Traduction par Hurtaud.
Lethielleux (p. 252-256).

CHAPITRE XLV

(75)

Comment les imparfaits veulent suivre seulement le Père, alors que les parfaits suivent le Fils. D’une vision qu’eut cette âme, où elle vit différents baptêmes.

Je t’ai exposé comment l’on sort de soi-même et que c’est là le signe auquel on peut reconnaître qu’une âme a quitté l’imperfection et est parvenue à la perfection. Ouvre donc l’œil de ton intelligence et regarde-les courir, ces parfaits, sur le pont de la doctrine du Christ crucifié qui fut votre règle, votre voie, votre enseignement. Vois comme le regard de leur intelligence ne fixe pas d’autre modèle que le Christ crucifié.

Ce n’est pas Moi, le Père, qu’ils proposent à leur imitation, comme le fait celui qui demeure dans l’amour imparfait et qui ne veut supporter aucune souffrance. Comme en moi il n’est pas de souffrance, et qu’il ne poursuit que la délectation qu’il trouve en moi, c’est à moi qu’il vient, non pour me chercher, Moi, mais la consolation qu’il trouve en moi.

Ce n’est pas ainsi que font les parfaits. Comme enivrés, et tout embrasés d’amour, ils ont réuni les trois puissances de l’âme, figurées généralement par les trois degrés du pont, et ils ont franchi les trois degrés d’opération, les trois états, représentés dans le corps du Christ Crucifié, mon Fils unique. Après avoir gravi le premier degré et atteint les pieds, avec les pieds de l’affection, l’âme est parvenue à son côté, où elle trouve le secret du cœur et connaît le baptême de l’eau qui tire sa vertu du Sang. L’âme y reçoit la grâce du saint baptême, après s’être disposée à recevoir la grâce unie et mêlée au sang.

Où l’âme connaît-elle cette dignité, de se voir unie et mélangée au sang de l’agneau en recevant le saint baptême en vertu du Sang ? Dans le côté de mon Fils, où elle éprouve le feu de la divine Charité.

C’est ce que te montra, si tu t’en souviens bien, ma Vérité quand tu lui demandais " Doux Agneau sans tache, vous étiez mort quand votre côté fut ouvert, pourquoi donc avez-vous voulu que votre cœur fût ainsi blessé et entr’ouvert. " Il répondit, tu ne l’as pas oublié : " Pour plusieurs raisons, dont je te dirai la principale. Mon désir concernant la race humaine était infini, et l’acte présent de la souffrance et des tourments était fini. Par cette souffrance, je ne pouvais donc vous manifester combien je vous aimais puisque mon amour était infini. Voilà pourquoi j’ai voulu vous révéler le secret du cœur, en vous le faisant voir ouvert, pour que vous compreniez bien qu’il vous aimait bien plus que je n’avais pu vous le prouver, par une douleur finie. Le sang et l’eau qui coulèrent de mon cœur figuraient le saint baptême de l’eau, que vous recevez par la vertu du Sang.

Ils signifiaient aussi le baptême du sang que l’on reçoit de deux manières. La première convient à ceux qui sont baptisés dans leur propre sang répandu pour moi. Quelques autres sont baptisés par le feu, quand ils désirent le baptême, par amour, sans pouvoir l’obtenir. Il n’y a pas de baptême de feu sans le Sang, parce que le Sang est uni et mélangé au feu de la divine Charité qui l’a fait répandre.

il est une autre manière, mais figurée, de recevoir ce baptême du sang, par une spéciale providence de ma divine Charité. Je connaissais l’infirmité et la fragilité de l’homme qui le porte à m’offenser. Non que par sa fragilité ou quelque autre cause il soit contraint de commettre le péché, s’il ne le veut pas ; mais il est faible, et comme tel, il tombe dans le péché mortel. Il perd ainsi la grâce qu’il avait reçue dans le saint baptême par la vertu du sang. Il fallait donc que la divine Charité parvînt à instituer, et de façon continue, le baptême du sang, que l’on reçoit avec la contrition du cœur et la sainte confession, que l’on fait, s’il se peut, à mes ministres à qui sont confiées les clefs du Sang. Ce Sang, mes ministres le répandent sur le visage de l’âme par l’absolution ; et, si la confession n’est pas possible, il suffit de la contrition du cœur. La main de ma Clémence vous accorde alors le fruit de ce précieux sang. Mais celui qui pourra se confesser le devra faire, je le veux : celui qui ne le voudra pas faire quand il le peut, sera privé du fruit du Sang.


Il est bien vrai, qu’au moment de la mort, celui qui veut se confesser et ne le peut faire, recevra aussi le fruit du Sang. Mais que nul ne soit assez fou de s’appuyer sur cette espérance, pour remettre au dernier instant, car il n’est pas sûr qu’à raison de son obstination, je ne lui fasse pas entendre le langage de ma divine justice : " Tu ne t’es pas souvenu de moi pendant la vie, quand tu en avais le pouvoir, Moi, à mon tour, je ne me souviendrai pas de toi dans la mort. " Personne ne doit donc tant différer ; et cependant si par sa faute l’on a perdu la grâce, l’on ne doit pas laisser, jusqu’à la fin, d’espérer d’être baptisé dans le Sang. Ce baptême, tu le vois, est continu : l’âme s’y doit purifier jusqu’à la fin, comme il vient d’être dit.

Ainsi donc, mes œuvres, je veux dire les souffrances de la croix, étaient par elles-mêmes finies mais le fruit de mes souffrances, que vous avez reçu par moi dans le baptême, est infini, en vertu de la nature divine infinie qui est unie à la nature humaine finie. C’est Moi, le Verbe revêtu de votre humanité, qui ai, par la nature humaine, enduré ces supplices. Comme ces deux natures sont conjointes et unies l’une à l’autre, la Divinité éternelle tire à soi et fait sienne la peine que j’ai subie avec un si ardent amour c’est à ce titre que l’on peut dire que cette opération est infinie. La peine endurée, la souffrance extérieure du corps, n’était pas infinie, non plus que celle qui provenait du désir qui me torturait d’accomplir votre rédemption. Cette douleur se termina et finit sur la croix, dès que mon âme eut quitté mon corps. Mais le fruit qui résulte de ma passion et du désir que j’avais de votre salut est infini, et vous le recevez infiniment. S’il n’était pas infini, il ne s’étendrait pas à la restauration de la race humaine, dans tous les hommes passés, présents et à venir. Si le fruit du Sang n’était pas infini, l’homme qui m’offense après avoir reçu le baptême de l’eau ne pourrait pas non plus, après son péché, recouvrer ma grâce. Mais le baptême du Sang, qui vous a été donné, est inépuisable.

Voilà ce que vous révèle mon côté entr’ouvert, où l’on peut lire le secret du cœur. Là, vous apprendrez que je vous aime bien plus, que je n’ai pu vous le prouver par ma souffrance finie.

Je t’ai donc montré que c’est infiniment que je vous aime Et qui le prouve ? Ce baptême du Sang uni au feu de ma Charité ; car c’est par amour que le Sang fut répandu.

Le baptême général donné aux chrétiens et à quiconque le veut recevoir, dans lequel l’âme s’unit à mon sang, c’est le baptême d’eau, mais l’eau y est unie au sang et au feu. C’est pour vous le faire entendre que, de mon côté ouvert, il coula du sang avec l’eau. J’ai donc satisfait a ta demande. il reste encore quelques autres points à éclaircir : je te les expliquerai bientôt.