Le Dossier n° 113/Chapitre 25

E. Dentu (p. 485-487).


XXV


Quatre jours plus tard, un matin, M. Lecoq, — le Lecoq officiel, celui qui ressemble à un chef de bureau, — se promenait dans son cabinet, interrogeant à chaque moment la pendule.

Enfin on sonna, et la fidèle Janouille introduisit madame Nina et Prosper Bertomy.

Ah ! fit M. Lecoq, vous êtes exacts, les amoureux, c’est bien.

— Nous ne sommes pas amoureux, monsieur, répondit Mme Gypsy, et il a fallu les ordres exprès de M. Verduret pour nous réunir une fois encore. Il nous a donné rendez-vous ici, chez vous.

— Très-bien !… dit le policier célèbre, alors, veuillez attendre ici quelques instants, je vais le prévenir.

Pendant plus d’un quart d’heure que Nina et Prosper restèrent seuls ensemble, ils n’échangèrent pas une parole. Enfin, une porte s’ouvrit, et M. Verduret parut.

Nina et Prosper voulaient se précipiter vers lui, il les cloua à leur place d’un de ces regards auxquels on ne résiste pas.

— Vous venez, leur dit-il d’un ton dur, pour connaître le secret de ma conduite. J’ai promis…, je tiendrai ma parole, quoiqu’il m’en coûte en ce moment, écoutez-moi donc.

Mon meilleur ami est un brave et loyal garçon, nommé Caldas.

Cet ami était, il y a dix-huit mois, le plus heureux des hommes. Épris d’une jeune femme, il ne vivait que par elle et pour elle, et, niais qu’il était, il s’imaginait que lui devant tout, elle l’aimait.

— Oui ! s’écria Gypsy, oui, elle l’aimait !…

— Soit. Elle l’aimait tant qu’un beau soir elle partit avec un autre. Sur le premier moment Caldas, fou de douleur, voulait se tuer. Puis, réfléchissant, il se dit que mieux valait vivre et se venger.

— Mais alors !… balbutia Prosper.

— Alors, Caldas s’est vengé à sa manière. C’est-à-dire que sous les yeux de la femme qui l’a trahi, il a fait éclater son immense supériorité sur l’autre, Faible, lâche, inintelligent, l’autre roulait dans l’abîme ; la puissante main de Caldas l’a retenu. Car vous avez compris, n’est-ce pas ?… La femme, c’est Nina ; le séducteur, c’est vous ; quant à Caldas…

D’un geste violent, il fit sauter sa perruque et ses favoris, et la tête intelligente et fière du vrai Lecoq apparut.

— Caldas !… s’écria Nina.

— Non, pas Caldas, pas Verduret non plus, mais Lecoq, l’agent de la sûreté…

Il y eut un moment de stupeur, après lequel M. Lecoq se retourna vers Prosper.

— Ce n’est pas à moi seul, dit-il, que vous devez votre salut. Une femme, en ayant le courage de se confier à moi, m’a rendu la tâche facile. Cette femme est Mlle Madeleine ; c’est à elle que j’avais juré que M. Fauvel ne saurait jamais rien… Votre lettre a rendu mes combinaisons impossibles. J’ai dit…

Il voulut regagner sa chambre, mais Nina lui barra le passage.

— Caldas ! disait-elle, je t’en conjure, je suis une malheureuse !… Ah ! si tu savais, grâce… pitié !…

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Prosper sortit seul de chez M. Lecoq.




Le 15 du mois dernier a été célébré, à l’église de Notre-Dame-de-Lorette, le mariage de M. Prosper Bertomy et de Mlle Madeleine Fauvel.

La maison de banque est toujours rue de Provence, mais M. Fauvel comptant se retirer à la campagne en a changé la raison sociale qui est maintenant : Prosper Bertomy et Cie.