Traduction par Hurtaud.
Lethielleux (p. 30-32).


CHAPITRE VII

(8)

Comment les vertus s’éprouvent et se fortifient par leurs contraires.

Je t’ai montré comment l’homme se rend utile au prochain, et comment par ce service il manifeste l’amour qu’il a pour moi. Je vais te dire maintenant que c’est par le prochain que l’homme expérimente qu’il possède en soi-même la vertu de patience, à l’occasion de l’injure qu’il reçoit de lui. C’est l’orgueilleux qui lui fait prendre conscience de sa propre humilité, comme l’incroyant, de sa foi, le désespéré, de son espérance, l’injuste, de sa justice, le cruel, de sa miséricorde, l’irascible, de sa mansuétude et bénignité. Toutes les vertus s’éprouvent et s’exercent par le prochain comme aussi c’est par lui que les pervers font voir toute leur malice. L’humilité, note le bien, est éprouvée par l’orgueil, parce que l’humilité triomphe de l’orgueil. Il n’est pas au pouvoir du superbe de causer du dommage à celui qui est humble pas plus que l’infidélité du méchant qui ne m’aime pas, qui n’espère pas en moi, ne se communique à celui qui m’est fidèle : elle n’entame pas la foi, ni l’espérance de celui qui l’a conçue en soi, pour l’amour de moi ; elle la fortifie même et l’éprouve par la dilection de l’amour qu’il témoigne au prochain. Quand il voit l’infidèle, sans espérance en moi, — car celui qui ne m’aime pas ne peut avoir foi ni confiance en moi, il ne croit et n’espère qu’en sa propre sensualité qui lui prend tout son amour — mon serviteur fidèle ne laisse pas cependant de l’aimer fidèlement et avec l’espérance de chercher en moi son salut. Ainsi donc l’infidélité des uns et leur manque d’espérance servent à manifester la foi du croyant.

En ces occasions et d’autres encore où la vertu de foi a besoin de s’affirmer, le croyant en fournit la preuve pour lui-même et à l’égard du prochain. Non seulement la justice n’est pas amoindrie par les injustices d’autrui, mais aussi les injustices reçues démontrent que le juste se maintient dans la justice par la vertu de patience, de même que les emportements de la colère qui assaillent la bénignité et la mansuétude manifestent pareillement que ces vertus sont accompagnées de la douce patience ; à leur tour l’envie, l’aversion, la haine mettent en évidence la dilection de la charité, le désir et la faim du salut des âmes.

Non seulement la vertu s’affermit en ceux qui rendent le bien pour le mal, mais, je te le dis, souventes fois l’épreuve fait d’eux des charbons ardents, tout brûlants du feu de la charité dont la flamme consume la haine et les ressentiments jusque dans le cœur et l’esprit du méchant irrité, transformant ainsi l’inimitié en bienveillance. Telle est l’efficacité de la charité et de la parfaite patience en celui qui est en butte à la colère du méchant et subit sans se plaindre ses assauts. Si tu considères la vertu de force et de persévérance, elle se prouve par le long support des affronts et des médisances des hommes, qui souvent, tantôt par la violence, tantôt par la flatterie cherchent à détourner de la voie et de la doctrine de la Vérité.

Elle demeure inébranlable et résiste à toute adversité, si vraiment la vertu de force a été conçue intérieurement ; c’est alors qu’elle se prouve dans ses rapports avec le prochain, comme il a été dit. Si, au moment où elle est aux prises avec les nombreuses contrariétés, elle ne faisait pas bonne contenance, ce ne serait pas une vertu fondée sur la Vérité.