Le Disciple de Pantagruel/1875/08

Attribué à
Texte établi par Paul LacroixLibrairie des bibliophiles (p. 20-21).

Comment Bringuenarilles rencontra ung moulin à vent, lequel il ayalla tout entier, avec le meusnier et son chien.

CHAPITRE VIII.


Or est il ainsi, comme on dict en commun proverbe, qu’il n’est si faible ne si fort, s’il ne lue, qu’il ne soit mort. Il advint une merveilleuse adventure audit Bringuenarilles, dont il ne se doubtoit point : car, comme il estoit ung jour au bort de la mer, prés d’ung moulin à vent, auquel il y avoit ung gros mastin de chien, lequel ne cessoit d’abbayer aprés ledict Bringuenarilles ; parquoy il ne pouvoit reposer nuict ne jour, dont il fut si fort despité que, par fureur et ire, il ouvrit la bouche si grande qu’il degloutit et avalla ledict moulin tout entier, sans rompre ny casser aulcune chose, avecq le musnier et son chien tout envie, tant avoit la bouche grande et fendue, parquoy vous pouvez tous croire qu’il eust bien avallé ung noyau de cerise tout entier.

Et pource qu’il avoit les narines proportionnez à la bouche, et que le vent donnoit dedans, ledict moulin mouloit et tournoit en son estomach, comme s’il eust esté en pleins champs. Toutesfois il print bien audict meusnier de ce qu’il avoit encor force sacz pleins de blé, parquoy il laissa tousjours mouldre et tourner ledict moulin. Ce nonobstant, quant il n’eut plus que mouldre, le feu se print es meules, et brusla ledict moulin dedans le ventre dudict Bringuenarilles ; parquoy il tumba en fîebvre continue, tant à cause du feu que du claquet d’icelluy moulin. Il mourut le jour mesme qu’il trespassa ; toutesfois ledict musnier et son chien se saulverent par les narrines,quidemourerent ouvertes, et pource que l’asne du musnier rompit son licol, il s’en courut à tous les diables après son maistre à travers champs, et vous aprés.