Le Don Quichotte montréalais sur sa rossinante/23

Société des Écrivains Catholiques (p. 91-93).

XXIII.


Mgr Baillargeon et Mgr Bourget à Rome. — Justice de Rome.


En décembre 1872, le Franc-Parleur, sous le titre Les Quatre Lettres, publiait, ce qui suit : « En 1862, Mgr de Montréal, voyant les immenses besoins de sa ville épiscopale croître d’année en année, et l’impuissant Laval incapable de venir au secours de notre jeunesse, crut que le temps était venu pour Montréal d’avoir son tour, selon les promesses faites à Québec. Plein de confiance dans ces promesses, souvent réitérées, il en donne avisa l’archevêque, alors Mgr Baillargeon. Celui-ci s’y opposant avec ardeur, Mgr de Montréal l’invita à se rendre à Rome avec lui, pour y soumettre l’affaire à S. E. le Cardinal Préfet de la Propagande. L’archevêque accepta, mais n’arriva à Rome que plusieurs semaines après l’évêque de Montréal.

« Celui-ci, agissant avec la plus scrupuleuse bonne foi, poussa la délicatesse jusqu’à attendre l’arrivée de son confrère, avant de se présenter à la Propagande.

« Dans l’intervalle, l’archevêque qui ne se piquait pas de tant de délicatesse, écrivit aux Évêques de la Province, et réussit à obtenir d’eux des lettres favorables à ses vues.

« Sur quoi, il se hâta d’écrire directement au Pape, lui envoyant en même temps l’opinion de ses collègues. Le Saint-Père, s’en rapportant à la bonne foi de l’archevêque, dit au Cardinal Préfet de la Propagande, en lui parlant de cette affaire, « cela n’est pas expédient pour le moment, « non expedire. » Tout cela se passa il l’insu de l’évêque de Montréal, alors à Rome depuis un mois. Enfin, Mgr Baillargeon, qui n’avait pas perdu son temps, comme l’on sait, arrive à Rome. Il ne dit rien à son collègue, et se rend avec lui à la Propagande, sans beaucoup d’inquiétudes. Mgr de Montréal expose son projet, disant qu’il est prêt à s’en rapporter à l’opinion de Son Éminence. — Signor Vescovo, répond le bon Cardinal, je ne puis rien faire pour vous en ce moment, car le Saint-Père a déjà dit : Non expedire.

« Je tombai des nues, dit Mgr de Montréal, racontant cette scène à un ami dévoué. L’archevêque qui savait tout ne m’avait rien dit ; j’ignorais qu’il eut agi en secret, pendant que je l’attendais à Rome pour y agir ensemble loyalement et au grand jour. »

De cette narration. M. Dessaulles, vous prenez occasion de dire, prétendant vous appuyer sur les aveux mêmes de Mgr de Montréal, qu’à Rome on juge les causes sans les entendre. Quelle bonne fortune pour l’Institut ! car c’est en sa faveur que vous écrivez.

La calomnie est insigne et digne d’être notée et mise à votre charge. La volumineuse note, qui lui sert de véhicule, n’intéresse que par la démonstration que vous y faites de votre prodigieuse ignorance ou de votre inqualifiable mauvaise foi.

Il n’y avait pas l’ombre de procès entre l’Archevêque de Québec et l’évêque de Montréal, dans l’affaire en question. Il ne s’agissait seulement pour l’un de faire confirmer les privilèges accordés à l’Université-Laval, et pour l’autre, d’obtenir une restriction de ces privilèges. L’un se présentant à Rome sans faire mention de l’autre, rien ne pouvait faire croire à Rome que deux parties devaient être entendues.

Mgr l’archevêque de Québec, appuyé de ses suffragants, obtint, pour un temps, la confirmation pleine et entière des privilèges accordés à l’Université-Laval, et cela, avant que Mgr de Montréal, qui comptait que l’affaire ne se traiterait avant qu’il fut averti, put prendre connaissance de ce qui se passait. À Rome, on crut tout naturellement que rien ne s’opposait à cette continuation de certains privilèges, vu que personne ne réclamait et on l’accorda.

Lorsque Mgr de Montréal fit ses observations, la chose était réglée, et on lui répondit qu’il n’était pas expédient, non expedire, de revenir là-dessus. Cependant, si Mgr de Montréal eut quelque peu insisté pour que ses raisons fussent entendues, il eût été écouté, mais il aima mieux, par un sentiment d’exquise délicatesse chrétienne s’en tenir à ce qui avait été décidé. Voilà pourquoi la réponse de Rome est, jusqu’à ce jour, restée ce qu’elle était.

S’il y a du blâme à déverser sur quelqu’un en cette affaire, ce n’est pas sur Mgr de Montréal, encore moins sur le Pape et les Congrégations romaines, mais uniquement sur le défunt archevêque de Québec, Mgr Baillargeon, qui n’a pas agi à Rome avec la loyauté qu’on était en droit d’exiger de lui.

Rome est infaillible, mais son infaillibilité ne porte pas sur les questions de faits. Après le plus mûr examen possible, elle se prononce infailliblement en ce qui concerne la foi et les mœurs, mais conformément toujours aux faits tels qu’on les lui a fait connaître. Si on la trompe dans l’exposition des faits, ses réponses doivent être respectées, sans cependant valoir comme règle de conduite hic et nunc, mais seulement comme décision doctrinale.

Rome peut être trompée sur les faits, on le reconnaît et on l’a toujours reconnu. Rome elle-même le sait, et voilà pourquoi elle rend ses jugements avec tant de lenteur. Il faut, M. Dessaulles, excepter le cas où des écrits sont dénoncés pour des raisons qui portent avec elles l’évidence, comme la chose a eu lieu relativement à l’Annuaire de l’Institut-Canadien.

Ce qui démontre, on ne peut mieux, votre phénoménale ignorance de tout ce dont vous parlez, c’est que vous concluez de l’affaire de Mgr Bourget avec le défunt archevêque de Québec, qu’il n’y a pas de justice à attendre de Rome, parce qu’on peut tromper, comme on l’a fait, à propos de l’opuscule de M. l’abbé B. Paquet, la Revue italienne. qui a nom Civilta Catholica.

N’oubliez donc pas, cher M. Dessaulles, que la Civilta n’est qu’une Revue, un journal en d’autres termes, et pas du tout une Congrégation romaine. Par ignorance ou par mauvaise foi, vous mettez sur le même pied deux choses essentiellement différentes.