Traduction par Hurtaud.
Lethielleux (p. 33-36).


CHAPITRE VIII

(9)

Comment l’on ne doit pas affectionner principalement les pénitences extérieures, mais la vertu, et comment la discrétion est vivifiée par l’humilité et rend à chacun ce qui lui est dû.

Voilà les œuvres saintes et douces que je demande à mes serviteurs, à savoir les vertus intérieures de l’âme, éprouvées de la manière que je t’ai dite. Ce qu’il me faut, ce n’est pas seulement des œuvres corporelles, des actes extérieurs, des pénitences multiples et variées, qui ne sont que l’instrument de la Vertu : car si ces actes extérieurs étaient séparés de la vertu, ils me seraient peu agréables. Si, par exemple, l’âme accomplissait ces pénitences sans discernement, en s’attachant principalement à la pénitence elle-même, il y aurait là un obstacle à sa perfection. C’est à l’amour qu’elle doit s’affectionner, avec une sainte haine d’elle-même, accompagnée d’humilité vraie et de parfaite patience, ainsi qu’aux autres vertus intérieures, avec faim et désir de mon honneur et du salut des âmes. Ces vertus-là démontrent que la volonté sensuelle est morte ou meurt continuellement sous les coups de l’amour vertueux. C’est avec cette discrétion qu’il faut pratiquer la pénitence, aimer la vertu plus que la pénitence, considérer celle-ci seulement comme un moyen d’augmenter la vertu, suivant qu’il en est besoin, et en tenant compte de ses forces. A faire fond sur la pénitence, l’âme entraverait elle-même sa perfection, parce qu’elle ne se comporterait pas avec le discernement que donne la connaissance de soi-même et de ma bonté ; elle ne se conformerait pas à ma vérité, elle agirait indiscrètement, en n’aimant pas ce que j’aime par-dessus tout, en ne haïssant pas ce que j’ai le plus en aversion.

La discrétion n’est rien d’autre que la connaissance vraie que l’âme doit avoir de soi-même et de Moi. C’est dans cette connaissance qu’elle prend racine. Elle est un rejeton greffé sur la charité et uni à elle. Il est vrai que ce rejeton en produit plusieurs autres, comme un arbre qui a plusieurs rameaux. Mais ce qui donne vie à l’arbre et aux rameaux c’est la racine, et cette racine doit être plantée dans la terre de l’humilité, qui est la mère nourricière de la charité sur laquelle est greffé ce rejeton ou cette arbre de la discrétion. La discrétion ne serait pas une vertu et ne produirait pas des fruits de vie, si elle n’était plantée dans la vertu d’humilité, parce que l’humilité procède de la connaissance que l’âme a de soi-même. Et je t’ai déjà dit que la racine de la discrétion était une connaissance vraie de soi et de ma bonté, qui porte l’âme naturellement à accorder à chacun ce qui lui est dû.

Et premièrement, elle m’attribue à moi ce qui m’est dû, en rendant honneur et gloire à mon nom, en rapportant à moi les grâces et les dons qu’elle sait avoir reçus de moi : elle rend à elle-même ce qu’elle a conscience d’avoir mérité, en reconnaissant qu’elle n’est pas par elle-même, et que son être elle ne le tient que d’une grâce de moi. Tous les dons qu’elle possède en plus de l’être, c’est à moi pareillement qu’elle les attribue et non à elle-même. Pour ce qui est d’elle, elle confesse s’être montrée ingrate pour tant de bienfaits et n’avoir pas profité du temps et des grâces reçues : aussi s’estime-t-elle digne des châtiments, et est-elle pour elle-même, à cause de ses fautes, un objet de haine et de dégoût.

Voilà les effets de la discrétion fondée sur la connaissance de soi qui est l’humilité vraie. Sans cette humilité, l’âme serait indiscrète. Et l’indiscrétion a sa source dans l’orgueil, comme la discrétion a la sienne dans l’humilité. Aussi, sans discernement me déroberait-elle comme un larron l’honneur qui m’appartient pour se l’attribuer à elle-même et s’en faire gloire ; ce qui est bien à elle, elle me l’imputerait, se lamentant et murmurant contre les mystérieux desseins que j’ai accomplis en elle et dans mes autres créatures ; elle se scandaliserait de tout, tant de moi que du prochain.

Bien différente est la conduite de ceux qui possèdent la vertu de discrétion. Après avoir rendu ce qu’ils doivent à moi et à eux-mêmes, comme je l’ai déjà dit, ils rendent ensuite au prochain ce qu’ils lui doivent, principalement en lui donnant l’affection qui procède de la charité, et l’humble et continuelle prière à laquelle tous sont tenus les uns envers les autres. Puis ils s’acquittent de leur dette envers lui par leur doctrine, par l’exemple d’une vie honnête et sainte, par leurs conseils, par les secours dont il a besoin pour faire son salut, comme je t’ai dit plus haut. Dans quelque état que l’homme soit placé, qu’il soit prince, ou prélat, ou sujet, s’il possède cette vertu, tout ce qu’il fait à l’égard du prochain est fait avec discrétion et dans un sentiment de charité, car ces vertus sont liées et comme fondues ensemble et plantées dans la terre de l’humilité laquelle procède de la connaissance de soi-même.