Traduction par Hurtaud.
Lethielleux (p. 261-265).


CHAPITRE XLVII

(77)

Des œuvres de l’âme parvenue au troisième degré.

La patience, la force, la persévérance, couronnées de la lumière de la très sainte Foi, voilà, en effet, les trois glorieuses vertus fondées sur la vraie chanté Elles sont à la cime de l’arbre de la Charité. Avec ces vertus et cette lumière, l’âme court, sans trouver de ténèbres, dans la voie de la Vérité. Elle est élevée trop haut par le saint désir pour pouvoir rencontrer d’obstacles. Ce n’est pas le démon qui peut l’arrêter avec ses tentations il a trop peur d’une âme embrasée du feu de la charité ! Ce ne sont pas les calomnies ou les injures des hommes ; car, malgré que le monde la persécute, elle fait peur au monde. Ces épreuves, c’est ma Bonté qui les permet, pour affermir la vertu de ces parfaits et les faire grandir devant Moi et devant le monde, après qu’ils se sont abaissés eux-mêmes par l’humilité.

Regarde mes saints ! Ils se sont faits petits, je les ai faits grands à jamais, en Moi qui suis la vie durable, et dans le corps mystique de la sainte Église, qui toujours célèbre leur mémoire, parce que leurs noms sont écrits dans le livre de vie. Tu vois donc bien que le monde les honore d’avoir méprisé le monde.

Si mes serviteurs cachent leur vertu, ce n’est pas par crainte, mais par humilité. Si le prochain a besoin de leur service, ils ne se dérobent pas, par peur de souffrir ou de perdre leur propre consolation, mais courageusement ils vont servir, en s’oubliant eux-mêmes, en s’abandonnant eux-mêmes. De quelque manière qu’ils dépensent leur vie et leur temps, Si c’est pour l’honneur de Moi, ils sont dans la joie, ils trouvent la paix et le repos de l’esprit. Pourquoi donc ? Parce qu’ils ne choisissent pas de servir à leur convenance, mais à la mienne. C’est pour cela qu’ils sont toujours prêts. Tous les temps leurs sont bons, que ce soit celui de la consolation ou celui de la tribulation, celui de la prospérité ou celui de l’adversité. Adversité et prospérité ont pour eux le même prix, parce qu’en toute chose ils trouvent ma volonté, et qu’ils n’ont point d’autre souci que de se conformer à ma volonté, partout où ils la trouvent.

Ils ont vu que rien n’a été fait sans Moi et que tout a été mystérieusement ordonné par ma divine Providence, tout, à l’exception du péché qui n’est pas quelque chose. C’est pourquoi ils ont la haine du péché et sont pleins de respect pour tout ce qui est. Cette pensée les rend si assurés et si inébranlables dans leur vouloir, qu’ils suivent la voie de la Vérité, sans s’arrêter jamais. Ils servent leur prochain avec fidélité, sans regarder jamais à son ignorance ou à son ingratitude. Parfois même ils recevront les injures des méchants ou leurs réprimandes : rien ne ralentira leurs bonnes œuvres, rien ne les empêchera de crier vers moi dans leurs saintes oraisons, pour que je leur pardonne, n’ayant de douleur que de l’offense qui m’est faite et du tort que leurs insulteurs ont fait à leur âme, sans aucun souci de leur propre injure. Ils se redisent la parole de Paul, mon glorieux apôtre : Le monde nous maudit, et nous, nous bénissons : il nous persécute et nous lui disons merci. On nous jette dehors comme l’ordure et la balayure du monde, et patiemment nous nous laissons faire (1 Co 4, 12-13).

Voilà, ma fille bien-aimée, à quoi l’on reconnaît que l’âme a quitté l’amour imparfait et est parvenue à l’amour parfait. De tous ces signes, le plus démonstratif est la vertu de patience qui la fait marcher sur les traces du doux Agneau immaculé, mon Fils unique. Sur la croix, où le tenaient attaché les clous de l’amour, il ne se laissa point détourner de son sacrifice par les défis des Juifs qui lui criaient " Descends maintenant de la croix et nous croirons en toi (Mt 27, 42)." Votre ingratitude ne l’empêcha point non plus de persévérer dans l’obéissance que je lui avais imposée, et si grande fut sa patience, qu’il ne fit pas entendre le moindre murmure. Tel est le modèle et telle est la doctrine que suivent mes fils bien-aimés et mes féaux serviteurs.

Par caresses ou par menaces le monde voudrait bien les retirer de cette voie. Mais ils ne s’arrêtent point à détourner la tête, pour regarder le sillon ; ils n’ont d’yeux que pour l’objet de ma Vérité. Ils ne veulent point déserter le champ de bataille et revenir à la maison, pour y reprendre le vêtement qu’ils ont laissé, je veux dire cet amour-propre qui cherche les bonnes grâces des créatures, et craint davantage de leur déplaire qu’à Moi le Créateur. C’est avec joie, au contraire, qu’ils demeurent dans la mêlée, tout remplis qu’ils sont et comme enivrés du Sang du Christ crucifié. Ce Sang je l’ai confié au corps mystique, à la sainte Église de ma Charité, pour être distribué avant la bataille, afin de ranimer le courage de ceux qui veulent être de vrais chevaliers, dans cette lutte contre la sensualité propre et la chair fragile, contre le monde et contre le démon. C’est avec le glaive de la haine d’eux-mêmes et avec le glaive de l’amour de la vertu, qu’il leur faut combattre leurs plus grands ennemis. Cet amour est une armure qui pare tous les coups et rend invulnérable, Si l’on ne livre soi-même à l’ennemi son bouclier et son glaive ; et c’est le libre arbitre seul, qui rend les armes, on ne se livre à l’ennemi qu’autant qu’on le veut. Ceux que le Sang a enivrés, ne se rendent jamais, ils luttent courageusement jusqu’à la mort, et mettent ainsi en déroute tous leurs ennemis.

O glorieuse vertu, que tu me plais ! Ton éclat rejaillit sur le monde, jusqu’aux yeux ténébreux des ignorants, qui ne peuvent demeurer fermés, quoiqu’ils fassent, à la lumière de mes serviteurs Dans la haine même avec laquelle ils les poursuivent, éclatent l’amour et le zèle de mes serviteurs pour leur salut. L’envie des persécuteurs fait resplendir la générosité et la charité des miens ; la cruauté avec laquelle ils les tourmentent ne sert qu’à mieux prouver la douceur avec laquelle ils en sont aimés. Au milieu de toutes ces injures, c’est la patience qui brille et qui affirme sa royauté ; c’est elle qui régente et gouverne toutes les vertus, parce qu’elle est la moelle même de la charité. Et c’est elle par conséquent qui est le signe des vertus de l’âme ; c’est elle qui démontre Si elles sont ou non fondées en Moi qui suis la Vérité. La patience triomphe et n’est jamais vaincue. Elle a pour compagnes la force et la persévérance, et c’est avec la victoire toujours qu’elle rentre dans sa maison. Quand elle abandonne le champ de bataille, c’est pour revenir à Moi le Père éternel, le rémunérateur de tous ses travaux, et recevoir de Moi la couronne de gloire.