Éditions Albin Michel Voir et modifier les données sur Wikidata (p. 179-194).


CHAPITRE XI

LA GUERRE DANS MARS


Un des serpents venait d’enfoncer son dard fourchu dans le mollet du docteur.

Les Mégalocéphales qui nous accompagnaient frottèrent immédiatement la blessure avec leurs tentacules et, quelques minutes après, notre ami ne ressentait plus aucune douleur.

Nous rentrâmes dans nos appartements et nous nous endormîmes sous la garde de nos affreux geôliers.

Le lendemain, quand nous nous réveillâmes, ils nous offrirent des pilules et des tablettes avec une affabilité qui me sembla suspecte.

Bien que le docteur fît preuve de la plus belle assurance, j’étais néanmoins très inquiet. Les Martiens semblaient, il est vrai, nous avoir en haute estime, cependant il était à craindre que ces êtres énigmatiques ne méditassent quelque atroce vengeance. Quand je faisais part de mes appréhensions au vieux savant, il se contentait de hausser les épaules.

— Monsieur Borel, me disait-il, vous vous forgez des idées ridicules… Les Martiens n’ont aucune raison pour nous mettre à mal… Nous les intéressons bien trop… Cessez donc de vous alarmer… Moi, je suis tout à fait tranquille et je ne songe plus qu’à une chose, construire un nouveau Cosmos.

— Et la répulsite ! pensez-vous que vous pourrez la fabriquer ici ?…

— Mais, mon pauvre ami, vous me semblez n’avoir guère plus de mémoire qu’un linot… la répulsite, n’en avons-nous pas ? Et l’enveloppe qui est restée au bord de la mer ?

— C’est vrai, fis-je… je n’y pensais plus.

Et en effet… telle était la confusion de mes idées que j’avais complètement oublié l’enveloppe mise en réserve dans la grotte…

Le docteur me confia qu’il était décidé à apprendre rapidement la langue martienne, afin de pouvoir demander à nos hôtes les pièces et les ouvriers nécessaires à la construction d’un véhicule automobile… Il était impossible que le grand Razaïou ne fît pas droit à cette demande.

En attendant, que se réalisât ce rêve, nous étions toujours traités par nos gardiens comme de gros animaux inoffensifs. On continuait à nous gaver de pilules nutritives et nous engraissions à vue d’œil. Fred surtout prenait un embonpoint inquiétant ; ce n’était plus un homme, mais un paquet de graisse… Quant au docteur, son petit cou de poulet s’était épaissi et ses jambes grêles avaient presque doublé…

Moi, je prenais du ventre et ne pouvais plus boutonner ma culotte… Nous résolûmes de manger moins de pilules et de faire un peu plus d’exercice.

Chaque jour, nous nous astreignions à une marche de deux heures. Nous faisions cinquante fois le tour du jardin sur lequel donnait notre appartement, et c’était pour nos gardiens une joie véritable que de nous voir trotter ainsi devant eux…

Je commençais à savoir beaucoup de mots martiens, mais je ne pouvais les assembler pour former des phrases… et cela me désespérait. Il faut croire que les « Grosses-Têtes » devinèrent ma pensée, car un jour elles arrivèrent avec de grandes tablettes sur lesquelles étaient dessinés des caractères bizarres, qui ressemblaient assez aux inscriptions cunéiformes de l’Asie occidentale. Nous ne tardâmes pas à apprendre que le langage martien se composait de syllabes gutturales et chantantes et que les mots, suivant l’intonation qu’on leur donnait, avaient plusieurs significations.

C’est ainsi que ghô voulait dire tout à la fois, arbre, nez, œil et genou… Selon que l’on filait le son ou qu’on le retenait, on obtenait des mots différents…

Comme je suis musicien, je parvins très vite à saisir « l’intonation martienne », mais le docteur et Fred étaient de fort mauvais élèves et désespéraient leurs maîtres.

Ils arrivaient assez bien à répéter les sons qu’ils entendaient, mais quand il leur fallait le faire sans qu’on les leur soufflât, ils n’émettaient que des cris bizarres, qui tenaient le milieu entre le roucoulement des pigeons et le bêlement des chèvres.

La langue martienne étant toute musicale, j’avais pris le soin de tracer sur un calepin, en face de chaque mot, une portée de cinq lignes où je figurais par des notes les intonations que j’avais retenues. Il est vrai que le docteur Oméga se rattrapait sur l’écriture… À l’aide d’un pinceau trempé dans une substance verte il traçait avec une facilité surprenante, sur des tablettes grises, les hiéroglyphes les plus compliqués…

Au bout de deux mois, je m’exprimais assez couramment dans la langue martienne et le docteur l’écrivait très correctement.

Quant à Fred, il parlait un martien « petit nègre » qui faisait beaucoup rire les Mégalocéphales.

Lorsque nos maîtres jugèrent que nous étions suffisamment garagoulô (instruits), ils nous présentèrent de nouveau au Grand Razaïou…

Ce fut à moi qu’échut l’honneur de parler au roi martien.

Je lui exprimai tout d’abord le plaisir que j’éprouvais à me trouver en présence du plus grand cerveau de la planète Mars et je l’assurai de mon dévouement ainsi que de celui de mes compagnons.

Ce début fut très goûté de Razaïou, qui me répondit presque aussitôt :

— Je vois que vous êtes des bêtes intelligentes… bien plus intelligentes que les gagâyou.

(Les gagâyou sont des Martiens arrivés à un âge très avancé et dont l’intelligence s’est éteinte peu à peu.)

Puis Razaïou m’interrogea sur mon pays.

— Tu es sans doute, me dit-il, de cette planète ronde et lumineuse que nous apercevons d’ici quand la nuit tombe… et avec laquelle, depuis si longtemps, nous cherchons à communiquer… sans succès…

Et il m’apprit alors que, depuis un nombre incalculable d’années, les Martiens allumaient chaque soir des feux immenses dans l’espoir qu’on leur répondrait de la Terre.

Quand je lui narrai comment nous étions parvenus dans Mars, le Roi ouvrit de grands yeux et parut enthousiasmé, mais nous nous aperçûmes plus tard qu’il n’avait absolument rien compris à nos explications et que la question de la gravitation lui était totalement étrangère[1].

Il sembla encore plus étonné quand je lui appris que j’avais quarante ans et le docteur soixante, et que, sur Terre, on ne dépassait guère soixante-dix ans.

Dans la planète Mars, la longévité est prodigieuse… la moyenne de la vie est de trois cents ans.

Pendant les deux cents premières années, les Martiens sont Vizadôs (actifs), puis ils deviennent Gagâyou, c’est-à-dire inutiles, et ne peuvent plus rendre aucun service à la collectivité… Quand l’âge a affaibli leurs facultés, on les parque dans de grandes cités où ils sont servis par des Noussaï (esclaves au petit cerveau) et ils achèvent là leur existence.

Un Mégalocéphale m’apprit que Razaïou avait cent cinquante-sept ans et la reine Bilitii cinq ans…

Il n’y a point, sur la planète Mars, d’enfance ni d’adolescence ; quelques semaines après qu’il a vu le jour, un Martien arrive à sa pleine croissance. Le cerveau seul atteint progressivement son développement…

Après nous avoir interrogés sur l’organisation économique et politique de la Terre, Razaïou nous renvoya en nous disant que nous étions désormais libres de circuler dans sa planète et qu’il allait donner des ordres pour que ses sujets nous entourassent du plus grand respect.

La nouvelle de cette réception n’avait pas tardé à se répandre dans la ville, aussi quand nous sortîmes du palais, fûmes-nous acclamés par une population en délire…

Des milliers de nains nous entouraient, se pressaient contre nous et nous devions marcher avec prudence pour ne point les écraser… Il y eut cependant un malheur. Fred, toujours très maladroit, posa son large pied sur un Martien qu’il réduisit en bouillie mais la foule ne prêta aucune attention à cet accident… Dans la planète Mars on ne s’émotionne pas aussi facilement que chez nous, et la mort d’un homme n’a aucune importance… surtout si cet homme n’est pas un intellectuel.

Nous rentrâmes au Métal Hôtel — c’est ainsi que j’avais baptisé le réservoir de tôle qui nous servait de demeure — et nous absorbâmes quelques pilules pour notre dîner.

Le lendemain, dès l’aube, les Mégalocéphales vinrent nous réveiller et nous annoncèrent que nous pourrions sortir quand nous le désirerions et qu’une ploplô (voiture automobile) serait à notre disposition.

Depuis longtemps nous brûlions du désir de visiter la ville dans laquelle nous nous trouvions et qui se nommait Musiolii.

Deux Mégalocéphales s’offrirent à nous accompagner et nous partîmes.

Le docteur ayant manifesté l’intention de voir une usine, on nous conduisit au Giilôz, vaste exploitation qui ressemble un peu au Creusot.

Là, nous pûmes enfin nous rendre compte du travail des Martiens.

Les ouvriers qu’on y emploie sont légion… Dans une seule machinerie il n’y en a pas moins de cinq mille.

Et tous ces petits hommes travaillent avec une activité surprenante.

Au moyen de leurs tentacules, ils font mouvoir des ressorts et des leviers qui communiquent avec d’énormes engins d’une complication merveilleuse.

Le Martien étant par sa nature un être d’une faiblesse extrême, supplée par des mécanismes perfectionnés à la force qui lui manque.

L’électricité, qui est encore mal connue chez nous, remplace dans les usines martiennes les cubilots et les foyers…

On peut dire qu’elle a atteint dans Mars son dernier perfectionnement… Grâce à elle, des milliers d’appareils, des bras d’acier, des chariots de fonte, des treuils de fer se lèvent et s’abaissent, glissent, tournent, s’enfoncent, remontent avec une précision inimaginable.

Figurez-vous une montre immense dans laquelle tous les rouages admirablement combinés concourraient à communiquer une force que l’on dirait intelligente.

Sans efforts, les ouvriers martiens accomplissent des travaux de géants…

L’usine dans laquelle nous nous trouvions avait la spécialité de fabriquer des trottoirs roulants…

Des blocs de métal se succédaient sans interruption dans des glissières et passaient immédiatement sous des laminoirs qui les réduisaient en quelques secondes à l’état de plaques de quelques centimètres d’épaisseur…

Ensuite un chariot à mouvement ininterrompu prenait ces plaques et les transportait au dehors où elles se trouvaient automatiquement empilées par vingt, trente ou quarante…

La roue étant inconnue des Martiens, tout glisse sur des cylindres creux, renforcés au centre et aux extrémités…

Je vis aussi fabriquer des maisons dans cette usine, car sur la planète Mars on ne construit pas les habitations en brique ou en pierre ; tout édifice, qu’il soit palais ou chaumière, est en métal et se monte ou se démonte en l’espace de quelques minutes ou de quelques heures. J’ai su par la suite que les Martiens avaient adopté ce genre de construction afin de pouvoir transporter leurs villes où ils voulaient. La raison en est simple. Pendant la période zônartiz (été) certaines régions deviennent inhabitables à cause de la chaleur.

Alors commence un exode qui dure quelques jours et les villes qui s’élevaient dans le Sud se trouvent, avec une rapidité surprenante, transportées au Nord.

Lorsque le froid se fait sentir, le même déménagement s’opère du septentrion au midi.

Seules, les usines demeurent dans les endroits où elles ont été installées, mais elles sont pourvues d’appareils réfrigérants qui permettent aux ouvriers de travailler sans être incommodés.

D’ailleurs, l’ouvrier ne joue ici qu’un rôle secondaire…

Chacun a sa place définie, marquée, l’un pousse toujours le même levier, l’autre dirige toujours la même courroie ; l’intelligence n’entre pour rien dans le travail manuel. Les « grands cerveaux » ont conçu les puissantes machines de construction, les acéphales ne font que les actionner et le travail est tellement bien divisé que jamais il ne se produit d’accident comme dans nos usines.

La population de la planète Mars comprend quatre catégories : les savants ou grands ingénieurs, les giiloï ou ouvriers, les bafouros ou agriculteurs et les gagâyous ou inutiles qui sont formés par toutes les classes de la société.

En cas de guerre car, hélas ! les Martiens, malgré leur intelligence, ne sont pas encore parvenus à vivre en paix avec leurs voisins, ce sont les Mégalocéphales ou grands cerveaux et les bafouros qui vont au combat…

Les ouvriers restent dans les usines où ils continuent à produire les engins de destruction…

Les femmes remplacent alors les bafouros à la culture des champs et rien n’est arrêté dans la vie de la planète…

Il semblera peut-être bizarre que je parle d’agriculture et l’on se figure sans doute qu’elle n’a dans Mars qu’une minime importance.

Quelle erreur !

Les Martiens cultivent beaucoup plus que les habitants de la Terre pour la raison bien simple qu’ils sont, comme je l’ai déjà dit, végétariens.

Chez eux, le blé est remplacé par une espèce d’herbe, dite herbe rouge, qui forme le fond principal de l’alimentation.

Cette herbe rouge produit des épis coniques qui contiennent une poudre jaune appelée postoûm.

C’est avec cette poudre que l’on fabrique les pilules nutritives et j’étonnerai sans doute le lecteur en lui disant que, pour fabriquer une seule pilule de deux grammes il faut près de trente kilos de postoûm. Cette poudre est d’abord exposée au soleil, puis passée au feu, et ce qui en reste constitue un principe excessivement nourrissant… Quelquefois on y mêle des grains de titilas (sorte de poivre bleu) et de mouzaia (sel), mais on n’opère ce mélange que dans la fabrication des pilules destinées au Grand Razaïou, à sa famille et aux Mégalocéphales.

Le peuple ne fait usage que de simple résidu de postoûm.

Quant aux animaux, qui sont très rares dans les environs des villes, ils se nourrissent de smala (cactus).

Le docteur Oméga était rayonnant depuis qu’il avait le droit d’aller où il voulait. Quelquefois, il partait seul et revenait, à la nuit tombante, les poches bourrées de pierres et de déchets de métal… Je me demandais ce qu’il pourrait bien faire de ces objets quand, un jour, à mon grand étonnement, je trouvai sur la table d’acier, que l’on avait fabriquée sur nos indications, un appareil qui ressemblait beaucoup à une pile électrique…

— Qu’est-ce donc que cela ? demandai-je au savant…

— Cela, monsieur Borel, dit-il en souriant, c’est, ou du moins ce sera, notre boîte aux lettres.

Je crus qu’il était devenu fou…

Mais il reprit aussitôt…

— Dans quelques semaines, j’aurai construit un appareil de télégraphie sans fil d’une puissance prodigieuse, grâce auquel nous pourrons communiquer avec la Terre…

— Hum ! fis-je…

— Vous verrez… vous verrez !… murmura le docteur…

Mais des événements imprévus vinrent retarder la réalisation de ce rêve.

Les « Cococytes » ou Martiens du Sud avaient déclaré la guerre au Grand Razaïou.

Le motif du conflit était des plus graves. Trop à l’étroit sur leurs terres, les Cococytes voulaient agrandir leurs domaines afin de pouvoir cultiver plus d’herbe rouge et fabriquer par conséquent plus de pilules nutritives.

En un mot c’était une invasion.

Depuis longtemps déjà, Razaïou s’attendait à cette lutte pour la vie et il avait accumulé dans ses arsenaux des quantités énormes d’engins de destruction.

Un matin, la ville de Musiolii présenta une animation inaccoutumée. Des véhicules bizarres sillonnaient les rues ; une foule de Martiens, portant sur le dos une petite boîte de fer, montait à la hâte dans des voitures automobiles et les « Grosses-Têtes » donnaient des ordres brefs qui étaient aussitôt exécutés… Partout un violent et retentissant fracas faisait trembler le sol.

J’interrogeai un de nos gardiens. Il m’apprit que l’armée de Razaïou se portait à la rencontre des Cococytes…

— Ne pourrions-nous faire partie de l’expédition ? demandai-je…

— Le Grand Razaïou m’a justement prié de vous amener au Palais.

Nous partîmes donc pour la montagne et le roi des Martiens nous reçut aussitôt.

En quelques mots, il nous mit au courant de la situation et nous fit comprendre qu’il serait heureux de nous voir à ses côtés pendant la guerre… Pour nous flatter, sans doute, il ajouta que nous pourrions lui être d’une grande utilité…

Le docteur ne se souciait guère de partir en campagne juste au moment où il allait mettre au point son appareil de télégraphie sans fil, mais il lui fut impossible de décliner l’aimable invitation de Razaïou.

Le soir, nous nous mettions en route.

Razaïou et son état-major occupaient une automobile blindée ; le docteur, Fred et moi nous suivions dans une autre en compagnie de cinq « Grosses-Têtes »…

L’armée nous avait précédés.

Un service de transports merveilleusement réglé avait, en quatre jours, emmené vers le Sud près de cinq millions de Martiens.

J’étais assez curieux de savoir de quelle façon les belligérants en viendraient aux mains — aux tentacules plutôt — je supposais que ce serait surtout un combat d’automobiles, une charge foudroyante de véhicules lancés à toute vitesse les uns contre les autres, mais je me trompais, comme on va le voir…

Après trois jours de marche, nous nous arrêtâmes dans une plaine immense, qui était couverte de troupes.

Nous avions rejoint l’armée.

Razaïou monta sur un observatoire métallique et nous le vîmes explorer longuement l’horizon.

Enfin, une automobile arriva à toute vitesse et ceux qui la montaient poussèrent ce cri :

Ozaïa ! Ozaïa ! (Les voici !… les voici !…)

Le Roi demeura à son poste et donna ses dernières instructions.

Nous remarquâmes alors que les troupes martiennes se formaient sur trois lignes ; derrière ces lignes, un carré de cinq cent mille soldats environ se tenait prêt à donner en cas de besoin.

J’étais monté avec le docteur sur la première plateforme de l’observatoire de Razaïou et je distinguais très nettement une bande noire qui s’avançait vers nous.

Les Cococytes approchaient.

Soudain une lueur verdâtre courut sur la plaine et nous aperçûmes des nains qui tournoyaient et s’abattaient dans toutes les directions.

L’action était engagée. Mais de quels engins se servaient donc les soldats ?

On ne les voyait faire aucun mouvement, on n’entendait aucun bruit et cependant la mort fauchait des rangées entières de combattants.

Un « Mégalocéphale » que j’interrogeai me donna l’explication de ce mystère…

Chaque soldat martien avait en main une boîte carrée et cette boîte c’était son arme…

Il lui suffisait de presser un ressort pour qu’aussitôt s’ouvrît un petit diaphragme qui donnait passage à un rayon de feu, et telle était la puissance de ce rayon, qu’à cent mètres il brûlait tout ce qu’il rencontrait… Rien n’était effrayant à voir comme ces gnomes qui s’incendiaient à distance en braquant devant eux une sorte de kodak.

Mais il faut croire que les engins des Cococytes étaient moins perfectionnés, moins puissants, car l’armée de Razaïou ne semblait point diminuer.

Ses lignes s’étaient à peine éclaircies, tandis que, dans les on apercevait d’effroyables trouées et un grand nuage de fumée noire…

Bientôt les Cococytes battirent en retraite, poursuivis par les soldats de Razaïou…

Alors la fumée augmenta, une grande chaleur arriva jusqu’à nous ; on aperçut au loin de petits foyers brillants et ce fut tout…

Razaïou descendit de son observatoire et, sautant sur son automobile, se lança dans la direction du champ de bataille… Le docteur et moi le suivions dans la voiture d’un « Mégalocéphale »…

Le lieu du combat était jonché de petits corps noirs, recroquevillés, tordus, affreusement calcinés, et les vainqueurs achevaient de brûler complètement les morts pour s’éviter la peine de les enterrer.

Le Grand Razaïou, après avoir contemplé avec une évidente satisfaction l’immense charnier qu’il avait devant lui, reprit le chemin de Musiolii, suivi d’une nuée d’automobiles.

Un peu avant d’entrer dans la ville, il mit pied à terre et fit, au milieu de ses troupes, une entrée triomphale…

Les Martiens du Nord avaient, en quelques heures, écrasé ceux du Sud !

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Le docteur se remit immédiatement au travail.

Enfin, un jour, il me dit :

— Ce soir, monsieur Borel… nous allons tenter une grande expérience… Aidez-moi à transporter tout cet attirail en plein air… Quand la Terre commencera à briller… je lui enverrai ma première dépêche… Et, comme j’avais l’air incrédule, il ajouta :

— Oui… je communiquerai avec la Terre. Puisque les ondes électriques se comportent à travers l’espace de façon analogue aux ondes lumineuses… il n’y a donc rien qui s’oppose à ce que je réussisse… Voyez mon appareil… Voici mes électrodes, ma bobine d’induction, il ne nous reste plus qu’à élever notre antenne. Si mon appareil est trop faible, j’en construirai un autre ; je puis en faire un énorme, gigantesque, prodigieux, car ces petits Martiens sont d’habiles ouvriers… Voyez le fini de ces pièces… je n’ai eu qu’à fournir des dessins et un ingénieur les a fait exécuter…

Une heure après, le docteur Oméga, le cœur battant d’émotion, s’installait devant ses électrodes…



  1. En effet, quand après notre équipée aux mers de glace, nous dîmes à Razaïou que nous avions voulu lui montrer une « voiture volante », il nous répondit stupidement que les Martiens ne nous avaient pas attendus pour inventer des véhicules aériens et il nous montra alors ces fameux « mayocleï » dont je parle plus loin et qui ne sont simplement que des engins fort bien conçus au point de vue mécanique mais sans valeur aucune comparés à notre Répulsite. N. de l’A.