Traduction par Hurtaud.
Lethielleux (p. 110-112).


CHAPITRE III

(33)

De l’avarice et des maux qui en dérivent.

Quelques autres produisent un fruit de terre. Ce sont les avares cupides. Ils font comme la taupe qui toujours se nourrit de terre jusqu’à la mort. Quand la mort vient, ils ne trouvent contre elle aucun remède. Ceux-là, avec leur avarice, ravalent mes largesses, en vendant à leur prochain le temps qui n’est qu’à moi. Ce sont les usuriers qui oppriment et volent leur prochain, parce qu’ils n’ont point conservé dans leur mémoire, le souvenir de ma miséricorde. S’ils ne l’avaient oubliée, ils ne seraient pas aussi cruels envers eux-mêmes et à l’égard d’autrui : ils useraient de bonté et de miséricorde pour eux-mêmes en pratiquant la vertu, et envers le prochain en venant charitablement à son secours.

Oh ! combien grands les maux qui dérivent de ce maudit péché ! Combien d’homicides, de larcins, de rapines, de gains illicites, quelle cruauté de cœur, que d’injustices, que de dommages, au préjudice du prochain ! Ce péché tue l’âme et la rend esclave des richesses : elle ne se soucie plus désormais d’observer mes commandements. L’avare n’aime personne, sinon par intérêt. Ce vice procède de l’orgueil, et l’orgueil à son tour s’alimente par l’avarice, qui satisfait au besoin de réputation personnelle. Ces deux vices se prêtent ainsi un mutuel appui, et l’on se précipite de mal en pis, par le fait de ce misérable orgueil avide de paraître.

Il est un feu qui toujours répand une vanité de gloire et de vanité de cœur, où l’on se glorifie de ce qui n’est pas à soi. Il est en même temps une souche qui produit plusieurs rameaux, mais dont le principal est le désir d’être compté pour beaucoup, qui pousse à vouoir être plus grand que les autres. Sous l’empire de cette ambition, le cœur cesse d’être sincère et généreux, pour devenir hypocrite et menteur. La langue exprime une chose, quand le cœur en enferme une autre : elle dissimule la vérité, et profère le mensonge, suivant que l’intérêt le demande. Ce vice enfante l’envie, ver intérieur qui sans cesse ronge le cœur, et ne le laisse jouir ni de son propre bien ni de celui d’autrui. Comment, en une pareille bassesse, ces méchants pourraient-ils distraire une part de leur fortune pour le besoin des pauvres, eux qui dérobent celle des autres ? Comment retireraient-ils leur âme grossière de cette vilenie, quand ce sont eux-mêmes qui l’y plongent ! Parfois même, ils deviennent si inhumains qu’ils ne regardent même pas leurs fils ni leurs parents, quand, encore, ils ne les réduisent pas à la misère.

Néanmoins ma miséricorde les supporte, je ne commande pas à la terre de les engloutir ! J’en agis ainsi pour qu’ils reconnaissent leurs fautes. Comment donc donneraient-ils leur vie pour le salut des âmes, quand ils refusent de donner de leur argent ? Comment donneraient-ils l’amour, quand eux-mêmes se rongent d’envie ? O misérables vices qui rabaissent à la terre le ciel de l’âme !

J’appelle l’âme un ciel, parce que ciel je l’ai faite, un ciel où j’habitais d’abord par ma grâce, me cachant en son intérieur, et faisant en elle ma demeure par sentiment d’amour ! La voilà maintenant qui m’a quitté, comme une adultère, s’aimant elle-même et les créatures et les choses créées plus que moi. La voilà qui s’est fait d’elle-même son Dieu et ne cesse de me poursuivre de ses péchés aussi nombreux que variés ! Et pourquoi donc ? Parce qu’elle ne se souvient plus du bienfait du Sang, répandu avec un si grand amour, un amour de feu.