Traduction par Eugène Dailhac.
Hachette (p. 215-220).

CHAPITRE XIV


Je ne sais dans quels termes précis Clara répondit à son fiancé, mais sa réponse fut telle qu’il se crut obligé de quitter Plainstow avant que le blé ne fût rentré. Ils furent mariés en septembre, oui, en septembre, bien que la lettre de Will fût datée du mois d’août, et, au commencement d’octobre, ils étaient à Plainstow, de retour de leur voyage de noce. Clara avait demandé d’être conduite à Plainstow et montrait un grand intérêt pour les détails de l’exploitation. Elle notait, dans un petit livre apporté exprès, la contenance de chaque champ et son produit. Will ne l’encourageait pas autant qu’il aurait pu le faire.

« L’année prochaine, nous reviendrons pour la chasse, dit-il, si toutefois rien ne nous en empêche.

— J’espère que rien ne nous en empêchera.

— On ne peut pas prévoir. En tous cas, je viendrai donner un coup d’œil deux ou trois fois par an. Ce ne serait pas un séjour agréable pour vous.

— Je m’y plais beaucoup. La ferme m’intéresse.

— Vous en auriez vite assez, si vous étiez ici en hiver. La bonne agriculture est laide. Les petits coins pittoresques doivent être défrichés et les haies arrachées pour laisser entrer le soleil. À Belton, surtout autour de la maison, nous ferons de moins bonne agriculture, mais nous respecterons les arbres et les rochers. »

La nouvelle maison fut immédiatement commencée à Belton, et les travaux furent menés avec une grande activité. On avait cru, du moins Belton le croyait, que la maison serait prête à être occupée à la fin du premier été, mais ce ne fut pas possible.

« Il faut attendre jusqu’en mai, après tout, dit Will en visitant les travaux avec son ami le colonel Askerton. C’est insupportable ; mais on ne peut pas faire dépêcher les gens, dans ce pays-ci.

— Je trouve qu’ils se sont assez pressés. Vous n’auriez pas pu entrer dans une maison humide en hiver.

— D’autres personnes font bâtir une maison en un an ; voyez ce qu’on fait à Londres.

— Et ces autres personnes, avec leurs femmes et leurs enfants, meurent d’angines ou d’autres maux de cette nature. Je ne m’exposerais pas à entrer dans une maison neuve avant de m’être assuré qu’elle est bien sèche. »

Comme il n’y avait pas encore dix mois alors que Will était marié, il n’avait pas lieu de se préoccuper de sa femme et de ses enfants ; mais il avait déjà jugé à propos de faire certains arrangements pour s’opposer à la visite annuelle à Plainstow, projetée par Clara, et que, avec sa prudence caractéristique, il avait jugée sujette à certains empêchements.

Il s’absenta la première semaine de septembre, mais revint immédiatement, et avant la fin du mois il avait sujet de parler de sa femme et de son enfant.

« Je suppose que nous n’aurions pas pu déménager dans les circonstances actuelles, dit-il à son amie mistress Askerton, tout en se plaignant de ce que la maison ne fût pas finie.

— Je crois, en effet, que c’eût été difficile, » répondit mistress Askerton.

Mais au printemps suivant, ou au commencement de l’été, ils s’établirent dans la nouvelle maison, et c’était une fort jolie maison, comme, je pense, tous ceux qui connaissent M. William Belton en seront convaincus. À cette époque, le petit Will avait six ou sept mois. La naissance de l’héritier de Belton avait été marquée par de grandes réjouissances ; on avait fait des feux de joie.

Aucun Belton de Belton n’était né depuis plus d’un siècle dans le domaine de ses ancêtres. Ce fut un grand événement dans le pays. Peu après l’installation au nouveau château de Belton, il y arriva des visiteurs d’importance, qui y furent reçus avec une grande considération.

Ce n’était rien moins que le capitaine Aylmer, membre du Parlement pour Perivale, et sa jeune femme lady Emily Aylmer, née Tagmaggert. Ils étaient nouvellement mariés, et arrivaient à Belton au retour de leur voyage de lune de miel. Comment cette intimité était née ou plutôt s’était renouvelée, il serait inutile de l’expliquer. D’anciennes alliances comme celle des Aylmer et des Amadroz ne s’éteignent pas facilement, et il est bon pour tout le monde qu’il en soit ainsi. Le capitaine Aylmer amena donc sa femme à Belton. On tua le veau gras. Les Askerton furent priés à dîner, et le capitaine Aylmer se conduisit fort bien en cette occasion, tout en ayant probablement à part lui de grandes inquiétudes que sa femme ne fût compromise par une telle société. On invita aussi le vieux pasteur et le squire de la paroisse voisine, et tout se passa avec beaucoup de solennité et d’ennui. Le capitaine Aylmer fut enchanté de sa visite et déclara à lady Emily que M. William Belton avait beaucoup gagné depuis son mariage. La vérité est que Will avait été morne toute la soirée, et ne ressemblait en rien à l’homme déraisonnable et violent que le capitaine Aylmer se rappelait avoir rencontré à l’hôtel du Chemin de fer du Nord.

« J’en étais aussi sûre que possible, dit Clara à son mari ce soir-là.

— Sûre de quoi, ma chère ?

— Qu’elle aurait le nez rouge.

— Qui a le nez rouge ?

— Ne soyez pas stupide, Will. Qui serait-ce, sinon lady Emily ?

— Ma foi ! je ne l’avais pas remarqué.

— Vous ne remarquez jamais rien, Will ; mais ne la trouvez-vous pas bien laide ?

— Je n’en sais vraiment rien. Elle n’est pas aussi jolie que certaine personne.

— Ne dites pas de sottises, Will. Quel âge croyez-vous qu’elle ait ?

— Quel âge ? Voyons. Peut-être trente ans.

— Si elle n’a pas plus de quarante ans, je consens à changer de nez avec elle.

— Non, vous ne ferez pas cela, du moins avec mon consentement.

— Je ne peux pas comprendre pourquoi un homme épouse une pareille femme. Je suis persuadée que c’est une excellente personne, mais qu’est-ce qu’un homme peut gagner à un mariage semblable ? Il y a le titre, si cela doit être compté pour quelque chose… »

Mais Will Belton n’était jamais très-bavard à pareille heure, et il était trop profondément endormi pour pouvoir répondre à la dernière observation de Clara.



FIN.