une éloquence avec ses premières paroles à l’archevêque qui enleva tous les spectateurs[43]. » Que l’ancien précepteur et l’ancien élève se soient parlé bas ou non, ce n’est qu’un détail ; ce qui est certain, c’est que cette courte entrevue et les propos échangés redoublèrent entre eux la confiance réciproque. On en a la preuve par une nouvelle et cette fois longue épître que, de Valenciennes, le Duc de Bourgogne adressait quelques jours après à Fénelon. Après lui avoir accusé réception d’une lettre qui lui avait été rendue « en particulier » et lui avoir dit qu’il lui rendait réponse par la même voie, en l’engageant « à s’en servir toutes les fois qu’il le jugeroit à propos, » il continue : « Je suis charmé des avis que vous me donnez dans la seconde partie de votre lettre, et je vous conjure de les renouveler toutes les fois qu’il vous plaira. Il me paroît, Dieu merci, que j’ai une partie des sentimens que vous m’y inspirez, et que, me faisant connoître ceux qui me manquent, Dieu me donnera la force de tout accomplir, et d’user des remèdes que vous me prescrivez. Il me paroît que, pour ne guère nous voir, vous ne me connoissez pas mal encore. Quant à l’article qui regarde les Jansénistes, j’espère, par la grâce de Dieu, non pas telle qu’ils l’entendent, mais telle que la connoît l’Eglise catholique, que je ne tomberai jamais dans les pièges qu’ils voudront me dresser. Je connois le fond de leur doctrine, et je sais qu’elle est plus calviniste que catholique Je sais qu’ils écrivent avec esprit et justesse ; je sais qu’ils font profession d’une morale sévère, et qu’ils attaquent fortement la relâchée ; mais je sais en même temps qu’ils ne la pratiquent pas toujours Vous en connoissez les exemples, qui ne sont que trop fréquens. J’aurai une attention très particulière à ce qui regarde les églises et les maisons des pasteurs : c’est un point essentiel, et je garderai sur ces points une exacte sévérité. Continuez vos prières, je vous en supplie : j’en ai plus besoin que jamais. Unissez-les aux miennes, ou plutôt je les unirai aux vôtres ; car je sais qu’en pareil cas l’évêque est au-dessus du prince. Vous faites très sagement de ne point venir ici, et vous en pouvez juger par ce que je n’ai point été coucher à Cambrai. J’y aurois été assurément sans les raisons décisives qui m’en ont empoché. Sans cela, j’aurois été ravi de vous voir ici pendant le séjour que j’y fais, et de vous y entretenir sur beaucoup de matières, où vous auriez été plus capable que personne de m’éclaircir et de me donner conseil. Vous savez l’amitié que j’ai toujours eue pour vous, et que je vous ai rendu justice au milieu de tout ce dont on vous accusoit injustement. Soyez persuadé que rien ne sera capable de la diminuer, et qu’elle durera autant que ma vie[44]. »
Nous dirons comment Fénelon répondit à cet appel, et quels avis, tantôt affectueux, tantôt sévères, mais toujours judicieux, le Duc de Bourgogne ne cessa de recevoir de lui pendant toute la durée de la campagne qui allait s’ouvrir. Mais nous voyons déjà dans quelles dispositions d’esprit le Duc de Bourgogne partait en guerre, combien les questions théologiques continuaient de le préoccuper, et avec quelle humilité il mettait son espoir beaucoup plus dans ses prières que dans ses talens.
A Valenciennes, le Duc de Bourgogne avait retrouvé Vendôme, qui de Mons était venu au-devant de lui. Le Duc de Berry et le fils de Jacques II, qui se cachait sous le nom de chevalier de Saint-Georges, l’y rejoignirent. L’armée, dispersée dans ses quartiers d’hiver, était rassemblée le 23 ; le Duc de Bourgogne la passait en revue le 20, et, dit Dangeau, « il en fut fort content. » Le lendemain, elle s’ébranlait et entrait en campagne. Comme nous n’écrivons ici ni une histoire militaire, ni la vie d’un grand capitaine, nous n’en suivrons pas la marche jour par jour et pas à pas. Nous nous bornerons à mettre en lumière le rôle que le Duc de Bourgogne joua dans les opérations, et à dégager les incidens qui ne tardèrent pas à mettre en conflit les deux hommes dont nous avons décrit le caractère si opposé. Ce sera l’objet d’une très prochaine étude.
HAUSSONVILLE.
- ↑ Écrits inédits de Saint-Simon, III, p. 281.
- ↑ Voyez la Revue du 1er juillet 1901.
- ↑ Archives d’Alcala. Lettres du Duc de Bourgogne à Philippe V, communiquées par le R. P. Baudrillart.
- ↑ Dangeau, t. XI. p. 280.
- ↑ Sourches, t. X, p. 216.
- ↑ Saint-Simon, édition Boislisle, t. XIV, p. 246.
- ↑ Archives d’Alcala. Communiquée par le R. P. Baudrillart.
- ↑ Sourches, t. X, D 376.
- ↑ Bibliothèque nationale, Ms. fr. Papiers de Vendôme, 14 177, p. 300.
- ↑ Proyart, Vie du Dauphin, père de Louis XV, p. 175.
- ↑ Saint-Simon, édition Boislisle, t. XV, p. 472.
- ↑ Archives d’Alcala. Communiquée par le H. Baudrillart.
- ↑ Saint-Simon, édition Boislisle, t. XV, p. 348.
- ↑ Sourches, t. XI, p. 3 et 7.
- ↑ Saint-Simon, édition Boislisle, t. XV, p. 350.
- ↑ Sourches, t. XI, p. 72.
- ↑ Dangeau, t. XII, p. 126.
- ↑ Voyez en particulier les Mémoires, édition Boislisle, t. XIII, p. 219, et une Addition au Journal de Dangeau, t. XIV, p. 165.
- ↑ Écrits inédits de Saint-Simon, t. V, p. 451.
- ↑ Cette descendance d’Henri IV contribuait également à rendre Vendôme populaire, car un pont-neuf disait :
- Bouvons tous au petit-fils
- Du grand roi Ventre-Saint-Gris.
- (Bibliothèque nationale, le Chansonnier français, t. XI, p. 334).
- ↑ Œuvres de Chaulieu. Édition de 1774, p. 16. Ode à la duchesse de Bouillon.
- ↑ Saint-Simon, édition Boislisle, t. XIII, p. 280.
- ↑ Saint-Hilaire, Mémoires, t. III, p. 194.
- ↑ Lettres de Mme de Maintenon et de la princesse des Ursins, t. III, p. 219, 11 septembre 1705.
- ↑ Bibliothèque nationale, le Chansonnier français, t. XI. D. 398.
- ↑ Sourches, t. X, p. 249.
- ↑ Bibliothèque nationale, le Chansonnier français, t. XI, p. 490.
- ↑ Le chevalier de Bellerive servit sous les ordres de Vendôme en Espagne, durant la campagne de 1710. En 1714, après la mort de Vendôme, il fit paraître un volume intitulé Histoire des dernières campagnes de S. A. R. le Duc de Vendôme, qui ne contient en effet que le récit des dernières campagnes de Vendôme en Espagne. Mais il a laissé huit volumes de manuscrits qui sont aujourd’hui déposés à la Bibliothèque nationale (manuscrits français, no 14 169 à 14 174, 14 177 et 14 178) et qui contiennent la transcription presque intégrale de la correspondance de Vendôme et le récit de ses principales campagnes. Nous en avons déjà tiré quelques citations. M. de Boislisle, dans le seizième volume de son Saint-Simon, qui vient de paraître, a reproduit presque in extenso le récit très passionné et partial en faveur de Vendôme que Bellerive a fait de la campagne de 1708. Nous nous en référerons pour les citations à la publication de M. de Boislisle.
- ↑ Saint-Simon, édition Boislisle, t. XVI, p. 545.
- ↑ Fénelon, Œuvres complètes, édition de Saint-Sulpice, t. VII, p. 158.
- ↑ Ibid., p. 285.
- ↑ Saint-Simon, édition Boislisle, t. XVI, p. 6 et suiv.
- ↑ Memoirs of John Duke of Marlborough by William Coxe, t, II, p. 443.
- ↑ Saint-Simon, édition Boislisle, t. XVI. Appendice, p. 544.
- ↑ Saint-Simon, édition Boislisle, t. III, p. 404. On sait que les pharisiens affectaient de porter de longues franges à leurs vêtemens.
- ↑ Saint-Simon, édition Boislisle, t. VI, p. 337.
- ↑ Bellerive, dans son récit, représente autrement les choses. Mais Sourches, qui ne poursuit pas Vendôme de la même haine que Saint-Simon, rapporte ce propos de Vendôme à Bergeyck : « Monsieur, je suis venu ici pour me reposer et non pour parler d’affaires ; nous verrons quand nous serons sur les lieux. » Il n’y a donc pas lieu de révoquer en doute l’anecdote où Vendôme se peint au naturel.
- ↑ Dangeau, tome XII, p. 137.
- ↑ Mercure de Mars. 1708, p. 395. Bellerive, dans son récit, prête à Louis XIV et au Duc de Bourgogne deux pompeux discours qui sont évidemment de son invention.
- ↑ Voyez la Revue du 1er juin 1901.
- ↑ Œuvres de Fénelon, édition de Saint-Sulpice, t. VII, p. 264.
- ↑ Dictionnaire historique de la ville de Dunkerque, p. 124. Cette auberge n’existe plus aujourd’hui.
- ↑ Saint-Simon, édition Boislisle, t. XVI, p. 133 et Écrits inédits, t. IV, p. 459.
- ↑ Œuvres de Fénelon, édition de Saint-Sulpice, t. VII.