Traduction par Hurtaud.
Lethielleux (p. 266-272).

CHAPITRE XLVIII

(78)

Du quatrième état qui n’est pas séparé du troisième, et de l’opération de l’âme, parvenue a cet état. Comment l’âme éprouve le sentiment continu de son union avec Dieu.

Je t’ai appris à quels signes, l’on reconnaît que l’âme a atteint la perfection de l’amour d’amitié, de l’amour filial. Je veux te découvrir maintenant quelle douceur l’âme goûte en moi, tout en demeurant dans son corps mortel. Dès qu’elle est parvenue au troisième état, dans cet état même, ainsi que je te l’ai dit, elle acquiert le quatrième état, qui n’est pas séparé du troisième, mais lui est si étroitement uni que l’un est inséparable de l’autre, de même que l’amour qu’on a pour Moi ne saurait exister sans l’amour du prochain. C’est un fruit produit par ce troisième état de parfaite union contractée par l’âme avec Moi, où elle reçoit ma Force. Désormais ce n’est plus par patience qu’elle souffre un désir ardent la presse, elle ne souhaite rien tant que d’endurer peines et tourments pour la gloire et l’honneur de mon nom.

C’est alors qu’elle se fait gloire des opprobres de mon Fils unique, comme le disait Paul, mon héraut : Je me glorifie dans les opprobres et les tribulations du Christ crucifié (2 Co 12, 9), et, dans un autre endroit : Où chercherai-je ma gloire, sinon dans le Christ crucifie. Je porte en moi, dit-il encore, les stigmates de Jésus crucifié dans mon corps (Gal 6, 14-17). Ainsi ceux qui ont la passion de mon honneur. et qui on faim du salut des âmes, courent a la table de la très sainte Croix. Ils n’ont d’ambition que de souffrir et d’affronter mille fatigues, pour le service du prochain, pour conserver pour acquérir la vertu, en portant dans leurs corps les stigmates du Christ, car l’amour crucifié qui les brûle, brûle dans leur corps ; il éclate dans le mépris qu’ils ont d’eux-mêmes, dans la joie qu’ils éprouvent dans les opprobres, dans l’accueil qu’ils font aux contradictions et aux peines que je leur accorde, de quelque côté qu’elles viennent et de quelque manière que je les leur envoie.

Pour ces fils bien-aimés, la peine est plaisir. Leur vraie peine, ce sont les joies, les consolations, les satisfactions que le monde parfois veut leur donner. Non seulement ils s’attristent des attentions que le monde a pour eux, par une disposition spéciale de ma Providence, alors que les serviteurs du monde sont contraints par ma Bonté de les vénérer et de les assister dans leurs besoins temporels, mais ils vont encore jusqu’à mépriser, par humilité et par haine d’eux-mêmes, la consolation spirituelle qu’ils reçoivent de Moi Père éternel. En vérité, dans la consolation, ce n’est pas le don, le présent de ma grâce qu’ils méprisent, mais la satisfaction qu’y trouve le désir de l’âme. C’est la vertu d’humilité qui leur inspire ce sentiment, l’humilité, produite par une sainte haine, et qui est la gardienne et la nourrice de la charité que donne la vraie connaissance de soi-même et de Moi. C’est ainsi que brillent dans leur corps et dans leur esprit, la vertu et les stigmates du Christ crucifié.

A ceux-là je fais la grâce de sentir que je ne suis jamais séparé d’eux, tandis que dans les autres je m’en vais et je reviens, non que je leur retire ma grâce, mais bien le sentiment de ma présence. Avec ces très parfaits, parvenus a la grande perfection et qui sont morts entièrement à toute leur volonté, je n’agis pas de la sorte. Sans interruption je me repose en eux et par ma grâce et par l’expérience que je leur donne de ma présence. Dès qu’ils veulent unir leur esprit à Moi par sentiment d’amour, ils le peuvent, parce que leur désir est arrivé à une si grande union avec Moi par sentiment d’amour, que rien au monde ne l’en peut séparer. Tout temps, tout lieu leur sont bons pour la prière, car leur vie s’est élevée au-dessus de la terre pour se fixer dans le ciel. Ils ont détruit en eux toute attache terrestre, tout amour égoïste ou sensuel pour s’élever au-dessus d’eux-mêmes, dans les hauteurs du ciel, par l’échelle des vertus, en montant les trois degrés que je t’ai représentés dans le corps de mon Fils unique.

Au premier degré, ils dépouillent les pieds de l’affection de l’amour du vice. Au second, ils goûtent le secret de l’affection du cœur, qui leur fait concevoir l’amour de la vertu. Au troisième, qui est celui de la paix et de la quiétude de l’âme, ils éprouvent en eux la vertu, et en s’élevant au-dessus de l’amour imparfait, ils arrivent à la grande perfection. Là, ils ont enfin le repos, dans la doctrine de ma Vérité ; là, ils ont trouvé la table et la nourriture et le serviteur, et ils goûtent à cette nourriture, au moyen de la doctrine du Christ crucifié, mon Fils unique. C’est Moi qui leur suis le lit et la table ; la nourriture, c’est mon doux Verbe d’amour. C’est, en effet, en ce Verbe de gloire, qu’ils goûtent vraiment les âmes et que les âmes leur sont une nourriture ; et c’est lui-même aussi que je vous ai donné pour nourriture, sa chair et son sang à lui, vrai Dieu et vrai homme. Cet aliment, vous le recevez dans le Sacrement de l’autel, que j’ai institué et que vous a donné ma Bonté pour le temps où vous êtes pèlerins et voyageurs. J’ai voulu que, grâce à lui, vous ne tombiez pas en route, d’inanition ou de faiblesse, et que vous ne perdiez pas le souvenir du Sang, répandu pour vous avec un si ardent amour.

Pour vous réconforter et charmer votre route, l’Esprit-Saint vous sert mes dons et mes grâces. Ce cher Serviteur recueille pour me les offrir, les doux et amoureux désirs de mes fils affamés de souffrance, et leur rapporte en retour la récompense offerte à leurs sacrifices par la divine Charité, en leur faisant goûter et savourer à leur âme la douceur de mon amour. Tu vois bien que je suis la table, mon Fils est la nourriture, et celui qui sert à celte table, c’est l’Esprit-Saint, qui procède du Père et du Fils.

Ainsi toujours ont-ils, ces parfaits, le sentiment de ma présence dans leur âme. Plus ils ont méprisé leur plaisir et leur volonté, plus maintenant ils sont exempts de peine et plus ils ont acquis de joie, parce qu’ils sont brûlés et embrasés par ma charité où se consume leur volonté. Aussi le démon redoute-t-il le bâton de leur charité. C’est de loin qu’il leur envoie ses flèches, sans oser ]es approcher. Le monde, lui, frappe l’épiderme de leur corps, croyant le blesser, et c’est lui-même qu’il blesse, parce que la flèche qui ne peut pénétrer la cible revient à celui qui l’a envoyée. Avec ses injures et ses persécutions et ses murmures, le monde crible de flèches ces très parfaits, mes serviteurs ; mais ils demeurent impénétrables a ses coups : le jardin de leur âme est bien fermé, et les traits retournent à celui qui les a lancés, empoisonnés par le venin de sa propre faute. De toute part, tu le vois, ils sont invulnérables, puisqu’en frappant le corps, les méchants n’atteignent pas l’âme ; qui demeure bienheureuse et affligée ; affligée de la faute du prochain, bienheureuse par l’union et l’affection de la charité qu’elle a reçue en elle.

Ils sont ainsi conformes a l’Agneau sans tache, mon Fils unique, qui, sur la croix, était tout à la fois heureux et souffrant. Il souffrait de porter la croix corporelle, en endurant son supplice, et la croix du désir pour satisfaire à la faute de la race humaine ; et bienheureux il était, parce que la nature divine unie à la nature humaine était impassible, et toujours faisait son âme bienheureuse, en se montrant à elle sans voile. Ainsi était-il tout à la fois bienheureux et souffrant. Il souffrait dans sa chair suppliciée, la Divinité en lui ne pouvait souffrir, non plus que son âme, dans la partie supérieure de l’intelligence. Il en est de même de ces fils très chers arrivés au troisième et au quatrième état. Ils souffrent en portant leur croix extérieure et leur croix intérieure, c’est-à-dire les afflictions du corps suivant que je le permets, et cette croix du désir que leur inflige la douleur de mon offense et du malheur du prochain. Et je dis aussi qu’ils sont bienheureux, parce que la joie de la charité qu’ils possèdent ne peut leur être enlevée, et c’est elle qui fait leur allégresse et leur béatitude.

Cette peine, on l’appelle bien peine, mais elle n’est pas une peine afflictive qui dessèche l’âme ; elle l’engraisse, au contraire, en développant en elle le sentiment de la charité, puisque les peines accroissent la vertu. C’est donc une peine nutritive plutôt qu’afflictive. Car aucune souffrance, aucun tourment ne peut retirer l’âme du feu de l’amour. Elle est comme un tison embrasé au sein de la fournaise, et que nul ne peut toucher pour l’en retirer, parce qu’il est devenu feu. Ces âmes plongées dans le brasier de ma charité, sans que rien ne demeure d’elle, en dehors de Moi, n’ayant plus aucune volonté propre, mais tout entières embrasées en Moi, qui donc les pourrait prendre et les retirer de Moi et de ma grâce, après qu’elles sont ainsi devenues une même chose avec Moi et Moi avec elles. Toujours elles me sentent en elles, jamais je ne leur dérobe le sentiment de ma présence, comme je le fais aux autres, ainsi que je t’ai dit, quand je m’en vais et que je reviens, non que je retire ma grâce, mais seulement le sentiment de mon union avec elles, pour les amener ainsi à la perfection. Une fois qu’elles ont atteint à la perfection, je supprime ce jeu de l’amour des départs et des retours. Je l’appelle jeu de l’amour, parce que c’est par amour que je m’en vais, c’est par amour que je reviens. Non pas Moi en vérité Je suis le Dieu immuable, je ne me meus pas ; c’est le sentiment de ma présence, que ma Charité procure à l’âme, qui disparaît pour revenir encore.