Traduction par Hurtaud.
Lethielleux (p. 11-17).


CHAPITRE III

(4)

Comment le désir, comment la contrition du cœur satisfont à la faute et à la peine, en soi et dans les autres ; et comment quelquefois ils satisfont à la faute et non à la peine.

Je t’ai montré, fille très chère, comment la faute n’est expiée, en ce temps fini, par aucune peine, endurée seulement à ce titre de peine. Je t’ai dit qu’elle s’expie par la peine supportée avec désir, amour et contrition du cœur, non à raison même de la peine, mais en raison du désir de l’âme. Le désir — comme d’ailleurs toute vertu — n’a de valeur, n’a en soi de vie, que par le Christ crucifié, mon Fils unique, pour autant que l’âme a puisé en lui l’amour, et modèle sa vertu sur la sienne, en suivant ses traces. C’est de là et de rien d’autre, que les peines tirent leur valeur. Ainsi peuvent-elles satisfaire à la faute, par le doux et profond amour acquis dans l’aimable connaissance de ma bonté, et par l’amertume et contrition du cœur qui procède de la connaissance de soi-même et de ses fautes. Cette connaissance engendre ce regret du péché et cette haine de la sensualité qui font que l’âme s’estime digne des châtiments et indigne de toute consolation, ainsi que le disait la douce Vérité.

C’est, tu le vois, la contrition du cœur jointe à l’amour de la véritable patience et à une sincère humilité, qui fait que l’âme se considère comme ayant mérité toutes les peines, sans aucun droit à la récompense, et l’amène ainsi par humilité à satisfaire avec patience comme il a été dit.

Tu me demandes de t’envoyer des peines afin que j’en tire satisfaction pour les offenses qui me sont faites par mes créatures, et aussi de t’accorder la volonté de me connaître et de m’aimer, moi la Vérité souveraine. Si tu veux parvenir à la connaissance parfaite, si tu veux me goûter, moi la Vérité éternelle, voici la voie : Ne sors jamais de la connaissance de toi-même et demeure abaissée dans la vallée de l’humilité. Tu me connais moi-même en toi, et de cette connaissance tu tireras tout le nécessaire.

Aucune vertu, ma fille, ne peut avoir la vie en soi, sinon par la charité, et par l’humilité qui est la mère nourricière de la charité. La connaissance de toi-même t’inspirera l’humilité, en te découvrant que par toi-même tu n’es pas, et que l’être tu le tiens de moi qui t’aimais, toi et les autres, avant que vous ne fussiez. C’est cet amour ineffable que j’eus pour vous qui, voulant vous créer à nouveau en grâce, me fit vous laver et régénérer dans le sang de mon Fils unique, répandu avec un si grand feu d’amour. C’est ce sang qui enseigne la Vérité à celui qui a dissipé la nuée de l’amour-propre par la connaissance de soi-même. Point d’autre moyen de la connaître.

L’âme s’embrase dans cette connaissance de moi-même d’un amour ineffable. Cet amour la tient en peine continuelle ; non pas une peine afflictive, qui abat ou dessèche l’âme, mais qui plutôt la nourrit. Elle a connu ma Vérité et en même temps sa propre faute, son ingratitude comme aussi l’aveuglement du prochain, et elle en éprouve une douleur intolérable. Si elle souffre, c’est qu’elle m’aime ; si elle ne m’aimait pas, elle ne souffrirait pas. Dès que toi et mes autres serviteurs aurez ainsi connu ma Vérité, vous serez disposés à endurer jusqu’à la mort toutes les tribulations, injures, opprobres, en paroles et en actions, pour la gloire et l’honneur de mon nom. C’est ainsi que tu recevras et porteras les peines.

Toi donc, et mes autres serviteurs, souffrez avec une véritable patience, avec la douleur de la faute et avec l’amour des vertus, pour la gloire et l’honneur de mon nom. Si vous faites ainsi, j’en tirerai satisfaction pour tes fautes et celles de mes autres serviteurs ; les peines que vous supporterez seront suffisantes en vertu de la charité pour expier et mériter pour vous et pour les autres. Pour vous, vous en recevrez un fruit de vie ; les taches de vos ignorances seront effacées, et je ne me souviendrez plus que vous m’ayez jamais offensé. Pour les autres, j’aurai égard à votre charité et à vote amour et je leur distribuerai mes dons suivant la disposition qu’ils apporteront à les recevoir. À ceux, en particulier, qui se prépareront avec humilité et respect à recevoir les enseignements de mes serviteurs, je remettrai la faute et la peine, parce qu’ils seront amenés par ces sentiments à cette véritable connaissance et à la contrition de leurs péchés. Ainsi, par le moyen de l’oraison et du désir de mes serviteurs, ils recevront, s’ils sont humbles, un fruit de grâce, et plus ou moins abondant, suivant que leur volonté sera disposée à tirer profit de la grâce qui leur est offerte. Oui, par vos désirs ils recevront le pardon, à moins que cependant, si grandes que soit leur obstination qu’ils veuillent être rejetés par moi, à cause de leur désespoir, qui est un outrage au sang qui les a rachetés avec tant de douceur.

Quel fruit reçoivent-ils donc ceux-là ? — Quel fruit ? c’est que je les attends, arrêté par la prière de mes serviteurs, c’est que je leur donne la lumière, que je réveille en eux le chien de garde de la conscience, que je leur fais respirer l’odeur de la vertu, et sentir la joie que l’on trouve dans la société de mes serviteurs.

Quelquefois je permets que le monde se découvre à eux tel qu’il est, en les laissant éprouver l’inconstance et la mobilité de ses passions ; afin qu’après avoir expérimenté le peu de fond qu’il faut faire sur le monde, ils en arrivent à porter plus haut leur désir et à chercher leur patrie de vie éternelle. C’est par ces moyens et mille autres que je les ramène. L’œil ne saurait voir, la langue raconter, ni le cœur imaginer quels sont les voies et les moyens que j’emploie, uniquement par amour, pour leur faire recouvrer la grâce, afin que ma vérité soit accomplie en eux. C’est la charité inestimable qui m’a fait les créer, qui me pousse à en agir ainsi avec eux ; mais c’est aussi l’amour et le désir, et la douleur de mes serviteurs. Loin d’être insensible à leurs larmes, à leurs sueurs, à leur humble prière, je les ai pour agréables. N’est-ce pas moi qui leur fais aimer le bien des âmes et leur inspire la douleur de leur perte.

Je n’en arrive pas d’ordinaire, avec ceux-là, à leur faire remise de la peine, mais seulement de la faute, car pour ce qui est d’eux, ils ne sont pas disposés généralement à répondre par un amour parfait à mon amour et à celui de mes serviteurs. La douleur qu’ils éprouvent de la faute commise n’est pas accompagnée de regret et de repentir parfaits : elle procède d’un amour imparfait, d’une contrition imparfaite. C’est pour cela qu’ils n’obtiennent pas comme les autres remise de la peine, mais bien de la faute. De part et d’autre, en effet, c’est-à-dire de qui donne et de qui reçoit, il faut réciprocité de dispositions. Étant imparfaits, ils reçoivent imparfaitement la perfection des désirs de ceux qui, avec leur souffrance, m’offrent leurs prières pour eux : mais qu’ils obtiennent rémission et pardon, comme je te l’ai dit, c’est la vérité. Comme je te l’ai exposé et comme je te l’ai dit plus haut, par la lumière de la conscience et autres moyens, il est satisfait à la faute ; car, en commençant à se reconnaître, ils vomissent la pourriture de leurs péchés, et reçoivent ainsi le don de la grâce.

Tels sont ceux qui demeurent dans la charité commune. S’ils ont accepté comme correction les contrariétés qu’ils ont eues, et s’ils n’ont point opposé de résistance à la clémence de l’Esprit-Saint, en sortant du péché, ils reçoivent la vie de la grâce. Mais si, comme des ignorants, ils me méconnaissent, s’ils sont ingrats envers moi comme à l’égard des fatigues endurées pour eux par mes serviteurs, tous les dons de ma miséricorde tournent contre eux en ruine et damnation. Cette conséquence n’est imputable ni à un défaut de la miséricorde, ni à celui qui implorait la miséricorde pour l’ingrat, mais seulement à la malice et à la dureté de celui qui, par la main de son libre arbitre, a ainsi fermé son cœur comme avec une pierre de diamant qui, si elle n’est pas attendrie par le sang, ne peut être entamée par rien d’autre. Encore je te le dis, nonobstant sa dureté, pendant qu’il en a le temps, il peut se servir de son libre arbitre pour implorer le sang de mon Fils ; que de cette même main, il l’applique sur la dureté de son cœur, pour la briser, et il recevra le fruit du sang qui a été versé pour lui. Mais, s’il remet sans cesse et laisse passer le temps, il n’y a plus pour lui aucun remède, parce qu’il ne m’a pas rapporté le trésor que je lui avais confié, quand je lui donnai la mémoire pour se souvenir de mes bienfaits, l’intelligence pour avoir et connaître la vérité et cette puissance d’affection pour m’aimer, Moi la Vérité éternelle. Voilà le don que je vous ai fait et qui doit faire retour à Moi le Père. S’il l’a vendu et engagé au démon, c’est au démon à lui donner en échange ce qu’il a acheté pour cette vie.

Il lui remplit donc la mémoire de pensées voluptueuses et de souvenirs déshonnêtes, d’orgueil, d’avarice, d’amour-propre, de haine et d’aversion pour le prochain, jusqu’à se faire le persécuteur de ceux qui me servent. Au sein de ces misères, la volonté désordonnée obscurcit l’intelligence, et il encourt enfin par ses infamies la peine éternelle, pour n’avoir pas expié ses fautes par le repentir et la haine du péché.

Ainsi tu as compris comment la souffrance expie la faute, en vertu de la parfaite contrition du cœur, non à raison de la peine elle-même qui est finie. Non seulement elle satisfait pour la faute, mais aussi pour la peine qui en est la suite, chez ceux dont la contrition est parfaite, comme je te l’ai dit ; elle satisfait pour la faute, chez tous ceux qui, purifiés du péché mortel, reçoivent la grâce ; mais s’ils n’ont pas une contrition et un amour suffisants pour satisfaire à la peine, ils vont souffrir dans le Purgatoire où s’achève leur purification.

Tu vois donc que le désir de l’âme unit à moi qui suis le Bien infini, satisfait peu ou beaucoup selon le degré du parfait amour de celui qui m’offre sa prière et aussi suivant le désir de celui qui reçoit. L’intensité du désir en celui qui me donne et en celui qui reçoit, voilà la mesure sur laquelle ma Bonté règle ses dons. Qu’ainsi donc croisse en toi le feu de ton désir, et ne laisse pas passer un instant sans crier vers moi d’une voix humble, en m’offrant pour le prochain d’incessantes prières. Je te le dis pour toi et pour le père de ton âme que moi-même je t’ai donné sur terre, agissez virilement et soyez morts à toute sensualité propre.